«Je pense que [YouTube est] une plateforme prometteuse pour tout le monde parce que c’est la plateforme qui rejoint tous les groupes d’âge», note la professeure titulaire et directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, Colette Brin, citant la dernière enquête canadienne du Digital News Report (DNR).
Selon les données extraites par la professeure, YouTube reste le seul réseau social – classé comme tel par les auteurs de la recherche – qui rejoint à parts égales les moins de 35 ans et les plus de 35 ans.
La montée en popularité des vidéos s’observe depuis plusieurs années, entrainée par des outils technologiques qui facilitent leur production et leur publication, poursuit Colette Brin.
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Ressources limitées
Même si les moyens de production sont maintenant plus simples, réaliser des vidéos nécessite plus de temps et de ressources qu’écrire des articles. Des médias francophones en milieu minoritaire aimeraient y plonger, mais développer cette capacité reste un projet en soi.
«Nous avons notre page YouTube, Le Moniteur Acadien TV, qui est présentement inactive [depuis environ 1 an]. Si nous trouvons le talent pour le faire, nous le ferons», assure le directeur général du journal Le Moniteur acadien, Jason Ouellette.
«La vidéo demande un peu plus d’efforts et d’équipement spécialisé qui demandent un minimum d’expertise que nous n’avons pas dans notre équipe.»
En Ontario, le journal Le Voyageur aimerait aussi ajouter cet outil à son arsenal. «Ça demande un investissement. C’est dans nos projets, mais on essaie de développer d’autres projets qui vont nous permettre d’avoir les moyens d’acquérir la ressource humaine et le matériel pour faire de la vidéo», mentionne son rédacteur en chef, Mehdi Mehenni.
Combler la rareté
Les médias francophones qui peuvent se lancer dans la vidéo le font souvent dans le cadre de projets spéciaux, avec des fonds dédiés.
À son arrivée en Nouvelle-Écosse, le rédacteur en chef du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Jean-Philippe Giroux, a constaté que l’accent acadien était très peu présent sur Internet. Encore moins celui des jeunes. Des consultations dans les communautés francophones de la province ont aussi révélé que les Acadiens se trouvaient peu représentés dans la sphère médiatique.
«On s’entend qu’un journal, c’est de l’écrit, souligne-t-il. On a la responsabilité d’écrire dans un français standard. La vidéo est une façon de répondre à leurs besoins et de représenter ces parlers-là; représenter ce qui est particulier de la Nouvelle-Écosse.»
Un projet de reportages vidéos est ainsi né et la chaine YouTube du journal compte aujourd’hui près de 115 capsules. La longévité de la production n’est cependant pas assurée, car les vidéos restent difficiles à financer et à monétiser.
Le blocage de Meta a également privé le journal de plateformes où leurs contenus étaient populaires.
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Rejoindre les jeunes
Au Yukon, le journal l’Aurore boréale met sur pied un projet de vidéo en collaboration avec des jeunes afin d’augmenter sa présence sur les réseaux sociaux qu’ils fréquentent.
Le journal va mettre sur pied une équipe de jeunes qui produira des contenus numériques en prenant «ce qu’ils voudront dans le journal». «Ça peut être des photos, un article, l’horoscope… Ils choisiront ce qu’ils veulent mettre de l’avant et l’idée c’est qu’ils le fassent à leur façon, sur un Reels, des Stories, des choses qui seraient interactives et intéressantes pour les jeunes», explique la directrice, Maryne Dumaine.
«C’est un projet à la fois de développement de lectorat, mais aussi de professionnalisation des jeunes en journalisme numérique.»
Pour la deuxième année de ce que Maryne Dumaine appelle le Laboratoire de l’Aurore boréale (LAB), l’inverse sera fait : des contenus produits en ligne par et pour les jeunes seront intégrés au journal papier dans des formats créatifs, à nouveau par des jeunes, pour «que le reste de la communauté voie comment les jeunes s’informent et comment les jeunes ont interagi avec le journal», dit-elle.
Colette Brin encourage ce type d’expérimentation. Avec des salles de rédaction de plus en plus jeunes, qui connaissent les codes de la vidéo, les médias écrits en milieu minoritaire pourraient occuper davantage cet espace, selon elle.
Être multiplateforme
Pour la professeure, l’essor de la vidéo est davantage lié à la popularité des contenus numériques qu’au déclin de la lecture d’articles. «De courts textes en ligne, même des textes assez longs, les jeunes peuvent les lire sur leur téléphone.»
Jason Ouellette, aussi directeur général de Radio Beauséjour, est conscient que le contenu multiplateforme est «l’avenir de l’information».
Un avis partiellement partagé par Maryne Dumaine : «Je pense que c’est complémentaire. La vidéo peut devenir un excellent soutien, mais ne sera jamais un remplacement de l’information, en tout cas pour notre communauté francophone yukonaise.»
Il faudrait que les revenus soient au rendez-vous pour les vidéos, nuance de son côté Jean-Philippe Giroux.
Oui à la vidéo, mais pas au détriment de l’écrit, insiste Mehdi Mehenni. «Il y a des choses que la vidéo ne peut pas rapporter. Il y a les coulisses, la description de l’atmosphère, les sentiments des gens. Il y a certaines choses que la caméra ne peut pas capter dans un évènement» et qui peuvent quand même être présentées à l’écrit.
«Je pense aussi que c’est la mission d’un journal de sensibiliser les jeunes pour qu’ils n’abandonnent pas l’écriture et la lecture», ajoute-t-il.