le Jeudi 23 janvier 2025
le Mercredi 4 Décembre 2024 15:42 Politique

«Le temps n’est pas notre ami» : la Loi sur les langues officielles suscite l’impatience au Parlement

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Le commissaire aux langues officielles évoque des «obstacles» survenus en cours de route tels que les consultations et le présage d’élections fédérales, qui expliqueraient les délais de la règlementation de la nouvelle Loi.  — Photo : PxHere
Le commissaire aux langues officielles évoque des «obstacles» survenus en cours de route tels que les consultations et le présage d’élections fédérales, qui expliqueraient les délais de la règlementation de la nouvelle Loi.
Photo : PxHere
FRANCOPRESSE – Sénateurs, députés et commissaire aux langues officielles démontrent tous une certaine impatience à l’égard de la règlementation de la nouvelle loi. En attendant, le gouvernement dispose de moyens plus rapides pour venir en aide aux communautés francophones en situation minoritaire. Mais même là, les délais semblent à la mode.
«Le temps n’est pas notre ami» : la Loi sur les langues officielles suscite l’impatience au Parlement
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La règlementation de la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles se fait attendre.

Raymond Théberge craint les effets potentiels de prochaines élections fédérales sur la règlementation de la loi. 

Photo : Courtoisie CLO

«Je dirais qu’au début du processus, à mon avis, c’était clair. On voulait aller rapidement. Maintenant, on tombe dans une période de préconsultations et de consultations, et j’ai l’impression que ce n’était pas nécessairement prévu», a déploré le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, en comité sénatorial le 25 novembre.

Le projet de règlement doit être déposé au Parlement au début de l’année 2025, un délai critiqué par tous les partis d’opposition.

«Le temps n’est pas notre ami, étant donné le contexte dans lequel on se trouve présentement», a ajouté le commissaire, faisant allusion à d’éventuelles élections fédérales à venir, qui pourraient chambouler la composition du Parlement ainsi que celle du comité chargé d’étudier le règlement de la Loi.

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Lucie Moncion, sénatrice de l’Ontario, et René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, dénoncent les lourdeurs administratives qui compliquent la livraison de services fédéraux aux organismes francophones. 

Photo : Sénat du Canada

«Ça commence à être urgent»

«Lorsqu’il y a des changements de gouvernement, plusieurs travaux sont arrêtés en attendant que les nouvelles personnes soient nommées […] C’est là qu’on peut voir d’autres dossiers prendre priorité», confirme, en entrevue avec Francopresse, la sénatrice Lucie Moncion. La règlementation pourrait dès lors être «mise aux oubliettes».

D’autres sénateurs ont également souligné la nécessité d’agir rapidement. Lors du comité du 25 novembre, René Cormier a fait part d’un contexte actuel «où il y a des urgences évidemment pour les communautés de langue officielle [en situation minoritaire]».

«Ça commence à être urgent», a pour sa part insisté la sénatrice Bernadette Clément, toujours en comité.

En entrevue avec Francopresse, René Cormier élabore sa pensée : «Il faut se rappeler que la loi a été adoptée au mois de juin 2023. Certaines mesures doivent être mises en œuvre dans les deux ans de l’entrée en vigueur de la loi. Par exemple, la question du bilinguisme [des] gestionnaires et les superviseurs dans les régions bilingues et dans la capitale nationale.»

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Pourquoi la règlementation est importante?

Comme l’explique le professeur de droit François Larocque, la règlementation permettra de préciser comment la Loi sera mise en œuvre. Sans elle, les communautés ne peuvent pas en profiter pleinement.

«Ça peut être assez détaillé, dit-il. Par exemple, l’obligation de prendre des mesures positives pour assurer le dénombrement des ayants droit.»

Un autre exemple concerne les mesures positives pour soutenir l’éducation en français, de la petite enfance au postsecondaire, pour lesquelles des modalités d’exécution seront détaillées dans un règlement. 

Dans l’intervalle

Selon François Larocque, professeur de droit de l’Université d’Ottawa, le gouvernement peut déjà être proactif pour la francophonie, comme il l’a fait en augmentant les cibles d’immigration francophone hors Québec.

François Larocque rappelle que la nouvelle loi sur les langues officielles s’applique déjà, même sans règlementation. 

Photo : Valérie Charbonneau – Université d’Ottawa

Mais l’immigration francophone bat des ailes face à une lourdeur administrative, remarque René Cormier en entrevue.

«On aimerait que le gouvernement use de son pouvoir de dépenser, donc investir dans les programmes, signale Lucie Moncion. Il peut aussi réduire la lourdeur administrative qui est associée à l’accès aux différents programmes par les organismes.»

De son côté, le ministre fantôme des Langues officielles, Joël Godin, presse le gouvernement de déposer les décrets nécessaires, notamment celui qui octroie de nouveaux pouvoirs au CLO.

«De plus, nous devons garantir que les employés puissent travailler en français au Québec et dans les régions à forte présence francophone, qui seront définies par règlement», écrit-il dans une réponse par courriel.

Il ajoute qu’en attendant la règlementation, «les organismes qui œuvrent activement sur le terrain devraient bénéficier d’un financement prévisible, afin de faciliter leur planification et de leur permettre de se concentrer pleinement sur leur mission première».

«Immense lenteur»

Mais il existe des «retards dans la distribution du financement», rappelle René Cormier en entrevue. Selon lui, l’aide immédiate aux communautés passe par les fonds du Plan d’action pour les langues officielles, qui peinent à atteindre les organismes.

Il y a une immense lenteur. Ça pénalise les organismes et ça rend difficile leur fonctionnement et la libération de leur mandat.

— René Cormier

En comité, Raymond Théberge a affirmé avoir entendu des propos similaires lors de récentes consultations : «C’était l’enjeu qui était soulevé presque partout.»

«Ce n’est pas comme si les organismes ont des grosses lignes de crédit sur lesquelles ils peuvent fonctionner. On a besoin de ces argents-là pour travailler et pour livrer des programmes.» 

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«Les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont suffisamment attendu», estime le député conservateur Joël Godin. 

Photo : Courtoisie

La partie VII, une priorité

Pour Joël Godin, la priorité demeure la règlementation de la partie VII, qu’il surnomme le «cœur de la Loi sur les langues officielles».

«On l’attend incessamment», a insisté Raymond Théberge en comité. «[Elle] touche les communautés tout de suite.» Cette partie porte surtout sur les obligations linguistiques des institutions fédérales.

«On est toujours inquiet par rapport au délai, parce que la partie VII va préciser comment les institutions fédérales vont s’acquitter de leurs obligations pour favoriser la progression vers l’égalité du statut d’usage du français et de l’anglais», appuie Lucie Moncion en entrevue.

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Quant au contenu du règlement de la partie VII, François Larocque s’attend notamment à voir des précisions sur les «fameuses clauses linguistiques».

«Il y a des transferts d’argent du fédéral vers les provinces et les territoires, explique-t-il. Les communautés ont toujours revendiqué que ces ententes-là contiennent des clauses qui engagent la province ou les territoires à tenir compte des langues officielles et des besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire.»

La partie VII de la nouvelle Loi leur accorde une semi-victoire : lors des négociations d’ententes, le gouvernement fédéral devra tenter de convaincre les provinces et territoires d’inclure des clauses linguistiques.

«Ce n’est pas une obligation de résultat, mais c’est au moins une obligation de processus», remarque le juriste, qui attend de voir comment un règlement va encadrer cette nouvelle obligation du fédéral.

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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