Les institutions fédérales faisant l’objet de plaintes «ne semblent ni adhérer à la vision d’une fonction publique bilingue ni appuyer la création de milieux de travail dans lesquels les fonctionnaires se sentent habilités à travailler dans la langue officielle de leur choix», déplore le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, dans le rapport.
Selon lui, ces plaintes au fil des ans «attestent que plusieurs institutions fédérales ne prennent pas leurs obligations linguistiques au sérieux».
«Cette problématique suggère que les institutions récalcitrantes n’acceptent pas la prémisse qu’elles doivent servir les membres des deux communautés linguistiques dans la langue officielle de leur choix», écrit le commissaire dans son rapport.
En conférence de presse, ce dernier n’a toutefois pas été aussi catégorique : «Je ne dirai pas que certains rejettent la vision d’une fonction publique bilingue. Je dirai qu’il y a plusieurs défis à remonter si on veut [y] arriver.»
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Viser les hauts dirigeants
«C’est un problème qui a été suivi par plusieurs commissaires au fil des années», raconte François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa.
Titulaire de la Chaire de recherche en droits et enjeux linguistiques, celui-ci fait la différence entre la théorique et la pratique. «En théorie, dit-il, puisque la [Loi sur les langues officielles] est quasi-constitutionnelle, elle devrait colorer la mise en œuvre de toutes les autres lois fédérales. Elle devrait aussi colorer les méthodes, procédures et démarches internes dans tous les ministères et institutions fédérales.»
Mais en pratique, cette loi doit être respectée par les acteurs pour qu’elle soit efficace.
Selon François Larocque, les gens «d’en haut», comme les bureaux du premier ministre et du Conseil du trésor, peuvent encourager les bonnes pratiques. «Si les dirigeants et les cadres adhèrent et respectent le principe, alors c’est clair que les équipes et les fonctionnaires la mettront en œuvre.»
«Ça commence, selon moi, avec le leadeurship des hauts fonctionnaires», a reconnu Raymond Théberge en conférence de presse.
«Ce qui est important, c’est d’avoir la capacité de fonctionner dans les deux langues officielles et, ce qu’on constate présentement, c’est que l’on a des gens qui ne sont pas en mesure [de le faire].»
Le commissaire a rappelé que les comités parlementaires se penchent sur la question du bilinguisme requis pour les postes de direction. De son côté, il dit rencontrer régulièrement de hauts dirigeants et s’adresser à l’ensemble de la fonction publique.
La mise en œuvre de la loi se fait attendre
La modernisation de la Loi sur les langues officielles engendre, comme le note Raymond Théberge dans son rapport, «un nouveau régime linguistique», dans lequel le commissaire a de nouveaux pouvoirs afin de la faire respecter.
Par exemple, à l’endroit des institutions fédérales, il peut rendre des ordonnances pour les enjoindre à corriger un manquement à la loi. Il peut aussi conclure des accords de conformité avec elles pour déterminer comme un manquement sera corrigé.
«Ces nouveaux pouvoirs entrainent nécessairement d’importants changements dans nos activités et nécessiteront des ressources additionnelles», reconnait le commissaire dans son rapport.
Mais ce qu’il faut aussi, c’est de mettre en œuvre la loi, modernisée il y a presque un an.
Le commissaire attend des décrets afin d’appliquer ses nouveaux pouvoirs, un délai d’attente qui pourrait être long selon lui, et les institutions fédérales attendent des instructions de la part du gouvernement.
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«On voit très bien que les institutions fédérales attendent qu’on leur dise les règles du jeu pour mettre en application la nouvelle Loi sur les langues officielles», confirme la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Liane Roy, dans un communiqué en réaction au rapport du commissaire.
«Nos communautés viennent de passer six ans à pousser la modernisation de la [Loi] dans un contexte d’urgence face au déclin du français, ajoute-t-elle. On n’a pas dépensé toute cette énergie pour ensuite devoir attendre encore des années avant que les institutions fédérales reçoivent leurs instructions.»
Plus de pouvoir, moins de transparence?
Avec de nouveaux pouvoirs viennent de nouvelles responsabilités. Le commissaire dit dans son rapport avoir «opté pour la médiation» comme approche pour régler des problèmes de respect de la loi.
François Larocque espère que des «paramètres de transparence» accompagneront cette médiation.
Questionné sur le sujet en conférence de presse, le commissaire n’a pas partagé ces inquiétudes : «L’objectif d’une médiation est de trouver une solution à une situation. Ça peut être quelque chose de très simple, comme changer les pancartes d’un édifice. L’idée est de résoudre le problème, ce n’est pas une question de négocier quoi que ce soit.»
Baisse des plaintes
Sauf en ce qui concerne la langue de travail, une baisse des plaintes a été enregistrée pour l’année 2023-2024.
En conférence de presse, le commissaire a expliqué que la nomination d’une gouverneure générale ne parlant pas le français et l’unilinguisme (anglais) du PDG d’Air Canada ont suscité une hausse dans ces chiffres en 2021-2022. D’après lui, en 2023, il n’y a pas eu d’évènement médiatique susceptible de provoquer une vague de plaintes.
Cette année, la majorité des plaintes jugées recevables provenaient de l’Ontario et du Québec. Si plusieurs explications sont possibles, François Larocque émet une hypothèse en particulier.
«Les problèmes de respect de la loi, on les constate partout au Canada, rapporte-t-il. Est-ce que les gens dans d’autres coins du pays ne sont pas conscients du mécanisme qui existe ou n’ont pas confiance que ça va aboutir? Je ne sais pas.»