La situation est très précaire en ce moment pour le Parti libéral et aussi pour le Nouveau Parti démocratique (NPD). Certains prédisent même que ce sera le Bloc québécois qui formera l’opposition officielle.
Mais si l’impatience des conservateurs, et aussi de leurs électeurs, se comprend, est-ce en soi un argument pour que des élections générales soient déclenchées dès maintenant, c’est-à-dire à un an de la date prévue des prochaines élections?
Dans notre système politique, on ne gouverne pas par sondage. Ce ne sont pas eux qui décident qui doit être à la tête du pays ni quand les élections doivent être déclenchées.
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L’importance des règles électorales
Comme dans toute démocratie digne de ce nom, ce sont les résultats des élections qui désignent le parti politique qui formera le prochain gouvernement.
Le processus électoral fixe à l’avance les règles qui déterminent le vainqueur (est-ce le parti qui a remporté le plus de circonscriptions?, le plus de voix?, un mélange des deux?) ainsi que la durée du mandat du gouvernement.
Au Canada, la Constitution stipule que des élections doivent avoir lieu au plus tard tous les cinq ans. Mais le gouvernement fédéral et les provinces choisissent généralement de réduire la durée des mandats à environ quatre ans.
C’est le cas aux États-Unis, par exemple. Les élections présidentielles se tiennent tous les quatre ans, le mardi suivant le premier lundi de novembre, sans possibilité de changer la date.
Ainsi un président fortement impopulaire (pensons à Jimmy Carter à la fin de sa présidence) restera en poste jusqu’à la fin de son mandat. Personne ne s’en offusquera : ce sont les règles du jeu.
Appui de la majorité
Dans notre système parlementaire, lorsqu’un parti politique est porté au pouvoir, il doit être capable de compter sur l’appui d’une majorité de députés à la Chambre des communes pour continuer à gouverner, sinon il devra remettre sa démission.
Si le gouvernement est majoritaire, l’appui d’une majorité de députés s’obtient sans difficulté. Il serait vraiment surprenant qu’un gouvernement tombe en raison d’un mécontentement chez ses propres députés.
Mais si le gouvernement est minoritaire, nous entrons alors en période d’incertitude. Le gouvernement doit former des alliances avec d’autres partis ou des députés indépendants, le cas échéant, pour espérer demeurer au pouvoir durant tout son mandat.
C’est évidemment le cas qui nous intéresse ici. Nous avons actuellement un gouvernement fédéral minoritaire, ce qui veut dire qu’une élection peut survenir avant la fin de son mandat. Mais ce ne sont pas les sondages qui décident, mais bien les élus à la Chambre.
Ces députés doivent donc décider ce qui est préférable : appuyer le parti au pouvoir en espérant que ce dernier mettra en œuvre certaines de leurs idées ou s’opposer à ce parti quitte à déclencher des élections hâtives.
Le jeu des alliances
Jusqu’à ce qu’ils mettent fin à l’entente conclue avec les libéraux en aout dernier, les néodémocrates avaient choisi la première voie. Fait assez rare en politique canadienne, ils avaient même négocié une entente de plusieurs années, portant sur plusieurs thèmes.
En moins de trois ans, le NPD a obtenu de nombreux gains : protection accrue pour les travailleurs, programmes de soins dentaires, d’assurance médicaments et d’aide au logement, surtout pour les plus démunis, imposition accrue des institutions bancaires, cibles plus ambitieuses pour combattre les changements climatiques, etc.
Selon une compilation effectuée par Le Devoir en mars dernier, seulement 3 des 27 initiatives négociées dans le cadre de cette entente n’avaient pas été réalisées.
En déchirant avec grand éclat l’entente qui le liait aux libéraux, Jagmeet Singh a lancé le message qu’il n’avait plus de bonnes raisons de continuer à appuyer les libéraux.
Le Bloc québécois, quant à lui, a essayé de prendre la place du NPD et d’obtenir des concessions du gouvernement libéral au cours des dernières semaines. Il a soumis les deux dossiers qu’il juge prioritaires : la bonification des pensions et la protection du système de la gestion de l’offre.
Mais les libéraux ont montré très peu d’empressement à répondre aux demandes du Bloc. À vrai dire, le Bloc est devenu la cible des attaques des libéraux, qui lui reprochent notamment de «comploter pour la souveraineté du Québec». Dans de telles circonstances, il est difficile de voir comment les deux partis pourraient trouver un terrain d’entente.
Par conséquent, des élections devraient-elles être déclenchées?
Logiquement, oui
Il ne faut pas désirer des élections parce que l’opposition officielle le veut (elle le voudra toujours) ou encore parce que les sondages ne sont pas favorables au gouvernement.
Il faut des élections parce que le Parti libéral est maintenant incapable de tisser des alliances qui lui permettraient de compter sur l’appui d’une majorité de députés à la Chambre pour assumer pleinement les fonctions de gouvernement. C’est ainsi que notre système politique fonctionne.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.