«Notre mission, c’est de développer le jugement critique des jeunes», témoigne Anne Gaignaire, fondatrice du Curieux, un journal d’actualité en ligne destiné aux 8 à 12 ans.
Elle et les membres de son équipe animent des ateliers d’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans des écoles francophones en contexte minoritaire et des classes d’immersion, un peu partout au pays.
Parmi les thèmes qui «viennent les chercher», elle cite le conflit au Proche-Orient, sur lequel ils n’ont pas toujours d’informations fiables.
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Qu’est-ce que l’éducation aux médias et à l’information?
L’éducation aux médias et à l’information (EMI) consiste à développer des compétences médiatiques au sein de la population afin qu’elle arrive à «comprendre de manière critique la nature, les techniques et les impacts des messages et des productions médiatiques», définit l’organisme pancanadien HabiloMédias.
Autrement dit, il s’agit d’appréhender le fonctionnement des médias – quelle est la différence entre une fausse nouvelle et une nouvelle digne de confiance, un article et une chronique par exemple –, mais aussi de prendre conscience du rôle de chaque personne en tant que consommateur et créateur de contenu dans un monde médiatique et numérique foisonnant.
Les fondements de l’EMI au Canada ont été établis à la fin des années 1980, rapporte la Commission canadienne pour l’UNESCO (CCUNESCO).
L’éducation aux médias a été rendue obligatoire en Ontario dès 1987. Elle a ensuite été incluse dans le programme scolaire de chaque province et territoire au pays, «dans le cadre des études en anglais, arts ou lettres, des études sociales, de cours en technologie des communications et, parfois, d’un cours indépendant», détaille la CCUNESCO.
Reconnaitre les fausses nouvelles
Avec les ateliers d’EMI, Le Curieux souhaite outiller les jeunes pour lutter contre la désinformation, afin qu’ils soient capables de vérifier une nouvelle, sans se faire piéger «par les opinions qui sont transmises par les influenceurs, dont certaines peuvent être toxiques», souligne Anne Gaignaire.
Si les jeunes sont conscients de l’existence de fausses nouvelles sur Internet et les réseaux sociaux, ils restent parfois surpris devant certains exemples, remarque-t-elle.
«Les jeunes sont déjà très éduqués, à travers le système éducatif régulier, à la question de l’information fiable. Les fausses nouvelles, ce sont des choses qui sont au programme au primaire», confirme la directrice du journal l’Aurore boréale au Yukon, Maryne Dumaine.
L’équipe du journal collabore aussi depuis plusieurs années avec des écoles francophones pour enseigner de «saines habitudes de consommation d’information», explique la directrice, qui s’adapte aux besoins de chaque classe.
L’Aurore boréale a en outre établi, en partenariat avec le ministère de l’Éducation du Yukon, un guide pédagogique avec des activités clés en main.
Des ressources gratuites
HabiloMédias propose des ressources gratuites à destination du personnel enseignant, des communautés, mais aussi des parents et du grand public.
«L’éducation aux médias doit se faire en éducation continue, c’est-à-dire pour tous, pas juste à l’intérieur des cadres scolaires, mais aussi pour tous les âges, pour n’importe qui voulant participer à l’environnement numérique», soutient le spécialiste en éducation aux médias chez HabiloMédias, Marc Alexandre Ladouceur.
Néanmoins, il est conscient que les enseignants sont déjà très sollicités. «Ces ressources doivent s’intégrer dans ce qui est déjà enseigné, sans alourdir leur charge de travail.»
Les As de l’info, un média francophone dédié aux enfants de 8 à 12 ans, propose également des contenus pédagogiques.
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«Des citoyens éclairés»
«On a un bon retour des jeunes», se réjouit Anne Gaignaire. Elle estime que ces interventions renforcent leur confiance en eux, en les engageant activement dans la lutte contre la désinformation, les positionnant ainsi «comme une partie de la solution».
Les connaissances liées à l’EMI dépassent par ailleurs largement le cadre des ateliers. Vérifier ses sources reste une compétence que les élèves peuvent mettre en pratique dans leurs travaux de recherche et leurs exposés, illustre-t-elle.
Selon elle, l’EMI contribue à former des citoyens éclairés. «On ne diabolise pas les technologies, mais il faut connaitre leur fonctionnement pour les maitriser et que ce ne soient pas les technologies qui dominent.»
«Nos informations passent par la technologie d’une manière ou d’une autre», commente Marc Alexandre Ladouceur, spécialiste en éducation aux médias chez HabiloMédias, un organisme canadien de littératie aux médias numériques.
Il rapporte d’ailleurs que les demandes sur la plateforme ne faiblissent pas, bien au contraire, et le blocage des médias sur certains réseaux sociaux confirme la tendance.
«Comment est-ce qu’on fait pour aller chercher des informations fiables, quand on sait que la majorité des gens vont consommer leurs informations et leurs médias sur les réseaux sociaux?», demande-t-il.
Anne Gaignaire rappelle aussi le rôle que peuvent jouer les parents. «On a besoin d’eux»
Journalistes en herbe
À quoi sert un journaliste, quelle est sa démarche, comment fait-il pour produire de «vraies nouvelles»? Voilà autant de questions que le Curieux aborde dans les salles de classe.
Les élèves peuvent d’ailleurs s’improviser apprentis journalistes lors de jeux de rôle ou en écrivant leurs propres articles.
Au Yukon, ils s’impliquent même parfois dans la production de l’Aurore boréale. «Ils apprennent en classe à écrire un article et ils nous envoient leurs textes. On les coache un petit peu, on fait un peu de feedback, puis en bout de ligne on choisit quelques articles et on les publie dans le journal», décrit Maryne Dumaine.
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L’importance de la presse locale
Pour la directrice du journal l’Aurore boréale, Maryne Dumaine, les ateliers permettent aussi aux jeunes de s’approprier leur journal local et de s’intéresser à l’information par l’entremise de sujets qui les touchent directement.
«Quand on est jeune, entendre parler de la crise en Palestine, ce n’est peut-être pas nécessairement l’information qui va être la plus facile d’accès, mais par contre, de savoir que notre ami a gagné une compétition de volleyball, c’est quelque chose qui va nous porter à aller consulter de l’information.»
Lors d’un panel récent à Whitehorse, la directrice a été émue de voir l’attachement des jeunes à la version imprimée du journal : «Tous ont vraiment mentionné que si le journal papier disparaissait, ils arrêteraient probablement d’y penser puis de le lire.»
Former les journalistes de demain
Mais l’EMI ne s’arrête pas aux bancs du primaire et du secondaire. Au collège La Cité, à Ottawa, le coordonnateur du programme de journalisme, Nicolas Pelletier, intègre ces thématiques dans ses cours.
Les personnes à qui il enseigne lui font part des difficultés qu’elles rencontrent quand quelqu’un remet en question leur travail de journaliste. «La crise de confiance envers les médias, les étudiants la vivent avant de la comprendre.»
«On insiste davantage sur comment répondre, avoir une discussion sur comment bien s’informer», indique le professeur, qui regrette que «la rétroaction avec le public soit souvent moins présente dans les formations journalistiques».
Il insiste également dans ses cours sur la transparence de la démarche journalistique, «comment le journaliste procède, comme ça il n’y a plus de zone d’ombre ou de questionnement de la part d’un lecteur ou d’un téléspectateur ou d’un éditeur».
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