Rappelons que cette élection partielle avait été provoquée par le départ de Carolyn Bennett en décembre 2023. Ministre du gouvernement Trudeau depuis l’élection de 2015, députée de la circonscription depuis 1997, elle avait perdu son portefeuille lors du remaniement ministériel d’aout 2023 après avoir annoncé qu’elle ne se représenterait pas aux prochaines élections.
Carolyn Bennett n’a jamais eu de grandes difficultés à se faire élire dans sa circonscription, obtenant plus de 50 % des voix à chaque élection, sauf en 2021 où elle a récolté… 49 % des voix.
Au lendemain de la surprenante victoire du candidat conservateur dans Toronto–St. Paul’s cet été, plusieurs députés, surtout de la région de Toronto, ont demandé à Justin Trudeau de convoquer une réunion d’urgence.
On venait tout juste d’ajourner les travaux de la Chambre des communes pour l’été et tous les députés s’en retournaient dans leur circonscription pour plusieurs semaines.
Une lettre signée par neuf députés sera même envoyée à Justin Trudeau demandant une telle rencontre. Mais le premier ministre jugera plus utile de discuter de la défaite dans Toronto–St. Paul’s avec ses ministres plutôt qu’avec ses députés.
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Une surprise pourtant annoncée
Les résultats dans Toronto–St. Paul’s étaient-ils vraiment une surprise?
Depuis des mois, les sondages indiquaient, les uns après les autres, que le gouvernement libéral était en chute libre dans les intentions de vote. Mais on ne pensait pas vraiment, du moins chez les libéraux, que cette baisse pourrait toucher des circonscriptions facilement gagnées par les candidats libéraux dans le passé.
Les résultats de l’élection partielle de Toronto–St. Paul’s en ont donc surpris plusieurs : les comtés jugés impossibles à perdre pour les libéraux, notamment dans les milieux urbains, ne le sont plus.
Ce n’est pas la première fois que les libéraux sont surpris. Ils l’ont été lors de l’élection générale de 2019, lorsqu’ils n’ont pas réussi à conserver leur majorité au Parlement. Ils avaient alors fortement sous-estimé la capacité du Bloc à séduire les Québécois.
Ils ont encore été surpris avec les résultats électoraux de 2021, malgré leur gestion de la crise sanitaire qu’avait approuvée une majorité de Canadiens. Mais les électeurs leur ont reproché d’avoir déclenché hâtivement des élections dont personne ne voulait.
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Une apparente déconnexion
Devant autant d’étonnement de leur part, on peut se demander si les instances du Parti libéral saisissent bien ce qui se passe sur le terrain.
Dans notre système politique, les gouvernements sont formés sur la base du nombre de députés qu’un parti peut faire élire. Ce sont aussi les députés qui font fonctionner nos institutions démocratiques, qui adoptent les projets de loi, qui posent des questions à la Chambre et qui représentent les intérêts de leur électorat.
Dans les faits cependant, le réel pouvoir se concentre autour du chef de parti. C’est la personnalité de ce chef, ses idées, ses ressources qui mènent ou non à la victoire aux élections.
On le comprend vite, chacun a besoin de l’autre : le premier ministre a besoin de l’appui de ses députés et surtout de leur connaissance du terrain alors que les députés tirent avantage des ressources et de la notoriété de leur chef.
On peut se demander si Justin Trudeau a bien compris l’aide que peuvent lui apporter ses députés.
Une question d’écoute
Et si Justin Trudeau avait accepté de rencontrer ses députés à la fin juin, tout juste après la défaite dans Toronto–St. Paul’s?
S’il avait rencontré son caucus plus tôt, les choses se seraient fort probablement passées autrement. Il n’y aurait pas eu d’appel formel à sa démission quelques mois plus tard, car Justin Trudeau aurait pu rassurer ses députés à propos de la stratégie envisagée par ses conseillers pour remonter dans les sondages.
Et il n’aurait certainement pas donné des munitions au chef conservateur Pierre Poilievre, qui clame maintenant haut et fort que les gens ne font plus confiance à Justin Trudeau, même chez ses propres députés.
En examinant comment le premier ministre a géré la défaite dans Toronto–St. Paul’s – qui, au passage, laissait présager la défaite dans LaSalle–Émard–Verdun, au Québec, quelques semaines plus tard –, on ne peut s’empêcher de penser que Justin Trudeau est l’artisan de son propre malheur.
Il aurait dû manifester une plus grande écoute envers les préoccupations légitimes de ses députés.
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Aucun signe que la leçon a été apprise
La semaine dernière, plusieurs sources indiquaient l’existence d’une lettre signée par 24 députés libéraux qui demandait que le premier ministre prenne quelques jours pour réfléchir sérieusement à son avenir au sein du parti. Des discussions franches ont aussi eu lieu lors de la réunion du caucus.
En moins de 24 heures, le premier ministre a répondu qu’il entendait rester à la tête de son parti.
Plusieurs députés seront très certainement déçus de cette réponse. Pas forcément parce qu’ils espéraient qu’il démissionne, mais parce que le premier ministre n’a même pas daigné prendre les quelques jours qu’on lui offrait pour réfléchir à son avenir et à celui de son parti.
Encore une fois, le premier ministre n’a pas jugé bon de tenir compte des préoccupations de ces députés. Il pourrait éventuellement le regretter, car le temps qu’il doit passer à gérer les crises internes de son parti l’éloigne d’autres dossiers qui sont tous aussi importants et urgents.