Pendant longtemps, les droits linguistiques des francophones en contexte minoritaire et ceux des anglophones du Québec ont été traités de manière symétrique, provoquant une réaction de défense de la seule province, qui craignait de voir le français menacé par l’avancée des droits pour les Anglo-Québécois.
Le directeur général de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Alain Dupuis, rappelle que le Québec est déjà intervenu en Cour suprême dans des causes linguistiques pour défendre la protection de ses compétences provinciales, et ce, même au détriment des francophones du reste du pays.
«Je pense que la nouvelle loi nous aide et devrait changer le discours politique autour du français», déclare-t-il. Le responsable se réjouit de voir le principe d’asymétrie incorporé dans la nouvelle Loi sur les langues officielles, modernisée en juin 2023.
Le ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne du Québec, Jean-François Roberge, partage cet enthousiasme : «Le fédéral et certains groupes mal intentionnés ne peuvent plus nous jouer les uns contre les autres. Ça, ça va être durablement gagnant.»
Il rappelle qu’avant la modernisation de la loi, l’approche symétrique «amenait de l’incompréhension et des prises de position malheureuses».
«Mais maintenant que le fédéral, sous l’impulsion de la FCFA, mais aussi du Québec, a changé sa perspective, qu’il reconnait que bien que majoritaire, le français est vulnérable au Québec, je pense que ça améliore nos solidarités», estime le ministre.
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Un combat similaire
«Il ne faut pas segmenter la francophonie, avertit Alain Dupuis. Il faut aussi réfléchir comme francophones qui habitent sur le territoire canadien comme un tout […]. Les identités sont [multiples] […], mais cette solidarité-là et une connaissance accrue ne peuvent que nous bénéficier collectivement.»
Au Québec comme dans le reste du Canada, le français perd de la vitesse. Même si le nombre de francophones augmente, leur poids démographique ne suit pas celui des anglophones et des allophones.
Un rapprochement permettra «aux partenaires de discuter des moyens, des outils, qui vont nous permettre […] essentiellement de réduire, du moins, le déclin, [et éventuellement] changer la tendance», estime le président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques, Sylvain Lavoie.
Alain Dupuis considère que «le Québec se réveille à la question du déclin», et que la francophonie en situation minoritaire a de l’expertise à lui offrir, et vice-versa.
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Une présence au Québec
La FCFA tient un bureau à Québec depuis 1988. «Dans les premières années, raconte Alain Dupuis, on voulait être dans la capitale québécoise pour régulièrement parler avec les ministères du Québec pour qu’on pense à nous et à l’importance de développer des initiatives pour la promotion de la langue française qui dépasse [les frontières].»
Dans les trois dernières années, «on a renforcé notre approche», dit-il.
L’équipe compte deux personnes de plus et une nouvelle dynamique a vu le jour. Alain Dupuis l’attribue surtout au Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, qui a permis de réfléchir aux «outils pour travailler davantage ensemble, pour être solidaires sur la question de la promotion de la francophonie».
Le rapprochement ne date pas d’hier, fait remarquer Jean-François Roberge : «On est très proactif au gouvernement du Québec. Ça a vraiment commencé avec ma prédécesseuse, Sonia Lebel.»
Cette dernière a fait adopter la Politique du Québec en matière de francophonie canadienne, de laquelle ont découlé la Journée québécoise de la francophonie canadienne et Mobilisation franco.
En mai 2024, des représentants d’une centaine d’organisations francophones hors Québec ont rejoint autant de vis-à-vis québécois à Montréal, pour la troisième édition de l’évènement Mobilisation franco. L’occasion d’échanger des idées et de créer des partenariats.
Ces rencontres permettent aussi à la francophonie en situation minoritaire de se faire connaitre, car selon Alain Dupuis, il existe une méconnaissance de ses réalités au Québec.
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«Réapprendre à se connaitre»
«Est-ce que la majorité des Québécois connaissent la francophonie canadienne, ont une connaissance fine de qui nous sommes? La réponse est non», affirme Alain Dupuis. Selon lui, il faut surmonter ce défi structurel par des initiatives grand public.
Les partenariats entre organismes sont un départ, mais il faut aussi réfléchir à des initiatives dans le domaine de l’éducation afin de mieux enseigner l’histoire et la «résilience» de la francophonie canadienne, dit-il.
Des curriculums à revoir?
Dans une analyse de curriculums, Jennifer Wallner et Stéphanie Chouinard relèvent des différences entre ceux de l’Ontario et celui du Québec.
Ce dernier présenterait un récit «expressément dédié à la promotion d’un récit national particulier sur l’histoire de la province et du pays, les Québécois en tant que nation, et une orientation générale vers l’intérieur du sujet».
L’information passe aussi par les médias, ajoute le directeur. «Souvent, dans les médias québécois lorsqu’on parle de la francophonie canadienne, on parle du déclin du français, on parle des défis de l’assimilation.»
«Oui, l’assimilation existe. Oui, il faut toujours se battre pour vivre en français, mais il y a aussi énormément de belles choses, de résilience, de bonnes pratiques et d’expertise qui se sont développées en francophonie canadienne et qui pourraient être utiles», souligne-t-il.
Jean-François Roberge reconnait le défi que peut poser cette méconnaissance. «C’est pour ça qu’on a créé la Journée québécoise de la francophonie canadienne, rappelle-t-il. On a voulu interpeler les Québécois sur l’existence et la vitalité de la francophonie canadienne.»
Cette journée permet aux gens de «prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls», ajoute-t-il. «Autant aux Québécois qu’ils ne sont pas les seuls francophones au Canada, mais aussi que toutes les communautés comprennent qu’ils ont un allié important au Québec.»
«Au départ, on devait réapprendre à se connaitre», reconnait Sylvain Lavoie. «Avec la troisième Mobilisation franco, on a vu un grand engouement, tant du côté québécois que de la francophonie canadienne, de vouloir échanger.»
«Je suis originaire du Nouveau-Brunswick [et quand] je suis arrivé au Québec, j’ai découvert des gens passionnés, très intéressés d’en connaitre davantage sur ce qui se passe en francophonie canadienne. Et je sens de plus en plus les gens de la francophonie canadienne qui souhaitent en apprendre plus sur ce qui se passe au Québec.»
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