Lorsqu’un étudiant de l’étranger souhaite étudier au Canada, il doit d’abord envoyer son dossier à l’établissement qui l’intéresse. Ce dernier évalue ensuite s’il lui envoie ou non une offre d’admission puis, dans les cas heureux, l’étudiant soumet son dossier à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), où un agent en évalue l’admissibilité.
«Pour les demandes de permis d’études provenant de pays africains, si on y va de façon très générale, il y a à peu près 80 % des demandes qui sont “refusées”. Dans certains pays, ça va jusqu’à 100 %», révèle Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).
D’après les calculs de l’association, ce taux est beaucoup moins élevé chez les étudiants internationaux non africains.
Cette situation en exaspère plusieurs, alors que les communautés francophones en contexte minoritaire voient leur poids démographique diminuer depuis plusieurs années.
Les incohérences s’accumulent
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a tenu le 2 mai une séance sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Liane Roy, a rappelé aux sénateurs présents que la cible de 4,4 % d’immigration francophone hors Québec n’a jamais été atteinte depuis qu’elle a été établie. D’abord prévue pour 2008, l’échéance de cette cible a été repoussée à 2023.
D’après un rapport du commissaire aux langues officielles de novembre 2021, cela s’est traduit au fil des ans par un manque à gagner de près de 76 000 résidents permanents d’expression française à l’extérieur du Québec.
Pour tenter de combler cet écart, la FCFA a proposé en avril dernier l’adoption d’une «cible de réparation» progressive, qui débuterait à 12 % dès 2024 et augmenterait jusqu’à 20 % en 2036.
«Nous avons le savoir-faire et l’expertise pour créer la francophonie de l’avenir, une francophonie diversifiée et plurielle. Mais cette francophonie existera seulement si le gouvernement adopte cette cible de réparation et de croissance et se donne véritablement les moyens de l’atteindre», a défendu Liane Roy devant le comité sénatorial.
Pour Martin Normand, il est incohérent qu’IRCC refuse de nombreux étudiants francophones étrangers alors que le gouvernement peine à atteindre sa cible en immigration francophone. D’après lui, ces étudiants sont de potentiels futurs résidents permanents qui pourraient s’intégrer aux communautés lors de leurs études puis y rester.
D’après une étude commandée par l’ACUFC et parue en 2020, plus de 90 % des étudiants internationaux francophones auraient l’intention de rester au Canada après leurs études. Cela pourrait constituer une solution à la pénurie de main-d’œuvre qui afflige l’ensemble du pays et à laquelle les communautés francophones n’échappent pas.
Dans une seconde réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles tenue le 16 mai, la sous-ministre par intérim d’IRCC, Caroline Xavier, a reconnu que les étudiants étrangers sont une source d’immigration potentielle importante.
Elle a toutefois ajouté que «si on s’assurait que chaque étudiant devenait automatiquement résident permanent […] ça pourrait enlever d’autres opportunités pour d’autres personnes qu’on veut avoir dans le pays pour l’avancement de l’immigration au Canada».
Aidan Strickland, attachée de presse à IRCC, confirme par courriel que «les demandes de permis d’études du monde entier sont examinées de façon uniforme et en fonction des mêmes critères. Les demandes de visa sont évaluées au cas par cas. Ces décisions sont prises par des agents hautement qualifiés qui évaluent soigneusement et systématiquement chaque demande en fonction des mêmes critères tels qu’énoncés dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés».
Exigences pour obtenir un permis d’études :
À l’extérieur du Québec, l’étudiant étranger doit prouver qu’il dispose d’au moins 10 000 $ par année d’étude, excluant les frais des droits de scolarité.
- Être inscrit dans un établissement d’enseignement désigné (EED).
- Le demandeur doit fournir la preuve qu’il a les moyens de payer :
- ses frais de scolarité ;
- ses frais de subsistance, pour lui et les membres de sa famille qui l’accompagnent au Canada ;
- les couts de transport de retour pour lui et les membres de sa famille qui l’accompagnent au Canada.
- Être respectueux des lois, n’avoir aucun casier judiciaire et obtenir un certificat de police (si demandé).
- Être en bonne santé et subir un examen médical (si demandé).
- Le demandeur doit convaincre un agent d’immigration qu’il quittera le Canada au moment de l’expiration de son permis d’études.
Source : Gouvernement du Canada
Les motifs de refus
L’insuffisance de ressources financières constitue le motif de refus le plus souvent utilisé par IRCC. Il y a ensuite la présentation de documents frauduleux, le doute d’un agent que le demandeur respectera la date de fin de son statut et les demandes incomplètes.
«La question de la double intention est souvent évoquée par IRCC, explique Martin Normand. Le ministère s’inquiète que des candidats de l’étranger viennent au Canada, étudient dans un court programme durant quelques mois, lâchent le programme et utilisent le prétexte d’être au Canada pour faire une demande de résidence permanente.»
Les étudiants étrangers ont toujours la possibilité de demander la résidence permanente après qu’ils soient retournés dans leur pays d’origine, selon Caroline Xavier, mais ils doivent «s’assurer premièrement que, vraiment, ils viennent pour étudier». IRCC fait d’ailleurs de la promotion auprès des étudiants à l’international pour les informer des différentes voies d’accès à la résidence permanente.
IRCC met-il tous ses œufs dans le même panier?
Lors du comité sénatorial de mai dernier, la sénatrice franco-manitobaine Raymonde Gagné a demandé si les réalités spécifiques des communautés francophones en contexte minoritaire étaient prises en compte par les agents qui traitent les demandes de permis d’études.
La directrice générale d’IRCC, Marie-Josée Dorion, l’a assurée que les agents reçoivent de la formation de façon continue, surtout spécifique à la région dans laquelle ils vont travailler. Elle a également rappelé que les critères sont les mêmes, peu importe la provenance des gens et leur langue.
«Ce qu’on a identifié comme problème, c’est une méconnaissance de notre réseau d’établissements», signale Martin Normand. Il rappelle des témoignages selon lesquels des agents d’IRCC ne considèreraient pas le fait d’étudier en français à l’extérieur du Québec comme un parcours «légitime».
L’ACUFC, dont le mandat est de représenter les intérêts collectifs des établissements postsecondaires francophones qui en sont membres, est en contact avec certains employés d’IRCC, mais pas avec les agents qui traitent les dossiers d’étudiants étrangers francophones. «On espère que les équipes concernées transmettent les messages aux agents», dit Martin Normand.