Le 21 septembre 2020, l’Assemblée législative de l’Ontario adopte la loi 182 faisant du drapeau franco-ontarien un emblème officiel de l’Ontario. C’est la consécration pour ce symbole qui s’apprêtait alors à souffler ses 45 bougies.
Pendant une bonne partie du XXe siècle, les drapeaux utilisés par la communauté franco-ontarienne lors de manifestations religieuses ou civiles étaient les mêmes que ceux du Québec, soit le Carillon-Sacré-Cœur et le fleurdelisé. C’était l’époque du «Canada français».
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À la recherche d’un symbole unique
Dans les années 1960, avec la montée du mouvement indépendantiste au Québec, les élites franco-ontariennes souhaitent se doter d’un symbole propre à la communauté.
Ainsi, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste de l’Ontario présente en 1964 un drapeau très similaire à l’ancêtre du drapeau québécois, le Carillon-Sacré-Cœur, mais avec au centre de la croix blanche un trille, symbole floral de l’Ontario, au lieu du Sacré-Cœur.
Mais la proposition trouve peu d’écho dans la communauté francophone et le drapeau tombe dans l’oubli.
Le début des années 1970 marque l’arrivée d’un nouveau mouvement d’affirmation identitaire en Ontario français. C’est dans ce contexte d’effervescence culturelle et identitaire qu’un petit groupe de l’Université Laurentienne, à Sudbury, œuvre très discrètement – pour ne pas dire en secret – à la conception d’un nouveau drapeau.
On attribue la paternité de ce drapeau à Gaétan Gervais, historien et professeur d’histoire, et à Michel Dupuis, étudiant en sciences politiques. D’autres personnes ont également contribué à cette démarche.
Le drapeau qui sera hissé pour la première fois le 25 septembre 1975 est cependant très différent de celui qui avait été proposé par les élites plus de 10 ans auparavant. Il est composé de deux carrés : à gauche se trouve une fleur de lis blanc sur un fond vert qui représente les étés; à droite, un trille vert, symbole floral de l’Ontario, sur un fond blanc qui représente les hivers.
Les Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes deviennent ainsi la deuxième communauté francophone de l’extérieur du Québec à se doter d’un drapeau. L’Acadie l’avait déjà fait 91 ans plus tôt lors de la seconde Convention nationale acadienne, en 1884, en choisissant le tricolore français orné d’une étoile jaune, symbole de la Vierge Marie.
Une lente progression et reconnaissance
Les premiers pas du nouveau drapeau dans la société franco-ontarienne sont timides. Un drapeau «concurrent» concocté par un groupe d’animateurs culturels d’Ottawa est même présenté aux chefs de file de la communauté francophone, mais cet effort en reste là.
En 1977, l’Association canadienne-française de l’Ontario (devenue l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario) adopte officiellement le drapeau. L’année suivante, en 1978, ce dernier est hissé à un premier établissement scolaire francophone, soit l’école secondaire de Hearst.
Le drapeau prend des allures de symbole politique en 1979 alors qu’il flotte sur l’école secondaire francophone de Penetanguishene, au cœur de l’Ontario. Le geste est éminemment emblématique, car l’école de la Huronie qui ouvre ses portes cette année-là n’est pas reconnue par le gouvernement provincial.
L’école «de la résistance», comme on l’a appelée, se voulait une réponse au refus du conseil scolaire de la région de mettre sur pied une école secondaire francophone. Il faudra trois ans pour que la communauté obtienne gain de cause.
Le drapeau, symbole de la «cause» francophone
Au fil des ans, le drapeau est présent lors d’évènements militants et de manifestations pour l’éducation postsecondaire en français. Il devient par exemple un véritable outil de ralliement lors de la lutte SOS Montfort pour sauver l’hôpital francophone d’Ottawa.
À son 25e anniversaire, en 2000, le drapeau franco-ontarien est indéniablement devenu un important symbole identitaire de la communauté, qui célèbre ici et là ce quart de siècle de vie. On le voit de plus en plus dans les évènements culturels et militants.
Après l’adoption par la communauté vient la reconnaissance du gouvernement ontarien, qui confère officiellement au drapeau le statut d’emblème officiel des Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes le 21 juin 2001. La province reconnait ainsi la place et la contribution de l’ensemble de la communauté franco-ontarienne.
Malgré cet «imprimatur» gouvernemental, certaines municipalités à forte concentration francophone hésitent à hisser le drapeau franco-ontarien devant leur édifice principal. En 2003, les conseillers municipaux de Sudbury rejettent une proposition en ce sens. Le maire John Rodriguez, à son premier jour en poste le 1er décembre 2006, prendra seul la décision de l’installer en permanence.
Le drapeau vert et blanc est tellement imprégné dans la psyché de la communauté francophone que son jour de création, le 25 septembre, devient en 2010 le Jour des Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes, reconnu officiellement par une loi de l’Assemblée législative de la province.
L’étendard d’un peuple
La communauté fête cinq ans plus tard, en 2015, le 400e anniversaire de la présence française en Ontario. Son drapeau est partout. Même de grands symboles de la province, comme les chutes Niagara et la Tour CN de Toronto, affichent les couleurs symboliques des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes.
Et ce n’est pas fini! Le drapeau franco-ontarien continue de prendre une place toujours plus grande dans l’espace provincial. Des versions immenses de la bannière vert et blanc flotte devant les 18 «Monuments de la francophonie», érigée dans la province depuis 2006, un projet maintenant chapeauté par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario.
Après avoir reconnu le drapeau comme emblème officiel de l’Ontario en 2020, les députés de Queen’s Park votent à l’unanimité pour exposer le drapeau en permanence dans la Chambre législative et sur les terrains de l’édifice de l’Assemblée législative.
Ce succès n’empêche pas les reculs. En 2024, la municipalité de Greenstone, dans le nord ontarien, a décidé de ne plus faire flotter en permanence ce symbole franco-ontarien devant l’hôtel de ville. Il était fixé au mât depuis près de 10 ans.
Le conseil municipal modifiait ainsi sa politique concernant les drapeaux afin, a-t-elle fait valoir, de mieux représenter les autres groupes communautaires, notamment les Autochtones.
La communauté francophone, formant environ 20 % de la population de Greenstone, s’est fortement opposée au geste, proposant même de financer la construction de deux mâts supplémentaires.
Le conseil municipal a alors consenti à commander un rapport sur la question, mais en juin 2024, il a maintenu sa décision.
C’est là où le mât blesse…