le Dimanche 14 septembre 2025

Existe-t-il une «économie acadienne»? La question est plus ardue qu’il n’y parait.

«Moi j’ai de la difficulté à [la] définir ou à [la] cadrer», admet Pierre-Marcel Desjardins, l’un des experts invités au Forum économique du Congrès mondial acadien 2024. Selon le professeur à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton, il est parfois compliqué de cerner quelles compagnies sont acadiennes.

«Une entreprise qui est la propriété d’un Acadien ou d’une Acadienne, mais dont les employés sont anglophones, est-ce une entreprise acadienne? Ça devient difficile.» L’économiste préfère parler d’économie dans les régions acadiennes, où il peut y avoir des sociétés de diverses appartenances.

Mais encore là, où situer les régions acadiennes? La présidente du Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse (CDÉNÉ), Suzanne Roy, explique que ce concept a changé dans sa province.

«Traditionnellement, on disait “l’Acadie, c’est les Acadiens qui vivent dans des villages acadiens”. Mais c’est plus ça. À Halifax, il y a 30-40 000 francophones et francophiles qui sont dynamiques, qui sont actifs. Certains ont des entreprises, puis ça fait partie de la communauté aussi.»

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Les participants au Forum économique du Congrès mondial acadien 2024 ont discuté de divers enjeux liés à l’économie acadienne. 

Photo : Marc Poirier – Francopresse

Manque de main-d’œuvre

Les grands joueurs de l’économie acadienne qui se sont établis il y a belle lurette sont encore là, toujours liés aux ressources naturelles, comme la pêche, la forêt ou la tourbe.

Dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, ces grandes entreprises ont pour nom Comeau’s Sea Foods (1946), Les Algues acadiennes (1981) et le constructeur de navires A. F. Thériault et fils (1938). Des entreprises qui œuvrent sur la scène internationale.

Le PDG de Comeau’s Sea Foods, Noël Després, a expliqué lors du Forum que son entreprise fait preuve d’innovation pour se maintenir à flot, mais comme bien d’autres, elle reste confrontée à un défi de taille : «On n’a pas la main-d’œuvre.»

Recherche et innovation

Exemple des bateaux que construit l’entreprise acadienne A. F. Thériault et fils. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Ce ne sont pas seulement les entreprises qui misent sur l’innovation et qui se lancent dans la recherche et le développement, les pêcheurs s’y intéressent également.

Depuis une vingtaine d’années, diverses organisations de pêche en Atlantique investissent et déploient des efforts pour comprendre l’environnement marin qui fait vivre leurs membres et les communautés.

«Ce savoir nous permet ensuite de convaincre nos pêcheurs, nos gestionnaires et nos politiciens sur les directions à prendre pour avoir une industrie qui est en santé», a expliqué un autre participant, Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes (UPM).

L’Acadie et la francophonie économique

Plusieurs politiciens ont pris part aux discussions, dont le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada, François-Philippe Champagne, qui a présenté sa vision d’une «francophonie économique».

Si vous regardez l’économie mondiale, actuellement, on voit deux grands courants : la décarbonisation et la numérisation de l’économie. Je pense que l’Acadie peut se positionner là-dedans.

— François-Philippe Champagne

Selon lui, le numérique prend de plus en plus de place dans l’économie mondiale et il souhaite que le développement de solutions dans ce domaine puisse se faire aussi en français.

«Pourquoi la francophonie numérique, ça ne partirait pas à partir d’ici, avec les gens d’ici? Comme ça on va s’assurer d’être des leadeurs non seulement dans ce siècle-ci, mais dans le prochain.»

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Traverser les frontières

François-Philippe Champagne déplore en outre qu’il n’y ait pas assez d’échanges et de mobilité entre les étudiants des universités acadiennes et québécoises ou d’ailleurs au pays.

«Alors, donnons-nous comme défi, au niveau du Congrès mondial acadien [de voir] comment on peut donner à la prochaine génération d’Acadiens et d’Acadiennes les opportunités, par exemple, de traverser la frontière du Québec au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse et de garder leurs crédits. Comme créer un réseau où les étudiants pourraient passer un semestre dans une université et un semestre dans une autre.»

Pour l’économiste Pierre-Marcel Desjardins, le concept de l’économie acadienne reste quelque peu difficile à définir. 

Photo : Archives Francopresse

C’est une idée qui plait à l’économiste Pierre-Marcel Desjardins. Il existe selon lui un modèle dont les francophones du Canada pourraient s’inspirer : «Ne réinventons pas la roue. En Europe, on a le programme Erasmus.»

Les étudiants peuvent ainsi étudier de trois à douze mois dans une université d’un autre pays. «On pourrait avoir le même genre de programme au Canada, un programme pancanadien qui fait en sorte que pendant un semestre, on offre du financement pour ce genre de mobilité.»

Au début du Congrès mondial acadien 2024, le chanteur et militant cadien Zachary Richard a fait valoir que l’économie joue un rôle crucial dans la survie du peuple acadien. Les économistes et intervenants présents au Forum économique lui ont donné raison.

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Dans son rapport annuel, déposé en mai dernier, le Commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, dressait un portrait plutôt sombre du respect de la Loi sur les langues officielles (LLO) au sein des institutions fédérales.

«Cette problématique suggère que les institutions récalcitrantes n’acceptent pas la prémisse qu’elles doivent servir les membres des deux communautés linguistiques dans la langue officielle de leur choix», écrivait-il.

Quelques semaines plus tard, c’était au tour du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) d’annoncer de mauvaises nouvelles dans son propre rapport annuel sur les langues officielles 2022-2023. Non seulement des institutions fédérales peinent à respecter leurs obligations, mais elles sont parfois pires qu’avant.

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Faire le travail en amont

Le rapport du SCT inquiète la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), confirme sa présidente, Liane Roy, qui ne trouve rien d’amusant dans la répétition des conclusions sombres de rapports chaque année.

Liane Roy espère que la nouvelle Loi contribuera à renforcer le respect des langues officielles au sein de la fonction publique. 

Photo : Courtoisie FCFA

La FCFA avait recommandé, avant la modernisation de la LLO, que le SCT joue un plus grand rôle dans la coordination de la Loi, rappelle Mme Roy. «On voulait justement qu’ils fassent du travail en amont. Quand ils sortent les plans, qu’ils soient dans des mesures beaucoup plus préventives.»

Il faudra attendre la règlementation de la Partie VII de la LLO, qui porte sur les institutions fédérales, pour voir si le SCT misera sur la prévention.

La présidente du SCT, Anita Anand, a annoncé il y a quelques semaines qu’elle déposera un projet de règlement au Parlement au début de l’année 2025, un délai critiqué par tous les partis d’opposition.

La Partie VII est censée renforcer le respect des obligations linguistiques des institutions fédérales. «Une fois que la règlementation sera mise en place, on devrait voir comment ça va fonctionner, en réalité», dit Liane Roy.

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La culture organisationnelle

«C’est certain qu’il y a un enjeu de culture organisationnelle», remarque de son côté le chercheur postdoctoral à l’Université d’Ottawa et à l’Université du Québec en Outaouais, Julien Doris.

Cette culture, explique-t-il, est constituée des pratiques, des rites et des mises en œuvre, des interactions entre employés et, à la base de tout ça, des valeurs de l’organisation.

Il y a parfois des discours un peu cyniques qui ont tendance à parler du français comme la traduction de l’anglais dans le régime fédéral de travail de la fonction publique […] et qui minimisent la place du français.

— Julien Doris

Le CLO, le SCT, «la Commission de la fonction publique et Patrimoine canadien doivent constamment se pencher sur les meilleures pratiques pour promouvoir le français, certes, mais les langues officielles plus largement comme étant des valeurs de la culture organisationnelle de la fonction publique», poursuit-il.

Selon le chercheur, le bilinguisme devrait davantage être considéré comme un facteur de cette culture, «au même titre que la diversité, l’équité et l’inclusion».

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Une question de leadeurship?

En mêlée de presse, il y a quelques semaines, Anita Anand a indiqué que les cadres supérieurs doivent faire preuve de plus de leadeurship à l’égard du bilinguisme.

Mais comme le souligne Liane Roy, dans le rapport du SCT, les capacités linguistiques des gestionnaires ne sont pas en cause. La section consacrée aux cadres supérieurs contient d’ailleurs certains des meilleurs résultats.

«[Il faut] que la diversité, finalement, tienne davantage compte de l’enjeu linguistique comme étant une valeur fondamentale de l’administration publique canadienne», dit Julien Doris. 

Photo : Courtoisie

Michael Wernick était Greffier du Conseil privé, le plus haut fonctionnaire du Canada, de 2016 à 2018. Avant ce mandat, il a occupé plusieurs postes de direction au sein de la fonction publique, notamment celui de sous-ministre adjoint à Patrimoine canadien en 1996.

Celui-ci n’est «pas du tout» d’accord avec Mme Anand : «C’est une excuse politique. Ces gestionnaires, ces cadres supérieurs, ont beaucoup de responsabilités, d’imputabilité […]. Elle doit accepter sa responsabilité politique. De blâmer les fonctionnaires, c’est décevant.»

Il affirme que le vrai pouvoir de changer les choses réside au Conseil du Trésor et chez sa ministre. «C’est le centre de gestion, c’est l’employeur pour les négociations avec les syndicats, les politiques de ressources humaines et c’est là où émanent toutes les politiques de gestion financière, de l’informatique, de l’équité d’emploi et de langues officielles.»

Selon Julien Doris, c’est une responsabilité partagée entre les fonctionnaires et les cadres. «La prévention se fait beaucoup dans la co-construction. Donc il faut que les employés soient parties prenantes à la solution. […] La prévention doit [aussi] passer par la sensibilisation dès l’entrée dans la fonction publique.»

Financer le bilinguisme autrement

Quant à la question de la langue de travail, Michael Wernick prône la formation. Mais encore faut-il pouvoir la financer. «Plusieurs commissaires aux langues officielles ont clairement recommandé qu’il y a une façon de trouver les fonds nécessaires à la formation linguistique : d’abolir la prime au bilinguisme.»

Cette prime, qui s’élève à 800 dollars par année pour les fonctionnaires bilingues admissibles, ne fait pas l’unanimité.

«Si on veut vraiment changer de trajectoire, de direction, la seule personne qui a la possibilité de le faire, c’est le ministre qui est président du Conseil du Trésor», assure Michael Wernick. 

Photo : Université d’Ottawa

«Il y a 80 millions de dollars à peu près chaque année qui sont alloués aux gens qui sont déjà bilingues. Ce n’est pas logique, défend Michael Wernick. Ce serait plus logique d’investir ces fonds dans la formation des non-bilingues. […] L’obstacle, ce sont les syndicats.»

Cette prime incitative peut, à court terme, pourvoir des postes bilingues, estime Julien Doris. «Mais est-ce que ça résout réellement la question de la transformation à long terme de la fonction publique dans l’amélioration des objectifs qui sont maintenant contenus dans la nouvelle LLO? On peut se poser la question.»

Selon lui, d’autres solutions peuvent probablement être mises en œuvre parallèlement, notamment pour ce qui est du recours à la dotation non impérative, qui permet de pourvoir un poste par une personne qui ne satisfait pas aux exigences linguistiques au moment de sa nomination.

«[Quand cela arrive], explique le chercheur, il y a des obligations de formation assorties avec des évaluations très strictes pour assurer que si, au départ, le candidat n’est pas bilingue, il le devienne par la force des choses.»

Il y a trente ans, lors du premier Congrès mondial acadien de 1994, dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick, le chanteur cadien Zachary Richard lançait son désormais célèbre appel à l’aide : «On a tombé de la falaise, mais on n’a pas encore touché la terre.»

La mémoire du héros acadien Joseph Broussard dit Beausoleil a été honorée par une plaque dévoilée par les dirigeants du comté d’Annapolis, soit l’ancienne région de Port-Royal. 

Photo : Marc Poirier

La première édition du Congrès a constitué de réelles retrouvailles entre les descendants des Acadiens déportés vivant en Louisiane et leurs cousins de l’Acadie d’aujourd’hui.

Depuis, le Congrès est devenu un phare pour les Cadiens, qui ont eux-mêmes accueilli l’évènement en 1999.

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«Maintenir notre culture vivante»

«Les congrès nous aident à maintenir notre culture vivante», souligne le militant cadien Warren Perrin. 

 

Photo : Marc Poirier

«Les congrès nous aident à maintenir notre culture vivante, avance Warren Perrin, grand défenseur de la culture cadienne en Louisiane. Cela aide à nos associations de famille de demeurer actives. Les congrès leur donnent un point de mire, à tous les cinq ans [l’intervalle entre chaque édition].»

Les réunions de famille sont en effet l’un des principaux éléments qui attirent les Cadiens au Congrès. D’ailleurs, Warren Perrin était parmi des dizaines de Louisianais qui ont participé, le 14 aout, au dévoilement d’une plaque honorant Joseph Broussard, dit Beausoleil, sur les rives de la rivière Annapolis (anciennement rivière Dauphin).

«Beausoleil Broussard» – comme on le nomme souvent – est considéré comme un héros tant en Acadie des Maritimes qu’en Louisiane. Pendant les premières années de la Déportation, il a mené une résistance farouche contre les forces britanniques et de la Nouvelle-Angleterre qui pourchassaient la population acadienne.

Après la guerre de Sept Ans, en compagnie de son frère Alexandre, Beausoleil Broussard a mené un groupe d’environ 200 Acadiens emprisonnés en Nouvelle-Écosse pour s’établir en Louisiane, où des déportés s’étaient déjà réfugiés.

Plusieurs Cadiens présents au dévoilement de la plaque sont des descendants des frères Broussard. Le fait qu’ils soient accueillis par une communauté anglophone, dont plusieurs membres sont des descendants des colons de la Nouvelle-Angleterre venus occuper les terres et les fermes des Acadiens laissées vacantes par la Déportation, en a ému plusieurs, dont Earlene Broussard.

«Il a relevé beaucoup de défis en ce temps-là, et puis là, c’est à nous d’essayer de continuer à préserver notre identité et notre langue française», souligne cette militante cadienne de longue date.

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Selon Barry Jean Ancelet, le Congrès mondial acadien a permis une grande prise de conscience de l’Acadie chez les Cadiens de la Louisiane. 

Photo : Jérôme Luc Paulin/CMA

Le Congrès : le présent et l’avenir

Pour Barry Jean Ancelet, le fait de pouvoir débattre de ces enjeux strictement louisianais avec le reste de la communauté acadienne est une autre preuve des retombées positives du Congrès auprès des Cadiens.

«Il y a eu une énorme prise de conscience [et un éveil à] l’attachement à l’Acadie et [à] l’importance de cette histoire, pas seulement celle du passé, mais dans le présent.»

Avant le premier Congrès, la plupart des Cadiens n’étaient pas conscients de la réalité acadienne en général, avance-t-il. «Ç’a ouvert cette porte. On se sent comme si on fait partie d’un plus grand monde. Même si on n’est pas pareils, on a quand même tous ces liens.»

Zachary Richard abonde dans le même sens : «C’est fantastique parce que ça fait 30 ans que ça dure. Et puis, la Louisiane se trouve une place de plus en plus évidente. Il y a une nouvelle génération et je pense que la courbe, la tendance est bonne.»

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La nouvelle génération est en effet bien présente au Congrès de 2024, particulièrement du côté musical avec des chanteurs comme Jourdan Thibodeaux et son groupe «Les Rôdailleurs», formé de musiciens cadiens.

Le chanteur et militant cadien Zachary Richard entrevoit l’avenir du français en Louisiane avec espoir.

Photo : Marc Poirier

La relève, c’est aussi Colby LeJeune, doctorant à l’Université de Louisiane à Lafayette. Ce dernier anime, en français, l’émission du matin de la radio KRVS, qui fait jouer presque exclusivement de la musique francophone.

Né d’une mère créole et d’un père cadien, Colby Lejeune a décidé de se réapproprier le français à l’âge de 18 ans. Il en est à sa première participation au Congrès.

«C’est important d’avoir des évènements comme ça parce que je connais beaucoup de monde qui vient en Nouvelle-Écosse faire leur propre pèlerinage, mais avoir un évènement central donne une bonne raison pour ceux-là qui jonglaient à venir au Canada. Ils peuvent planifier pour l’année du Congrès. Il y a les réunions de famille, c’est important», insiste-t-il.

Trente ans plus tard, le cri du cœur de Zachary Richard résonne encore. Le Congrès mondial acadien a fait en sorte que, même si le sort des Cadiens de la Louisiane est toujours incertain, ils n’ont toujours pas touché terre.

Le premier Congrès mondial acadien a eu lieu il y a 30 ans, dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick. C’était la première fois que les descendants du Grand Dérangement dispersés de par le monde se réunissaient en un même lieu.

L’évènement avait deux grands objectifs : permettre des retrouvailles, notamment par l’entremise des réunions de famille et des spectacles, ainsi que lancer des réflexions sur l’Acadie d’aujourd’hui et de demain.

Si le volet des retrouvailles et le côté festif se sont avérés de grands succès depuis les débuts, le segment «sérieux», celui des discussions, a connu des hauts et des bas.

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Des états généraux

«C’est sûr que depuis 1994, on se questionne beaucoup sur la bonne formule», admet Clint Bruce, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales à l’Université Sainte-Anne à Pointe-de-l’Église, en Nouvelle-Écosse.

L’artiste et militant acadien de la Louisiane, Zachary Richard, a prononcé la conférence d’ouverture des États généraux. 

Photo : Nicole Deveau/CMA

L’universitaire a participé à l’organisation du volet conférence du congrès précédent, en 2019, qui avait selon lui «certaines réussites, mais aussi certaines limites qu’on a voulu dépasser avec les États généraux», nom donné aux conférences et discussions du congrès de 2024.

Le défi reste cependant le même : définir des stratégies et des orientations politiques pour une entité – l’Acadie – qui n’a pas de frontières ni de gouvernance politique commune.

Repenser l’Acadie

Cette année, la Société Nationale de l’Acadie (SNA), organisme chargé d’assurer la pérennité du Congrès mondial acadien et d’encadrer le choix des régions hôtes, a mis des efforts pour redynamiser le brassage d’idées.

Première des deux journées des États généraux. 

Photo : Nicole Deveau/CMA

Les discussions ont porté cette année sur plusieurs thèmes, comme l’identité, la langue, la diplomatie internationale, l’insécurité linguistique ou encore l’immigration.

Lors des États généraux, des députés fédéraux et sénateurs acadiens de différentes allégeances politiques ont présenté leur projet de former – peut-être cet automne – une association acadienne de parlementaires fédéraux.

Selon le sénateur indépendant du Nouveau-Brunswick, René Cormier, cette association sera un instrument auquel «les Acadiens peuvent s’adresser pour faire avancer les enjeux acadiens, un espace de dialogue sur le plan politique».

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Le congrès, ça donne quoi?

En plus de s’intéresser au volet conférence du CMA, Clint Bruce mène une étude sur les incidences – locales et générales – de l’édition de 2024. Une équipe de 17 chercheurs et chercheuses s’attardera à déterminer les «espoirs et enjeux» découlant de cet évènement.

Le président du comité organisateur du Congrès de 2024, Allister Surette, ancien recteur de l’Université Sainte-Anne, estime que les retombées s’observent déjà.

Jean-Marie Nadeau, «idéateur» du Congrès mondial acadien. 

Photo : Jérôme Luc Paulin/CMA

«Je connais des jeunes qui ont commencé à jouer la musique ici. Juste l’ouverture officielle [du présent congrès]¸ ça les a ouverts les yeux», dit-il, aux personnes qui ont vu par exemple un chanteur du coin, comme P’tit Belliveau, sur une grande scène.

Allister Surette, qui assurait aussi la présidence du Congrès de 2004 qui a eu lieu dans toute la Nouvelle-Écosse, affirme que l’incidence de ces rassemblements est indéniable. «Je suis certain qu’on n’aurait pas eu la Loi sur les services en français en Nouvelle-Écosse si on n’avait pas eu le Congrès mondial acadien [en 2004]. Donc le Congrès a été utilisé comme une plateforme pour engager les gouvernements, engager nos communautés.»

Le militant acadien Jean-Marie Nadeau, qui avait lancé l’idée et le concept du Congrès en 1988, souligne que cet évènement a aussi un effet rassembleur pour les communautés des régions hôtes. «Ça a permis de réduire les guerres de clocher.»

Selon lui, le Congrès a, dès le début, fouetté le dynamisme des artistes, en devenant une sorte «d’Olympiques» culturels. «Ça devient une date de référence.»

Le retour aux sources

L’un des buts de départ du CMA était de renouer les liens entre l’Acadie d’origine et la diaspora. En plus des délégations toujours importantes de la Louisiane, plusieurs descendants des déportés en France sont également de la partie.

Le drapeau acadien est bien présent dans les villages de la région du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. 

Photo : Marc Poirier

C’est le cas notamment d’un groupe venant de Belle-Île-en-Mer, une petite ile bretonne qui a accueilli, fin 1765 et 1766, près de 80 familles acadiennes expulsées en 1755 et ayant abouti en Angleterre où elles ont passé plusieurs années avant d’être transportées en France.

Maryvonne Le Gac, présidente de l’association Belle-Île en Acadie, n’en est pas à son premier CMA. Mais comme il a lieu cette année en Nouvelle-Écosse, il s’agit pour les membres du groupe d’un vrai pèlerinage, un retour à la terre d’où viennent leurs ancêtres. «C’est pour nous, je dirais, ce congrès où, sentimentalement, on est plus proche de la communauté.»

Anciens Acadiens, nouveaux Acadiens

L’un des défis du territoire d’aujourd’hui de l’Acadie est d’accueillir et d’intégrer des immigrants de langue française de plus en plus nombreux. Le sujet a d’ailleurs été abordé lors des États généraux du Congrès.

Cette réalité existe maintenant dans toutes les régions acadiennes des Maritimes, mais particulièrement à Moncton, au Nouveau-Brunswick, où plusieurs jeunes provenant de divers pays viennent faire leurs études – et dans de nombreux cas – s’y installent pour de bon.

Le congrès, c’est aussi l’occasion de revêtir les couleurs de l’Acadie. 

Photo : Steve Caron/CMA

L’Haïtien Rotchild Choisy vit à Moncton depuis six ans. Il vient de terminer un baccalauréat en arts visuels de l’Université de Moncton. Il est venu raconter son expérience au CMA lors d’un panel sur la question de l’immigration.

Il fait partie des nombreux nouveaux venus en Acadie qui ont réussi à se faire une place dans leur terre d’accueil. «Je me considère quand même Acadien, oui. J’ai une pratique de réflexion sociale qui à la fois penche sur mon expérience en Haïti, mais aussi mon expérience en tant que personne qui vit en Acadie, au Nouveau-Brunswick.»

Il est convaincu que l’arrivée de nouvelles cultures est un atout pour la survie de la communauté acadienne. «Mais je trouve que, comme, ça va juste la renforcer en fait.»

Et que pense-t-il du Congrès? «C’est un concept intéressant. C’est une façon pour les Acadiens de se rencontrer et de se dire : OK, on a une présence physique.»

Plus sur la francophonie

Lors de son passage au Congrès mondial acadien (CMA), en Nouvelle-Écosse, le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Marc Miller, a annoncé mercredi une série de mesures pour favoriser la vitalité des communautés francophones.

Le gouvernement fédéral exemptera 2300 étudiants étrangers hors Québec du plafond annuel de permis étudiants, établi à 360 000 en début d’année par le ministre Miller.

Cette mesure vise à inciter les étudiants francophones à s’installer dans les communautés francophones en situation minoritaire. Elle facilite l’accès à la résidence permanente après les études, abaisse le seuil financier normalement requis et dispense ces étudiants de démontrer qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur permis.

Ce projet pilote démarrera le 26 aout 2024. Le prochain plafond sera annoncé d’ici aout 2025.

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Le ministre Marc Miller a également dévoilé mercredi quelles seront les dix nouvelles communautés francophones accueillantes (CFA). IRCC avait annoncé début 2024 l’expansion de l’initiative, lancée en 2020.

Quatorze communautés avaient déjà été sélectionnées par le gouvernement pour appuyer l’accueil et l’établissement des nouveaux arrivants d’expression française d’un bout à l’autre du pays.

C’est l’Ontario qui en compte le plus. Cornwall, le district de Cochrane (corridor de la route 11) et London viendront s’ajouter aux CFA déjà en place à Sudbury, Hawkesbury et Hamilton.

Au Nouveau-Brunswick, des communautés verront le jour à Belle-Baie (incluant Bathurst et la Première Nation de Pabineau), Caraquet et dans la région de Restigouche-Ouest (Saint-Quentin et Kedgwick).

«Ces nouvelles CFA […] représentent une avancée significative pour renforcer l’accueil et l’intégration des immigrants francophones dans nos communautés. Ces initiatives permettront d’accroitre notre capacité à attirer des nouveaux arrivants et à les aider à s’établir de manière durable au Nouveau-Brunswick», a déclaré le président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB), Yvon Godin, par communiqué.

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Les États généraux du Congrès mondial acadien ont remis sur la table la question du poids politique de l’Acadie au fédéral. 

Photo : Nicole Deveau/CMA 2024

Les États généraux du Congrès mondial acadien, qui a eu lieu lundi à Pointe-de-l’Église, en Nouvelle-Écosse, ont remis sur la table la question du poids politique de l’Acadie.

Les discussions ont notamment porté sur un rapport préliminaire corédigé par les chercheurs Rémi Léger et Michelle Landry sur le pouvoir politique acadien. Ce dernier avait été commandé par des parlementaires acadiens qui souhaitent former un groupe à Ottawa pour mieux représenter l’Acadie au fédéral.

D’une loi qui reconnait le peuple acadien à des mécanismes de consultation dans la prise de décisions fédérales, les idées n’ont pas manqué lors du Congrès. Reste à savoir quelle forme prendront celles-ci.

Le public peut donner son avis sur les conclusions du rapport jusqu’au 30 septembre. Dès lors, les parlementaires acadiens décideront s’ils formeront une association.

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Nouveau parti, primes à CBC/Radio-Canada et révocation de citoyenneté

Reconnu cette semaine par Élections Canada, le Parti avenir canadien (PAC) fera son entrée Parlement fédéral.

Le député indépendant à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, Dominic Cardy, a officiellement lancé un nouveau parti politique fédéral. 

Photo : JPOC226 Wikimedia Commons

Créé par un ancien ministre du Nouveau-Brunswick, Dominic Cardy, le parti se targue ne d’être «ni à droite ni à gauche» et de défendre des Canadiens inquiets de la «montée de l’extrémisme» des deux côtés.

Dominic Cardy, chef par intérim du nouveau parti, a confirmé que ce dernier sera représenté lors des prochaines élections partielles dans les circonscriptions de LaSalle–Émard–Verdun, au Québec et d’Elmwood–Transcona, au Manitoba, le 16 septembre prochain.

M. Cardy a été chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) du Nouveau-Brunswick de 2011 à 2017, avant de rejoindre les rangs du Parti progressiste-conservateur et d’être nommé ministre de l’Éducation par le premier ministre Blaine Higgs l’année suivante.

Il a quitté le gouvernement provincial en 2022, dénonçant le «mauvais comportement» et la «mauvaise prise de décision» de Blaine Higgs concernant la volonté d’abolir l’immersion en français d’ici 2023.

La société d’État aurait versé des primes à 1194 employés pour l’exercice 2023-2024, selon des documents obtenus par La Presse canadienne, tandis que 141 employés ont été licenciés et 205 postes vacants éliminés à CBC/Radio-Canada.

Des primes importantes auraient été versées à des employés de CBC/Radio-Canada alors que la société subissait en même temps des coupes importantes.

Photo : Xiloppo – Wikimedia Commons

Plus de 3,3 millions de dollars canadiens auraient été versés à 45 cadres, soit une prime moyenne de plus de 73 000 dollars.

Le gouvernement fédéral a refusé de dire s’il a approuvé une prime pour la présidente-directrice générale de la Société Radio-Canada, Catherine Tait. Cette dernière avait justifié les compressions en évoquant un déficit structurel de 36 millions de dollars, lors d’une comparution en comité parlementaire en janvier dernier.

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Ahmed Fouad Mostafa Eldidi et son fils Mostafa Eldidi ont été arrêtés fin juillet à Richmond Hill, en Ontario, par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Ils font face à neuf chefs d’accusation, dont un pour complot en vue de commettre un meurtre au nom du groupe armé État islamique à Toronto.

Mercredi, le ministre d’IRCC, Marc Miller, a expliqué que son ministère étudiait comment le père avait obtenu la citoyenneté.

Cette dernière peut être révoquée lorsque de fausses informations ont été fournies pour l’obtenir ou si des informations ont été cachées.

Les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement se pencheront sur cette affaire la semaine prochaine.

Le 14 aout, le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Marc Miller, a annoncé que le Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire (PPECFSM) sera lancé le 26 aout 2024.

En partenariat avec des établissements d’enseignement désignés (EED) postsecondaires de langue française et bilingues, ce programme est une mesure phare de la Politique en matière d’immigration francophone, elle-même inscrite dans la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Les étudiants étrangers admis dans le cadre de ce programme bénéficieront de certaines exemptions.

Marc Miller explique que les 2 300 étudiants qui seront choisis peuvent déjà se trouver au Canada ou arriver l’année prochaine. Il a laissé entendre que le niveau de français fera partie des critères. 

Photo : Francopresse

Assouplissement des critères

Depuis longtemps, certains d’entre eux, notamment ceux d’origine africaine, font face à un bas taux d’approbation. Selon IRCC, plusieurs raisons expliquent le phénomène, dont l’incapacité de convaincre IRCC que l’étudiant quittera le Canada au moment de l’expiration de son permis d’études et l’insuffisance de fonds.

«Pour améliorer le taux d’approbation», lit-on dans le communiqué de l’annonce, les étudiants et leurs familles seront dispensés de démontrer qu’ils quitteront le pays une fois leur permis expiré.

Et en plus de services d’établissements, «le seuil financier requis sera ajusté pour refléter 75 % du seuil de faible revenu associé à la municipalité où se trouve le campus principal de l’établissement».

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Une voie directe vers la résidence permanente

Après l’obtention de leur diplôme, ils bénéficieront d’une voie d’accès direct pour passer d’un statut temporaire à un statut permanent.

Comme expliqué dans le communiqué, «les époux ou conjoints de fait et les enfants à charge des demandeurs principaux peuvent également venir au Canada dans le cadre du programme pilote et éventuellement demander la résidence permanente».

Les étudiants étrangers admis dans le cadre de ce programme ne seront pas comptés dans le plafond de demandes de permis d’études établi en janvier dernier. Chaque EED pourra alors délivrer un nombre limité de lettres d’admission. IRCC acceptera ensuite un maximum de 2 300 demandes de permis d’études dans le cadre du programme, la limite pour un projet pilote.

Le plafond sera révisé pour la deuxième année et fixé d’ici aout 2025.

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L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) estime qu’en septembre 2023, environ 12 000 étudiants étrangers fréquentaient ses établissements membres.

Exigences pour obtenir un permis d’études :

À l’extérieur du Québec, l’étudiant étranger doit prouver qu’il dispose d’au moins 10 000 dollars par année d’étude, excluant les frais des droits de scolarité.

Source : Gouvernement du Canada

La francophonie aux aguets

«Bien que l’annonce d’aujourd’hui se fasse alors que l’ACUFC ne dispose pas de tous les détails concernant la forme finale du projet pilote, ce dernier reprend certaines idées qu’elle a proposées au fil des derniers mois», assure le président-directeur général par intérim de l’ACUFC, Martin Normand, dans une déclaration.

Selon Hans Edoh Daye, le point fort des communautés francophones rurales hors Québec, comme Hearst, «c’est l’accueil». «Les grandes villes ne sont pas aussi accueillantes», dit-il. 

Photo : Courtoisie

Celui-ci croit que le PPECFSM pourrait avoir des «effets locaux concrets dans les communautés où se situent les établissements qui participeront au projet».

«C’est un bon programme qui va nous permettre, aux minorités francophones venant de l’international, d’avoir des permis d’étude, parce qu’actuellement, ça a été restreint», se réjouit Hans Edoh Daye, étudiant en administration des affaires à l’Université de Hearst, en Ontario, et coprésident du Programme pour étudiantes et étudiants réfugiés de l’établissement.

«Quand je suis arrivé en Ontario, je suis resté presque deux mois à l’hôtel avant de pouvoir trouver un logement», raconte-t-il. Le défi malheureusement typique du logement pourrait être allégé par les services d’établissements, en fonction de leur nature.

La possibilité de rester dans la communauté après les études intrigue aussi l’étudiant : «Tu t’es familiarisé avec [les gens de la communauté], et là, tu peux immigrer ici au lieu d’aller dans une autre province et essayer encore de s’adapter ailleurs.»

D’un autre côté, il espère que ce programme ne limitera pas la possibilité de découvrir les autres communautés francophones du pays. «S’ils trouvent des opportunités ailleurs, pourront-ils déménager?», demande-t-il.

Miser sur la rétention et atteindre la cible

Le programme devrait aider le gouvernement à atteindre sa cible d’immigration francophone hors Québec, a déclaré le ministre d’IRCC, Marc Miller, en conférence de presse le 14 aout.

La cible de 4,4 % établie en 2003 a finalement été atteinte l’année dernière. Depuis, elle a été fixée à 6 % et devrait atteindre 8 % d’ici deux ans.

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En entrevue avec Francopresse en juin dernier, Darrell Samson a confirmé sa confiance envers le travail du ministre Miller dans le dossier de l’immigration francophone. 

Photo : Courtoisie

«4,4 %, c’est bien beau, mais cette cible n’est pas suffisante pour atteindre le poids démographique», a rappelé le député libéral acadien Darrell Samson, aussi en conférence de presse.

«Le processus d’assimilation est réel, vrai», a statué Marc Miller. «J’ai un devoir primordial, comme ministre de l’Immigration, d’assurer la pérennité des communautés francophones, surtout en dehors du Québec.»

Un devoir qu’il tente de remplir, en partie en octroyant aux étudiants de ce programme un accès accéléré à la résidence permanente. «Ce sont des gens qui, évidemment, parlent un français impeccable, qui étudient dans des institutions postsecondaires [francophones] et qui vont avoir 2 à 4 ans de début d’intégration», justifie le ministre.

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Une directive du gouvernement québécois entrée en vigueur en juillet dernier précise la nature des situations dans lesquelles un organisme du réseau de la santé et des services sociaux peut utiliser une langue autre que le français.

Par exemple, cette permission est accordée «lorsque la santé, la sécurité publique ou les principes de justice naturelle l’exigent», notamment «dans toute situation d’urgence».

La députée libérale Anna Gainey a évoqué le critère d’accessibilité de la Loi canadienne sur la santé pour défendre ses préoccupations. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

La directive a été mal accueillie par les députés fédéraux libéraux de Montréal Anthony Housefather, Emmanuella Lambropoulos et Anna Gainey. Cette dernière a exprimé ses inquiétudes dans une déclaration officielle, le 7 aout dernier.

«[Certains électeurs] sont très inquiets, car la directive les empêchera de communiquer efficacement avec les personnes qui s’occupent d’eux», écrit-elle.

Elle ajoute s’être assurée que «le gouvernement fédéral, qui est un grand partenaire en vertu de la Loi canadienne sur la santé, est conscient de ces préoccupations et prêt, au besoin, à intervenir et à insister sur le respect des principes fondamentaux, en particulier en ce qui concerne l’accès universel aux soins de santé dans les deux langues officielles».

Comme évoqué par Anna Gainey, l’accessibilité à des soins de santé reste l’une des conditions de versements de fonds fédéraux à une province dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé.

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Quelques clarifications

Le 31 juillet, le ministre de la Langue française du Québec, Jean-François Roberge, a remis «les pendules à l’heure».

La directive «permet à toutes les personnes qui le souhaitent de recevoir des soins de santé dans une autre langue que le français», a-t-il assuré dans une publication sur le réseau social X.

«Sauf exception pour les membres de la communauté historique anglophone, la directive prévoit que les communications de nature administrative ou qui ne compromettent pas la santé de l’usager doivent être en français.»

La réponse du gouvernement

«Nous respectons la juridiction du Québec en matière de santé et ses efforts pour protéger la langue française, mais cela ne doit pas se faire au détriment du droit des Québécois à recevoir des soins dans l’une ou l’autre des langues officielles», a déclaré Randy Boissonnault, le 10 aout dernier.

Questionné par Francopresse sur la situation des francophones hors Québec, l’attaché de presse du cabinet de M. Boissonnault, Mathis Dennis, a assuré par courriel que «chaque Canadien a le droit d’accéder à des services médicaux dans la langue officielle de son choix, ce qui inclut les francophones et les anglophones en situation minoritaire».

Il a rappelé l’existence de mesures pour soutenir les services dans la langue de la minorité, incluant la santé, dans le Plan d’action sur les langues officielles (2023-2028).

Mais le juriste Michel Doucet, en entrevue avec Francopresse, demeure incrédule : «Il faut s’assurer que même si on accorde certains appuis, qu’en bout de ligne, le résultat soit là et que les gouvernements provinciaux respectent leurs obligations vis-à-vis des communautés francophones.»

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«Le fait que ce ne soit pas interdit aux francophones à l’extérieur du Québec de demander un service en français ne veut pas dire qu’on va l’obtenir», rappelle le juriste Michel Doucet. 

Photo : Courtoisie

Et les francophones?

Les réactions ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux, ramenant sur le devant de la scène les revendications des francophones en situation minoritaire.

«C’est bon à savoir si c’est exact. Alors, le reste du Canada mine la Loi canadienne sur la santé depuis des années en n’offrant pas de services en français?», a questionné Michel Doucet, en réplique aux propos d’Anna Gainey sur la plateforme X.

«Faut-il conclure que le gouvernement fédéral se battra pour que les minorités francophones du reste du Canada puissent elles aussi recevoir des soins de santé dans leur langue maternelle…? Deux poids, deux mesures. Deux langues, deux approches», a pour sa part lancé le co-porte-parole du Parti québécois en économie, Gabriel Coulombe.

Toujours sur X, une internaute, Rosella Melanson, a répondu à la déclaration du ministre fédéral des Langues officielles, Randy Boissonnault, en lui demandant où il était «ces dernières décennies quand des Néobrunswickois […] hurlaient qu’ils ne peuvent pas avoir de services dans leur langue?»

En entrevue, Michel Doucet a rappelé qu’à l’extérieur du Québec, «les francophones ont toujours énormément de difficulté d’avoir accès à des services de santé dans leur langue».

En réaction à ses publications, certains utilisateurs de X ont rétorqué que hors Québec, il n’est pas interdit d’octroyer des services en français. À cela, Michel Doucet répond : «On n’a pas besoin de les interdire pour qu’ils ne soient pas accessibles.»

Les francophones ont encore énormément de difficulté, et on n’a vu personne se déchirer la chemise sur la place publique. J’aimerais voir le même empressement à défendre les intérêts des communautés francophones à l’extérieur du Québec que ce qu’on a vu au Québec dans ce dossier.

— Michel Doucet

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Du potentiel juridique

Sur la question de la Loi canadienne sur la santé, le juriste n’est pas convaincu que le principe d’accessibilité s’applique aux langues officielles. «Mais il faudra voir, ajoute-t-il. Peut-être que la députée Gainey a accès à de l’information que je n’ai pas. J’ai hâte de voir quelle interprétation sera donnée à ce critère-là.»

Selon l’avocat François Larocque, la Loi canadienne sur la santé pourrait être interprétée de manière à obliger l’accès aux soins en santé en français pour les francophones en situation minoritaire. 

Photo : Valérie Charbonneau

«Les lois qui encadrent les systèmes de santé au Canada sont nombreuses et complexes, poursuit le professeur de droit de l’Université d’Ottawa, François Larocque. Mais chose certaine : la Loi canadienne sur la santé est silencieuse sur la langue.»

L’esprit général de cette loi est de financer un système de santé universel et de règlementer les prestations du fédéral.

«Cela étant dit, j’ai déjà vu par écrit des arguments comme quoi il serait possible de voir dans le critère d’accessibilité […] une dimension [linguistique]», avance le professeur, qui évoque notamment le langage «flexible» de la Loi.

Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a de son côté indiqué par courriel ne pas pouvoir se prononcer sur l’interprétation de la Loi sans avoir mené une enquête.

Se faire soigner dans la langue officielle de son choix est une question de respect et de sécurité, et ce pour tous les Canadiens et les Canadiennes.

— Raymond Théberge

Anna Gainey, Anthony Housefather et Emmanuella Lambropoulos n’ont pas donné suite à nos demandes d’entrevues. Francopresse attend toujours des réponses du bureau du ministre de la Santé, Mark Holland.

La «merdification» est une traduction du terme «enshittification» lancé en 2022 par l’écrivain d’origine canadienne Cory Doctorow pour décrire le processus par lequel une plateforme numérique met en marché un service utile à perte pour créer une base d’utilisateurs, qui en deviennent dépendants.

Ensuite, les données de ces utilisateurs sont vendues, aussi à perte, à des clients, qui en deviennent également dépendants.

Le service devient alors un passage obligé et l’entreprise se sert de ce monopole, ou quasi-monopole, pour augmenter ses prix, la quantité de publicité, etc. – selon le modèle de revenus – pour mettre le plus d’argent possible dans ses poches et celles de ses actionnaires.

À cette étape, il n’est plus nécessaire d’offrir un service de qualité, et les paramètres des relations utilisateurs-entreprise-clients peuvent être modifiés sans préavis, toujours pour soutirer plus d’argent.

Le blocage des médias au Canada par Meta est un bon exemple d’un paramètre modifié rapidement dans le but d’éviter d’avoir à céder une part de ses profits. Meta est aussi un exemple de baisse de qualité du produit, puisque la plateforme offre maintenant beaucoup moins d’informations de qualité qu’avant.

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Presque toutes les grandes entreprises du Web sont dans la phase de recherche du profit. En conséquence, les résultats de recherche sur Google, par exemple, sont de moins en moins fiables, pollués par un grand nombre de publicités et par des sites préoccupés davantage par les clics que par la qualité du contenu.

Amazon est devenu un incontournable de la vente en ligne. Mais il impose des conditions d’utilisation ou des prix qui étouffent les petites entreprises essayant de vendre sur cette plateforme. Surtout quand Amazon veut s’approprier leurs produits ou leurs parts de marché.

Il y a aussi Uber, qui a fait concurrence à un secteur bien règlementé sans suivre les règles en place. L’entreprise s’est imposée en offrant des courses à des prix inférieurs à ceux des taxis et en payant très bien ses chauffeurs. Maintenant qu’Uber a réussi à couper l’herbe sous le pied aux taxis, les prix sont comparables et ses chauffeurs sont payés sous le salaire minimum.

Et arrive l’IA…

Si ChatGPT a piqué votre curiosité et que vous avez mis à l’essai l’intelligence artificielle (IA) génératrice de textes la plus connue, vous avez pu le faire gratuitement. Vous aurez remarqué que cet outil donne des résultats qui peuvent être convaincants, malgré les défauts qu’on lui connait.

ChatGPT en serait donc à la première étape du processus de «merdification» : un produit jugé comme étant performant et offert à perte.

Fin juillet, The Information rapportait justement que l’entreprise derrière ChatGPT, OpenAI, serait en voie d’enregistrer des pertes financières de 5 milliards de dollars américains cette année.

Ce déficit annoncé n’inclut cependant pas les droits d’auteur qu’OpenAI n’a pas payés. L’entrainement de ChatGPT s’est fait à partir de contenus qui se trouvent sur Internet et qui, dans certains cas, sont protégés par des droits d’auteur. Or, OpenAI n’a demandé aucune permission ni compensé qui que ce soit pour avoir utilisé ce contenu.

Pas étonnant que le New York Times poursuive OpenAI et que d’autres créateurs emboitent le pas ou concluent des ententes payantes.

De plus, OpenAI semble avoir mis de côté ses intentions de développement éthique au profit des… profits.

OpenAI devra également faire face à de la concurrence. Google a déjà annoncé la transformation de son moteur de recherche pour y intégrer une intelligence artificielle.

Ces embuches laissent entrevoir les prochaines phases de la «merdification» : augmentation des couts d’utilisation et baisse de la qualité.

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L’augmentation des couts d’utilisation s’explique d’elle-même. En revanche, la perte de qualité pourrait être tributaire de plusieurs facteurs. Il se pourrait que, si OpenAI n’a plus accès à autant de sources pour entrainer son IA, la qualité de ses résultats – déjà discutables en termes de véracité – s’en trouve directement touchée.

Malgré toutes les possibilités que laisse entrevoir cette technologie, elle ne peut fonctionner sans humain pour lui fournir de la matière.

Une recherche menée par des chercheurs anglais et canadiens et publiée dans Nature montre que lorsqu’une IA générative est entrainée à partir des générations successives antérieures de l’IA, la qualité des résultats dégringole.

L’entrainement des IA sera peut-être bientôt en face d’un mur, car les contenus produits par les IA génératives se multiplient très rapidement. D’ailleurs, des experts prévoient que dès l’année prochaine, 90 % de la production de contenu sur Internet sera faite par des IA.

La médiocrité est-elle évitable?

La solution pour se sortir des cycles de «merdification» devra en partie venir du gouvernement américain, qui semble pour le moment soucieux de sévir pour casser les monopoles des géants du Web.

Un juge a statué au début d’aout que Google a enfreint la loi antitrust en limitant la possibilité pour la concurrence de se tailler une place dans le marché des moteurs de recherche. Cette décision pourrait servir de jurisprudence dans des poursuites similaires contre Apple, Amazon et Meta.

De leur côté, les internautes doivent surtout reconnaitre que ces entreprises les exploitent. Une personne, une fois prise dans l’engrenage, n’a presque aucun moyen de se défendre autrement qu’en abandonnant le navire – ce qui n’est pas toujours possible ou même souhaitable. Il faut donc presser les gouvernements de mettre en place des garde-fous contre les pratiques prédatrices.