Avec les informations de Marine Ernoult et Camille Langlade
Le lundi 22 juillet, au moins quatre feux de forêt se sont déclarés dans le Parc national entourant la petite ville touristique de Jasper, en Alberta, qui compte environ 5 000 habitants. Les feux ont été déclenchés par la foudre dans une région en proie à une extrême sècheresse.
«Juste avant les coups de foudre, le temps a été très chaud et très sec, Jasper a battu des records de température journalière», détaille la chercheuse au sein du Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada en Alberta, Ellen Withman.
Au cours des neuf jours précédant l’incendie, la température a effectivement dépassé les 30 degrés Celsius. Le mercure a atteint 35 degrés le 22 juillet. «Et il n’y a eu que très peu de pluie pendant les semaines qui ont précédé», ajoute la scientifique.
Lorsque les feux ont pris de l’ampleur, plus de 20 000 habitants et touristes ont été évacués de la zone. Aucun blessé ou victime n’a été rapporté.
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«L’enfer sur terre»
Le président et directeur général de Parcs Canada, Ron Hallman, a parlé de «conditions ressemblant à l’enfer sur terre», lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le lundi 29 juillet.
Il a évoqué un feu qui se déplaçait de 15 mètres par minute sous l’effet de vents violents, des flammes de près de 300 mètres de haut, des débris et des pommes de pin enflammées projetées jusqu’à un kilomètre à l’avant du brasier.
«Aucun humain, aucun équipement n’aurait pu faire quelque chose en se trouvant devant ce mur de feu», a souligné le responsable.
Porte d’entrée d’un havre
Nichée au cœur du parc national du même nom, Jasper constitue l’un des joyaux naturels des Rocheuses canadiennes. La région reste très prisée par les Albertains et les touristes du monde entier.
Fondé en 1907, le parc national est reconnu comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO et couvre une superficie de plus de 11 000 km2.
Les paysages, allant des sommets enneigés aux lacs turquoise, en passant par des forêts denses et des glaciers, en font une destination de choix pour les amateurs de nature et d’aventure.
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Même le roi Charles III a qualifié la région d’«endroit réellement féérique» dans un message envoyé le 30 juillet.
«Il y a tout un ensemble de marqueurs de l’identité et de l’imaginaire territorial de ces lieux qui sont en lien avec le tourisme», commente le professeur et chercheur au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Dominic Lapointe.
La ville de Jasper reste aussi liée au développement du chemin de fer et à la création des parcs nationaux.
«La première vocation des parcs nationaux était touristique, pour l’élite aristocratique nord-américaine, pour voir les territoires encore vierges de cette Amérique. L’idée était de créer ce discours qu’en Amérique, on n’a pas de cathédrale, mais on a ces grands parcs», rappelle le spécialiste.
Positions défensives
Certaines voix reprochent l’inaction de Parcs Canada face à une infestation du dendroctone du pin, un insecte ravageur présent dans le parc depuis environ 20 ans.
Selon certains habitants et politiciens albertains, en laissant derrière lui des pins morts et séchés, l’insecte aurait fourni davantage de combustible aux feux.
Durant la conférence de presse du 29 juillet, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a plutôt défendu l’action de l’agence fédérale : «Parcs Canada travaille à mettre en place des mesures de prévention des incendies autour de la ville de Jasper depuis 1996, 1997 […] On a récolté mécaniquement du bois mort qui avait été affecté par cet insecte-là, justement pour éliminer des sources de combustible.»
«À quiconque perçoit cela comme un échec : je rejette cette prémisse. C’est un succès. Lorsque nous avons été attaqués, les lignes de défense ont tenu. Oui, nous avons subi des pertes, et c’est si incroyablement douloureux. Mais nous avons tenu bon, et [Parc Canada] a sauvé 70 % de notre ville», a renchéri le maire de Jasper, Richard Ireland.
L’Alberta en proie aux flammes
En début de semaine, 123 incendies de forêt faisaient rage en Alberta, dont 25 sont encore hors de contrôle. La foudre est responsable de 73 d’entre eux et les activités humaines de cinq. Les causes demeurent encore inconnues pour 46 brasiers. Des enquêtes sont en cours.
Dans l’extrême nord de la province, les autorités ont ordonné l’évacuation de la Nation crie de Little Red River.
L’agente d’information du service Alberta Wildfire, Josée St-Onge, se montre néanmoins confiante : «On a reçu beaucoup de pluie ces derniers jours à travers la province, ça nous a permis de faire de belles avancées, on est dans une meilleure position pour lutter contre les feux.»
Espoirs avant un long combat
Une semaine après le début de l’incendie, quelque 32 000 hectares étaient partis en fumée. Parcs Canada estime que les feux ont détruit environ 30 % des bâtiments de Jasper, mais ont épargné des infrastructures névralgiques, comme le centre de soins de santé local et la bibliothèque municipale.
Dimanche 28 juillet, le feu était enfin maitrisé dans la municipalité. En revanche, malgré des averses et des températures plus fraiches, le brasier demeure toujours hors de contrôle dans le parc.
Quelques jours de pluie ne suffiront pas à éteindre un incendie d’une telle ampleur. «Il faudra probablement des semaines, voire des mois, pour en venir à bout», prévient Ellen Withman.
En conférence de presse le samedi 27 juillet, le commandant adjoint des interventions au sein de Parcs Canada, Landon Shepherd, a confirmé que le feu pourrait bruler pendant plusieurs mois.
Ellen Withman explique que seules des précipitations très abondantes ou de la neige permettraient de déclarer l’incendie officiellement éteint : «Nous avons besoin d’un changement météorologique important, qui correspond plus ou moins à l’arrivée de l’automne.»
Sur le terrain, les sinistrés de Jasper n’ont pas encore reçu l’autorisation de rentrer à leur domicile. Selon Steven Guilbeault, leur réintégration se fera par étapes, en fonction d’un calendrier qui n’a pas été révélé. Ottawa promet par ailleurs d’appuyer les efforts de reconstruction de la ville.
Tourisme morbide à prévoir
Selon Dominic Lapointe, les catastrophes naturelles dans un lieu très touristique «activent la mémoire de tout un ensemble de gens qui y ont travaillé ou qui l’ont visité».
Le spécialiste liste différents phénomènes qui pourraient survenir dans les six prochains mois à cinq années.
«D’un côté, on va avoir un certain tourisme sombre ou un peu morbide, qui va vouloir voir à quoi ça ressemble une ville qui a brulé. Après ça, il y a tous ceux qui y ont passé du temps, qui y ont des souvenirs et qui vont vouloir voir comment elle est reconstruite.»
Il cite aussi les personnes qui vont venir voir ces lieux pour se sentir utile et contribuer à la reconstruction de la ville et sa région.
Le professeur ne doute pas que les visiteurs seront de nouveau au rendez-vous. «La ville fait partie de ce triumvirat [avec les parcs des Banff et du lac Louise]. Pendant quelques années, peut-être que le circuit va pour certains consister à traverser Jasper plutôt que de s’y arrêter […] Mais assez rapidement le circuit va se rétablir.»
Les variables des changements climatiques
Des évènements de grande ampleur, comme l’incendie de Jasper, ne peuvent pas être reliés directement aux changements climatiques provoqués par l’activité humaine sans une analyse complète des données.
Cependant, de nombreuses études ont démontré que la hausse des températures entraine une augmentation de la fréquence et de la sévérité des conditions propices aux feux de forêt, comme des températures très élevées, des risques de sècheresse et des vents forts, confirme le chercheur en écologie forestière chez Ressources naturelles Canada, Yan Boulanger.
Selon l’outil Climate Shift Index, les neuf jours de températures intenses enregistrés avant l’incendie avaient trois fois plus de chance de se produire sous l’influence des changements climatiques.
«L’énergie qui est libérée par le feu est encore plus intense, ce qui fait en sorte que ces feux-là sont encore plus difficiles à combattre», poursuit Yan Boulanger.
S’il est aussi difficile d’associer les ravages des dendroctones du pin à l’intensité des feux, Yan Boulanger note que la présence de l’insecte en Alberta reste une conséquence des changements climatiques.
«Normalement, le dendroctone est surtout inféodé à la côte ouest, à la Colombie-Britannique. Cet insecte-là est très sensible aux températures hivernales et pendant plusieurs années, ces températures-là ne sont pas survenues.»
Les températures plus élevées lui ont permis de traverser les Rocheuses et de s’installer dans les forêts du côté est de la chaine de montagnes.