le Samedi 13 septembre 2025

Les nouveaux arrivants originaires des pays africains sont nombreux à choisir l’Ontario ces dernières années. C’est le cas de Florian Abba*. Il a immigré en mars 2022 avec sa famille à Ottawa.

Aujourd’hui enseignant au sein d’un conseil scolaire de la capitale fédérale, Florian décrit un parcours parsemé d’embuches. Il cite les qualifications et l’expérience professionnelle, «qui peuvent ne pas être reconnues immédiatement».

«C’est d’ailleurs le 10 septembre dernier seulement que j’ai intégré l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario (OEEO), après de nombreux mois de traitement de mon dossier», appuie-t-il.

Avant de se présenter devant l’Ordre, Florian a étudié pendant près de deux années à temps plein à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, même s’il avait enseigné pendant 20 ans en Afrique.

Le retour aux études reste d’ailleurs souvent un passage obligé pour les nouveaux arrivants, selon ce qu’a pu constater la chercheuse et professeure au Collège Boréal, Yollande Dweme Pitta.

Elle estime que cette situation découle souvent des difficultés pour «obtenir les documents officiels en provenance de leur pays d’origine après tant d’années d’études, respecter les exigences dans les documents officiels initiaux, traduire les documents, réussir les tests de langue particulièrement difficiles.»

À lire aussi : Rentrée 2024 : les enseignants francophones manquent à l’appel

Enseigner le français en situation minoritaire

Yollande Dweme Pitta, qui est également directrice du Programme des travailleuses et des travailleurs d’établissement dans les écoles au sein du Centre ontarien de prévention des agressions, a identifié, dans le cadre de ses travaux, des professionnels qui partent du Québec pour enseigner en Ontario. En contexte minoritaire, ces enseignants pensent pouvoir trouver plus facilement du travail dans les écoles francophones de la province, car ils connaissent la langue et sont au fait de la pénurie de personnel enseignant.

Yollande Dweme Pitta insiste sur la nécessité de soutenir les enseignants formés à l’étranger pour enrichir le système éducatif francophone. 

Photo : Courtoisie

Florian explique par contre qu’il a dû s’adapter «au français parlé au Canada», qui présente quelques différences par rapport à la langue parlée au Cameroun. «Pour améliorer la fluidité linguistique, j’ai dû participer à des cours de langue et la pratiquer régulièrement avec des locuteurs natifs canadiens», explique l’enseignant.

L’enseignant a aussi découvert qu’en Ontario, il faut avoir des connaissances en anglais afin d’échanger avec les parents d’élèves, qui jouent un rôle important dans le système éducatif du pays.

Mais le plus grand défi de Florian a véritablement été «l’utilisation des technologies éducatives». Le rôle de la technologie s’est accru avec la pandémie de COVID-19 et les confinements qui s’en sont suivis, avec la nécessité de poursuivre l’enseignement à distance.

À lire aussi : Intégrer l’IA à l’université est une responsabilité partagée

Favoriser l’inclusion des enseignants immigrés

Pour Yollande Dweme Pitta, un meilleur accompagnement des professionnels formés à l’étranger et qui souhaitent s’insérer dans le système éducatif canadien est essentiel. Il incombe toutefois aux nouveaux arrivants de bien s’informer avant d’immigrer et, une fois sur le territoire, de «se renseigner avant de changer de profession».

La chercheuse estime que les directions d’école ont également une responsabilité liée au nécessaire rapprochement entre les anciens et les nouveaux enseignants, «afin de combattre les préjugés» qui pèsent sur les immigrants.

Par exemple, les nouveaux enseignants peuvent «intégrer les comités de pratiques, notamment le comité d’apprentissage à l’école pour bénéficier de l’expérience des enseignants chevronnés».

Florian a justement remarqué «une certaine fermeture» de la part de ses collègues et des conseils scolaires à établir des liens professionnels.

Je me réserve même le droit de parler de racisme.

— Florian

Cette responsabilité revient également aux conseils scolaires, qui peuvent organiser des formations pour lutter contre les stéréotypes, «car les enseignantes formées en Afrique subsaharienne ont beaucoup à apporter, notamment au niveau de la méthodologie», souligne Yollande Dweme Pitta.

Les conseils scolaires au front en Alberta

L’Alberta, qui est aussi confrontée à une pénurie d’enseignants francophones, voit à la mobilisation de ses conseils scolaires pour accompagner l’insertion des professionnels formés à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. La Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta (FCSFA) a lancé dès 2023 la plateforme Enseigner en Alberta, pour faciliter le recrutement des enseignants dans les écoles de la province.

Gisèle Bourque indique que la FCSFA s’engage à soutenir les enseignants francophones issus de l’immigration pour pourvoir les postes vacants en Alberta.

Photo : FCSFA

«C’est devenu la norme que les enseignants viennent d’ailleurs pour enseigner en Alberta», constate la directrice exécutive de la FCSFA, Gisèle Bourque. Afin de faciliter l’insertion des enseignants formés à l’extérieur de la province, «le conseil scolaire peut demander au ministère de l’Éducation d’accélérer le processus d’accréditation en contrepartie d’une promesse d’embauche», ajoute-t-elle.

Selon elle, les nouveaux enseignants bénéficient également de l’entraide au sein des écoles albertaines. Les enseignants chevronnés d’origine africaine «ont développé un mentorat spécial», principalement à Edmonton, pour accompagner les nouveaux arrivants en proposant une sélection de formations nécessaires à l’adaptation au contexte local.

«Regarder la vérité en face»

En Ontario, Yollande Dweme Pitta questionne les exigences de l’OEEO, qui doit, dit-elle, «regarder la vérité en face». Dans cette province, le personnel enseignant doit faire partie de l’ordre pour avoir le droit d’enseigner.

«Certains enseignants qui immigrent d’Afrique subsaharienne ont terminé leurs études depuis plusieurs années, tandis que, dans certains pays, leur université a parfois fermé ses portes, définitivement», ce qui complique l’obtention de documents officiels prouvant leur scolarité. Selon elle, l’Ordre devrait enfin prendre ces questions à bras le corps, pour répondre au défi de l’heure.

L’OEEO n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de Francopresse.

Il existe tout de même des programmes d’adaptation. Comme le Programme d’insertion professionnel du nouveau personnel enseignant (PIPNPE), qui fournit un soutien pédagogique afin d’aider à «acquérir les compétences et les connaissances nécessaires à l’enseignement», indique le ministère de l’Éducation de l’Ontario.

À lire aussi : L’aide à l’intégration des nouveaux arrivants au cœur du processus d’immigration

Abandon au sein de la profession

Dans un récent rapport obtenu par la Presse canadienne, le ministère de la province indique que la pénurie d’enseignants devrait s’aggraver davantage à partir de 2027, au moment où le nombre d’élèves augmentera, notamment dans les écoles francophones.

Parmi les solutions à cette équation figure l’agrément des enseignants formés à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. Mais ceux-ci font face à de nombreux défis dans leur processus d’insertion professionnelle. Certains sont parfois contraints de réorienter leur carrière ou de quitter vers une autre province.

Dans son rapport Transition à l’enseignement 2022, l’OEEO estime que 15 % du personnel formé hors du Canada et agréé dans la province est inactif. Un pourcentage tout de même plus bas que chez les enseignants diplômés en Ontario ou ailleurs au Canada.

Chez les enseignants en début de carrière, l’abandon de la profession est souvent dû «à la longueur du parcours pour obtenir un emploi permanent», peut-on lire dans l’étude.

L’Ordre estime aussi que la pénurie d’enseignants observée en Ontario est liée aux perturbations causées par la pandémie, poussant le personnel à quitter la profession, de façon temporaire ou permanente.

Mais la crise serait également due plus à «l’augmentation des inscriptions dans les écoles élémentaires et secondaires dans certaines régions de la province».

*Le nom a été modifié pour des raisons de sécurité et de confidentialité.

Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, l’été dernier, on a vu surgir de la Seine dix statues dorées représentant dix femmes inspirantes de l’histoire de la France.

Militaire et navigateur, Louis-Antoine de Bougainville a mené la première expédition française qui a fait le tour du monde. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

La symbolique était forte, car le tout se déroulait devant l’Assemblée nationale et ses statues représentant presque uniquement des hommes. Parmi elles, on retrouvait Simone de Beauvoir, Simone Veil et… Jeanne Barret.

Cette femme d’origine modeste en aurait été la première surprise.

Mais avant d’aller plus loin, il faut parler d’un autre homme de l’époque des grandes explorations maritimes : Louis-Antoine de Bougainville.

De Bougainville à Jeanne

Avant de mener la première expédition française autour de la planète, Bougainville avait acquis une renommée militaire en Nouvelle-France en participant activement à différentes batailles de la guerre de Sept Ans.

Image de 1780 représentant Bougainville et ses compagnons sur une petite ile dans le détroit de Magellan. 

Photo : Wikimédia Commons, domaine public

En 1764, Bougainville est chargé de mener l’implantation d’une colonie sur les iles Malouines (maintenant iles Falkland, possession britannique), archipel isolé dans le sud de l’océan Atlantique.

Plusieurs familles acadiennes que le Grand Dérangement avait fait aboutir en France prennent part à cette aventure. Mais l’expérience donne peut-être à Bougainville le gout des longs voyages maritimes.

Son heure de gloire sonne deux ans plus tard, alors qu’on lui confie la mission de réaliser le premier tour du monde commandité par la France.

Il part de la France à l’automne 1766 à bord de la frégate La Boudeuse. Un deuxième navire nommé L’Étoile, servant surtout de ravitaillement, part plus tard, en février 1767. L’Étoile compte à son bord Philibert Commerson, un naturaliste, et un «assistant».

Et Jeanne devint Jean

C’est un parcours sinueux qui amène Jeanne Barret à prendre part à un voyage autour du monde.

Née dans un petit village de Bourgogne, en France, Jeanne Barret fait l’apprentissage des herbes médicinales et gagne une réputation d’experte des plantes locales. Vers 1760, elle rencontre Commerson, devient domestique dans sa résidence, mais aussi aide le botaniste à cataloguer et répertorier ses recherches.

Le bougainvillea, aussi nommé bougainvillier, a été tout probablement repéré par Jeanne Barret au Brésil avant qu’elle en ramène un échantillon en France. Cette plante grimpante est maintenant répandue dans plusieurs pays, comme ici sur l’ile de Santorin, en Grèce. 

Photo : Dietmar Rabich, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Après la mort de la femme de Commerson, Jeanne et lui développent une relation amoureuse qui aboutit à une grossesse. Le couple non marié s’installe à Paris et l’enfant est donné en adoption. Voilà pour les potins.

Lorsqu’on propose à Commerson de se joindre à l’expédition de Bougainville, il insiste pour emmener son «assistant». Or, la présence des femmes est interdite sur les navires français depuis l’ordonnance de Louis XIV de 1689.

C’est alors que vient l’idée de déguiser Jeanne en homme. Celle-ci se coupe les cheveux, se bande la poitrine et embarque sous le nom de Jean Barret (ou Barré).

À la recherche de nouvelles espèces

Les deux navires de l’expédition de Bougainville font leur jonction à Rio de Janeiro, au Brésil.

Portrait de Jeanne Barret, 1806. 

Photo : Cristoforo Dall’Acqua, Wikimedia Common, domaine public

Le couple en profite pour débarquer et explorer la nature des environs. Mais la santé de Commerson est chancelante et c’est Jeanne qui effectue surtout le travail de terrain et d’échantillonnage.

C’est donc elle qui aurait «découvert» une plante grimpante que les deux vont nommer bougainvillea, qu’on appelle communément «bougainvillier», en l’honneur du chef de l’expédition. Cette plante est maintenant très répandue en Europe et ailleurs.

Après l’escale du Brésil, l’expédition contourne l’Amérique du Sud en traversant le détroit de Magellan et s’aventure dans l’océan Pacifique.

Bougainville rencontre plusieurs petits archipels et atolls sans y prendre pied, puis arrête ses navires pendant une dizaine de jours à Tahiti, étape marquante du voyage, et qui deviendra possession française de façon définitive au milieu du XIXe siècle.

Jeanne démasquée

C’est à Tahiti où, selon le compte rendu de Bougainville, on découvre que Barret est une femme. Ce serait les Tahitiens eux-mêmes, visiblement plus futés que les passagers de L’Étoile après des mois en mer, qui la démasquent.

Page couverture du récit de Bougainville sur son périple autour de la Terre. 

Photo : Alde.fr

Reconnaissant l’apport de Jeanne à l’expédition pour son travail avec Commerson, Bougainville permet qu’elle reste à bord, mais sous le nom de Jeanneton.

Le périple se poursuit. Après avoir franchi le Pacifique, ce sera les Nouvelles-Hébrides (aujourd’hui Vanuatu), la Nouvelle-Guinée, les Moluques et l’ile de France (aujourd’hui l’ile Maurice), dans l’ouest de l’océan Indien.

C’est là où le couple de naturalistes quitte l’expédition de Bougainville, en novembre 1768. Il reste à l’ile de France à l’invitation du gouverneur Pierre Poivre, botaniste et ami de Commerson.

Au cours des années qui vont suivre, Jeanne et Commerson poursuivent leur récolte de nouvelles plantes. Ils s’aventurent même sur l’ile Bourbon (La Réunion) et à Madagascar.

Entretemps, Bougainville est arrivé en France au printemps de 1769, ayant perdu seulement sept hommes au cours de son odyssée de deux ans et demi.

Commerson meurt à l’ile de France en 1773. Sans grands moyens financiers, Jeanne ouvre un cabaret dans la capitale, Port-Louis. Elle rencontre un officier de la marine française, Jean Dubernat, qu’elle épouse au printemps suivant.

Le couple retourne finalement en France durant l’année 1775. Jeanne Barret complète alors son tour du monde, la première femme à réaliser l’exploit. Elle coule des jours paisibles jusqu’à sa mort en 1807.

Le trajet autour du monde de l’expédition de Bougainville. Jeanne Barret s’arrêtera à l’ile de France avant de rejoindre la France quelques années plus tard. 

Photo : Jeffdelonge, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 3,0, 2,5, 2,0 et 1,0

Jeanne Barret avait ramené de son voyage le fruit du travail accompli avec Commerson : 30 caisses contenant plus de 5 000 échantillons d’espèces de plantes, de pierres et de coquillages, dont environ 3 000 sont considérées comme nouvelles.

Des milliers d’entre elles font maintenant partie des collections botaniques de la France, notamment à Paris, au Musée national d’histoire naturelle et au Jardin des plantes.

Plusieurs des découvertes seront cependant attribuées à tort à Commerson. Il faudra plus de deux siècles pour qu’on reconnaisse l’héritage et les exploits de Jeanne Barret.

Plusieurs villes françaises ont aujourd’hui une rue Jeanne Barret. En 2022, un nouveau patrouilleur français a été nommé en son honneur. En février 2024, la Ville de Paris a installé une plaque commémorative sur la rue des Boulanger. La consécration aura sans doute été celle de l’ouverture des Olympiques l’été dernier.

Le premier c’est l’incontournable Moncton mantra de Gérald Leblanc. D’abord publié aux éditions Perce-Neige à Moncton en 1997, cet ouvrage connaitra une deuxième vie lorsqu’il sera republié aux éditions Prise de parole de Sudbury en 2012.

Moncton mantra de Gérald Leblanc

Que puis-je dire au sujet de ce livre-phare de la culture acadienne que le grand Herménégilde Chiasson n’a pas dit dans sa préface de l’édition sudburoise? Chiasson écrit : «[…] ce livre est le témoignage d’un climat, d’une époque et d’un parcours qui fut celui de plusieurs écrivains de ma génération…»

Dès les premiers paragraphes, Leblanc nous confie l’essence de son livre : «J’ai commencé à m’interroger […] sur ce qui faisait que j’étais moi-même Acadien et sur ce que ça voulait dire au juste.» Et il poursuit : «Le plus surprenant, c’était qu’une constante demeurait malgré tout, et c’était l’obsession d’écrire.»

Dans le fond, ce livre est une sorte d’autobiographie romancée. On sent bien que le narrateur, Alain, est le sosie littéraire de Leblanc. On suit donc Alain/Gérald qui tient un journal dans lequel il nous raconte ses déboires universitaires mêlés à ses amours, ses amis, ses voyages, ses rencontres avec des écrivains en devenir (dont Chiasson) et l’odeur des joints omniprésents.

Mais ce qui ressort gros comme le bras dans Moncton mantra, c’est la furie d’écrire de Leblanc et son amour inaltérable pour Moncton en tant que capitale acadienne.

À lire pour comprendre d’où vient notre littérature moderne.

À lire : Trois polars pour voyager dans le temps

Le deuxième livre que je vous présente n’est point le moindre. Rivières-aux-Cartouches : Histoires à se coucher de bonne heure de Sébastien Bérubé a gagné le Combat des livres de Radio-Canada de 2023, le prix Champlain de 2024, le Prix du recteur de l’Université de Moncton de 2024 et un des prix Éloizes de 2024, catégorie Artiste de l’année en littérature. Et c’était bien mérité pour ce jeune auteur-compositeur-interprète, poète et artiste.

Rivières-aux-Cartouches : Histoires à se coucher de bonne heure de Sébastien Bérubé

Sébastien Bérubé joue d’un style, d’une acrobatie des mots, d’un romanesque qui nous rappellent les grands comme Antonine Maillet, Michel Tremblay, Jean Marc Dalpé.

Il n’hésite pas entre l’écriture et le vocabulaire classique et la langue parlée. Il utilise les mots de tous les jours dans sa région de Restigouche, au nord du Nouveau-Brunswick, ce qui donne un sens du réel à son roman.

L’auteur ne nous raconte pas une histoire linéaire traditionnelle. Il nous raconte plutôt un village et ses habitants. Plusieurs des personnages sont métis puisque le village est collé à une réserve autochtone. Un des personnages-narrateurs avoue d’ailleurs «T’es mélangé. Dans ta tête, dans ton sang, dans tes mots. Mélangé». Dans ce village, le mélange semble harmonieux.

J’écris «personnages-narrateurs» parce que le village nous est raconté par plusieurs voix. C’est un style qui peut être un peu déconcertant, mais qui permet à Sébastien Bérubé de nous faire entrer dans la tête des gens du village. Et ça donne des histoires qui nous semblent plus vraies, plus vécues.

Je pourrais écrire longtemps sur ce livre, mais je préfère vous laisser le découvrir. Qu’il me suffise d’affirmer que c’est un des meilleurs livres franco-canadiens que j’ai lus depuis longtemps. Je m’attends à le voir dans la liste des finalistes pour les prochains Prix du Gouverneur général.

Le troisième livre que je vous présente est un recueil de poésie, de courts textes, intitulés Formats de l’artiste multidisciplinaire Daniel H. Dugas. Mais si le mot poésie invoque immédiatement en vous Baudelaire ou Hugo, détrompez-vous. Pas que Daniel Dugas ne soit pas à la hauteur des grands, mais plutôt parce que Formats est un livre hyper moderne qui allie vers, prose et technologie.

Dès le début du recueil, Daniel Dugas nous dit ce qu’il tente de produire. Il nous parle des formats d’image (du 16:9 au cinémascope) du code binaire qui régit le numérique, des formats d’écran (SDTV, HDTV, UHD) omniprésents dans nos salons et même des codages analogiques NTSC et PAL.

Formats de Daniel H. Dugas

Si vous ne comprenez pas cette terminologie, ne vous en faites pas, l’auteur nous l’explique très bien. Et il y a un glossaire à la fin du livre.

S’ensuit une série de textes dont la forme est calquée sur ces formats, ces codes. Ces formats constituent d’ailleurs la structure du recueil. Par exemple, Daniel Dugas débute la section NTSC (National Television System Committee) en expliquant que ce système utilisé au Canada «est adapté aux formats vidéos de 525 lignes et 30 images par seconde […] ainsi un poème NTSC est composé de 30 lignes et de 525 caractères».

Il en découle des textes quelques fois ludiques, toujours intéressants. C’est vraiment inusité de lire des poèmes intitulés Poème VHS ou Nombres binaires.

Ou encore dans la section PAL (Phase Alternating Line), un poème intitulé Saturnin dans lequel Daniel Dugas se rappelle du dessin animé de son enfance sur un téléviseur noir et blanc avec un écran aux coins arrondis. Ce souvenir l’incite d’ailleurs à rogner les coins de photos de sa jeunesse pour les inclure dans le livre.

Daniel Dugas nous invite à une poésie rafraichissante à laquelle nous ne sommes pas habitués, mais qui nous séduit.

Comme je l’ai déjà écrit, on peut juger de la qualité d’un livre par les sentiments qu’il évoque après l’avoir lu.

Pour Moncton mantra c’est l’urgence d’écrire et de changer le monde que les jeunes de cette époque ressentaient.

Dans Rivières-aux-Cartouches, c’est un sentiment de voyeurisme, de non seulement connaitre l’histoire d’un village, mais de la vivre dans la tête de ses habitants.

Avec Formats, c’est le sentiment de la modernité, que notre bonne vieille culture poétique est toujours actuelle.

Réjean Grenier a travaillé dans les médias pendant 47 ans, comme journaliste, rédacteur principal à Radio-Canada/CBC, éditeur et propriétaire d’un journal et d’un magazine, et éditorialiste. Il a présenté une chronique littéraire sur les ondes de Radio-Canada pendant cinq saisons. Il est un avide lecteur depuis l’âge de 12 ans. Il a grandi dans un petit village du Nord de l’Ontario où il n’y avait pas de librairie, mais il a rapidement appris où commander des livres. Son type d’ouvrage préféré est le roman puisqu’«on ne trouve la vérité que dans l’imaginaire».

Le gouvernement libéral marque un virage ce jeudi avec l’annonce d’une réduction du nombre de permis de résidence permanente, alors qu’il y a deux ans, près de 1,5 million d’entre eux devaient être accueillis jusqu’en 2025. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

FRANCOPHONIE

Le gouvernement fédéral a amorcé jeudi un tournant dans sa politique en immigration. Le nombre de résidents permanents sera réduit au cours des trois prochaines années. Au lieu de 500 000 immigrants, le Canada en accueillera 395 000 immigrants permanents en 2025, puis 380 000 en 2026 et 365 000 en 2027.

À lire aussi : Ottawa réduit l’immigration permanente, mais augmente sa cible francophone

Plus pour la francophonie : En revanche, le gouvernement souhaite avoir une cible de 33 375 immigrants francophones hors Québec en 2025; 36 100 en 2026 et 36 500 en 2027. Au lieu de 7 % d’immigration francophone en situation minoritaire annoncé pour 2025, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada vise 8,5 %.

«La question est en anglais». C’est ce qu’a lancé Larry Brock, député conservateur de Brantford—Brant, en Ontario, après que le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, a répondu à sa question en français jeudi à la Chambre des communes.

Ce qu’il répond : «Ce qu’on vient d’entendre est une insulte à tous les députés francophones de cette Chambre, y compris les députés conservateurs francophones!», a rétorqué, outré, Jean-Yves Duclos.

En conférence de presse après l’incident, le ministre Duclos a affirmé qu’il s’agissait d’un «mépris pour le choix fondamental que nous avons comme députés, y compris comme députés francophones, de nous exprimer dans la langue de notre choix».

«C’est la base ici : les questions peuvent être posées en anglais ou en français et les réponses peuvent être en anglais ou en français», a assuré le président de la Chambre, Greg Fergus, en réponse à la gronde provenant des banquettes libérales.

Le gouvernement canadien, par le biais du ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault, a annoncé la création d’un groupe consultatif pour stimuler la création et la diffusion de la recherche en français.

La mission : Les dix personnes désignées devront formuler des recommandations et développer une stratégie fédérale pour développer la recherche en langue française, en tenant compte des besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire et du Québec.

Le cout : Le gouvernement fédéral a investi 8,5 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir plus largement la recherche en français. 

À lire : 91e Congrès de l’Acfas : «Nourrir la vitalité de la recherche en français»

CANADA

Neuf personnes autochtones et noires sont mortes sous les balles de la police canadienne en l’espace de six semaines, entre septembre et octobre, d’un bout à l’autre du pays.

Un groupe de mères autochtones et noires, dont les jeunes ont été tués sous des balles de la police au cours des dernières années, a demandé mardi au gouvernement une enquête publique sur les dérives policières. «Arrêtez de nous tuer», a lancé l’une d’entre elles en conférence de presse. Sa fille, décédée par le tir d’un policier «n’avait rien fait». 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

En conférence de presse mardi, des mères autochtones et noires sont venues demander au gouvernement de déclencher une enquête publique pour stopper la «brutalité policière».

Ce qu’elles disent : «On a réalisé que c’est impossible d’avoir une justice dans ce pays. On veut guérir, mais sans justice il n’y a pas de guérison. On est tellement fatigués que les provinces ne nous prêtent pas attention», a affirmé Laura Holland, une mère Wet’’suwet’’en dont le fils a été tué par la police en 2021.

«Quand un membre de la police tue un membre de votre famille, il tue toute votre famille.»

Un débat d’urgence avait été demandé en septembre par le Nouveau Parti démocratique (NPD) au Parlement, mais rien de concret n’en est ressorti.

À lire aussi : Autochtones disparues et assassinées : les actions se font toujours attendre

La saga : Selon des informations de Radio-Canada publiées la semaine dernière, 24 frondeurs libéraux auraient fait circuler une lettre à l’intérieur du parti pour demander le départ de leur chef.

Pourquoi c’est important : Ce document remet en cause le leadeurship de Justin Trudeau dans un contexte où les sondages ne sont déjà défavorables au Parti libéral du Canada.

Ce qu’ils disent : Certains députés libéraux ont parlé des «frustrations de collègues», sans jamais donner de noms. D’autres ont fui les questions des journalistes ou ont simplement nié qu’il y avait des discussions concernant le leadeurship de Justin Trudeau, à l’instar de la ministre du Revenu national Marie-Claude Bibeau, lors de son entrée au Parlement mercredi. 

Après des discussions «franches et honnêtes» selon le député québécois de Pierrefonds—Dollard, Sameer Zuberi, «qu’on avait besoin d’avoir», selon Sophie Chatel, députée de Pontiac, Justin Trudeau a lancé avoir un «parti libéral uni».

Sans répondre à la question à savoir si M. Trudeau devrait rester chef, Sophie Chatel assure de son côté avoir pu «s’exprimer librement». 

En réponse : Les signataires de la lettre demandaient une réponse de leur chef avant le 28 octobre. Justin Trudeau y a répondu lors de la conférence de presse sur l’annonce en immigration : Non, il ne quittera pas.

Mercredi, la Banque du Canada a baissé son taux directeur de 0,5 point à 3,75 %. Le taux directeur est un outil de la Banque du Canada pour contrôler l’inflation.

Pourquoi ça compte : La croissance économique a été d’environ 2 % au cours de la première moitié de l’année, avec des prévisions de 1,75 % pour la seconde moitié. L’inflation est descendue sous les 2 %. La consommation totale progresse, mais par habitant, elle diminue.

Jagmeet Singh, chef du NPD, a annoncé jeudi qu’il déposera une motion sur l’élargissement de l’accès à l’avortement au Canada, avec le Parti conservateur du Canada dans sa ligne de mire, divisé sur la question. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Le chef du Nouveau Parti néodémocratique, Jagmeet Singh, et la députée de Winnipeg Centre, Leah Gazan, ont annoncé jeudi leur prochaine motion d’opposition en Chambre. Elle visera l’élargissement de l’accès à l’avortement.

Ce qu’ils disent : «Poilievre a lui-même voté en faveur de ces tentatives pour restreindre le droit de choisir cinq fois et a déclaré qu’il laisserait son caucus poursuivre les attaques contre les femmes», assure le communiqué de presse du NPD. 

Après plusieurs annonces restrictives en matière d’immigration ces derniers mois, notamment pour les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires, le gouvernement fédéral confirme sa volonté de juguler l’immigration au Canada, avec le Plan des niveaux d’immigration 2025-2027.

«Cela permettra une pause dans la croissance de la population au cours des deux prochaines années», a affirmé d’emblée le premier ministre, Justin Trudeau, en conférence de presse jeudi.

Alors qu’il avait annoncé un objectif de 500 000 résidents permanents entre 2024 et 2026, le gouvernement fait volteface et vise désormais 395 000 immigrants permanents en 2025, puis 380 000 en 2026 et 365 000 en 2027.

Ottawa a toutefois revu à la hausse ses cibles en immigration francophone en situation minoritaire, par rapport à celles annoncées en  2023.

Le fédéral souhaite accueillir 33 375 résidents permanents francophones hors Québec en 2025; 36 100 en 2026 et 36 500 en 2027.

La cible en immigration francophone à l’extérieur du Québec passe ainsi de 7 % à 8,5 % en 2025.

À lire aussi : Cible en immigration francophone : le ministre Marc Miller «confiant»

Cibles en immigration francophone hors Québec

«Une tendance à l’imiter l’érosion francophone»

L’annonce s’inscrit dans la «tendance à limiter l’érosion francophone hors Québec», estime en entrevue avec Francopresse le vice-président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Ibrahima Diallo.

«Mais en même temps, à la fin de 2027, on a prévu une cible de 12 %», rappelle-t-il.

Il n’en reste pas moins qu’il y aura une «réduction des places dans la plupart des programmes», a-t-on confirmé en breffage technique aux journalistes, en marge de la conférence de presse, jeudi.

Le nombre de permis de travail pour les conjoints de travailleurs temporaires sera aussi réduit et limité.

«Changement de ton»

De son côté, le porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration pour le Bloc québécois, Alexis Brunelle-Duceppe, observe un «changement de ton» de la part du gouvernement libéral, qui fait face à plusieurs frondeurs au sein de son parti.

En conférence de presse, il interprète aussi un «aveu» du gouvernement fédéral : «500 000 immigrants par an, c’était beaucoup trop élevé.»

Ibrahima Diallo voit lui aussi une réaction «épidermique» du cabinet Trudeau. «Il faut comprendre que l’immigration est un continuum. On ne peut pas juste faire venir les gens, les débarquer et dire “tiens on a atteint les chiffres!” Il faut des mesures d’accompagnement.»

Le gouvernement a confirmé que le nombre de résidents temporaires sera réduit à 5 % de la population canadienne d’ici fin 2026.

Des restrictions majeures avaient touché cette catégorie d’immigrants en septembre dernier. Ottawa avait réduit le nombre de visas délivrés aux étudiants étrangers et aux travailleurs temporaires ainsi qu’à leurs conjoints et conjointes.

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) avait aussi écopé de plusieurs conditions, plus restrictives.

À lire aussi : Moins de permis d’études : l’immigration francophone encore dans l’incertitude

En 2025, plus de 158 000 immigrants temporaires seront admis comme résidents permanents, a précisé le gouvernement, qui souhaite prioriser les personnes qui sont déjà au Canada.

La population canadienne devrait décroitre de plus de 445 000 personnes en 2025 et 2026.

En outre, «si davantage de clients appliquent par rapport aux places limitées, cela pourrait avoir un impact de temps de traitement», assure une agente d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

Depuis des semaines, l’hypothèse d’élections fédérales imminentes agite la vie politique canadienne. Le gouvernement minoritaire du premier ministre libéral Justin Trudeau est plus que jamais sur la sellette à la Chambre des Communes. Certains analystes prédisent un scrutin national d’ici la fin de l’année, d’autres seulement en 2025. 

À l’occasion de son assemblée générale annuelle, l’ACFA a organisé un panel de discussion sur les enjeux des prochaines élections fédérales. De gauche à droite, Charlie Mballa, Nathalie Lachance, Erica Norton et Sarah Biggs. 

Photo : Arnaud Barbet - Le Franco

Quelle que soit la date, l’associée du cabinet d’affaires publiques Biggs-Olsen, Sarah Biggs, appelle les organismes communautaires francophones à recueillir les préoccupations de la société civile.

«Il faut identifier un ou deux problèmes qui comptent vraiment et mettre la pression pour se faire entendre, en particulier dans le camp conservateur», insiste l’analyste politique, qui a participé à un panel sur le sujet à l’occasion de l’assemblée générale de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) le samedi 19 octobre.

Depuis un an, les sondages donnent en effet les conservateurs en tête, avec en moyenne 15 à 20 points d’avance sur les libéraux. 

«[Si les conservateurs] rentrent au pouvoir, les francophones devront militer plus fort pour maintenir des services en français. Je ne suis pas sure que la Loi sur les langues officielles soit leur priorité», prévient Sarah Biggs. 

À lire aussi : Les organismes francophones dans le flou face à un possible changement de gouvernement

Le silence des conservateurs sur les enjeux de la francophonie canadienne ne surprend pas le professeur Frédéric Boily : «Leur discours est axé sur l’inflation, le cout de la vie, les questions économiques dominent.» 

Photo : Courtoisie

Risque de compressions 

Sarah Biggs s’attend par ailleurs à des compressions dans des programmes sociaux «jugés non nécessaires» et s’inquiète du sort des ententes pour des garderies à 10 dollars par jour.

Le professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, se montre, lui, plus rassurant : «Les conservateurs ne sont pas aussi généreux que d’autres partis, ils pourraient réduire certaines dépenses, mais je ne pense pas qu’il y aura de coupures drastiques.»

Le politologue estime que les ententes et les programmes les plus menacés seront probablement ceux adoptés plus récemment.

En revanche, la promesse du chef conservateur, Pierre Poilievre, de réduire les financements de la CBC, avec un effet domino sur Radio-Canada, préoccupe fortement les deux spécialistes.

Aux yeux des experts, l’immigration est un autre dossier à surveiller de près. «Pierre Poilievre s’est engagé à maintenir la vitalité des communautés francophones, mais on n’a pas encore beaucoup de détails sur cette question», observe Frédéric Boily. 

Pour le politologue Charlie Mballa, les conservateurs sous-estiment le poids politique des communautés francophones en situation minoritaire. 

Photo : Arnaud Barbet

«Derrière, la question financière est transversale, car nous avons besoin d’argent pour financer les services et les infrastructures en français et donner l’envie aux nouveaux arrivants de s’installer et de rester», poursuit le professeur adjoint en sciences politiques au Campus Saint-Jean, Charlie Mballa. 

Pour l’instant, Pierre Poilievre s’est montré relativement discret sur les enjeux qui touchent les communautés francophones en situation minoritaire. 

À lire aussi : «Presque impossible» de sabrer le financement de CBC sans nuire à Radio-Canada en milieu minoritaire

Discours dominé par l’économie

Ce silence ne surprend pas du tout Frédéric Boily : «Son discours est axé sur l’inflation, le cout de la vie, les questions économiques dominent. Il table sur le fait que les francophones trouvent leur compte là-dedans.»

«Il y a une sous-estimation du poids politique de nos communautés, de leurs intérêts stratégiques, ajoute Charlie Mballa, qui a pris part au panel de l’ACFA. C’est un calcul politique de mettre l’accent sur d’autres priorités qui constituent de plus grosses réserves de voix.»

En cas de victoire de Pierre Poilievre, Sarah Biggs s’inquiète des compressions budgétaires dans de nombreux programmes sociaux qui pourraient toucher les francophones en milieu minoritaire au Canada. 

Photo : Courtoisie

Pour Sarah Biggs, ce manque d’intérêt reflète une «certaine méconnaissance» de la francophonie en situation minoritaire, en particulier dans l’Ouest : «Nous sommes souvent oubliés, le focus est sur le Québec et l’Ontario.»

Les conservateurs ont néanmoins tenté de changer leur image de «parti qui ne comprend pas les francophones», considère Frédéric Boily. 

«Durant les débats accompagnant l’adoption de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, ils ont été assez actifs. Leur porte-parole, Joël Godin, était très au fait du dossier», affirme-t-il. 

L’absence de discours clair sur la francophonie canadienne traduit également la volonté des conservateurs de «décentraliser la question linguistique au niveau des provinces», selon Charlie Mballa.

«Leur idéologie est de ne pas s’immiscer dans le travail des provinces. Ils sont donc embarrassés au niveau fédéral, préfèrent être plus en retrait pour ne pas se contredire», analyse le chercheur. 

À lire aussi : Rentrée parlementaire : les dossiers à surveiller en langues officielles

Analyser les discours, attendre les plateformes 

«Ils sont moins entreprenants et intrusifs que les libéraux dans leurs relations avec les provinces. Ils préfèrent les laisser gérer les dossiers qui relèvent de leurs champs de compétence», abonde dans le même sens Frédéric Boily.  

Charlie Mballa voit dans cette volonté de décentralisation un risque «de recul ou du moins de stagnation des acquis» pour les francophones en situation minoritaire, car Ottawa a joué ces dernières années un rôle de chef de file dans l’application du bilinguisme.

La présidente de l’ACFA, Nathalie Lachance, parle d’un «travail de longue haleine» à propos de la sensibilisation des partis politiques aux enjeux des communautés francophones en situation minoritaire. 

Photo : Courtoisie

«Il ne faut pas tomber dans le piège du fédéral qui vient toujours à la rescousse des francophones. Les communautés doivent être capables de transiger avec le provincial», nuance Frédéric Boily. 

En attendant le dévoilement des futures plateformes, Charlie Mballa invite la population à suivre l’évolution et la cohérence des discours des chefs de parti, qui essayent de plus en plus de s’éloigner de leur «orthodoxie idéologique» afin d’élargir leur base électorale.

En Alberta, l’ACFA multiplie déjà les rencontres avec les personnes élues et les formations politiques.

«C’est absolument important de s’assoir avec les candidats pour qu’ils soient familiers de nos dossiers et de nos enjeux, qu’ils connaissent mieux nos spécificités», souligne la présidente de l’ACFA, Nathalie Lachance, également participante au panel. 

La responsable insiste sur le «travail de longue haleine» à mener avec tous les partis, «bien avant la campagne électorale», pour gagner des «alliés de la francophonie un peu partout».

À lire aussi : Partir ou rester : les inquiétudes des députés francophones libéraux

Supposons qu’un politicien fasse une déclaration qui, disons, étire la vérité. Une partie de la population se demandera pourquoi personne ne dénonce ce mensonge flagrant. L’autre partie, elle, défendra le politicien.

Cette généralisation est un exemple parfait d’un biais de confirmation. Il s’agit de la tendance qu’a notre cerveau à chercher, à interpréter et à se rappeler les informations qui confirment – et confortent – notre vision du monde tout en rejetant celles qui la contredisent.

Ainsi, un mensonge a beau être irrationnel pour une partie de la population, s’il permet à une autre partie de dire «Ah ah! Je le savais», il sera accepté comme étant une vérité par cette dernière.

Le biais de confirmation n’est pas le seul des biais cognitifs qui nous empêche de naviguer objectivement l’océan d’informations dans lequel baigne le monde moderne. Il est cependant la source de beaucoup de tensions dans les publications sur les réseaux sociaux.

À lire : L’intelligence artificielle, les nouvelles et vous (Éditorial)

Le monde depuis notre fenêtre

Pour fonctionner et survivre, l’être humain a dû développer la capacité de prendre des décisions rapidement. Les expériences antérieures et les connaissances acquises sont devenues essentielles à une prise de décision efficace.

Dans un monde stable et cohérent, il n’est pas nécessaire de tout remettre en question lorsque vient le temps de prendre une décision. D’où l’utilité du biais de confirmation. Il permet aussi de garder une certaine cohésion sociale dans des petits groupes.

Par contre, ce monde stable et cohérent n’existe (presque) plus. La vie dans une société composée de millions de personnes n’a rien à voir avec la vie des groupes nomades ou des petites cités-États. Les relations et les interactions entre tous les citoyens sont vertigineusement plus complexes.

Mais le biais de confirmation reste bien implanté. Notre subconscient a pris l’habitude de seulement prendre en compte notre point de vue, nos besoins, notre façon de voir le monde afin de pouvoir réagir rapidement.

À lire : Une «tempête parfaite» pour la désinformation électorale

Votre biais et vos réseaux sociaux

Les réseaux sociaux exploitent majestueusement bien notre biais de confirmation. Les algorithmes sont programmés pour nous présenter des informations de même nature que les précédentes dans le but de nous rendre accros et d’agir sur notre dopamine.

Très rapidement, l’internaute crée une bulle qui laisse entrer très peu ou pas de points de vue divergents au sien.

Celles et ceux qui ne prennent pas l’habitude d’aller voir ailleurs, de mettre leurs croyances à l’épreuve, se creusent une tranchée de plus en plus profonde d’où il peut être difficile de sortir.

Plus nos convictions sont fortes, plus il est ardu d’accepter les faits qui les contredisent.

À lire : Santé mentale des journalistes : les risques du terrain

Contourner le biais grâce… aux médias

Les médias font en ce moment les frais des biais de confirmation.

Les données du Digital News Report 2024 soulignent que seulement 46 % des francophones – et à peine 39 % de l’ensemble de la population canadienne – font encore confiance aux médias. Une baisse importante en quelques années seulement, puisque le taux de confiance général s’élevait à 55 % en 2016.

La lecture des médias traditionnels a été remplacée chez certaines personnes par la consultation de sites Web et de vidéos qui présentent plus d’opinions que de faits. Les bulles se sont souvent construites autour de préjugés, de demi-vérités et de mensonges.

Il faut donc mener une lutte consciente contre notre biais de confirmation. Pour y arriver, il faut commencer par consulter des médias variés qui permettent d’obtenir plusieurs points de vue crédibles sur un enjeu.

Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi garder un degré de scepticisme équivalent pour toutes les informations que l’on reçoit.

Le scepticisme à géométrie variable est très présent dans les cercles conspirationnistes. Les adeptes remettent en question toutes les déclarations des sources officielles, sans nécessairement chercher à analyser la véracité ou les intentions des sources qui confortent leurs croyances ou des messages à l’origine des théories du complot.

Si vous pensez avoir une intelligence supérieure à la moyenne et ainsi être à l’abri du biais de confirmation, détrompez-vous.

Une recherche a montré que les personnes qui ont une plus grande capacité de raisonnement s’en servent souvent pour dénicher les informations étayant leur conception du monde et pour rationaliser le rejet de tout ce qui ne fonctionne pas à leur avantage.

À vous de montrer que vous n’êtes pas à la merci de vos instincts.

Alors que s’amorçait la dernière semaine de consultation de la Commission sur l’ingérence étrangère, le panel sur le renforcement de la «résilience démocratique» s’est surtout prêté lundi à un exercice de définitions.

Alors que les experts rassemblés lançaient leurs idées de stratégies pour renforcer la résilience démocratique, Tanja Börzel, la directrice du pôle d’excellence Contestations of the Liberal Script à l’Université libre de Berlin, invitée par la Commission, a proposé une piste pour la définir.

La résilience démocratique, ce n’est pas juste résister. C’est la capacité à s’adapter face à des menaces externes sans compromettre les principes démocratiques.

— Tanja Börzel

Interrogé par Francopresse sur la question, le professeur émérite de l’Université d’Ottawa, François Rocher, croit que la résilience démocratique est une mauvaise piste : «Ici, il ne s’agit pas de s’adapter à l’ingérence étrangère, il ne s’agit pas de s’assurer d’une résilience démocratique. Il s’agit plutôt de contrer l’ingérence de pays tiers dans les choix démocratiques qui sont faits par les citoyens.»

Pistes de résilience

Devant la Commission, le journaliste parlementaire Stephen Maher a plaidé pour une éducation des citoyens sur la nécessité de s’informer pour renforcer leur confiance envers leurs institutions et les médias et, ainsi, appuyer la résilience démocratique.

Les gens les plus suspicieux sont ceux qui prêtent le moins d’attention aux nouvelles. D’un autre côté, il faut que les gens des médias soient humbles. Il ne faut pas faire de propagande ou de dogmes.

— Stephen Maher

Pour la professeure Tanja Börzel, une approche gouvernementale ne suffit pas, il faut une mobilisation de toute la société. «La bonne nouvelle, c’est que le Canada dispose d’un fort capital de confiance en ses institutions, selon des données de l’OCDE.»

En effet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a enquêté en 2023 sur la confiance dans les gouvernements nationaux/fédéraux dans le monde. Celle des Canadiens atteignait 49 %, un score supérieur à la moyenne mondiale de 39 %.

À lire aussi : Quel diagnostic pour la démocratie au Canada?

En 2023, l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évaluait la confiance des Canadiens dans leur gouvernement fédéral à 39 %. 

Photo : Courtoisie OCDE

La spécialiste recommande de «penser à des stratégies sur le renforcement de la résilience plutôt que détecter, dissuader et punir l’ingérence étrangère».

À lire : Craintive du sort de la démocratie canadienne, la Cour suprême se veut plus transparente que jamais

La résilience, «un concept un peu vide»

«C’est comme arriver avec le gâteau avant d’avoir mis des ingrédients dedans», analyse François Rocher.

Pour ce dernier, puisque le niveau de confiance des citoyens baisse, «on ne peut pas arriver avec une solution en disant que l’on met sa confiance à l’endroit des institutions. On ne peut pas dire “on va faire confiance aux gens pour qu’ils partagent le vrai du faux” si on est sous une pluie de faussetés [de désinformation, NDLR]. Il faut commencer par ouvrir le parapluie».

La résilience démocratique est «un concept un peu vide», insiste François Rocher. «Ça [laisse croire] que les citoyens sont un peu responsables de leur propre sort et ça donne lieu à toutes sortes de dérives.»

Définir l’ingérence pour mieux s’y attaquer

La question de la définition de l’ingérence étrangère a aussi créé un obstacle lors de ce premier panel d’experts. Même si elle a déjà été définie par la Commission.

Qu’est-ce que l’ingérence étrangère?

«Les activités influencées par l’étranger qui sont des menaces envers la sécurité du Canada sont celles : qui touchent le Canada ou s’y déroulent, qui sont préjudiciables à ses intérêts, qui sont de nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque», définit la commissaire Marie-Josée Hogues, qui mène l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, dans son rapport initial.

François Rocher trouve le concept de résilience démocratique «étrange». 

Photo : Courtoisie

Pour le professeur de philosophie de l’Université de Warwick au Royaume-Uni, Qassim Cassam, il faut absolument une définition de l’ingérence étrangère «facile à comprendre pour être utilisable», afin de se doter d’un cadre de travail fiable.

Selon lui, cette définition inclut les «formes traditionnelles d’ingérence, mais aussi la forme moins traditionnelle, comme celle de la désinformation lors de campagnes électorales sur les médias sociaux, par exemple».

Avec une définition «on veut que nos filets attrapent les poissons que l’on veut, pas les poissons que l’on ne veut pas», illustre l’universitaire.

C’est tout l’inverse pour son collègue Hoi Kong, professeur et titulaire de la Chaire de la Très Honorable Beverley McLachlin en droit constitutionnel, à l’Université de la Colombie-Britannique. : «Il ne faut pas perdre du temps à définir l’ingérence mais se concentrer davantage sur le pourquoi de sa régulation et identifier les activités qui en font partie.»

Les panels sur d’autres thèmes qui seront tenus cette semaine aideront la Commissaire à bâtir son rapport, qui devra être déposé avant le 31 décembre.

À lire : Le «gerrymandering», le côté obscur de la démocratie américaine

«L’absence de la langue comme dimension d’analyse dans la production de données sur le marché du travail entraine un manque d’information», rapportent la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) et deux organismes collaborateurs dans une étude de 2022.

Autrement dit, l’étude souligne un problème majeur : l’exclusion de questions linguistiques dans des analyses gouvernementales des besoins en main-d’œuvre.

Selon Richard Kempler, les gens d’affaires francophones de l’Ontario favorisent les résidents permanents. 

Photo : Courtoisie

Le 26 septembre dernier, le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) a été ajusté par Ottawa afin de diminuer la dépendance canadienne envers ces travailleurs.

Pour développer cette mesure, le gouvernement se fonde sur le portrait économique actuel, notamment le haut taux de chômage général au Canada, qui semble indiquer que la pénurie de main-d’œuvre est chose du passé dans la plupart des secteurs.

Mais dans une réponse écrite à Francopresse, Statistique Canada confirme que le taux de chômage des francophones hors Québec pour l’année 2024 n’est pas connu.

Si ce taux reste élevé au niveau national et si les besoins généraux en matière de main-d’œuvre étrangère peuvent être moins importants qu’avant, cela ne veut pas nécessairement dire que la situation est la même pour les communautés francophones.

À lire aussi : Travailleurs étrangers temporaires : les besoins ont changé

Depuis le 26 septembre, certaines demandes d’études d’impact sur le marché du travail (EIMT), qui permettent de recruter des travailleurs étrangers temporaires, pour des emplois à bas salaire sont affectées par les mesures suivantes :

Il existe toutefois quelques exceptions à ces règles, notamment pour les employeurs des secteurs de la santé et de la construction, où la limite du nombre de travailleurs étrangers temporaires à bas salaire est maintenant de 20 %.

«Mes CPE seraient fermés»

«Sans nos immigrants, sans nos employés temporaires, qui pour la plupart réussissent à avoir la résidence permanente après un an de travail, on ne pourrait pas fonctionner. […] Mes CPE seraient fermés présentement parce que je n’aurais aucun employé», affirme la directrice générale de l’Association des centres de la petite enfance francophones de l’Île-du-Prince-Édouard, Kathleen Couture.

Pour recruter des éducatrices à l’étranger, celle-ci passe par le volet Mobilité francophone, ce qui lui évite de devoir faire une EIMT. Ce volet, indépendant du PTET, demeure intact.

C’est un avantage pour les  employeurs qui y ont recours, car, comme le note Mme Couture, «dans un contexte [francophone] minoritaire, ce n’est pas facile de trouver des francophones».

«Nous avons besoin de quelqu’un avec un diplôme de 2 ans pour être éducatrice de la petite enfance. C’est certain qu’il y a des programmes pour qu’ils puissent aller chercher leur formation, mais l’intérêt n’est vraiment pas là», dit-elle.

Ottawa souhaite prioriser les travailleurs déjà sur place, mais dans le cas des garderies francophones, ces travailleurs sont rares.

«On ne dit pas qu’on ne veut pas d’immigrants, nuance la directrice. Mais on veut aussi que les étudiants de 11e et 12e année commencent à regarder la petite enfance comme une carrière possible.»

À lire aussi : Petite enfance, grande pénurie de services en français

Aucune exemption à l’horizon

Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Fabien Hébert, n’a de son côté pas entendu d’inquiétudes par rapport aux changements apportés au PTET. «Par contre, je me rappelle quand le gouvernement a fait des changements au niveau des permis d’étude, raconte-t-il. Ça allait affecter grandement les institutions postsecondaires francophones, puis il y a eu un rajustement.»

«Je peux imaginer que les entrepreneurs francophones vivent un peu d’inquiétude et d’anxiété vis-à-vis des changements au programme», déclare Fabien Hébert. 

Photo : Courtoisie

Il évoque la pénurie de main-d’œuvre qui persiste dans certains secteurs et se demande si le gouvernement prévoit mettre en place des mesures spécifiques pour les francophones, «comme il l’a fait pour les permis d’étude».

Selon une source au bureau du ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles – qui ne peut être identifiée parce qu’elle ne peut pas parler aux médias –, il n’existe actuellement aucun plan qui exempterait les francophones des mesures qui visent le PTET.

«Je peux juste imaginer que les entrepreneurs francophones doivent vivre des inquiétudes, clairement», ajoute Fabien Hébert.

À lire aussi : L’entreprise francophone en contexte minoritaire : une valeur ajoutée malgré la crise

Quelques domaines susceptibles

Dans une réponse écrite, le directeur général de la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario (FGA), Richard Kempler, explique que les domaines de l’hôtellerie, du tourisme et de la restauration sont les plus susceptibles de souffrir des nouvelles mesures.

Pour le reste, il n’anticipe que peu de répercussions sur le fonctionnement des entreprises membres de la FGA.

«Nos employeurs privilégient l’embauche de travailleurs bénéficiant de la résidence permanente, et ce, en raison de l’investissement en temps comme en argent pour leur formation et de la nécessité de retenir les employés qualifiés», écrit-il.

À lire aussi : Pénurie de main-d’œuvre francophone et immigration : les deux faces d’une même pièce

Calculer la francophonie

Le professeur d’économie de l’Université Carleton à Ottawa, Christopher Worswick, voit dans ce resserrement du PTET un «petit pas» vers l’éloignement des programmes d’immigration temporaire, dont il est critique.

Pour plusieurs raisons, il favorise plutôt une immigration qualifiée et permanente. Mais dans deux cas particuliers, il s’avère moins sévère dans l’utilisation de programmes d’immigration temporaire.

Selon Christopher Worswick, il est plausible que le taux d’emploi général au Canada ne s’applique pas à la réalité francophone. 

Photo : Courtoisie

«Je pense que le cas francophone est peut-être similaire au cas de l’agriculture, en ce sens qu’il n’y a peut-être pas beaucoup de gens prêts à occuper ces postes, en tout cas à l’extérieur du Québec.»

«Pour les employeurs qui cherchent des employés francophones à l’extérieur du Québec, je pense qu’il est juste de dire que le taux d’emploi général est peut-être non pertinent, ajoute-t-il. Mais je me demande s’il n’y a pas moyen de calculer le taux d’emploi des francophones.»

Sans avoir de réponse à la question, l’économiste suggère de prendre des pôles géographiques francophones comme Sudbury ou tout l’Ontario et de calculer le taux d’emploi des francophones.

À lire aussi : Exclusif : les fonctionnaires avaient mis le gouvernement en garde contre l’Initiative du siècle