En entrevue avec Francopresse, le commissaire sortant se dit heureux de son bilan, dans une période occupée pour les langues officielles. Il note que même si le gouvernement fédéral a permis de faire des avancés importantes, il faut constamment rester vigilant.
Francopresse : Quel bilan tirez-vous de vos sept années passées à analyser les langues officielles et l’immigration francophone sous le gouvernement libéral de Justin Trudeau?
Raymond Théberge : Je dirais que ce gouvernement a quand même fait le travail nécessaire pour arriver à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui donne un nouveau régime linguistique.
Là où il aurait pu mieux faire la mise en œuvre rapide de la nouvelle loi, c’est au niveau des règlements par exemple, et de la gouvernance des langues officielles. On peut avoir la meilleure loi possible, si on n’a pas une mise en œuvre solide, c’est difficile de mesurer son impact.
Le Plan d’action est le deuxième levier que le gouvernement peut utiliser pour assurer le développement de nos communautés. C’était un bon Plan, mais il y avait des défis sur le fait que l’argent n’allait pas assez rapidement aux intervenants.
Durant les sept dernières années, les langues officielles étaient très présentes sur le plan national et je pense que c’est extrêmement important dans la civilisation canadienne qu’elles soient visibles, qu’elles soient entendues.
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Récemment, la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, a annoncé que les règlements de la nouvelle loi seraient déposés «avant mars 2025». Cependant, des élections pourraient avoir lieu d’ici là. Quelles seraient les conséquences s’ils ne sont pas adoptés avant?
Et bien, si les règlements ne sont pas passés dans les prochains mois par exemple, ça veut dire qu’on ne peut pas utiliser des sanctions administratives pécuniaires.
Ça veut aussi dire qu’il va y avoir beaucoup d’ambigüité autour de la mise en œuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles [qui porte sur la promotion des deux langues officielles et l’épanouissement des communautés, NDLR].
Les règlements, ce sont le «comment» de la Loi, donc c’est extrêmement important. Le travail va se poursuivre, qu’il y ait des élections ou non, mais ce qui est important en fin de compte, c’est de savoir si on a suffisamment de temps pour que ça soit effectivement passé.
Je sais que la présidente du Conseil du Trésor l’a précisé, mais nous, on est en attente.
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Un autre de vos mandats consiste à surveiller l’immigration francophone. Un rapport récent a révélé que les immigrants francophones étaient plus susceptibles de quitter le pays après deux ans, comparativement aux anglophones et aux allophones. Qu’est-ce que ça illustre de l’immigration francophone au Canada?
Ça indique qu’au niveau de l’accueil et de l’intégration des nouveaux arrivants, on a certainement des défis.
On doit se pencher là-dessus. C’est pour cela que je parle souvent de développer une voie d’immigration francophone, c’est-à-dire que du début à la fin, l’immigrant francophone est accompagné tout au long de son séjour.
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Lors d’une séance en comité le 10 décembre, un représentant de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones a rappelé que certains élèves francophones assistent toujours à des cours dans des roulottes. Pourquoi ces conditions perdurent, alors qu’une décision de la Cour suprême a donné raison aux francophones en 2020?
Dans toutes nos communautés francophones en milieu minoritaire, nous n’avons pas suffisamment d’infrastructures éducatives pour répondre à la demande. Ça persiste depuis des années, ça persistait quand mes enfants étaient à l’école et encore aujourd’hui on n’est pas en mesure de construire suffisamment d’écoles ou de centres communautaires scolaires pour répondre à cette demande.
Il y a toujours un décalage entre la demande et la construction des infrastructures et l’éducation, il faut le dire. C’est la façon d’assurer la pérennité de nos communautés et sans des infrastructures de qualité, on va manquer plusieurs générations d’élèves et d’étudiants.
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Revenons-en à votre fin de mandat. Le 28 janvier ce sera votre dernier jour en tant que commissaire des langues officielles. Quel regard portez-vous sur les sept dernières années?
Premièrement, je ressens une certaine tristesse parce que c’est un travail assez passionnant, avec une équipe réellement dévouée aux langues officielles. Cependant, c’est sans doute le moment pour passer le flambeau à quelqu’un.
Ces sept dernières années, on a accompli beaucoup de travail au Commissariat, qui a eu un impact sur les ordres officiels au Canada, que ce soit par le biais de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, la vigie du Plan d’action sur les langues officielles, les divers projets de recherche et d’études qu’on a effectués, qui ont un impact par exemple sur la sécurité publique, sur l’immigration et sur plusieurs éléments de la société canadienne.
Aussi, on est intervenu à plusieurs reprises devant les tribunaux, on a fait avancer par exemple les droits pour les voyageurs, d’éducation, d’accès à la justice, d’épanouissement des communautés.
C’était un privilège et un honneur d’occuper ce poste pendant sept ans.
Nomination du commissaire aux langues officielles
Le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil, après la consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes, suivie d’une approbation par résolution des deux chambres du Parlement.
Le gouvernement n’a pour l’instant pas laissé donner d’indices sur les candidats qui pourraient remplacer Raymond Théberge.
Qu’est-ce que vous aimeriez transmettre à votre successeur ou successeure?
Le message est le suivant : on doit être toujours vigilant en ce qui a trait à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.
Il faut être conscient qu’on est ici pour défendre les droits linguistiques de tous les Canadiens et Canadiennes, et des anglophones au Québec aussi.
Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de clarté.