Dans son rapport annuel sur les langues officielles 2022-2023, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) reconnait que les institutions fédérales présentent «encore des lacunes quant à la pleine conformité à la Loi sur les langues officielles (LLO)».
D’après les conclusions du rapport, certaines institutions ont visiblement du mal à intégrer le concept de bilinguisme.
Parfois pire qu’avant
L’objectif n’est atteint pour aucune des obligations prévues par la LLO en matière de langue de travail. «On note des reculs pour la majorité des énoncés par rapport au cycle précédent», lit-on dans le rapport.
Les institutions fédérales en région désignée bilingues doivent offrir aux fonctionnaires la formation ou les services de perfectionnement professionnel dans la langue de leur choix, une obligation respectée par 76 % des institutions en 2020-2023, contre 79 % en 2017-2020.
D’ailleurs, seulement la moitié des institutions indique «presque toujours» s’assurer d’offrir des cours en français ou en anglais aux employés pour la progression de leur carrière.
Quant à l’offre de conditions et d’outils de travail qui favorisent le maintien d’acquis linguistiques, le SCT observe un recul de 14 points de pourcentage par rapport au cycle précédent.
Comme noté dans le document, moins d’institutions fédérales surveillent et évaluent la disponibilité et la qualité des services offerts dans les deux langues officielles au public qu’auparavant. Elles sont aussi moins nombreuses à évaluer l’impact de leurs décisions sur les langues officielles.
À l’énoncé «la haute direction communique de façon régulière dans les deux langues officielles avec les employés», un recul de 10 points de pourcentage est enregistré par rapport à 2017-2020. Pour les communications des cadres supérieurs, c’est un recul de 4 points.
Dans une réponse écrite à Francopresse, le Commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, se dit «particulièrement préoccupé» par la baisse de communication dans les deux langues.
Selon lui, les conclusions du rapport concordent avec les siennes, émises dans son propre rapport annuel en mai.
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Une question de leadeurship
«Ce n’est pas une situation qu’on peut améliorer aujourd’hui», a statué la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, en mêlée de presse le 18 juin.
«On doit continuer de bâtir le service public et un environnement de travail dans lequel tout le monde peut travailler dans les deux langues officielles.»
Pour elle, les cadres supérieurs doivent faire preuve de «leadeurship». La section du rapport consacrée à cette question contient pourtant certains des meilleurs résultats.
En termes de respect des obligations linguistiques en gestion de crise ou dans le cadre d’une urgence, par exemple, un bond de 16 points de pourcentage par rapport à 2020-2021 a été observé.
Cet appel au leadeurship est écrit noir sur blanc dans le rapport du SCT, qui estime que «trop peu d’employés estiment pouvoir exercer leur droit de préparer des documents, de participer à des réunions ou de recevoir de la formation dans la langue officielle de leur choix».
Plus précisément, seulement 49 % des institutions affirment que les réunions en région bilingue se déroulent «presque toujours» dans les deux langues officielles. C’est d’ailleurs le même pourcentage qu’en 2017-2020.
Le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin, croit que le leadeurship devrait partir de plus haut. «Lorsque la tête, c’est-à-dire le premier ministre, le conseil privé, les ministres et le gouvernement en soi ne prêchent pas par l’exemple, comment pouvons-nous influencer le reste de notre société?», confie-t-il à Francopresse.
Il se dit aussi déçu des délais liés à la règlementation de la nouvelle Loi sur les langues officielles et à l’adoption de décrets, car sans eux, la nouvelle Loi ne peut pas complètement entrer en vigueur.
La ministre Anand a indiqué dans un communiqué qu’elle prévoit de déposer un projet de règlement pour la mise en application de la nouvelle Loi au Parlement au début de l’année prochaine.
De nouveaux cadres
Le Secrétariat du Conseil du Trésor a déposé le Cadre de responsabilisation et de reddition de comptes en langues officielles et a lancé une nouvelle version de l’outil en ligne Burolis.
Il a aussi lancé le tout premier cadre sur la formation en seconde langue officielle, accompagné de lignes directrices.
La grenouille dans le chaudron
Selon Joël Godin, le gouvernement est lent face à «l’urgence d’agir contre le déclin du français».
«S’ils avaient eu la volonté de procéder rapidement pour arrêter le déclin du français, ne croyez-vous pas que le Conseil du Trésor aurait mis une équipe désignée pour rédiger des règlements le plus vite possible? […] Moi je pense que oui.»
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La porte-parole néodémocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton, presse aussi le gouvernement de développer la règlementation. Selon elle, il «traine des pieds».
«Les libéraux nous disent que les institutions fédérales respectent “presque toujours” leurs obligations linguistiques envers la loi, mais “presque toujours” au sein de nos institutions publiques n’est pas suffisant», partage-t-elle dans une réponse écrite à Francopresse.
En mêlée de presse le 18 juin, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a illustré la situation de la façon suivante : «Un petit morceau à la fois, un emploi à la fois, un fonctionnaire à la fois, un facteur à la fois, un financement de la minorité anglophone de Montréal à la fois. Un “mais non, ce n’est pas grave” à la fois, “vous paniquez pour rien” à la fois, mais le français recule.»
Parlant d’une «grenouille dans le chaudron dont la température monte», il propose que celle-ci saute du chaudron, une référence imagée à l’indépendance du Québec.