Google ne veut plus être une entreprise de recherche. Elle veut être une entreprise d’intelligence artificielle.
Le géant du Web a en bonne partie confirmé cette intention lors de la conférence Google I/O – où l’entreprise dévoile chaque année ses intentions de développement – à la fin de mai en Californie.
Au moyen des «agents» d’intelligence artificielle (IA), l’entreprise veut être votre agent de voyage, votre maitre d’hôtel, votre serviteur, votre fournisseur de rêve… et votre geôlier.
L’objectif des services – en plus d’accroitre les revenus de l’entreprise, bien sûr – est de vous garder le plus longtemps possible prisonnier de l’écosystème de Google.
Désert informationnel à l’horizon
Ce qui est pour l’instant seulement un aperçu occupera de plus en plus de dans tout l’écosystème de Google. La société voudra que son IA soit tellement présente qu’elle nous l’imposera à tous les détours.
Il faudra redoubler d’efforts pour voir autre chose que les réponses de Gemini – le nom de l’IA de Google. La liste des sites qui contiennent, en réalité, les informations que vous cherchez sera moins mise en évidence. Autrement dit, une bonne dose de merdification.
À lire : L’IA ou la prochaine «merdification» (éditorial)
Pour garder le trafic dans son écosystème, Google doit le retirer à d’autres. Pourquoi aller sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada si Gemini vous explique comment avoir accès à un crédit d’impôt?
La perte de trafic dans les sites du gouvernement est une chose, mais elle sera désastreuse pour les médias. Ceux du Canada sont déjà coupés d’un outil de découvrabilité depuis deux ans : Facebook. Apparaitre dans les résultats des moteurs de recherche était une des dernières façons d’espérer élargir son lectorat et d’intéresser la population à l’information locale.
Les médias d’information en milieu minoritaire seront encore plus perdants. Pourquoi consulter le site de La Voix acadienne, par exemple, si Gemini peut prétendument vous résumer l’information qui touche la francophonie de l’Île-du-Prince-Édouard?
Et si personne ne va sur le site de l’Express-ca de Toronto, qui payera les journalistes de ce média pour produire du nouveau contenu d’information?
Et si L’Eau vive en venait malheureusement à disparaitre, comment Gemini saura ce qui se passe en français en Saskatchewan?
C’est un cercle vicieux. En voulant tout récolter, Google assèchera le terreau fertile de l’information, créera une désertification et ne cultivera plus rien de nutritif, surtout pour la francophonie.
Les intelligences artificielles du type grands modèles de langage dépendent de l’information produite par des humains. Des tests ont montré que les réponses d’une intelligence artificielle entrainée à partir des réponses d’une autre intelligence artificielle perdent en qualité.
Pas de boule de cristal
En réalité, il est difficile de prévoir à quel point Google réussira à changer les habitudes des «Googleux et Googleuses».
Les évènements comme I/O servent avant tout à épater les investisseurs et investisseuses à coup de rêve sur écrans géants. Les rêves ne se concrétisent pas tous. Pour l’instant, les réponses de l’IA sont loin d’être parfaites. Par contre, les plus jeunes adoptent quand même cette technologie.
Chose certaine, Google voudra imprimer Gemini sur nos rétines et dans nos cerveaux. L’entreprise gagnera en prudence seulement quand un nombre suffisant de vacanciers et de vacancières en colère se seront retrouvés à Sydney en Australie au lieu de Sydney en Nouvelle-Écosse, parce que l’agent IA a fait une mauvaise réservation.
À lire : Intelligence artificielle : les véritables enjeux au-delà des craintes
Pour se protéger
En attendant, si la bonne information vous tient à cœur, résistez à l’uniformisation. Continuez à consulter des sites de médias variés. Usez de votre esprit critique le plus affuté et ne croyez pas les promesses des prophètes de l’IA sur parole – ni l’IA elle-même d’ailleurs.
Si vous ne voulez pas que la production d’information de proximité disparaisse et que l’IA prenne toute la place en ligne, il faut éviter d’installer une dépendance.
Il est en fait déjà possible de ne pas voir les réponses générées par Gemini. Pour éviter les hallucinations ou pour ne pas gaspiller d’énergie, vous pouvez ajouter «-IA» à la fin de votre requête dans Google.
Vous pouvez aussi tourner le dos à Google. Ce n’est pas parce que cette entreprise est la plus connue qu’elle est la seule. DuckDuckGo et Ecosia, par exemple, n’ont pas encore intégré l’IA par défaut dans leur interface.
De leur côté, les médias ont aussi des devoirs à faire. Ils doivent – encore – trouver des solutions innovantes à un problème qu’ils n’ont pas créé. Et comme d’habitude, la tâche s’annonce plus complexe pour les médias francophones en milieu minoritaire.
À lire : Les petits médias francophones face aux défis de la vidéo
Au début, l’algorithme de TikTok a mené la danse de la recherche.
Lors de la première séance, il a fallu ignorer des vidéos pendant une bonne trentaine de minutes avant de finalement tomber sur une vidéo d’information en français. Il s’agissait de la chaine française Infos Minutes. Radio-Canada est apparue presque tout de suite après.
Après plusieurs séances de furetage sur TikTok, d’autres chaines dites d’information se sont mises à apparaitre de temps à autre. Finalement, la recherche active de comptes a permis de dénicher un peu plus de contenu d’information en français, mais peu d’actualités.
Et non, le «vieux monsieur» qui approche la cinquantaine n’était pas si seul dans cet espace. Avec des extraits d’émissions de Stéphan Bureau, de QUB Radio et autres, il est clair que le public de TikTok ne compte pas seulement des jeunes de moins de 35 ans. Mais ceux-ci restent minoritaires, selon les récentes données de l’Académie de la transformation numérique de l’Université Laval.
Pêlemêle
Suivre l’actualité en français sur TikTok ne se fait pas sans efforts.
D’abord, beaucoup de contenu informationnel arrive de France. Radio-Canada assure une bonne présence sur TikTok, tout comme Le Devoir, TVA et Noovo. Il y a par contre un nombre inquiétant de comptes qui ne font que rediffuser les vidéos des chaines d’information, c’est-à-dire des contenus qui ne leur appartiennent pas.
Mais même après avoir essayé de «cultiver» un algorithme efficace, la fonction de vidéo aléatoire présente plus d’humoristes que d’actualités. TikTok continue de livrer ce qui fonctionne le plus pour nous garder sur la plateforme, pas nécessairement ce que nous cherchons. Le fil aléatoire n’est donc pas un idéal de découvrabilité de l’information.
Sans oublier que TikTok est une sorte de machine à voyager dans le passé très imprécise. Les dates des vidéos ne sont pas toujours bien indiquées. Il est difficile de savoir si l’information est récente ou non. Parfois, elle date de plus d’un mois.
Ce n’est pas une lubie de «vieille personne» que de vouloir situer une information dans le temps. La chronologie est importante pour suivre une situation qui évolue ou pour la situer dans son contexte.
Cela dit, il y a des producteurs de contenu plus spécialisés qui présentent une nouvelle, une information ou une analyse sous un angle différent. On tombe alors plus dans l’information lente, ce qui peut être une mauvaise chose.
Les francos sont là
La francophonie minoritaire canadienne est présente sur TikTok. L’Acadie en particulier, y a plusieurs chaines qui présentent entre autres des vidéos de «traduction» de mots typiquement acadiens. Il y a aussi des chaines en Ontario, mais plus rarement dans le reste du pays.
Le Courrier de la Nouvelle-Écosse et tout récemment l’Aurore boréale sont pour l’instant les seuls médias francophones en milieu minoritaire que nous avons trouvé qui maintiennent une présence active sur TikTok.
Qui ça?
Ce qui reste le plus difficile, c’est de déterminer le degré de crédibilité à accorder à une chaine. Surtout les premières fois que l’on tombe sur son contenu.
Quelle confiance peut-on accorder à un jeune qui parle d’impôts en se faisant couper les cheveux chez son barbier? Qu’est-ce qui garantit qu’il a les compétences nécessaires pour livrer ce type d’informations?
Est-ce que cette femme en blouse blanche qui parle de crise cardiaque est vraiment médecin comme elle l’affirme?
TikTok est un univers relativement différent des autres réseaux sociaux. Il faut y entrer avec l’esprit ouvert et son sens critique bien réveillé.
Il est plus facile de confirmer la crédibilité d’une personne quand une chaine fournit un lien vers un site Web externe. D’autres, par contre, existent seulement sur TikTok, ce qui complique la vérification de la notoriété.
Sans savoir qui parle, il est impossible de savoir si la personne a les compétences nécessaires pour être dignes de confiance dans le domaine qu’elle aborde.
La capacité d’identifier une source et de vérifier ses compétences est pourtant l’une des bases de la confiance en information. Un bon critère, peu importe l’âge de la personne qui s’aventure sur les médias sociaux.
TikTok n’est pas une plateforme d’actualités, mais on peut s’y informer. Les vidéos peuvent servir de porte d’entrée vers la recherche plus approfondie d’un sujet et mener vers les sites des médias reconnus pour la qualité de leur travail journalistique.
À lire : Le réseau social TikTok : un outil pour la réconciliation? (L’Aquilon)
Une place à l’ombre
Le mot d’ordre chez les médias est d’atteindre les consommateurs d’information là où ils se trouvent. Les jeunes de 18 à 34 ans, eux, se trouvent sur YouTube et TikTok.
Selon les données de l’Académie de la transformation numérique, 70 % des personnes de cette tranche d’âge visitent YouTube et 51 % utilisent TikTok.
Le défi reste important. TikTok ne favorise pas la découvrabilité des contenus médiatiques. Les jeunes font peu confiance aux médias traditionnels. Les codes de ces vidéos ne sont pas les mêmes.
De plus, ces réseaux construits pour donner toute la place au contenu de masse laissent peu d’espace aux petits médias. Ceux-ci doivent se faire remarquer – en 5 secondes – sans pour autant dénaturer leur ligne éditoriale.
En même temps, quel est l’avantage de donner notre contenu à une plateforme sur laquelle la monétisation est impossible au Canada? Est-il éthique de donner notre contenu à une plateforme qui exploite les biais cognitifs pour créer une dépendance?
Mais il s’agit d’une occasion de reconstruire la confiance dans les médias. La planche de salut est peut-être là. Si un créateur ou une créatrice de contenu peut arriver à inspirer la confiance de son auditoire au fil du temps, peut-être que les médias traditionnels peuvent y arriver aussi.
P.-S. Oui, Francopresse a maintenant un compte TikTok, mais il ne compte aucune vidéo pour l’instant.
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Selon le recensement de 2021, il y avait 6 275 journalistes au Canada en 2020. En comparaison, le pays comptait 83 420 professionnels et professionnelles en publicité, en markéting et en relations publiques. Soit un ratio de 13 spécialistes en communication pour 1 journaliste.
Il est normal qu’il y ait plus de gens qui travaillent en communication qu’en journalisme. La catégorie inclut une bien plus grande variété d’emplois et représente un plus grand éventail d’entreprises et d’agences.
Cependant, pendant que les médias d’information perdent des joueurs, les relations publiques grossissent à vue d’œil. Depuis le recensement de 2016, le nombre de journalistes a diminué de quelques centaines, alors que les effectifs en publicité, en markéting et en relations publiques ont bondi de près de 30 000 personnes.
Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le ratio était de 2 pour 1 en 1990 au Québec.
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Le déséquilibre s’accentue très rapidement, non seulement dans le nombre d’employés, mais aussi dans la nature du travail.
Comme le rappellent les chercheurs de l’IRIS : «Alors que les [journalistes] cherchent à rapporter les faits de la manière la plus objective et la plus équilibrée possible, les [relationnistes] diffusent de l’information formatée par des intérêts politiques ou économiques.»
Une équipe en communication peut avoir besoin de quelques heures pour développer un message.
Les journalistes, qu’ils soient seuls ou en équipe, auront besoin de bien plus de temps – et parfois plus d’un article – pour déterminer si le message est valide, s’il n’omet pas une partie de la réalité.
Ce déséquilibre a un nom : la loi de Brandolini, ou asymétrie du baratin. Celle-ci s’applique surtout aux fausses nouvelles, mais le principe fonctionne pour les demi-vérités : beaucoup plus de temps et d’énergie sont nécessaires pour corriger une mauvaise information que pour la produire.
Si 83 000 agents de communication produisent chacun une minute d’informations biaisées, combien de temps auront besoin 6 000 journalistes pour présenter tous les faits? Après cet exercice, qui a le plus de contrôle sur l’information?
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Il faut garder ce concept en tête quand on parcourt les réseaux sociaux. Surtout en campagne électorale. Derrière chaque parti politique, derrière chaque message, il y a une équipe de communication qui a pour mandat de vendre des idées et des slogans.
Pour cette raison, le travail journalistique pendant cette période est doublement important. Les annonces vont extrêmement vite, elles fusent de tous les côtés et elles sont présentées dans leur plus bel emballage.
Les journalistes les déballent, les démontent et décrivent la partie du message qui ne cadre pas entièrement avec la réalité, ou le morceau de casse-tête qui manque.
Pour un électeur, suivre une campagne électorale uniquement à partir des médias sociaux d’un parti politique ou de leurs communications officielles ouvre une porte vers un univers parallèle.
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Malheureusement, au Canada, il faut faire un plus grand effort pour garder les deux pieds dans la réalité et accéder à du contenu non biaisé, puisque les médias sont absents de Facebook et Instagram. Sans oublier Twitter qui fait un X sur la vérité.
Pour l’élection fédérale de 2025, les journalistes ne sont pas admis à bord de l’avion de campagne du Parti conservateur du Canada. Les conférences de presse et les évènements seront accessibles aux journalistes, mais les médias nationaux auront plus de difficulté à être sur le terrain pour poser des questions.
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Les médias régionaux – incluant les journaux francophones en milieu minoritaire – joueront donc un rôle de premier plan dans la couverture électorale et dans le «déballage» des promesses. Ils seront mieux placés pour comparer les messages bien écrits de tous les partis politiques aux réalités sur le terrain.
Gardez donc un œil sur leurs pages.
En ligne et dans la culture populaire, l’effet Dunning-Kruger est utilisé pour expliquer pourquoi les personnes qui ont peu de connaissances dans un domaine donné se croient plus compétentes qu’elles ne le sont vraiment, parfois même plus que les spécialistes du domaine en question.
Après avoir vu quelques vidéos au fil des ans, le sujet était déjà en partie maitrisé. Cet éditorial devait présenter cet effet afin que vous y soyez sensibles et que vous puissiez éviter d’en être victimes.
Sauf que cette définition de l’effet Dunning-Kruger est erronée.
Tout ce que l’étude des sociologues David Dunning et Justin Kruger a pu montrer en 1999, c’est que le commun des mortels se croit aussi bon sinon meilleur que la moyenne des gens. Inversement, les personnes plus compétentes sous-estiment leurs habiletés.
Les chercheurs ont demandé à des étudiants et étudiantes de répondre à des tests écrits, puis de donner d’abord leur avis sur leur propre niveau de réussite et ensuite sur leur niveau de réussite par rapport aux autres.
Les données de l’étude semblaient montrer que plus le résultat obtenu était mauvais, plus l’écart entre la perception de la réussite et la réalité était grand.
En plus d’avoir été mal interprétés par certaines personnes, les résultats de cette première étude dans le domaine sont contestés.
Même si elle a pu être reproduite par d’autres équipes de recherche, elle a mené à des résultats différents quand le niveau de difficulté des tests variait.
Aussi, selon d’autres scientifiques, les résultats s’expliqueraient au moins en partie par un effet statistique.
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Sans recherche supplémentaire, ou avec une recherche limitée à des vidéos sur YouTube présentant une version inexacte des conclusions de Dunning et Kruger, le présent texte aurait perpétué une mauvaise information.
Heureusement, puisque même un éditorial, ou tout bon texte d’opinion, doit reposer sur des faits vérifiables, il fallait creuser le sujet.
Après la consultation de sources de plus en plus variées sur l’étude et les résultats, il est devenu évident que la véritable définition de l’effet Dunning-Kruger n’était pas la même que celle qui est la plus couramment diffusée.
Seul un approfondissement du sujet a permis aussi d’apprendre qu’il ne bénéficie pas d’une reconnaissance unanime dans le milieu scientifique et qu’il est remis en question par d’autres recherches.
Cette conclusion vaut pour tout sujet d’actualité. Pour bien comprendre une nouvelle, il est préférable de ne pas lire la version d’une seule source. Il faut consulter des médias variés et des médias aux points de vue différents.
Cela ne veut pas dire qu’il faut visiter des sites de nouvelles spécialisées dans la désinformation, mais plutôt qu’il faut lire sur un même sujet un texte écrit par un média de droite, un média de gauche et un média reconnu comme étant plus neutre pour arriver à faire plus facilement la part des choses. À se former une opinion plus éclairée.
David Dunning le dit lui-même : pour sortir de l’effet, il faut toujours chercher à en apprendre plus, à demander l’avis d’autres personnes et à remettre en question ce que l’on sait.
Que l’effet soit réel ou non, ce sont de bons conseils.
À lire : Une «tempête parfaite» pour la désinformation électorale
Malgré ses promesses en campagne électorale, le premier ministre a souvent été absent de l’action, des débats et des annonces touchant la minorité francophone.
Pour un chef accusé – par les anciens ministres Marc Garneau et Bill Morneau – de concentrer le pouvoir décisionnel au sein du cabinet du premier ministre, Justin Trudeau semble pourtant avoir laissé toute la place à sa ministre Ginette Petitpas Taylor lors de la refonte de la Loi sur les langues officielles.
À d’autres occasions, le gouvernement de Justin Trudeau a cependant oublié que les communautés francophones en situation minoritaire doivent être protégées.
À lire : Francophonie et langues officielles : l’héritage de Justin Trudeau en question
Le postsecondaire francophone, un des grands oubliés
L’un des plus récents exemples d’oubli remonte à janvier 2024, quand le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Marc Miller, a annoncé une réduction du nombre de permis d’études délivrés aux personnes étrangères.
Les établissements postsecondaires francophones ont alors tiré la sonnette d’alarme, parce que la diminution des revenus apportés par ces étudiants et étudiantes allait lourdement diminuer leurs revenus.
Dans les semaines suivantes, il a été impossible de savoir comment la mesure affecterait les établissements postsecondaires francophones; jusqu’à l’annonce d’un nouveau programme pour eux.
En 2021, Justin Trudeau faisait campagne avec la promesse de financer les établissements postsecondaires francophones à hauteur de 80 millions de dollars par an de manière permanente. Un financement qui ne s’est jamais concrétisé dans le Plan d’action pour les langues officielles.
Important, mais pas toujours…
Quand Justin Trudeau n’était pas absent des débats, il semblait tout simplement oublier les besoins des communautés francophones en situation minoritaire.
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les mercredis et samedis
En 2019, il a nommé une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone dans la seule province officiellement bilingue du Canada.
Lors de son entrée en fonction comme gouverneure générale du Canada, Mary Simon avait promis d’apprendre le français.
En 2021, Justin Trudeau a persisté et signé avec l’installation d’une gouverneure générale qui ne parle pas français, Mary Simon. Certes, elle est autochtone et sa nomination représente un geste louable pour se rapprocher des Premières Nations, mais la population francophone du pays s’est sentie, encore une fois, oubliée.
D’ailleurs, la prorogation du Parlement au début de l’année a rejeté dans les limbes deux projets de loi qui auraient modifié la Loi sur les compétences linguistiques et rendu obligatoire le bilinguisme pour les postes de gouverneur général du Canada et de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick.
Autre exemple d’oubli, au début de la pandémie de COVID-19, le premier ministre a défendu la décision contestée de Santé Canada d’autoriser l’étiquetage unilingue en anglais afin d’accélérer la production de certains produits désinfectants, antiseptiques et d’entretien.
Dans ce dernier cas, le commissaire aux langues officielles a cependant conclu que la mesure avait été «raisonnable».
À lire : Quatre projets de loi en lien avec la francophonie victimes de la prorogation
Comment ne pas montrer l’exemple
Tous ces exemples d’oublis n’ont pas la même portée grave que d’autres préjudices passés subis par les francophones en situation minoritaire. Ils ne se comparent pas au Règlement 17 ou aux difficultés d’obtenir des écoles de langue française. Ils n’ont pas fait reculer les droits des francophones.
Ils démontrent cependant un manque de leadeurship qui envoie un très mauvais message à la fonction publique et à la population, tant francophone qu’anglophone.
Le commissaire aux langues officielles indiquait d’ailleurs dans son rapport annuel de 2024 que des institutions fédérales «ne semblent ni adhérer à la vision d’une fonction publique bilingue ni appuyer la création de milieux de travail dans lesquels les fonctionnaires se sentent habilités à travailler dans la langue officielle de leur choix».
Un très vieux problème qui disparaitra seulement lorsque la personne à la tête du gouvernement canadien offrira plus qu’un bilinguisme d’apparence, plus que des discours dans les deux langues officielles.
Elle montrera que le français est aussi important que l’anglais. Elle rappellera que les francophones ont aussi aidé à construire le pays. Elle n’oubliera pas que les communautés minoritaires ont des enjeux spécifiques.
Justin Trudeau en avait peut-être l’intention, mais il n’a pas été cette personne.
À lire : Fonction publique : «Il faut changer cette culture d’être unilingue»
Si vous aviez déjà la tête dans votre sapin de Noël le 16 décembre, vous avez peut-être manqué la démission pourtant fracassante de la ministre des Finances, Chrystia Freeland. Sa lettre, qui ne cachait pas qu’elle avait perdu confiance en son chef, a provoqué une tourmente qui a mené à la démission de Justin Trudeau, le 6 janvier.
Après cette nouvelle retentissante, le premier ministre a annulé toutes les entrevues de fin d’année à son horaire. Seul Mark Critch de l’émission humoristique de la CBC This Hour Has 22 Minutes a eu le temps d’en enregistrer une avant la lettre fatidique.
De son côté, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a donné trois entrevues : avec le Winnipeg Jewish Review, La Presse et le commentateur controversé Jordan Peterson. Cette dernière entrevue est de loin la plus longue, mais aussi celle qui en dit le plus sur la stratégie de communication conservatrice.
À lire : Économie : un déficit de 62 milliards et silence sur les langues officielles
Jordan Peterson s’élève contre le Marxisme et le postmodernisme, mais sa compréhension des deux concepts est très «grossière», avance un rédacteur du Historical Materialism, Harrison Fluss.
Jordan Peterson est un psychologue ontarien qui a perdu son permis d’exercice. Le Collège des psychologues de l’Ontario a jugé qu’il «avait fait des commentaires dégradants, dénigrants et non professionnels» à travers des messages sur Internet qui visaient entre autres la transition de genre et les changements climatiques. Il fraie dans les mêmes eaux que Joe Rogan, animateur du balado le plus écouté de la planète, sans cependant atteindre le même niveau de popularité que ce dernier.
Les deux animateurs abordent des sujets relativement diversifiés, parlent à des experts, mais ne se gênent pas pour ouvrir leur micro à des gens qui ont des points de vue divergents, parfois un peu détachés de la réalité.
Leur public a aussi beaucoup de similitudes. Peterson était d’ailleurs l’invité de Rogan en juillet dernier.
Or, quelle entrevue a le plus marqué les esprits lors de la campagne électorale américaine? Donald Trump au micro de Joe Rogan.
Il n’est pas question ici de comparer les deux hommes politiques. Pierre Poilievre n’est pas une version canadienne de Donald Trump. Le parallèle entre les deux animateurs montre plutôt que l’équipe conservatrice s’inspire du plan de communication républicain.
Quand Justin Trudeau a remporté l’élection fédérale de 2015, il avait l’appui d’une grande partie des jeunes. Il avait trouvé la façon de leur parler. Après presque 10 ans au pouvoir, il a perdu de son attrait auprès de cette tranche de la population ou ne sait plus comment la séduire.
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Les conservateurs ont rapidement repris le flambeau. Ils ont maintenant la recette secrète… en partie copiée sur le pupitre du voisin.
Des observateurs de la politique des États-Unis rapportent que le camp démocrate a vécu la même chose que les libéraux fédéraux canadiens, ce qui a entrainé leur défaite lors des élections de novembre 2024.
Les démocrates étaient déconnectés de l’électorat et ne parlaient pas aux jeunes, surtout aux jeunes hommes. Donald Trump a fait des entrevues à des balados qui s’adressent principalement aux jeunes hommes. Y compris celui de Joe Rogan.
Jordan Peterson parle principalement aux jeunes hommes qui sentent que la société s’est retournée contre eux.
Pour sauver les meubles, les libéraux ont besoin de bien plus qu’un nouveau chef. Ils ont besoin de réviser entièrement leur message et leur plan de communication.
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L’environnement a toujours été dans la liste des priorités de Francopresse. Ce qui a mené à la rédaction d’articles et de dossiers autour de ce thème.
Pour notre récent dossier sur l’écoanxiété, nous avons réfléchi à notre propre rôle dans la diffusion de l’information sur les changements climatiques. Notre couverture était-elle trop négative? Contribuait-elle à l’écoanxiété? Avait-elle des angles morts?
Nos questions nous ont menés à Covering Climate Now (CCNow), un collectif international de journalistes créé aux États-Unis en 2019 pour améliorer la couverture de la crise climatique.
Cet été, Francopresse est devenue l’un de leurs partenaires canadiens, rejoignant nos collègues de L’Aurore boréale comme seuls médias francophones de l’extérieur du Québec membres du collectif.
À lire : Écoanxiété : le rôle crucial des médias face à la crise
Prédire l’avenir avec précision est une tâche impossible. Mais les premières prédictions des scientifiques par rapport à l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère – faites il y a déjà quelques décennies – se réalisent devant nos yeux, et ce, de plus en plus souvent. Impossible de les ignorer.
Selon le cofondateur et directeur exécutif de CCNow, Mark Hertsgaard, les médias doivent parler du climat de la même manière qu’ils ont couvert la pandémie de COVID-19 : comme une urgence mondiale.
La francophonie canadienne restera, bien entendu, la raison d’être de Francopresse. Mais cette francophonie est, elle aussi, touchée par l’augmentation de l’intensité des incendies de forêt, les tempêtes, les inondations et la montée du niveau des océans.
Sans oublier que ces catastrophes ont des conséquences sur le territoire, l’économie, la santé mentale et physique des francophones comme des autres.
CCNow encourage aussi à mettre de l’avant les bonnes nouvelles. L’augmentation de la production électrique avec des énergies renouvelables est justement une de ces bonnes nouvelles qui donne un peu d’espoir.
Covering Climate Now offre des ressources pour que les journalistes qui s’intéressent aux questions climatiques aient un point de départ à leurs réflexions et leurs recherches.
C’est aussi un réseau d’échanges. Tous les journalistes membres peuvent participer au groupe de discussion où des idées de sujets et des sources sont mises en commun. Où il est possible de poser des questions et d’échanger avec d’autres journalistes, entre autres.
Ne parlait-on pas de «réchauffement climatique» il y a quelques années? Comment en est-on venus à parler de «changements climatiques»?
Les climatosceptiques avancent que ce changement dans le lexique est une preuve que le réchauffement des températures n’existe pas. Qu’il y a encore des jours très froids en hiver!
Ils (toujours difficile d’identifier qui se cache derrière ce «ils» utilisé par les conspirationnistes) ont donc changé le nom pour essayer de nous convaincre sans preuve, clament ces personnes qui mettent en doute ou même réfutent l’existence de la crise climatique.
Pourtant, le changement vient d’un stratège républicain. Dans une note de service secrète de 2002, Frank Luntz soulignait que le président George W. Bush et les républicains étaient vulnérables sur la question climatique. Il a proposé d’utiliser «changements climatiques» au lieu de «réchauffement climatique», parce que c’était «moins effrayant».
Les analyses des discours du président avant et après 2002 révèlent d’ailleurs que le vocabulaire sur la question a effectivement changé.
Dans la communauté scientifique, l’expression «changement climatique» est tout de même plus souvent utilisée, parce qu’elle décrit mieux les effets d’augmentation des extrêmes causés par les gaz à effet de serre.
La notion qu’ils sont «causés par l’humain» y est de plus en plus souvent attachée tandis que «réchauffement climatique» est davantage utilisé pour parler plus spécifiquement de la hausse des températures à la surface de la planète.
Il y a d’autres points de comparaison entre la pandémie de COVID-19 et le réchauffement climatique.
Selon les sondages américains de mars 2020, date qui marque l’arrivée de la pandémie sur le continent nord-américain, peu de gens étaient inquiets d’être infectés par la maladie au cours des premières semaines. Mais à mesure que des personnes de leur entourage contractaient le virus, le niveau d’inquiétude grimpait.
Notre anxiété face aux changements climatiques suit la même logique. Tant que notre ville, nos proches ou nous-mêmes ne semblons pas être directement touchés, nous avons l’impression que nous serons à l’abri du pire. Que c’est pour les autres.
Pourtant, le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Les incendies de forêt des dernières années sont un bon indice que nous sommes tous plus près des effets que nous voulons l’admettre.
Il y a plus d’une route devant nous pour éviter le pire – ou non – et nous adapter. Ces routes mènent parfois à de mauvaises nouvelles, mais de plus en plus souvent à de bonnes nouvelles. Ce sont toutes ces voies que Francopresse explorera.
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La «merdification» est une traduction du terme «enshittification» lancé en 2022 par l’écrivain d’origine canadienne Cory Doctorow pour décrire le processus par lequel une plateforme numérique met en marché un service utile à perte pour créer une base d’utilisateurs, qui en deviennent dépendants.
Ensuite, les données de ces utilisateurs sont vendues, aussi à perte, à des clients, qui en deviennent également dépendants.
Le service devient alors un passage obligé et l’entreprise se sert de ce monopole, ou quasi-monopole, pour augmenter ses prix, la quantité de publicité, etc. – selon le modèle de revenus – pour mettre le plus d’argent possible dans ses poches et celles de ses actionnaires.
À cette étape, il n’est plus nécessaire d’offrir un service de qualité, et les paramètres des relations utilisateurs-entreprise-clients peuvent être modifiés sans préavis, toujours pour soutirer plus d’argent.
Le blocage des médias au Canada par Meta est un bon exemple d’un paramètre modifié rapidement dans le but d’éviter d’avoir à céder une part de ses profits. Meta est aussi un exemple de baisse de qualité du produit, puisque la plateforme offre maintenant beaucoup moins d’informations de qualité qu’avant.
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Presque toutes les grandes entreprises du Web sont dans la phase de recherche du profit. En conséquence, les résultats de recherche sur Google, par exemple, sont de moins en moins fiables, pollués par un grand nombre de publicités et par des sites préoccupés davantage par les clics que par la qualité du contenu.
Amazon est devenu un incontournable de la vente en ligne. Mais il impose des conditions d’utilisation ou des prix qui étouffent les petites entreprises essayant de vendre sur cette plateforme. Surtout quand Amazon veut s’approprier leurs produits ou leurs parts de marché.
Il y a aussi Uber, qui a fait concurrence à un secteur bien règlementé sans suivre les règles en place. L’entreprise s’est imposée en offrant des courses à des prix inférieurs à ceux des taxis et en payant très bien ses chauffeurs. Maintenant qu’Uber a réussi à couper l’herbe sous le pied aux taxis, les prix sont comparables et ses chauffeurs sont payés sous le salaire minimum.
Si ChatGPT a piqué votre curiosité et que vous avez mis à l’essai l’intelligence artificielle (IA) génératrice de textes la plus connue, vous avez pu le faire gratuitement. Vous aurez remarqué que cet outil donne des résultats qui peuvent être convaincants, malgré les défauts qu’on lui connait.
ChatGPT en serait donc à la première étape du processus de «merdification» : un produit jugé comme étant performant et offert à perte.
Fin juillet, The Information rapportait justement que l’entreprise derrière ChatGPT, OpenAI, serait en voie d’enregistrer des pertes financières de 5 milliards de dollars américains cette année.
Ce déficit annoncé n’inclut cependant pas les droits d’auteur qu’OpenAI n’a pas payés. L’entrainement de ChatGPT s’est fait à partir de contenus qui se trouvent sur Internet et qui, dans certains cas, sont protégés par des droits d’auteur. Or, OpenAI n’a demandé aucune permission ni compensé qui que ce soit pour avoir utilisé ce contenu.
Pas étonnant que le New York Times poursuive OpenAI et que d’autres créateurs emboitent le pas ou concluent des ententes payantes.
De plus, OpenAI semble avoir mis de côté ses intentions de développement éthique au profit des… profits.
OpenAI devra également faire face à de la concurrence. Google a déjà annoncé la transformation de son moteur de recherche pour y intégrer une intelligence artificielle.
Ces embuches laissent entrevoir les prochaines phases de la «merdification» : augmentation des couts d’utilisation et baisse de la qualité.
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L’augmentation des couts d’utilisation s’explique d’elle-même. En revanche, la perte de qualité pourrait être tributaire de plusieurs facteurs. Il se pourrait que, si OpenAI n’a plus accès à autant de sources pour entrainer son IA, la qualité de ses résultats – déjà discutables en termes de véracité – s’en trouve directement touchée.
Malgré toutes les possibilités que laisse entrevoir cette technologie, elle ne peut fonctionner sans humain pour lui fournir de la matière.
Une recherche menée par des chercheurs anglais et canadiens et publiée dans Nature montre que lorsqu’une IA générative est entrainée à partir des générations successives antérieures de l’IA, la qualité des résultats dégringole.
L’entrainement des IA sera peut-être bientôt en face d’un mur, car les contenus produits par les IA génératives se multiplient très rapidement. D’ailleurs, des experts prévoient que dès l’année prochaine, 90 % de la production de contenu sur Internet sera faite par des IA.
La solution pour se sortir des cycles de «merdification» devra en partie venir du gouvernement américain, qui semble pour le moment soucieux de sévir pour casser les monopoles des géants du Web.
Un juge a statué au début d’aout que Google a enfreint la loi antitrust en limitant la possibilité pour la concurrence de se tailler une place dans le marché des moteurs de recherche. Cette décision pourrait servir de jurisprudence dans des poursuites similaires contre Apple, Amazon et Meta.
De leur côté, les internautes doivent surtout reconnaitre que ces entreprises les exploitent. Une personne, une fois prise dans l’engrenage, n’a presque aucun moyen de se défendre autrement qu’en abandonnant le navire – ce qui n’est pas toujours possible ou même souhaitable. Il faut donc presser les gouvernements de mettre en place des garde-fous contre les pratiques prédatrices.
Ironiquement, les médias de langue minoritaire sont peut-être mieux servis par la décision de Google d’utiliser l’exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne. Parce que c’est le seul endroit dans la Loi où les parlementaires ont pensé aux médias des minorités linguistiques.
La Loi sur les nouvelles en ligne prévoit en effet la demande d’une exemption. L’article 11 donne le droit à un «intermédiaire de nouvelles numériques» – comme un moteur de recherche ou un réseau social – de demander une exemption à la Loi s’il respecte certaines conditions.
L’une de ces conditions stipule qu’il doit avoir conclu des accords qui «assurent qu’une partie importante des médias d’information des communautés de langue officielle en situation minoritaire en bénéficie et [que les accords] contribuent à [la] viabilité [de ces médias]». Très gentil… à moitié.
Loi sur les nouvelles en lignes
Le projet de loi C-18, devenu la Loi sur les nouvelles en ligne, contraint les entreprises qui servent d’intermédiaire entre les producteurs de contenu en ligne – comme les médias – et les lecteurs ou auditeurs à négocier des compensations financières avec les producteurs.
Afin de ne pas être assujetti à cette Loi et de ne pas devoir indemniser les médias d’information pour leur contenu, Meta bloque depuis aout 2023 les nouvelles sur Facebook et Instagram au Canada.
Pour éviter de négocier des accords d’indemnisation avec des dizaines d’entités, Google demande une exemption à la Loi et, en échange, l’entreprise remettra 100 millions de dollars à un seul groupe, qui sera ensuite responsable de redistribuer cette somme aux médias.
Labyrinthe juridique
Le critère de protection des médias de langue minoritaire figure dans le processus d’exemption qu’invoque Google – et certainement créé à la demande de l’entreprise –, mais nulle part ailleurs dans le texte de la Loi.
Puisqu’ils ne sont pas expressément mentionnés dans les critères d’admissibilité de la Loi elle-même, très peu de médias de langue minoritaire auront la possibilité de négocier une entente avec les plateformes en ligne, notamment parce qu’ils doivent répondre à un autre critère, soit celui d’employer au moins deux journalistes.
La plupart des journaux et radios communautaires en milieu minoritaire ne comptent pas deux journalistes.
Selon le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, à l’heure actuelle, 96 % des médias qu’il représente ne sont pas admissibles à une indemnisation selon la Loi. Cette proportion pourrait peut-être descendre à 85 % si l’on compte les journalistes recrutés à l’aide de l’Initiative de journalisme local (IJL).
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Pourtant, les médias autochtones sont mentionnés explicitement dans la section sur l’admissibilité de la Loi. Ils ne sont pas tenus d’avoir deux journalistes.
Pourquoi des médias qui produisent du «contenu de nouvelles d’intérêt public qui est axé principalement sur des questions d’intérêt général et qui rend compte d’évènements actuels, y compris la couverture des institutions et processus démocratiques» dans une langue officielle en situation minoritaire n’ont-ils pas droit au même statut distinct?
Sont-ils protégés par la Loi sur les langues officielles? Le temps que la question fasse l’objet d’un débat, il sera trop tard.
En d’autres mots, si Google n’avait pas demandé d’exemption, la Loi ne forcerait pas le géant américain à discuter avec les médias francophones en milieu minoritaire, ou les entités qui les représentent, s’ils ne respectent pas tous les autres critères d’admissibilité.
Il fait noir dans le tunnel
Malgré la précision dans le processus d’exemption, les médias de langue minoritaire ne savent pas encore s’ils seront inclus dans la distribution des 100 millions de dollars de Google en raison des critères d’admissibilité.
Les médias communautaires de langue minoritaire attendent de voir s’ils auront une place au sein du Collectif canadien de journalisme (CCJ), l’organisation choisie par Google pour distribuer l’argent.
Le CCJ sera fort probablement sympathique à ces médias, puisqu’il a été créé par des petits médias et des médias communautaires.
L’admissibilité des médias de langue minoritaire à la somme promise par Google reste tout de même un mystère. Est-ce que l’obligation d’avoir deux journalistes s’applique ou non à l’exemption? C’est une exemption à la Loi après tout! Sinon, est-ce que le CCJ sera plus souple dans l’interprétation de la Loi?
Il est certain que l’argent de Google ne règlera pas tous les problèmes des médias. De fait, Patrimoine canadien s’attend à ce que les petits médias reçoivent environ 17 000 $ par journaliste. C’est loin de couvrir un salaire.
De plus, si aucun éclaircissement n’est fait dans la loi ou le règlement, les mêmes questions pourraient revenir dans cinq ans, lorsque l’entente entre Google et le CCJ viendra à échéance.
À lire : Les angles morts de l’Entente Google
Impossible aussi de savoir quels autres défis pendent au bout du nez des médias canadiens.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications poursuit ses audiences publiques pour la création du cadre règlementaire de l’application de la Loi.
Il doit encore déterminer quels autres «intermédiaires de nouvelles numériques» pourraient être assujettis à la Loi. Est-ce que ces derniers demanderont une exemption comme Google ou est-ce qu’ils couperont l’accès aux médias d’information au Canada, comme l’a fait Meta?
En attente de réponses, les médias de langue minoritaire retiennent leur souffle.
Ils suffoquent.
Au début d’octobre, j’ai eu l’occasion de me rendre en Louisiane pour aider la jeune équipe du Louisianais à lancer son média numérique francophone. Les membres de l’équipe du journal se donnent le mandat d’écrire en français louisianais – et ils y tiennent – pour assurer la pérennité de leur langue et de leur culture.
Ils vont même plus loin en faisant paraitre certains articles en créole louisianais. L’article Ki çé Kouri-Vini? est le premier texte publié entièrement dans cette langue sur le site du journal.
L’article s’amorce ainsi : «Ent 1791 é 1815, dê mil zimmigran ki sòr ansyin kolonni-la de Sin-Doming, ça yé pèl Ayiti ojòddi, té rivé endan Lalwizyàn.» Vous comme moi, en lisant à voix haute, pouvons comprendre qu’entre 1791 et 1815, deux-mille immigrants de l’ancienne colonie de Saint-Domingue, qui s’appelle Haïti aujourd’hui, sont arrivés en Louisiane.
Choisir de publier en français et créole louisianais est un geste d’affirmation clairement indiqué dans la mission du journal :
«Le français louisianais est un dialecte régional du français, porteur d’une culture forte et rassembleuse, mais aussi immergé dans une mer anglophone qui menace sa survie. […] Le Louisianais met également en valeur le créole louisianais, une de nos langues patrimoniales, en couvrant des histoires sur la communauté créolophone ou en rédigeant des articles en créole louisianais.»
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Symbole d’une résistance
La réalisation de ce projet montre la résilience, ou plutôt la résistance, du peuple cajun au cours du dernier siècle.
En 1812, lors de son annexion aux États-Unis, la Louisiane était le seul État américain où l’anglais n’était pas la langue de la majorité. Le français est même demeuré langue majoritaire jusqu’en 1940.
Mais, en 1921, la nouvelle constitution de la Louisiane stipulait que l’anglais devenait la seule langue d’usage enseignée à l’école publique, interdisant ainsi l’enseignement du français, du créole et des langues autochtones. C’était le début d’une lente assimilation.
Cent ans plus tard, malgré ces tentatives d’assimilation, la Louisiane compte environ 200 000 personnes qui parlent le français ou le créole.
Aujourd’hui, les Franco-Louisianais ont leur journal, mais ils ont aussi leur chaine de télévision, Télé-Louisiane, et ils ont accès à des programmes en français à l’Université de la Louisiane.
Cent ans plus tard, des parents font des pieds et des mains pour fonder des écoles d’immersion française où l’on y enseigne le français de la Louisiane. Aujourd’hui, il y aurait 5 000 enfants qui apprennent la langue de leurs ancêtres.
Tout ça existe parce que des gens ont le désir profond de pouvoir vivre dans leur langue et leur culture et parce qu’ils se donnent les moyens de le faire.
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Parler français sans s’excuser
Au-delà des institutions officielles, le français se vit aussi en communauté et sans jugement.
Pendant mon court séjour à Lafayette, j’ai rencontré des gens natifs de la région qui renouent avec la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents. Au cours de ces conversations, personne ne s’est excusé de ne pas parler «un français sans faute».
Ils ont cette fierté de pouvoir parler une langue qui trouve racine dans leur histoire, dans leur identité. Ils sont conscients qu’elle a évolué dans une direction bien à elle, qu’elle est différente du français normatif. Mais qu’importe, ils vont de l’avant et parlent français, point final.
On est loin du «sorry, my French is not good enough» qui s’entend trop souvent au Canada.
L’identité franco-louisianaise ne passe pas que par la langue. En fait, savoir s’exprimer en français n’est même pas un prérequis. L’identité s’exprime par la culture, la musique et la cuisine ; elle passe par la danse, le zydeco et le gombo. C’est là la recette secrète pour gagner le cœur des gens.
Contrairement à ce que nous vivons ici, le français de la Louisiane n’est pas politisé. Il ne divise pas. La langue et la culture se vivent par choix et surtout avec plaisir.
Nous devons nous inspirer de cette fierté et ignorer le jugement d’autrui, cesser de nous empêcher de reconnecter avec qui nous sommes, et nous exprimer sans nous excuser.