Avec cette décision, la Cour suprême a «précisé» et «approfondi» les conclusions qu’elle avait atteintes en 1990 dans le jugement Mahé — qui reconnaissait à la minorité francophone le droit de gérer leurs propres établissements scolaires — croit François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Selon le juriste, le jugement Mahé «a fait foisonner, se multiplier les conseils scolaires partout au pays, parce qu’on reconnaissait [aux francophones] le droit de gestion et de contrôle de leurs institutions. Ce droit était compris de manière implicite dans le droit à l’éducation dans les institutions de la minorité, et ça, ce n’était pas explicitement prévu à l’article 23 ; c’est la Cour suprême qui l’a reconnu.»
L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés reconnait le droit des personnes issues de la minorité linguistique de «faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire», dans leur langue.
«Mais, ce que l’arrêt Mahé n’avait pas fait et que l’arrêt CSFCB est venu faire, c’est préciser justement comment il convient de mesurer la portée précise des droits qui sont garantis à l’article 23», ajoute François Larocque.
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Des présomptions favorables aux francophones
«La Cour suprême, dans Mahé, a dit que les droits protégés par l’article 23 s’apprécient sur ce qui s’appelle une “échelle variable”. Cela veut dire que le nombre et la taille de la communauté donnée vont justifier plus ou moins de services et de niveau d’instruction», rappelle François Larocque.
Cependant, avant le jugement CSFCB, tous les cas qui sont arrivés devant la cour se trouvaient toujours dans le haut de cette échelle. Il était donc facile pour la cour de trancher que la construction d’une nouvelle école ou la création d’un nouveau conseil scolaire s’imposait, souligne le juriste.
Pour François Larocque, le cas du CSFCB était différent à cause de la variété des tailles des communautés qu’il dessert.
En conséquence, «la Cour suprême a établi des critères qui vont permettre de décider quel est le niveau de droit qui [doit] être mis en œuvre dans ces différentes communautés en Colombie-Britannique […] Et c’est une des grandes innovations de ce jugement : on a maintenant un cadre analytique total qui nous permet de décider au cas par cas le niveau de protection et de droit qui sera assuré par l’article 23», conclut le juriste de l’Université d’Ottawa.
L’avocat Mark Power, qui a représenté le CSFCB devant la cour, estime que ce jugement ouvre la porte à d’autres communautés francophones :
La décision du gouvernement fédéral d’inclure des questions dans le recensement pour mieux dénombrer les ayants droit «risque de donner beaucoup de vie au jugement de la Colombie-Britannique», estime Mark Power.
Des implications au-delà des droits linguistiques
Selon François Larocque, de l’Université d’Ottawa, «une des grandes retombées de cette décision, pas juste pour les droits linguistiques, mais pour l’ensemble des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, c’est l’analyse de la Cour suprême sur l’article premier de la Charte».
L’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits qui y sont énumérés, mais «dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique».
Les cours inférieures avaient accepté la justification de la province, qui disait essentiellement qu’elle disposait de ressources limitées et qu’elle avait le droit d’en déterminer l’allocation et d’établir des priorités budgétaires, même si cela constituait une infraction à l’article 23 de la Charte, rappelle François Larocque.
Donc, avec l’arrêt CSFCB, François Larocque croit que la cour «vient clarifier qu’un droit protégé par la Constitution du Canada, c’est un droit qui est garanti, et que ce sont seulement des justifications, des raisons très impérieuses qui permettraient de déroger aux droits protégés par la Charte. C’est ce que l’article premier garantit : il faut qu’il y ait des motifs sérieux pour justifier une violation de la Charte».
Pour François Larocque, ce jugement a des retombées qui vont au-delà des droits linguistiques : «C’est important pour plein de communautés. On peut penser par exemple aux groupes qui revendiquent l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte, ou aux groupes qui revendiquent la liberté d’expression, la liberté de religion à l’article 2 de la Charte.»
Des changements sur le terrain?
Patrick Gatien, président du CSFCB, qualifie la décision de la Cour suprême de «monumentale».
Suzana Straus, présidente de la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique (FPFCB), ajoute que «maintenant on a une claire définition de l’équivalence réelle».
Elle souligne cependant qu’au niveau «praticopratique, sur le terrain, des projets de développement d’écoles ça prend plusieurs années. Donc on n’a pas subitement trente nouvelles écoles après un an, mais il y a beaucoup de choses qui sont en cours, en développement».
Un point de vue partagé par Patrick Gatien : «C’est quand même un gros travail de longue haleine. Mais autant qu’on aimerait voir les écoles sortir de terre le plus rapidement possible, on doit quand même avoir un peu de patience, parce que ce n’est pas un sprint, c’est un marathon.»
Le président du conseil scolaire soutient cependant que plusieurs projets ont pu se concrétiser au cours de la dernière année : la province a alloué plus de 2 millions $ au CSFCB pour acquérir l’édifice de l’école Colline d’Or, à Kamloops.
Le conseil scolaire est également parvenu à une entente pour acheter 7,3 acres d’un terrain pour construire une école à Victoria et a réalisé des progrès dans la construction de l’école Lavallée à Pemberton.
«Le CSF a aussi reçu de la part de la province le montant qui nous était dû en raison du sous-financement chronique du transport scolaire, ajoute Patrick Gatien. Alors quand même, à l’intérieur d’une année qui n’est pas une année typique à cause de la COVID et de tout ce qui se passait de ce côté-là, on est quand même parvenus à faire beaucoup de chemin!»
Patrick Gatien rappelle que le Conseil scolaire francophone était l’un des seuls dans la province à croitre d’année en année.
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Les nouvelles questions dans le recensement seront un atout, selon Patrick Gatien : «Je pense que ça nous donnera l’opportunité d’avoir plus de données, qui nous donneront un plus grand portrait des ayants droit. Ça fait longtemps qu’on se bat pour cette information.»
Il prévoit que de connaitre le nombre d’ayants droit dans une communauté donnée pourra permettre au CSFCB de mieux planifier son offre de service et de justifier auprès du ministère de l’Éducation la construction de nouvelles écoles dans certaines communautés.