Le 8 octobre dernier, deux témoins de la Commission nationale des parents francophones (CNPF) ont rappelé au Comité permanent des langues officielles que l’absence de clauses linguistiques dans les ententes de financement entre les provinces et le fédéral nuit au développement des services de garde en français. Pourtant, la demande ne cesse de croitre.
Selon une étude de 2023 publiée par la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA) et le Conseil de développement économique de l’Alberta (CDÉA), Edmonton et les autres régions de la province où il y a suffisamment d’enfants francophones pour justifier la présence de garderies sont des «déserts» où il n’existe pas de place.
«On a dévoilé que pour six enfants francophones en Alberta, il y a moins d’une place en service de garde. On est extrêmement mal desservis», alertait déjà en mars 2023 la directrice générale de la FPFA, Mireille Péloquin.
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Au-delà du financement
Le directeur général de la CNPF, Jean-Luc Racine, l’a martelé en comité : il y a un «manque de financement structurel pour la petite enfance. On gère des garderies sans aucun financement fédéral depuis bientôt deux ans».
Plus précisément depuis le dévoilement en mars 2023 du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, qui a débloqué 64,2 millions de dollars «afin d’appuyer deux initiatives d’apprentissage et de garde des jeunes enfants dans les communautés francophones en situation minoritaire partout au pays (sauf au Québec)», rappelle le service communication d’Emploi et développement social Canada (EDSC), par courriel à Francopresse.
Mais ce financement ne suffit pas, expliquent ces témoins. Il faut aussi des clauses linguistiques spécifiques aux besoins de chaque province et territoire.
Le critique des conservateurs en matière de langues officielles, Joël Godin, a demandé s’il s’agissait d’un manque de volonté des gouvernements. «Absolument», a répondu Jean-Luc Racine, qui souhaite que les provinces soient plus claires dans leurs plans d’action.
La responsabilité est entièrement remise aux provinces : «Toute exigence qu’une province ou un territoire peut mettre en place concernant l’octroi de fonds aux exploitants [francophones] est laissée à sa discrétion», a appuyé Jean-Luc Racine.
Aucun mécanisme de reddition de compte ou de garanties linguistiques n’est prévu par le fédéral. Et ce, même si la nouvelle Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada protège le financement à long terme pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
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«Nous ne savons pas d’où vient l’argent»
Le 10 octobre, en marge du Comité des langues officielles, le directeur des services administratifs et financiers de la Commission scolaire de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard, Brad Samson, a confirmé à Francopresse avoir eu des «défis» avec la demande du président du comité, René Arseneault, qui souhaitait que les témoins précisent à quel palier de gouvernement ils faisaient référence lorsqu’ils s’exprimaient devant les députés.
«Nous ne savons pas d’où vient l’argent», se désole-t-il.
Il entend par là que les commissions scolaires ou les organismes responsables de la petite enfance, rarement consultés lors de l’élaboration des ententes intergouvernementales pour créer des infrastructures pour les francophones, ont du mal à démêler qui fournit le financement opérationnel.
«Notre défi, pour les centres de la petite enfance par exemple, c’est que si la province ne construit pas, c’est le fédéral qui paie pour la construction des espaces au prix scolaire, [donc] on ne peut pas rajouter des espaces à la petite enfance», résume-t-il.
Devant le comité, Jean-Luc Racine assurait que c’est «bien la province qui détermine où vont les fonds, mais souvent les parents ne sont pas consultés […] dans le secteur de la petite enfance».
«Si la province décide que les fonds du Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE) vont au secondaire, il n’y aura rien pour la petite-enfance.»
La présidente de la CNPF, Gillian Anderson, indique que si l’Alberta est l’un des pires exemples, car «aucun financement n’a été accordé aux francophones» depuis «un bon cinq, six ans», la «majorité [des provinces] ont des défis».
«Manque de volonté» des gouvernements
Les témoins appellent aussi à une consultation des communautés en situation minoritaire lors des négociations pour les ententes entre le fédéral et les provinces ou territoires qui peuvent concerner les francophones en milieu minoritaire.
À l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, il y a 150 jeunes qui attendent pour un service de garde en français.
Pour Jean-Luc Racine, la solution serait de mettre en place des services en milieu familial. Il déplore toutefois que sans une demande des anglophones pour plus de places, celle des francophones n’est pas réalisable.
À tout cela s’ajoute la pénurie de personnel francophone qualifié dans les garderies. Les récentes restrictions annoncées par le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, sont «une terrible nouvelle», estime la présidente de la CNPF, Gillian Anderson.
«Parce qu’on ne peut pas aller recruter des éducatrices à l’étranger. L’éducation est exemptée [de ces restrictions], mais la petite enfance n’est pas reconnue dans l’éducation, même si elle fait partie du continuum [de l’éducation]».
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