le Samedi 13 septembre 2025

«La Cour suprême donne raison» à Droits collectifs Québec (DCQ), «mais de la pire manière possible», estime l’organisme dans un communiqué de presse ,envoyé le 11 novembre.

Le 8 novembre, la Cour suprême a annoncé qu’elle retirait ses décisions non traduites de son site Web. Elle a assuré par voie de communiqué qu’à l’occasion du 150e anniversaire de la Cour, en 2025, le Bureau du registraire de la Cour suprême (BRCSC) entreprendra la traduction de celles «qui sont les plus importantes d’un point de vue historique ou jurisprudentiel».

Aucune échéance n’a été fixée.

Dix jours auparavant, DCQ a entamé une poursuite contre le BRCSC pour la non-traduction des décisions qui datent d’avant 1970. Il y en aurait environ 6000.

En septembre, un deuxième rapport d’enquête, rédigé par le commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, déterminait que le tribunal avait enfreint la Loi sur les langues officielles (LLO). Il avait recommandé la traduction de toutes les anciennes décisions.

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Une question de communication

L’affichage en ligne des décisions constitue une communication au public faite par une institution fédérale, estime le commissaire aux langues officielles. Selon la LLO, une telle communication doit se faire dans les deux langues officielles.

Ainsi, en retirant les décisions non traduites de son site, il n’y a plus de communication au public et la Cour suprême n’a plus l’obligation de les traduire.

La poursuite suit son cours

En entrevue avec Francopresse, le directeur général de DCQ, Etienne-Alexis Boucher, se dit «sidéré» par la décision de la Cour, qui «préfère restreindre l’accès à l’information, à la justice, pour l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes, plutôt que de respecter les droits linguistiques des francophones».

«La Cour suprême ne s’en tirera pas comme ça», assure Etienne-Alexis Boucher. 

Photo : Mouvement national des Québécois et des Québécoises

«Le geste posé par la Cour suprême est, au final, une façon de contourner la Loi et plutôt son esprit, parce que si elle respecte la lettre, [elle ne respecte] certainement pas son esprit», dénonce-t-il.

La poursuite du BRCSC par DCQ en Cour fédérale suit pour l’instant son cours, confirme M. Boucher. «Ce geste-là ne répond que très partiellement aux questions litigieuses que nous avons soulevées.»

«Ça ne répond aucunement aux recommandations du [CLO].»

Les décisions en question étant retirées du site de la Cour suprême, il est possible que la Cour fédérale juge la plainte de DCQ irrecevable. M. Boucher le reconnait, mais estime que la poursuite demeure «légitime puisque de nombreuses questions ne sont pas répondues à ce jour».

«C’est une étape un peu étrange pour essayer de répondre à la demande qui est faite devant la Cour fédérale», dit le président de la Fédération des associations de juristes d’expression française (FAJEF), Justin Kingston.

«Il faut traduire toutes les décisions», dit-il. La FAJEF examine actuellement les options lui permettant de soutenir DCQ dans sa procédure, comme témoigner ou agir à titre d’intervenant.

«Toutes les décisions sont importantes»

«La Cour met fin dans l’immédiat, dans le court terme, à son manquement à l’égard de la Loi sur les langues officielles», estime le professeur de droit de l’Université d’Ottawa, François Larocque.

Selon François Larocque, la nouvelle Loi sur les langues officielles devrait inciter le gouvernement à agir dans ce dossier. 

Photo : Valérie Charbonneau

Là où il trouve que le BRCSC «s’éloigne des recommandations du CLO», c’est dans le choix de traduire certaines décisions seulement.

«Toutes les décisions de la Cour suprême sont importantes, insiste le juriste. Elles font toutes jurisprudence, dans un système comme le nôtre […] qui est axé sur les précédents.»

Les anciennes décisions qui seront traduites «n’auront toutefois pas un caractère officiel, étant donné qu’elles ne peuvent pas être approuvées par les juges qui les ont rendues, ceux-ci étant tous décédés», avertit la Cour suprême dans son communiqué du 8 novembre.

«C’est un beau grand respect pour les francophones que de nous annoncer déjà que les traductions n’auront pas de valeur officielle», lance avec sarcasme le juriste et président de DCQ, Daniel Turp.

Selon lui, l’«attitude» de la Cour suprême trahit un manque de valorisation du français.

«On persiste, on signe, on a des bons arguments pour que cette cause puisse continuer en Cour fédérale», dit Daniel Turp. 

Photo : Wikimedia Commons

En pratique, le fait qu’une décision ne soit pas officielle permet d’invalider son interprétation. Par exemple, un défendant qui a traduit lui-même une décision de l’anglais et qui interprète la version librement traduite en français pourrait voir cette interprétation invalidée.

«La version anglaise est plus importante, c’est elle qui va compter et qui va l’emporter à la fin», illustre M. Turp.

Les décisions retirées sont disponibles sur le site CanLII, mais comme le fait remarquer M. Turp, il s’agit d’une entité privée.

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Le quasi-silence du gouvernement

Le 4 juin dernier, le Bloc québécois a envoyé une lettre au ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, dans laquelle il demande au gouvernement de fournir les ressources nécessaires et de prendre en charge les couts liés à la traduction des anciennes décisions.

Aucune réponse n’a encore été fournie.

Justin Kingston estime que la traduction de quelques anciennes décisions est «un pas dans la bonne direction», mais que ça demeure insuffisant. 

Photo : Courtoisie

«Je pense que le gouvernement devrait agir, devrait prendre des mesures positives comme la Partie VII de la Loi l’exige, pour faciliter l’accès à la justice en français», dit François Larocque.

DCQ et la FAJEF demandent aussi au gouvernement d’augmenter le budget alloué à la Cour suprême pour la traduction.

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Le 5 novembre, le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonneault, a indiqué à La Presse canadienne qu’il ne peut pas commenter un dossier qui fait l’objet d’un procès devant les tribunaux.

Son secrétaire parlementaire, Marc Serré, a affirmé à La Presse que le gouvernement devrait recommander à la Cour suprême de faire la traduction, quitte à ce que ça prenne quelques années.

Ces commentaires ont été émis avant que les décisions ne soient retirées.

«Le contenu présenté dans le site Web de la Cour suprême est maintenant bilingue, conformément aux exigences de la Loi sur les langues officielles», a constaté le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, dans une réponse écrite. Ce ministère est responsable de la mise en œuvre de la LLO.

«Comme l’enjeu de fond fait l’objet d’un recours en justice, le SCT ne peut pas commenter davantage sur le sujet.»

Le BRCSC a indiqué par courriel qu’il ne commentera pas davantage.

De son côté, le CLO a assuré par courriel qu’il suit de près l’évolution du dossier.

«L’hémorragie est là, ça, c’est clair et net», lâche la professeure à la retraite en information-communication de l’Université de Moncton, Marie-Linda Lord, faisant référence à la crise des médias.

La crise des médias dépasse les gouvernements, avertit Marie-Linda Lord, qui cite le règne du numérique et des réseaux sociaux, et la compétition avec les géants américains pour les revenus publicitaires. 

Photo : Courtoisie

Selon elle, la situation aurait été bien pire sans la mise en place, ces dernières années, de programmes comme l’Initiative de journalisme local (IJL). «La couverture locale aurait été beaucoup moindre», assure-t-elle.

La grande question reste maintenant de savoir ce qui adviendra de ce type de soutien gouvernemental : diminution, statuquo, augmentation ou modification?

«Ce qui fait peur actuellement, c’est le problème de clarté du programme conservateur. C’est-à-dire que ce sont des grandes phrases, comme “On va définancer [CBC]”, mais ce n’est pas accompagné de chiffres, ce n’est pas accompagné d’opérationnalisation de cette mesure», observe de son côté le président de Réseau.Presse Nicolas Jean. Réseau.Presse est l’éditeur de Francopresse.

Tout porte à croire que le Parti conservateur du Canada remportera les prochaines élections et c’est pour cela que Réseau.Presse cherche déjà à «engager la discussion» avec lui, «pour être proactifs, pour connaitre un peu leur positionnement», précise le président.

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«Nous travaillerons avec les communautés francophones pour trouver des solutions qui mettront un terme au déclin après 9 ans du gouvernement libéral de Justin Trudeau», écrit Joël Godin. 

Photo : Courtoisie

En attendant la plateforme

«Nous savons et reconnaissons que les médias francophones sont confrontés à des défis uniques qui nécessitent des solutions adaptées», assure le ministre fantôme des langues officielles au Parti conservateur, Joël Godin, dans une réponse écrite.

Promettant d’«agir concrètement pour freiner le déclin du français au Canada», le député parle d’«investissements» et du fait que «chaque dollar sera orienté vers des actions concrètes».

Il ne donne pas plus de détails sur ce qui sera fait pour les médias, mais indique que plus d’information sera dévoilée dans la plateforme électorale du parti.

Selon Marie-Linda Lord, les médias francophones locaux ne représentent pas nécessairement une grande menace pour le message de M. Poilievre et son parti : «Je ne pense pas non plus qu’il y aura des ambitions de nuire nécessairement.»

Leur traitement sera différent de celui réservé à des médias comme CBC ou CTV, avec qui les conservateurs ont quelques tensions, fait-elle remarquer.

«Ce sera surtout le maintien des programmes gouvernementaux qui sont là pour aider aux défis certainement financiers auxquels plusieurs sont confrontés à travers le pays. C’est ça la grande question.»

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IJL : un avenir incertain

Comme Nicolas Jean, la coordinatrice du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, Linda Lauzon, assure être prête à travailler avec le prochain gouvernement, peu importe le parti qui le formera. 

Sa liste de préoccupations est prête. 

Elle rappelle que le secteur attend encore «une enveloppe de publicité fédérale, pour la simple et bonne raison que c’est probablement la source de financement qui offre le plus de stabilité à [ces] médias».

«L’autre chose sur la table, c’est des programmes comme celui de l’IJL. Il y a beaucoup d’incertitudes autour de ce programme-là.»

Ce programme a été renouvelé en 2024 pour une période de trois ans, mais l’entente de contribution avec le gouvernement pour les prochaines années n’a pas encore été signée. D’après Linda Lauzon, cela pourrait attendre le début de l’année 2025 et, d’ici là, les choses ont le temps de changer. Un programme signé serait plus difficile à couper.

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Le programme est contesté par des partis d’opposition, rappelle la coordinatrice. Ils considèrent que le programme «s’ingère dans les salles de nouvelle, ce qui ne devrait pas être le cas. […] Aussi, parce qu’il dessert certains gros médias qui ont de grands moyens».

Si jamais un changement de gouvernement provoque la fin de l’IJL, le secteur s’attend à ce qu’il soit remplacé par un autre programme permettant de «desservir les Canadiens et Canadiennes en matière de journalisme civique et de journalisme local en général», affirme Linda Lauzon.

Qu’en est-il de l’accord avec Google?

L’entente Google, qui découle de la Loi sur les nouvelles en ligne (C-18), permettra à l’écosystème médiatique canadien de se diviser un chèque de 100 millions de dollars de Google par année pendant cinq ans.

Jusqu’à maintenant, la Loi a conduit au blocage de Meta et n’assure pas une compensation pour tous les médias. «Pour 95 % des médias du secteur, […] C-18 n’aura pas d’impact ou pas d’impact assez majeur», commente Linda Lauzon.

Les conservateurs n’appuient pas la Loi telle qu’adoptée. «S’ils ne décident pas de juste pousser C-18 à la poubelle, c’est possible qu’il y ait une plus grande ouverture pour rendre les mesures qui découlent de C-18 plus accessibles pour les petits médias locaux», suggère-t-elle.

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Un possible «goulot d’étranglement»

Ce qui me fait peur aussi, c’est peut-être une réduction d’effectifs au sein de la fonction publique, notamment au sein de Patrimoine canadien

— Nicolas Jean

Bien que ce ministère, qui gère la plupart des dossiers liés au financement des médias, n’ait pas été explicitement identifié par les conservateurs comme cible, ces derniers ont parlé plus d’une fois de réduire la taille de l’appareil fédéral.

«J’ai peur que ça crée un bottleneck pour beaucoup de demandes de financement qu’on a, explique le président de Réseau.Presse. On sait que ça prend déjà beaucoup de temps, même quand tout va bien.» Un tel goulot pourrait retarder la distribution du financement aux médias, craint-il.

Les libéraux ont aussi entrepris des mesures d’austérité, ordonnant par exemple aux ministères de réduire leurs couts de fonctionnement de 3 % en aout 2023. Et dans le budget 2024, le gouvernement de Justin Trudeau précisait espérer abolir 5000 postes de fonctionnaires sur quatre ans.

Nicolas Jean, aussi directeur du Courrier de la Nouvelle-Écosse depuis trois ans, affirme être déjà épuisé : «Toutes les années la question se repose. Je vais pouvoir payer qui cette année? Est-ce que mon équipe de cinq va devoir passer à deux? C’est très épuisant sur le long terme.»

«C’est plus qu’un bricolage en salle de classe, on est sur le territoire des Premières Nations, on doit faire valoir la façon dont elles voient l’éducation», affirme la directrice de la réconciliation et de l’éducation autochtone au sein du Conseil scolaire francophone (CSF) de la Colombie-Britannique, Bonnie Lépine Antoine.

Pour Bonnie Lépine Antoine en Colombie-Britannique, le combat pour la langue est source d’«incompréhensions et de divisions» entre Autochtones et francophones en situation minoritaire. 

Photo : Courtoisie

La responsable parle de «décoloniser» le système scolaire : «On n’y arrivera jamais totalement, mais on doit travailler ensemble pour apprendre à mieux se connaitre.»

En Ontario, les perspectives et les connaissances autochtones doivent aussi se refléter dans les curriculums.

Dans le nord de la province, le Conseil scolaire catholique de district des Grandes Rivières (CSCDGR), situé sur le territoire de 11 Premières Nations, a récemment mis sur pied un cours de français consacré aux auteurs et poètes autochtones pour les 11e années.

Tous les élèves, dont un peu plus de 8 % se sont auto-identifiés d’ascendance autochtone, rencontrent régulièrement des membres des Premières Nations. Chaque école adopte un plan d’engagement annuel envers la réconciliation.

«Nous voulons faire connaitre la culture et l’histoire autochtones pour changer les perceptions et favoriser une meilleure compréhension interculturelle», insiste la responsable du dossier des Premières Nations, des Métis et des Inuit au CSCDGR, Angèle Beaudry.

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Des savoirs autochtones en maths et en sciences

En Colombie-Britannique (C.-B.), la loi oblige carrément les établissements scolaires à nouer des relations avec les communautés autochtones locales. Les 48 écoles francophones travaillent ainsi main dans la main avec 46 Premières Nations dans la province.

Nos liens grandissent d’année en année, nous collaborons de plus en plus sur le plan culturel et artistique, des délégations autochtones viennent dans nos écoles pour partager leurs savoirs traditionnels.

— Bonnie Lépine Antoine, Wendat du côté de sa mère et métisse du côté de son père

Simon Cloutier note dans la dernière décennie «de gros progrès dans l’enseignement de l’histoire autochtone», d’un bout à l’autre du pays.

Photo : Courtoisie

Chaque jour, le personnel enseignant du CSF procède à une reconnaissance des territoires traditionnels non cédés. Certaines écoles ont été rebaptisées selon des noms autochtones. Lors des cérémonies, l’hymne national Ô Canada est toujours précédé d’une chanson de bienvenue dans la langue autochtone de la communauté la plus proche.

Les conseils d’éducation autochtone, composés de membres de Premières Nations locales, disposent également d’un droit de véto sur toutes les décisions qui concernent de près ou de loin les écoles et leur fonctionnement.

À Ottawa, le président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), Simon Cloutier, note qu’il y a eu dans la dernière décennie, «de gros progrès dans l’enseignement de l’histoire autochtone» d’un bout à l’autre du pays.

Les appels à l’action 62 et 63 de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada mentionnent d’ailleurs spécifiquement l’importance de l’éducation.

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Revitaliser des langues en déclin

 «Ça ne se limite pas aux cours d’histoire, les perspectives autochtones imprègnent tous nos programmes d’études», souligne Bonnie Lépine Antoine en C.-B.

Le CSF a ainsi élaboré des guides pédagogiques à destination des enseignants pour les aider à inclure les connaissances des Premiers Peuples, que ce soit dans leurs cours de sciences ou de mathématiques.

C’est un défi de trouver des ressources en français, on a dû en créer avec des communautés autochtones anglophones en recourant à des traducteurs.

— Bonnie Lépine Antoine

Selon Rosie Benning (à droite) du Collège nordique francophone, dans les T. N.-O., pour construire des relations de confiance durables avec les Premières Nations, il faut d’abord être dans l’écoute. 

Photo : Courtoisie 

Au niveau de l’enseignement postsecondaire, le Collège nordique francophone, dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), s’est lui aussi engagé sur le chemin de la réconciliation. Depuis 2016, trois professeures donnent des cours de tłı̨chǫ yatıı̀, une langue athapascane parlée par les Tłı̨chǫ. La première année, 16 étudiants étaient inscrits, ils sont aujourd’hui près de 300.

En 2023, le Collège a signé une entente avec le Gouvernement Tłı̨chǫ qui a permis d’offrir des cours gratuits à certaines communautés éloignées. «Il y a un intérêt croissant, car ces initiatives contribuent à la revitalisation des langues», observe la directrice de la formation et de l’enseignement au Collège nordique, Rosie Benning.

Au Nouveau-Brunswick, l’Université de Moncton a, elle, adopté un plan d’action autochtone jusqu’en 2028. Shayne Michael Thériault, de la Première Nation malécite du Madawaska, appuie par ailleurs la cinquantaine d’étudiants qui s’auto-identifient autochtones. «Je leur offre des repères, un cadre de référence pour leur permettre de pleinement développer leur identité.»

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Combat pour la langue, source de «divisions»

Cependant, les efforts de rapprochement entrepris par les acteurs de l’éducation ne sont pas toujours couronnés de succès.

«C’est complexe, on essaie de se rapprocher sans nuire ni déranger, mais on n’a pas toujours de retours. On se demande souvent si on doit insister ou non», rapporte Simon Cloutier, qui évoque notamment les tentatives de rapprochement infructueuses avec l’Assemblée des Premières Nations (APN).

Le président de la FNCSF se dit conscient des «autres besoins plus pressants» des Premières Nations.

C’est parfaitement compréhensible que nous ne soyons pas au sommet de leur priorité, mais comme eux, nous nous battons pour garder notre langue et notre culture, nous pourrions travailler ensemble sur ces questions.

— Simon Cloutier

Pour Bonnie Lépine Antoine, ce combat pour la langue reste, au contraire, source d’«incompréhensions et de divisions» entre Autochtones et francophones en situation minoritaire.

«Il faut d’abord qu’on se réapproprie notre culture et qu’on guérisse des traumatismes du passé pour atteindre la réconciliation», affirme Shayne Michael Thériault à Moncton

Photo : Atwood photographie, QC

«Les Premières Nations se battent pour leurs droits et ont parfois l’impression que les francophones veulent garder toutes les ressources pour leur cause, il faut souvent replacer les choses.»

«Il faut encore briser les stéréotypes selon lesquels parce qu’on est francophone, on n’est pas un vrai Autochtone», ajoute Shayne Michael Thériault.

Aux yeux de Rosie Benning, les «traumatismes intergénérationnels» peuvent expliquer la réticence de certains Autochtones à tisser des liens plus approfondis : «Pour construire des relations de confiance durables, on doit d’abord être dans l’écoute.»

«On ne doit pas non plus épuiser les communautés autochtones dont les connaissances sont de plus en plus sollicitées», renchérit Angèle Beaudry.

Dans l’Ouest, Bonnie Lépine Antoine considère que la francophonie «de plus en plus plurielle» constitue une chance pour avancer sur la voie de la réconciliation : «Les nouveaux arrivants ont peut-être moins de biais inconscients, une autre façon de voir les choses qui peut nous aider à progresser.»

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La Cour suprême du Canada refuse de traduire des milliers de jugements.

Elle a rendu près de 6000 jugements dans une seule langue avant 1970, soit avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles. On peut raisonnablement supposer que la très grande majorité de ces documents ont uniquement été rédigés en anglais.

La Loi sur les langues officielles stipule que les tribunaux ainsi que tous les autres organismes judiciaires ou quasi judiciaires créés par le Parlement canadien ont l’obligation de rendre leurs jugements simultanément dans les deux langues officielles.

La seule exception à cette règle est si la production des documents dans les deux langues officielles entrainait des délais préjudiciables à l’intérêt public. Les documents traduits devront cependant être fournis dans des délais raisonnables.

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Donner une excuse que l’on rejette

Ce n’est pourtant pas l’urgence de la situation ni le délai requis (le commissaire aux langues officielles a demandé que ces documents soient traduits en 18 mois) qui sont invoqués par le juge en chef de la Cour suprême pour son refus.

Le juge Richard Wagner affirme plutôt que la Cour ne dispose tout simplement pas des ressources – financières et humaines – nécessaires pour se lancer dans ce long travail de traduction.

Pourtant, l’argument financier a été écarté du revers de la main par la même Cour suprême dans la célèbre cause concernant la constitutionnalité linguistique des lois manitobaines.

Rappelons qu’en 1985, la Cour suprême a déclaré que toutes les lois du Manitoba adoptées entre 1890 et 1979 étaient inconstitutionnelles, car elles avaient été rédigées en anglais seulement. La Cour donnait 18 mois à la province pour faire la traduction de toutes ses lois.

La province y est arrivée et, aujourd’hui, toutes les lois du Manitoba sont dans les deux langues officielles et ont la même valeur juridique.

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Jouer avec les mots

Dans le cas qui concerne la traduction des décisions de la Cour suprême, c’est le commissaire aux langues officielles du Canada qui a statué que la Cour contrevient à la Loi sur les langues officielles en ne publiant pas tous ses jugements en français et en anglais sur son site Internet.

Vous aurez peut-être relevé une subtilité dans les propos du commissaire. Ce dernier n’exige pas que tous les jugements soient traduits, mais bien que tous les documents affichés dans le site Internet de la Cour suprême le soient dans les deux langues officielles.

Si les documents ne sont pas mis à la disposition du public, alors il n’est pas nécessaire de les avoir dans les deux langues officielles.

La Cour a bien saisi cette nuance et a agi en conséquence. Ainsi, depuis le vendredi 8 novembre, les jugements d’avant 1970 ne sont plus affichés dans le site Web de la Cour suprême.

Dans un communiqué, le Bureau du registraire de la Cour suprême du Canada promet cependant de faire la traduction des jugements les plus importants et de les publier dans le site Internet de la Cour. Ce ne sera donc pas tous les jugements qui reviendront en ligne.

La Cour prend aussi bien soin d’indiquer que les versions traduites n’auront pas un «caractère officiel», puisque les juges qui ont rendu ces jugements ne sont plus là pour valider l’exactitude de la traduction.

Plusieurs aspects choquants

Premièrement, on voit bien que le commissaire aux langues officielles a encore des pouvoirs limités. Ainsi, il ne peut pas exiger la production de tous les documents de la Cour suprême dans les deux langues officielles. Il peut seulement viser les documents mis à la disposition du public, par l’entremise d’un site Internet, par exemple.

Il est vrai que la modernisation de la Loi sur les langues officielles, adoptée en 2023, a donné plus de pouvoirs au commissaire, mais on constate que ces pouvoirs sont encore limités dans bien des cas. Ce n’est qu’en invoquant une disposition relative à «l’accès du public aux documents» que le commissaire peut rappeler la Cour à l’ordre.

Pourtant, n’est-il pas dans l’intérêt public que tous les jugements de la Cour soient accessibles dans les deux langues officielles, qu’ils soient ou non affichés en ligne? Les droits d’une communauté linguistique sont-ils moindres que ceux de l’autre? Pensons aussi aux juristes, aux chercheurs, aux étudiants qui doivent travailler avec ces documents.

Deux poids, deux mesures

Deuxièmement, la décision de la Cour de ne pas vouloir entreprendre le travail nécessaire pour que les jugements produits dans les deux langues soient d’égale valeur juridique ne se justifie tout simplement pas.

Encore une fois, rappelons le cas du Manitoba : les versions anglaise et française de toutes ses lois ont la même valeur. Pourquoi cela ne serait-il pas possible pour les jugements fédéraux?

Dans le même ordre d’idée, faut-il encore rappeler que la Constitution canadienne n’a toujours pas de version française officielle? Faut-il donc conclure sur la base des récentes déclarations de la Cour qu’il sera impossible d’en avoir une? Bien sûr que non.

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Un cas qui n’est pas isolé

Troisièmement, l’attitude plus que nonchalante de la Cour suprême à l’égard du français n’est malheureusement pas un cas isolé.

Tant la Commission sur l’ingérence étrangère présidée par la juge Marie-Josée Hogue que la Commission sur l’état d’urgence présidée par le juge Paul Rouleau en 2023 ont été rappelées à l’ordre par le commissaire aux langues officielles pour les mêmes motifs.

Dans les deux cas, la décision de ne pas traduire tous les documents publiés par les commissions a été justifiée par le manque de ressources financières.

Par leur décision, la Cour suprême et les deux commissions d’enquête appuient le sentiment que le bilinguisme coute trop cher. Ce n’est certainement pas avec une telle attitude que l’on peut se présenter comme défenseur des droits linguistiques des groupes minoritaires.

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

«Il y a une grave pénurie de médecins de famille et dans les communautés francophones en situation minoritaire, c’est encore pire», affirme le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets.

Selon les résultats d’une étude réalisée par Patrick Timony, «plus le nombre de francophones est élevé dans une municipalité, moins il y a de médecins qui s’identifient compétents en français». 

Photo : Courtoisie

«La population vieillissante va nécessiter de plus en plus de soins et, en parallèle, le personnel de santé ne se renouvèle pas assez à la suite des importants départs en retraite», poursuit le chercheur au Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du Nord de l’Université Laurentienne, en Ontario, Patrick Timony.

Pour le directeur et doyen associé au Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick (CFMNB) de l’Université de Moncton, Michel H. Landry, beaucoup de médecins de famille ont quitté la profession, «à cause du modèle de santé inadapté qui les obligeait à gérer bien d’autres aléas que leurs patients».

Le doyen appelle ainsi à une plus grande «collaboration interprofessionnelle» pour soulager leur fardeau.

Les praticiens francophones, perdus dans un océan anglophone, peuvent également se sentir isolés, estime de son côté le président de Médecins francophones du Canada, Jean Roy. Il pointe à cet égard le manque de réseaux de professionnels francophones, qui faciliteraient «les échanges et les rencontres à travers le pays».

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Des chiffres qui font défaut 

Personne ne sait exactement combien de médecins de famille francophones, y compris de langue seconde, exercent en dehors du Québec. Les données précises font défaut, à en croire les experts interrogés.

«Si certaines provinces font mieux que d’autres et publient des listes, la plupart des ordres professionnels, provinces et territoires récoltent peu d’informations sur le sujet», appuie Antoine Désilets de la SSF.

Dans le cadre des accords bilatéraux sur la santé conclus entre le gouvernement fédéral et ses homologues provinciaux et territoriaux, Ottawa réclame bien des données sur le nombre de gens avec un médecin de famille, «mais ce n’est pas ventilé en fonction de la langue officielle parlée par le praticien», regrette-t-il.

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Absence de volonté politique 

Selon Antoine Désilets, le premier responsable de cette pénurie reste néanmoins le manque de formations offertes en français à l’extérieur du Québec.

«La pénurie est tellement grande que les médecins parlant français ne doivent pas seulement desservir les francophones, ils doivent desservir tout le monde», observe Antoine Désilets de la SSF. 

Photo : Courtoisie

Seules les universités de Moncton et d’Ottawa offrent des cursus intégralement en français. À Sudbury, l’École de médecine du Nord de l’Ontario propose bien un volet francophone, «mais il y a très peu d’éducation en français», note Patrick Timony.

À l’Ouest, presque rien n’existe, si ce n’est le programme de médecine bilingue de l’Université du Manitoba. D’après Jean Roy, la province envisagerait toutefois de créer une résidence de médecine familiale en français.

«Le nombre de places [de formation au pays] a augmenté depuis la pandémie, mais pas de façon substantielle», relève Antoine Désilets. La capacité d’accueil du CFMNB est ainsi passée de 24 à 32 étudiants entre 2006 et 2023; celle de la faculté de médecine d’Ottawa plafonne à 50.

«Il y a une certaine forme de négligence et de non-dit des gouvernements qui ne voient pas l’intérêt d’augmenter le nombre d’étudiants, car ça coute cher», dénonce Jean Roy.

«Tant que les francophones ne gèrent pas eux-mêmes leurs institutions de formation et de soins, on finit par se faire avoir. On passe plus de temps à se battre pour nos droits qu’à faire le travail qu’on devrait faire.»

Multiplier les expériences en français

Après leurs études, les francophones ne choisissent pas tous de pratiquer en français. À la faculté de médecine d’Ottawa, qui accueille chaque année huit jeunes de l’extérieur du Québec et de l’Ontario, environ 65 % des finissants retournent dans leur communauté francophone en situation minoritaire. À Moncton, ce sont 80 % des diplômés qui restent dans les Maritimes.

Mais environ 30 % vont du côté anglophone, car tous nos étudiants sont bilingues et, parfois, ils se voient offrir de meilleures conditions de travail.

— Michel H. Landry

Pour retenir ces jeunes médecins, les stages dans les communautés francophones sont cruciaux, et ce, tout au long de leurs études.

«Plus ils sont immergés dans la francophonie, exposés à des milieux de pratique en français, plus il y a de chance qu’ils y retournent une fois diplômés, car ils connaitront déjà le tissu social et professionnel», confirme Jean Roy.

Des médecins étrangers écartés 

Les francophones en situation minoritaire se voient privés d’une autre ressource non négligeable : les médecins nouvellement arrivés, qui ont obtenu leur diplôme à l’étranger.

«Il n’existe aucune entente avec les pays d’Afrique de l’Ouest et du Nord pour reconnaitre les diplômes obtenus là-bas», déplore Antoine Désilets de la SSF.

À leur arrivée, les professionnels étrangers doivent par ailleurs démontrer un niveau avancé d’anglais, avant même d’effectuer une formation médicale de mise à niveau.

«Il y a tellement de barrières d’entrée. C’est un parcours du combattant pour qu’ils exercent au Canada», confirme le professeur à l’Université Laurentienne, Patrick Timony.

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Penser à la répartition

L’enjeu est de former plus de praticiens, mais aussi de mieux identifier ceux déjà dans le système de santé. En Ontario par exemple, près de 4 % des médecins ont le français pour langue maternelle et quelque 11 % peuvent exercer en français, détaille Patrick Timony.

Selon Jean Roy, il existe une forme de négligence et de non-dits de la part des gouvernements, qui ne voient pas l’intérêt d’augmenter le nombre d’étudiants en raison des couts élevés que cela engendrerait. 

Photo : Courtoisie 

«En termes de chiffre, il semble y en avoir assez. Le problème, c’est qu’il y a une maldistribution, ils ne sont pas nécessairement là où les besoins sont les plus grands», analyse-t-il.

Selon les résultats d’une étude qu’il a réalisée, «plus le nombre de francophones est élevé dans une municipalité, moins il y a de médecins qui s’identifient compétents en français». De nombreux médecins n’osent pas se déclarer francophones, car ils ont été formés en anglais et «n’ont pas assez confiance dans leur niveau de langue», souligne Patrick Timony.

«Ils savent qu’en s’affichant, ils auront une surcharge de travail, car ils devront faire la même chose que leurs confrères anglophones et s’occuper en plus des malades francophones», ajoute Antoine Désilets.

Des médecins sous les radars 

Le responsable de la SSF n’hésite pas à parler de «pénurie apparente», car la «compétence linguistique est sous-valorisée».

Pour Michel H. Landry de l’Université de Moncton, beaucoup de médecins de famille ont quitté la profession à cause d’un système de santé inadapté. 

Photo : Courtoisie

«À l’échelle du pays, il n’existe quasiment aucun processus pour associer des patients avec des praticiens francophones, assure-t-il. Reconnaitre la langue comme une compétence de travail aiderait à faire un meilleur jumelage.»

Aujourd’hui, les praticiens évaluent eux-mêmes leur niveau de langue. Lorsqu’ils s’enregistrent auprès de leur ordre professionnel, provincial ou territorial, ils doivent remplir un questionnaire et cocher la ou les langues dans lesquelles ils sont compétents pour offrir un service.

Antoine Désilets plaide pour l’abandon de ce système «auto-rapporté» et réclame des «tests standardisés objectifs», à même d’évaluer les capacités linguistiques.

Patrick Timony estime pour sa part qu’il sera difficile d’imposer de tels examens aux professionnels, dont la pratique est caractérisée par «une très grande indépendance».

Quelles que soient les solutions envisagées, il y a urgence. La demande de soins continuera à augmenter dans les prochaines années, avec la hausse du nombre d’immigrants que vient d’annoncer le gouvernement fédéral.

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La démarche était plus que symbolique : elle a donné lieu à une entente par laquelle la France allait apporter une aide tangible à la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Ces «retrouvailles» jetteront les balises des relations entre la France et l’Acadie, qui se poursuivent jusqu’à nos jours.

Ce genre de situation est rarement le fruit du hasard. La visite de ceux qu’on allait qualifier de «quatre mousquetaires» a été le résultat de nombreuses tractations de coulisse et du travail de fins stratèges, avec l’apport direct du président de Gaulle lui-même.

Genèse de la visite acadienne en France

Tout se joue en juillet 1967 lors de la visite officielle du président de Gaulle au Canada au cours de laquelle il déclare «Vive le Québec libre!». Avant de prononcer cette phrase à Montréal, qui devient instantanément le symbole de la montée nationaliste du Québec, le général était arrivé à Québec par bateau.

En 1967, le président Charles de Gaulle a visité le Québec (ici à Sainte-Anne-de-la-Pérade), où il a prononcé sa célèbre phrase «Vive le Québec libre». 

Photo : Nichole Ouellette et Maurice Cossette, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Dans son discours à Québec, le président fait état de son souhait de renforcer la coopération entre son pays et les «Français de ce côté-ci de l’Atlantique». Dans la foule se trouve l’Acadien Gilbert Finn, qui est à Québec par affaires.

De Gaulle adressait alors ses propos aux Québécois uniquement, mais il est bien conscient de la réalité francophone pancanadienne, et même acadienne.

Il en donne d’ailleurs la preuve lors d’une conférence de presse à Paris quelques mois plus tard. Il évoque alors les liens qu’il souhaite renforcer avec «tous les Français du Canada qui ne résident pas au Québec et qui sont un million et demi», tout en soulignant, en particulier, «ces deux-cent-cinquante-mille Acadiens, implantés au Nouveau-Brunswick et qui ont, eux aussi, gardé à la France, à sa langue, à son âme une très émouvante fidélité.»

Organisation de la visite

À ce moment, la visite des «quatre mousquetaires» est déjà en préparation. C’est un haut fonctionnaire français, Philippe Rossillon, qui avait posé les pièces du casse-tête pour que quatre de ces Acadiens du Nouveau-Brunswick soient invités à Paris.

Plusieurs informations de cet épisode proviennent de l’ouvrage de Robert Pichette, L’amour retrouvé de la France pour les Acadiens : De Gaulle et l’Acadie. L’auteur était aux premières loges de ce qui se passait parce qu’il était à l’époque chef de cabinet du premier ministre néobrunswickois, Louis J. Robichaud.

Philippe Rossillon était l’un des organisateurs de la visite du président français au Québec. Sept semaines plus tard, soit en septembre 1967, il fait partie d’une mission menée par le ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, qui vient au Québec concrétiser les engagements pris par la France lors de la visite du général de Gaulle.

Or, Rossillon veut absolument que l’Acadie tire parti de cette nouvelle collaboration. Il se rend à Moncton en septembre et cible personnellement les quatre éminents Acadiens qui rencontreront de Gaulle.

En plus de Gilbert Finn, il s’agit d’Adélard Savoie, recteur de l’Université de Moncton, d’Euclide Daigle, ancien rédacteur en chef du journal  L’Évangéline et vice-président de l’Association acadienne d’éducation, et du docteur Léon Richard, président de la Société nationale de l’Acadie. Ce dernier agira comme président de la mission en France.

Même si ces quatre hommes font partie de l’élite acadienne, ils ne font pas l’unanimité, particulièrement dans le nord du Nouveau-Brunswick, qui déplore qu’une seule région acadienne (celle de Moncton) soit représentée.

Rossillon réunit les quatre porte-paroles pour les informer que de Gaulle veut conclure un accord franco-acadien. Il se présente comme l’émissaire du président.

Les hommes discutent des besoins les plus pressants de la communauté acadienne. Rossillon leur propose ensuite d’adresser une lettre (à laquelle il contribuera) à de Gaulle pour lui demander une rencontre et lui exposer leurs demandes.

À la fin d’octobre, de Gaulle leur répond et les invite formellement en France. La rencontre est prévue pour décembre, ce qui fait que la logistique doit s’organiser à un rythme accéléré.

Visite chargée de deux semaines

En fin de compte, les quatre Acadiens arrivent en France le 7 janvier 1968. À l’aéroport, de hauts fonctionnaires français les accueillent avec du champagne. Ensuite, ils montent dans les limousines qui les attendent et profitent d’une escorte motorisée.

Leur séjour de deux semaines sera chargé, avec des visites de musées (ils rencontrent André Malraux), de grandes entreprises, d’instituts. La France veut leur montrer ce qu’elle fait de mieux et toute sa modernité.

Certains se rendent même à Toulouse pour y voir la construction du Concorde, le célèbre avion supersonique à la fine pointe de la technologie aéronautique.

Le samedi 20 janvier, c’est le point culminant de la mission : la rencontre avec le président de Gaulle, au palais de l’Élysée. Les porte-paroles acadiens posent pour la photo officielle devant ce prestigieux site. C’est un traitement habituellement réservé aux chefs d’État que reçoivent ces représentants d’un peuple sans pays.

Les quatre hommes ont un entretien privé de 45 minutes avec le président avant de prendre part au déjeuner officiel. Le président débute son toast en disant : «Après plus de deux siècles et demi où nous fûmes séparés, voici que nous nous retrouvons entre Acadiens et Français de France.»

Il le termine en levant son verre «en l’honneur des Acadiens, rameau très cher et, par bonheur, retrouvé».

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Entente France-Acadie

La France se montre généreuse dans cette première entente avec les descendants de son ancienne colonie. Le journal L’Évangéline reçoit 400 000 dollars. L’Université de Moncton recevra 10 000 livres pour sa bibliothèque et une vingtaine de coopérants-professeurs.

Dans son livre, l’auteur Robert Pichette relate en détail les prémices de la célèbre visite de la délégation acadienne en France, en janvier 1968.

D’autres coopérants seront envoyés dans les hôpitaux francophones et à L’Évangéline. Un don d’environ 22 000 dollars est versé à la Société nationale de l’Acadie. Une commission est également créée afin de distribuer des bourses France-Acadie. Enfin, un service culturel au consulat de France à Moncton est créé.

Au lendemain du retour des envoyés acadiens, L’Évangéline titre en grosses lettres : «L’Acadie renait». C’est l’euphorie du moment. Cette rencontre historique marquera le début d’une collaboration continue entre les deux partenaires.

La visite permet également à la communauté acadienne de faire ses premiers pas sur la scène internationale.

Neuf ans plus tard, les Acadiens font leur entrée dans l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) lorsque le Nouveau-Brunswick, en même temps que le Québec, y est accepté comme membre à part entière.

Grâce à la descendance du Grand Dérangement, la Louisiane adhère à l’OIF en 2018 et la Nouvelle-Écosse en 2024, toutes deux avec le statut d’observateur.

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«On habite dans un pays où on pense qu’on a toute la richesse de l’eau autour de nous, sauf qu’on ne la gère pas bien», estime Soula Chronopoulos, la présidente d’AquaAction, une organisation dédiée à la santé de l’eau douce en Amérique du Nord.

Industries, agriculture, logements, transport, énergie : «Dans notre économie, tout se passe par l’eau», poursuit-elle. Mais l’offre ne suit pas toujours la demande. «La population grandit au Canada, on construit et on n’a pas assez d’eau pour approvisionner ces bâtiments.»

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Une consommation industrielle accrue

Selon un rapport de Statistique Canada publié en juillet 2024, les industries continuent d’être les principaux consommateurs d’eau au pays.

En 2021, un peu plus des deux tiers (69,5 %) de toute l’eau utilisée par les industries au Canada ont servi à la production, au transport et à la distribution d’électricité. Viennent ensuite les cultures agricoles (6,2 %) et l’élevage (4,8 %).

La consommation d’eau dans le secteur agricole a augmenté de 30,9 % entre 2019 et 2021, une période qui coïncide avec de faibles niveaux de précipitations, notamment dans les Prairies.

Sensibiliser, «une bataille difficile»

En Saskatchewan, Al Birchard, agriculteur bio, accorde une place importante à la préservation et la restauration des milieux humides.

En Saskatchewan, de nombreuses régions, notamment les réserves des Premières Nations, ne bénéficient pas d’un approvisionnement adéquat en eau potable, dénonce Al Birchard. 

Photo : Courtoisie

«Ils contribuent grandement à l’atténuation des inondations et des sècheresses […] et présentent de nombreuses caractéristiques écologiques dont beaucoup de gens, parmi les agriculteurs et le grand public, ne sont pas conscients», rapporte le représentant régional de l’Union Nationale des Fermiers (UNF).

«Nous examinons de près le projet d’irrigation de plusieurs milliards de dollars», ajoute-t-il en faisant référence aux travaux titanesques autour du lac Diefenbaker annoncés en 2020 par le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, mais qui sont loin de faire l’unanimité.

Un projet qui, d’après Al Birchard, coutera bien plus que les 4 milliards de dollars prévus et ne bénéficiera qu’à seulement 1 % des agriculteurs de la province.

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L’agriculteur regrette que les administrations provinciales ou municipales n’accordent pas assez d’attention à la conservation de l’eau. «Elles s’intéressent davantage à l’eau en tant que ressource, ce qui signifie qu’il faut l’utiliser d’une manière ou d’une autre.»

«Si l’UNF a une politique en matière d’irrigation et de préservation des milieux humides, ce n’est pas le point de vue le plus répandu. […] C’est donc une bataille difficile que de sensibiliser le grand public et les ordres de gouvernement.»

La Saskatchewan ne dispose pas à ses yeux d’une politique de gestion de l’eau complète et appropriée. «Les politiques qu’ils envisagent et qu’ils mettent en œuvre n’impliquent pas toujours des évaluations environnementales», regrette-t-il.

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Une gestion «très divisée»

Pour le responsable des politiques canadiennes à l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, Maxime Hayet, les industries et les municipalités doivent travailler «comme partenaires et pas seulement comme adversaires», afin de réduire leur consommation en eau.

Maxime Hayet estime que les industries et les municipalités doivent collaborer pour diminuer leur consommation d’eau. 

Photo : Courtoisie

«Cette ressource va devenir de plus en plus rare et donc chère, donc il faut qu’on se prépare à ça», alerte-t-il.

Inclure les communautés autochtones à la table des négociations demeure aussi essentiel, insiste le directeur de l’Association internationale de recherche sur les Grands Lacs, Jérôme Marty, elles qui «ont été souvent mises de côté». «On ne peut pas avoir une bonne gestion des ressources aquatiques aujourd’hui sans l’implication des Premières Nations.»

«Le problème de la gestion de l’eau au Canada, c’est qu’elle est très divisée, au niveau municipal, provincial et fédéral», ajoute-t-il. Une division qui selon lui peut entrainer des complications.

Il prend l’exemple des Grands Lacs. «Dans ce cas, on a des lois qui peuvent être différentes d’un côté ou de l’autre des frontières, et entre les provinces et les États. Il n’y a pas une règle qui s’applique partout pour gérer le système et c’est de cela qu’on aurait probablement besoin.»

«On n’a pas de lois qui règlementent le relargage des nutriments dans l’environnement, à la place, on a des guides de bonnes pratiques», illustre-t-il.

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Différences régionales et culturelles

«Il y a des différences régionales. Une approche unique pour relever les défis liés à l’eau douce au Canada ne fonctionnerait pas», contredit le directeur par intérim des partenariats autochtones, des relations externes et des communications à Environnement et Changement climatique Canada, Remi Gosselin.

Pour Jérôme Marty, il est impératif d’inclure les Premières Nations à la table des négociations liées à l’eau. 

Photo : Stephany Hildebrand

«Il y a aussi des différences culturelles et sociétales», renchérit-il, en faisant notamment référence aux peuples autochtones, «qui ont un lien profond avec l’eau, qui est aussi au cœur de leur vie culturelle, spirituelle et sociale».

Précisément, selon lui, toutes ces divergences et ces besoins particuliers mettent en évidence la nécessité d’un effort national pour gérer la ressource de manière coordonnée. «Les activités liées à l’eau douce relèvent de plus de 20 ministères et agences fédérales.»

Il cite la création à cet effet de l’Agence de l’eau du Canada, qui finance plusieurs initiatives visant, entre autres, à restaurer les milieux aquatiques et à améliorer la qualité de l’eau douce dans des milieux sensibles.

«On essaie de commencer à établir des relations avec le secteur industriel, ajoute Remi Gosselin. Les conversations sont vraiment à la tendre enfance. On n’est pas nécessairement rendus à l’étape des solutions, mais c’est sûr qu’on considère ça comme étant un groupe qui fait partie de nos intervenants clés. Donc, on travaille à bâtir cette relation-là.»

Une agence fédérale pour l’eau

Le gouvernement fédéral a entrepris en 2020 la création d’une Agence de l’eau du Canada pour encadrer la gouvernance de l’eau douce au pays. Elle devrait permettre de gérer la ressource en travaillant en partenariat avec les peuples autochtones, les provinces, les territoires et les parties prenantes.

Ottawa a annoncé un investissement de 85,1 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2023-2024, et de 21 millions de dollars par année par la suite pour appuyer la création de cette agence.

L’un des objectifs de cette dernière est de «mettre ensemble toutes les bases de données qui existent sur la qualité d’eau et la quantité d’eau à travers tout le pays», explique le directeur de l’Association internationale de recherche sur les Grands Lacs, Jérôme Marty.

«Et ça, c’est quelque chose qui va être utile pour prendre des meilleures décisions», veut-il croire.

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Des gouvernements qui n’en font pas assez?

Si Soula Chronopoulos salue la volonté du gouvernement fédéral et d’une partie des provinces et territoires de s’attaquer au problème de la gestion de l’eau et d’investir pour y remédier, elle déplore toutefois un manque d’engagement de la part des décideurs politiques.

Pour Soula Chronopoulos, le gouvernement du Canada doit innover, sensibiliser et agir rapidement pour protéger et bien gérer l’eau douce au pays, notamment au moyen d’initiatives technologiques et de politiques publiques. 

Photo : Courtoisie

«L’eau n’est pas aussi sexy que le carbone», lâche-t-elle, en faisant allusion à certains discours politiques.

Pourtant, «il s’agit d’une menace pour l’agriculture et d’un problème de santé», rappelle la présidente d’AquaAction.

«Ce n’est pas seulement un problème climatique et environnemental. Cela va plus loin. Nous ne vivons que trois jours sans eau […] J’espère que le fédéral à un moment donné finira par le voir comme ça.»

«Le Canada pourrait et devrait être leadeur dans ce secteur […] De combien de Jasper [ville albertaine ravagée par un incendie à l’été 2024, NDLR] de plus avons-nous besoin pour comprendre qu’il nous faut faire quelque chose? De combien de Jasper avons-nous besoin avant d’agir?»

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«Il y a des guerres qui commencent autour de l’eau»

Selon elle, il est primordial de prendre conscience de tous ces enjeux liés à l’eau, aussi bien dans la sphère publique, médiatique, que politique.

«Nous avons besoin de mettre ça dans les médias. Les médias ne parlent pas de ça; des personnes qui n’ont pas accès à de l’eau potable ou de bonne qualité. On ne parle pas des polluants ou des microplastiques dans notre eau que nous buvons actuellement.»

«Il y a déjà des guerres qui commencent autour de l’eau ou le manque d’eau.» Si le Canada n’est pas encore concerné, il reste une «cible», prévient-elle.

C’est la «nouvelle quête du Graal», a amorcé le médiateur de la discussion et gestionnaire de projet à la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Sven Buridans : la découvrabilité.

Comment améliorer la visibilité et l’accessibilité des contenus francophones dans un paysage médiatique dominé par l’anglais? Des acteurs et actrices du milieu se sont retrouvés autour d’une table ronde à Montréal, le vendredi 8 novembre, pour essayer de répondre à cette épineuse question.

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«Découvrabilité» : un terme à la mode

«C’est le potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question», définit l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui avait d’ailleurs désigné le mot parmi ses termes de l’année 2023.

Autrement dit, il s’agit de la capacité d’un contenu, ici audiovisuel, à émerger et être facilement repéré – et repérable – dans l’immensité de l’océan numérique, notamment grâce à l’utilisation de mots-clés, d’algorithmes de recherche ou de stratégies markéting.

De gauche à droite : Martin Bilodeau, Jérôme Hellio, Jason Todd, Carol Ann Pilon, Bruno Boëz, Marianne Lamber et Sven Buridans, à l’occasion du festival de films francophones Cinemania, qui se tient jusqu’au 17 novembre, à Montréal. 

Photo : Camille Langlade – Francopresse

Faire connaitre les plateformes déjà existantes

Première difficulté, la production francophone en dehors du Québec reste «relativement mal perçue» de l’autre côté de l’Atlantique, notamment en France, a souligné le directeur général du Regroupement des artistes cinéastes de la francophonie canadienne (RACCORD), Bruno Boëz.

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Même si les contenus francophones se retrouvent sur les plateformes, «ils sont avalés dans un catalogue de films où il est difficile, selon les plateformes, de se retrouver par rapport à un cinéma francophone, québécois ou canadien anglophone.»

Certains outils existent déjà pour faciliter l’accès de ces œuvres au public. Le Fonds des médias du Canada (FMC) et Téléfilm Canada proposent par exemple NOUS | MADE, qui répertorie les œuvres canadiennes; aussi bien cinématographiques, télévisuelles ou les jeux vidéos.

Mediafilm propose aussi une grande sélection de films et la plateforme Tënk Canada braque son projecteur sur le cinéma documentaire.

«Clarifier l’offre»

Néanmoins, ces outils ne sont pas toujours bien connus du grand public et des professionnels, ont reconnu les intervenants et intervenantes du panel.

Pour y remédier, le Front des réalisateurs indépendants du Canada (FRIC) recommandait dans un rapport la création d’un portail national pour regrouper «tous ces services gratuits de déployabilité et de streaming, afin de clarifier l’offre de contenu canadien», a expliqué Bruno Boëz.

À Tënk Canada, l’effort se concentre d’abord sur la visibilité de la plateforme, avant celle de ses contenus.

J’aurais beau mettre le chef-d’œuvre de l’année, mais si personne ne connait Tënk, personne ne le verra

— Jason Todd, codirecteur et directeur artistique par intérim de Tënk

«Popper sur Google, c’est le nerf de la guerre», avoue de son côté le directeur général de Médiafilm, Martin Bilodeau. «Notre vie est devenue très opérationnelle. On passe beaucoup de temps à nourrir cet ogre qu’est le numérique.» Un travail de fond qui, d’après lui, n’est pas toujours visible en surface.

Il souligne toutefois que contrairement à Netflix et son catalogue, ces plateformes de contenus francophones sont curatives, c’est-à-dire qu’elles proposent des œuvres «de qualité».

Carol Ann Pilon espère que le projet de loi C-27, concernant la protection de la vie privée des consommateurs et l’intelligence artificielle, protègera les droits d’auteur. 

Photo : Courtoisie

Mettre en place une stratégie dès le tournage

Pour la directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), Carol Ann Pilon, la découvrabilité va au-delà de la technique et du référencement : «Ça se passe aussi beaucoup via les médias sociaux.»

Elle a remarqué que les personnes qui suivent les membres des équipes des films représentent un grand potentiel pour faire rayonner les productions.

«Il faut impliquer les équipes de markéting dès le début du projet», renchérit la directrice des coproductions et des acquisitions chez TFO, Marianne Lambert.

«La promotion doit commencer sur le plateau», confirme le directeur des contenus de TV5 Québec Canada, Jérôme Hellio. «Ce qui ne marche pas, c’est faire comme on faisait avant et l’appliquer sur les réseaux sociaux.»

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Un nouveau modèle de collaboration

La vieille pratique où les producteurs cèdent leurs droits aux diffuseurs et n’ont plus de contrôle sur leur contenu est obsolète : «Ça a changé», lance Sven Buridans. Néanmoins, les visions à court et moyen terme des joueurs peuvent parfois différer, souligne Carol Ann Pilon. Il reste alors à trouver un bon équilibre.

TV5 Québec Canada a modifié son algorithme pour «créer la surprise» et proposer aux usagers de sa plateforme des contenus qu’ils n’auraient pas forcément découverts par eux-mêmes, explique Jérôme Hellio. 

Photo : Philippe Casgrain

Dans cette ère de «coo-pétition», les diffuseurs et les producteurs doivent «se mettre ensemble pour sortir du lot parce qu’on est trop petits pour diviser nos affaires», appuie Jérôme Hellio.

Marianne Lambert a par ailleurs soulevé le récent mouvement de collaboration entre les diffuseurs francophones au pays, mentionnant que les contenus de la chaine franco-ontarienne TFO sont désormais disponibles sur la plateforme d’ICI TOU.TV.

Le modèle traditionnel où chaque maillon de l’industrie représente une phase de la production est révolu, a conclu Sven Buridan, se référant à un rapport de l’UNESCO de 2018, «Re|penser les politiques culturelles».

«La nouvelle chaine créative devrait être comme un réseau, au sein duquel les maillons […] ne sont plus des étapes, mais des nœuds qui interagissent en temps réel.» Avec de nouveaux problèmes à démêler.

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Le rapport est sans équivoque : le Bloc et les libéraux se sont entendus sur le rapport qui demande au gouvernement de cesser de «recourir aux permis de travail fermés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires».

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Qu’est-ce qu’un permis de travail fermé?

Il s’agit d’un «permis de travail lié à un employeur donné», qui permet à des employeurs canadiens de recruter des immigrants temporaires pour combler les besoins de main-d’œuvre. La particularité est que le travailleur étranger ne peut pas changer d’employeur pendant la durée de son permis. 

Depuis 2014, seules les personnes admissibles au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et au Programme de la mobilité internationale (PMI) peuvent en bénéficier.

Ce type de permis peut mener à des abus. Des cas d’abus – particulièrement dans les secteurs agricoles, agroalimentaires et de la construction – et d’exploitation, avec des conditions de travail et de vie dégradantes et humiliantes, hors du cadre légal, ont été rapportés.

Alexis Brunelle-Duceppe assure que cesser la délivrance des permis fermés est une demande de longue date du Bloc québécois.

Photo : Courtoisie bureau d’Alexis Brunelle-Duceppe

Remplacer par d’autres permis et formes de protection

Parmi les solutions envisagées pour le remplacer figurent : un accès facilité à la résidence permanente via des «“programmes particuliers” à exigences réduites», la syndicalisation et la séparation des travailleurs étrangers temporaires concernés des autres bassins de candidats à la résidence permanente.

Des permis de travail sectoriels et régionaux constituent aussi une solution «intéressante», estime le porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe.

«En abolissant les permis de travail fermés, ça vient régler ce qui avait été décrié par le rapporteur spécial de l’ONU, qui disait que le système de permis fermé est un terreau fertile pour l’esclavage moderne. Donc, en faisant ça, on vient redonner un rapport de force aux employés vis-à-vis des employeurs.»

Le député de Saguenay-Lac-Saint-Jean voit une «bonne proposition» dans les permis régionaux, «puisque la pénurie de main-d’œuvre n’est pas la même au lac Saint-Jean qu’elle ne l’est à Toronto».

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Jenny Kwan souhaite remplacer les permis fermés par des permis ouverts, pour que les travailleurs étrangers puissent plus facilement changer d’emploi en cas d’abus par l’employeur. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Le NPD demande des permis de travail ouverts

Toutefois, le Nouveau Parti démocratique (NPD) vient contrecarrer l’argument du Bloc, en se reposant sur le témoignage du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTI) en comité, sur les permis sectoriels, déjà utilisés pour les travailleurs étrangers dans le secteur agricole.

«Les travailleurs peuvent demander l’autorisation de passer à une autre exploitation agricole sans avoir besoin d’un nouveau permis de travail, mais ils doivent obtenir l’approbation de leur employeur actuel, du nouvel employeur proposé et de l’agent de liaison responsable du pays. Cependant, pour de nombreux travailleurs victimes de violence, il est tout simplement impossible de changer d’employeur»

En conférence de presse jeudi, la porte-parole en matière d’Immigration pour le NPD, Jenny Kwan, a plaidé pour que les permis fermés soient remplacés par des permis ouverts, afin d’éviter les abus.

Un permis de travail ouvert?

Ce type de permis est délivré aux immigrants temporaires. À l’inverse des permis fermés, ils permettent au travailleur de changer d’employeur.

Contrairement à son collègue du Bloc québécois, Alexis Brunelle-Duceppe, Jenny Kwan croit que cela ne déstabilisera aucunement le marché du travail canadien, si les conditions de travail offertes sont bonnes.

«Des témoignages au Comité ont dit que si l’employeur assurait de fournir aux travailleurs le respect, les salaires dans un environnement compétitif, ils pourront non seulement retenir les travailleurs, mais aussi les attirer», dit-elle.

Après la victoire de Donald Trump, Jenny Kwan a confié avoir «très peur» pour les immigrants.

«De mon point de vue, ce que nous allons voir est des violations des droits de la personne atroces et de désespoir. Nous avons déjà vu comment l’administration Trump a mis les enfants en prison, séparés de leurs parents. Le Canada doit être le béton d’espoir pour la communauté, pour la communauté mondiale». 

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Les conservateurs remettent en question «l’esclavage moderne»

Dans un rapport dissident à celui du Comité, le Parti conservateur du Canada (PCC) demande de son côté le maintien des permis fermés, avec un «programme autonome» de travailleurs étrangers temporaires dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

«Un système de permis de travail ouvert ne répond pas à l’objectif», considère le Parti conservateur, qui reprend dans le rapport les mots d’une témoin du comité, Gabriela Ramo.

Pour cette dernière, avec ce type de permis, «[v]ous pouvez faire venir quelqu’un et penser qu’il va travailler dans les fermes, mais il pourrait travailler dans n’importe quel autre secteur».

Les conservateurs en tirent la conclusion que les permis de travail fermés «offrent prévisibilité et fiabilité à un secteur où ces qualités sont rares».

Par ailleurs, s’ils «condamnent fermement l’exploitation et l’abus des travailleurs vulnérables» en exprimant leur «soutien total» à la prévention de ces abus, ils ont remis en cause l’accusation du rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavages, selon eux «sans fondement».

Ce dernier argument repose sur le fait que le rapporteur n’aurait «pas fait l’effort de visiter personnellement une exploitation agricole au cours de sa visite de 14 jours au Canada».