«En observant ces glaciers et la rapidité avec laquelle ils fondent, on doit adapter certains de nos sites de surveillance à long terme, ainsi que notre façon de travailler pour continuer à collecter des informations», constate le chercheur en sciences physiques à Ressources naturelles Canada, Mark Ednie.
Mark Ednie remarque une fonte accélérée des glaciers canadiens. Selon ses recherches, l’année 2023 a été particulièrement catastrophique.
Celui qui étudie les glaciers de l’Ouest canadien depuis des années songe désormais à abandonner des sites de recherche, en raison de la fonte accélérée des glaces.
«Je prévois que dans les quelques prochaines années, on ne sera plus capable de monter sur Peyto, craint-il en faisant référence au glacier albertain. Ça va devenir de l’escalade, parce qu’une grande paroi rocheuse commence à s’exposer.»
Si des sites de recherche ont déjà été abandonnés pour des raisons de budget ou de personnel, c’est la première fois que le chercheur dit devoir le faire parce que c’est devenu trop dangereux.
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L’équipe de Mark Ednie a perdu sa route traditionnelle sur le glacier Peyto. «On l’utilisait depuis 2011, précise-t-il. Ça nous prend désormais environ une heure de plus pour s’y rendre. On doit traverser un cours d’eau qui nous monte aux cuisses et monter des sections de glace assez raides.»
Manuel Bringué et son collègue Steve Grasby font de l’échantillonnage de strates sédimentaires.
Le glaciologue envisage aussi de faire une croix sur le glacier Helm, en Colombie-Britannique, que le gouvernement canadien surveille depuis les années 1960. La raison : la fonte a laissé paraitre un nunatak [une montagne s’élevant au-dessus de la glace, NDRL] en plein milieu du glacier vers 2020. En 2024, il le tranchait quasiment en deux.
«Quand tu coupes un glacier en deux, ou que tu en enlèves un morceau, ça devient de la glace morte, explique Mark Ednie. Ça ne bouge plus, ça devient moins représentatif des glaciers.»
Shawn Marshall, professeur de glaciologie à l’Université de Calgary et conseiller scientifique au ministère fédéral de l’Environnement, étudie les glaciers depuis plus de 25 ans. Il confirme que, sur certains sites, il était plus facile d’effectuer son travail auparavant.
«Il y a des parties du glacier Haig sur lesquelles on ne voyage plus, rapporte-t-il. Je me suis [aussi] beaucoup déplacé sur les glaciers French et Robertson [en Alberta]. Quand j’ai commencé, ils étaient connectés. Mais ils se sont amincis au point où il faut maintenant traverser un col rocheux. Avant, c’était de la glace, tu pouvais skier directement dessus.»
«Le brouillard est vraiment le côté le plus couteux. Et en termes de sécurité sur le terrain, il y a des implications», explique Manuel Bringué.
La neige facilite les périples des glaciologues. Mais il y en a de moins en moins, ce qui laisse voir de la roche, ou pire encore, des crevasses, comme c’est le cas entre les glaciers Haig, French et Robertson.
«Je ne sais pas si les crevasses sont nouvelles ou si elles sont simplement exposées sans la neige, mais il y en a une multitude, remarque Shawn Marshall. Je n’enverrai pas d’étudiants là-bas maintenant. C’est complètement différent du début des années 2000.»
«Au haut de ce système de glaciers, il y a une belle pente sur laquelle on avait l’habitude d’installer notre camp pour travailler, poursuit-il. Le soir, on faisait du toboggan pour s’amuser. Mais aujourd’hui, cette pente a perdu sa neige et s’est ouverte.»
«Sans le savoir, on faisait probablement du toboggan par-dessus les crevasses. Tu pourrais faire tomber un autobus dedans tellement elles sont larges et terrifiantes», ajoute-t-il.
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Manuel Bringué, géologue à la Commission géologique du Canada, travaille souvent dans le Grand Nord et en mer. L’accès à ces endroits a toujours été difficile, mais il l’est encore plus à cause des changements climatiques.
Manuel Bringué, vêtu d’un manteau rouge, discute avec un collègue aux côtés d’un chargement de carburant.
Selon lui, le brouillard est la conséquence la plus importante. «Puisque les glaces fondent, les étendues d’eau sont disponibles plus tôt dans la saison et durent plus tard aussi. Ça génère beaucoup plus de brouillard. C’est problématique pour se déplacer en hélicoptère. S’il y a du brouillard, on ne peut pas voler, on est cloué au sol.»
Outre l’aspect financier, Manuel Bringué évoque un enjeu de sécurité. Car si le brouillard se manifeste une fois que l’équipe est rendue sur le terrain, le retour à la maison devient incertain. «De petites équipes pourraient [potentiellement] se retrouver isolées avec un peu de nourriture et un kit de survie.»
Dans le Grand Nord, le géologue se déplace beaucoup en hélicoptère. Le carburant est acheminé aux endroits nécessaires des mois d’avance, sur des barges par voie maritime. «Là, on est dans un cycle de sècheresse, et le niveau des eaux sur le fleuve Mackenzie est vraiment trop bas. Ça paralyse le trafic des barges sur le fleuve», explique-t-il.
Le carburant est alors envoyé par voie terrestre ou aérienne, ce qui fait «exploser les couts».
La fonte accélérée du pergélisol (sol gelé) est un autre enjeu pour son équipe. «Il faut s’adapter, ne pas s’aventurer là où on ne connait pas, bien lire le terrain et s’assurer que le sol est stable», détaille-t-il.
Parmi les autres effets des changements climatiques qui rendent son travail difficile, Manuel Bringué recense les feux de forêt qui peuvent libérer des toxines, l’augmentation du nombre d’orages, de tonnerres, d’éclairs et… de moustiques.
Il ne pense pas pour autant, dans son cas, abandonner des sites de recherche de sitôt.
Pour mesurer la masse volumique des glaciers, Mark Ednie a souvent recours à la méthode glaciologique. Elle consiste à enfoncer verticalement des piquets de six mètres dans la glace et ensuite à mesurer la fonte contre ces piquets.
Un collègue du chercheur Mark Ednie insère un piquet d’aluminium dans la glace pour mesurer le bilan massique d’un glacier.
«Lors de l’été 2023 [au glacier Peyto], il y a eu tellement de fonte que nos piquets de six mètres sont sortis de la glace, insiste-t-il. On a perdu plusieurs de ces piquets. Et quand on commence à perdre plusieurs piquets, il devient difficile de produire des données fiables et robustes.»
«2024 est la première année où l’on perd autant de piquets sur Peyto, à cause de la fonte rapide et extrême», ajoute-t-il. Son équipe a dû faire preuve de créativité et combiner des méthodes déjà existantes pour continuer à observer le glacier.
«On a des données ininterrompues sur Peyto depuis 1965 ou 1966, dit Mark Ednie. Alors on a fait de notre mieux pour obtenir une bonne estimation de la fonte cette année-là.»
Pour Shawn Marshall, étant donné la difficulté grandissante d’accéder au haut des glaciers, il est plus difficile de les étudier «en tant que système». «Ça change la manière dont on travaille.»
«On ne peut plus compter sur les connaissances traditionnelles, les routes de transport traditionnelles et les saisons, parce que la glace est de moins en moins fiable. C’est le cas aussi pour les glaciers Saskatchewan et Athabasca [aussi en Alberta]», explique le spécialiste.
«La danse de l’érosion»
À l’Île-du-Prince-Édouard, les changements climatiques accélèrent l’exposition des fossiles incrustés dans les falaises. Habituellement, la glace en mer protège les falaises des vagues et des grands vents, ralentissant ainsi leur érosion.
Rod Smith, un collègue de Manuel Bringué, au milieu des moustiques.
Mais il n’y a plus assez de glace en mer, indique le géologue et professeur à l’Université Saint Mary’s de Halifax, John Calder.
«La bonne nouvelle, c’est que davantage de fossiles sont exposés. La mauvaise nouvelle, c’est que les vagues vont reprendre ces fossiles et les détruire s’ils ne sont pas découverts à temps, se désole-t-il. C’est une danse de l’érosion. La nature te révèlera ce qu’il y a, mais le créneau pour le récupérer est limité. C’est l’aspect le plus difficile.»
C’est dans un tel contexte que monsieur et madame Tout-le-Monde prennent toute leur importance. «La plupart des découvertes ont été faites non pas par des professionnels […], mais par des citoyens, et surtout les petits enfants qui se promènent sur la plage», avoue le géologue, qui rappelle que les paléontologistes ne sont pas nombreux.
Il encourage les passants de l’Île à garder les yeux ouverts et à aider la science en faisant part de leurs trouvailles.
De passage en Colombie-Britannique pour expliquer aux citoyens le rôle et le fonctionnement de la Cour suprême, le juge en chef du plus haut tribunal du pays, Richard Wagner, a réitéré que la demande d’un meilleur accès aux services en français était «normale», tant pour les francophones que pour les anglophones.
Le juge en chef Richard Wagner était en tournée en Colombie-Britannique pour expliquer comment la Cour suprême sert les Canadiens.
Ce qu’il a dit : «Les anglophones devraient comprendre que c’est important de donner de plus en plus de services aux francophones», a assuré Richard Wagner en entrevue avec Radio-Canada.
Il a également rappelé que la Constitution prévoit la protection des droits des minorités au pays.
Ce qu’ils disent : Mercredi, des membres de l’Association des juristes d’expression française de la province ont profité de l’anniversaire des 25 ans de leur organisme pour dénoncer le manque d’accès à des procès en français.
Certains documents juridiques ne sont toujours pas traduits. Toutefois, des affaires ont fait bouger les lignes, comme les suites du procès de M. Tayo Tompouba, qui ont mené à l’obligation d’informer les parties qu’elles peuvent avoir accès à un procès en français.
En aout 2024, le Conseil scolaire francophone (CSF) de Colombie-Britannique s’est adressé à la Cour suprême de la province, car il leur est encore difficile de construire les écoles pour les francophones, même à la suite de la victoire obtenue en Cour suprême. La CSF rencontre des obstacles pour obtenir des terrains pour en construire.
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La taxe américaine de 25 % qui devait s’appliquer sur les produits canadiens mardi a finalement été suspendue pour au moins 30 jours. Cette suspension de tarifs s’est aussi appliquée au Mexique, également visé par Donald Trump.
Le premier ministre Justin Trudeau a arraché une suspension des taxes que le président américain prévoit de faire appliquer sur les biens et l’énergie canadienne.
L’enjeu : Pour rassurer les États-Unis et éviter toute taxe sur les produits canadiens, le gouvernement Trudeau a annoncé de nouvelles mesures visant à renforcer la sécurité à la frontière : la nomination d’un tsar du fentanyl, l’ajout des cartels à la liste des entités terroristes et une surveillance accrue.
Une force de frappe conjointe sera créée pour lutter contre le crime organisé, le trafic de fentanyl et le blanchiment d’argent. Ottawa a d’ailleurs admis cette semaine que la production de cette drogue dépassait la demande locale, selon un document obtenu par Radio-Canada.
Le gouvernement a aussi signé une directive pour les services de renseignement sur ces enjeux, soutenue par un investissement de 200 millions de dollars.
En outre, un Sommet économique Canada–États-Unis se tiendra ce vendredi.
Côté opposition, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a dévoilé un plan et a répété que le Parlement devait être rappelé.
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L’information a été confirmée à CTV mercredi par le Bureau du Conseil Privé (BCP), l’équipe chargée de conseiller le premier ministre.
Le gouvernement avait cessé d’acheter des espaces publicitaires à la société mère d’Instagram et Facebook après que celle-ci eut bloqué les nouvelles canadiennes sur ses plateformes, en réaction à l’application de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui lui demandait une contribution financière pour le partage de nouvelles.
L’enjeu : Le gouvernement Trudeau s’est remis à acheter de la publicité à Meta pour diffuser sa campagne publicitaire sur la suspension de la taxe sur les produits et services (TPS), mise en place par les libéraux le 14 décembre pour alléger les dépenses des Canadiens et des Canadiennes.
La campagne a été lancée le 23 janvier dernier et aurait couté 100 000 $, selon le BCP.
Cette suspension de taxe concerne une liste de produits comme des couches et jouets pour enfants ou autres produits alimentaires. La taxe devrait s’appliquer de nouveau après le 15 février.
Le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, a annoncé le report du taux des gains en capitaux au 1er janvier 2026.
Le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, a annoncé cette semaine qu’il reportait l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital de 50 % à 66,67 % au 1er janvier 2026. La mesure était initialement prévue pour juin 2024.
Cette dernière vise les gains dépassant 250 000 $ pour les particuliers et tous les gains pour les entreprises et fiducies.
L’enjeu : Annoncée dans le budget d’avril 2024 par l’ancienne ministre des Finances, Chrystia Freeland, cette mesure n’a pas été adoptée par le Parlement cet automne en raison d’un blocage des conservateurs.
Depuis, Mme Freeland a démissionné et brigue la succession de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral. Elle promet d’abandonner cette mesure si elle est élue, en raison de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
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Interrogé par Francopresse sur la reconnaissance du déclin du français au Québec et au Canada, Frank Baylis a plutôt contourné la question, affirmant qu’il ne considérait pas ce sujet «comme un débat».
«Je ne suis pas un expert dans les statistiques pour dire qu’il y a un déclin», a répondu l’homme d’affaires, après avoir assuré qu’il souhaitait protéger et promouvoir la langue française partout au pays.
«C’est une manière de regarder des pourcentages. On pourrait dire oui, mais en termes [globaux], peut-être non. Alors c’est encore quelque chose [sur lequel] on devrait réfléchir, de promouvoir le français non seulement au Québec, en Ontario ou en Acadie, mais à travers le pays.»
Après la conférence de presse, il a par ailleurs assuré aux médias qu’une proposition de débat bilingue avait été faite au sein du Parti libéral, mais qu’il était contre, estimant qu’il fallait un débat en français et un autre en anglais.
Un autre aspirant à la chefferie, Chandra Arya – aujourd’hui hors de la course –, avait fait l’objet de vives critiques en janvier, lorsqu’il avait minimisé l’importance du bilinguisme à la tête du parti.
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Qui est Frank Baylis?
Frank Baylis a été député fédéral de la circonscription québécoise Pierrefonds–Dollard entre 2015 et 2019, pour le Parti libéral du Canada.
Ingénieur de formation, il est né à Montréal, mais a grandi à Toronto et fait ses études à Waterloo en Ontario. En conférence de presse le 6 février, il a mis l’accent sur ses études en français, une éducation voulue par ses parents.
Il vit au Québec depuis une trentaine d’années.
Frank Baylis dit avoir une expertise dans le secteur de l’industrie, en politique de la santé et en droits de la personne. «Je suis très fort dans ces trois points-là. M. Carney est très fort dans le domaine de la politique monétaire», a-t-il souligné, sans mentionner les deux autres candidates, Chrystia Freeland et Karina Gould.
Une réorganisation du Parlement
Lors de sa conférence de presse, Frank Baylis a dévoilé son plan pour changer le fonctionnement du Parlement.
Il prévoit notamment de limiter à 10 ans le temps que les députés et les sénateurs peuvent passer en politique. Une manière selon lui de «laisser la place aux nouveaux Canadiens» pour amener une expertise dans les prises de décisions politiques.
Après les dix ans, les députés devront se retirer pendant un moment «avant de pouvoir se représenter» à d’autres élections fédérales. «Notre système n’est pas conçu pour les politiciens professionnels», a-t-il justifié.
Frank Baylis souhaite également redistribuer les pouvoirs des chefs de partis au profit du président de la Chambre, des députés et des Canadiens. Le but est selon lui de rendre le choix de qui prend la parole au président. «Les chefs de partis se sont approprié ce pouvoir, on va le rendre au président de la Chambre», a-t-il fait valoir.
Le Québécois souhaite aussi la mise en place d’un système de pétition électronique pour permettre aux citoyens d’introduire des débats au Parlement.
La dernière partie de son programme consiste à ajouter une deuxième chambre pour les débats. Les débats principaux seront maintenus dans la Chambre des Communes, tandis que les «affaires non contestées», comme les déclarations de députés, se tiendront dans une seconde chambre. Une proposition qui ferait avancer la législation «plus rapidement», selon lui.
Le fédéral, les provinces et les territoires sont tous «alignés pour faire tomber les obstacles qui freinent le commerce entre nos provinces et territoires et rendre ça plus facile pour les consommateurs de choisir les produits de chez nous», a assuré le premier ministre, Justin Trudeau, lors d’une conférence de presse le 1er février.
Il annonçait alors la riposte canadienne aux tarifs douaniers des États-Unis, qui ont finalement été suspendus pendant au moins 30 jours à compter du 3 février.
Mais ce revirement de situation n’arrête pas le travail entamé par Ottawa et les provinces pour faciliter le commerce interprovincial, assure la ministre des Transports et du Commerce intérieur, Anita Anand, à Francopresse.
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«Il y a une volonté autour de la table», dit Anita Anand.
«C’est le moment»
Le Comité sur le commerce intérieur (CCI) s’est réuni le 31 janvier pour discuter, notamment, de l’amélioration de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC).
Ainsi, trois recommandations ont été formulées à l’unanimité et seront présentées aux premiers ministres provinciaux, territoriaux et fédéral :
Tel qu’annoncé par voie de communiqué le 5 février, tous les premiers ministres ont appuyé ces recommandations du Comité.
«On doit avoir un système où les provinces et territoires reconnaissent les exigences règlementaires des autres», explique Anita Anand. Celle-ci affirme que ces initiatives iront de l’avant, «peu importe ce qui se passe aux États-Unis».
«C’est le moment de parler, de faire le progrès réel, et on va continuer sur ces recommandations-là parce que c’est nécessaire de bâtir notre économie domestique pour notre population, sans considérer ce qui se passe aux États-Unis», ajoute-t-elle.
Un accord limité
Entré en vigueur le 1er juillet 2017, l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) est un accord commercial intergouvernemental signé par le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires.
Dans ce document d’environ 350 pages, plus de 130 sont dédiées aux exceptions au libre-échange posées par les différents gouvernements.
Un exemple classique concerne les boissons alcoolisées, qui font l’objet d’exceptions dans la grande majorité des provinces et qui rendent difficile l’exportation de l’alcool vers d’autres provinces et territoires.
Les barrières règlementaires, elles, ne sont pas codifiées dans l’Accord. Par exemple, les juridictions ont des règles différentes quant à la taille des contenants pour les emballages alimentaires.
Les provinces embarquent
Avant que Donald Trump ne suspende les tarifs douaniers visant le Canada, les premiers ministres de toutes les provinces et tous les territoires s’étaient engagés à faciliter le commerce interne. Le plan : s’attaquer aux barrières qui limitent l’ALEC.
La première ministre du Nouveau-Brunswick, Susan Holt, a par exemple déclaré lors d’une conférence de presse, quelques heures avant l’annonce de la suspension, le 3 février, que sa province «participe à une révision agressive des barrières au commerce interne pour renforcer l’économie canadienne».
«On évalue activement la possibilité que la Saskatchewan retire ses propres exceptions, en totalité ou en majorité», a pour sa part déclaré le premier ministre Scott Moe, en conférence de presse le même jour.
Questionné sur la poursuite de ces objectifs commerciaux dans un contexte sans tarifs, Scott Moe répond à Francopresse dans un courriel que malgré le report des mesures, «le travail n’est pas terminé». Il ne donne pas plus de détails sur le commerce interprovincial depuis la suspension des tarifs.
«Je pense qu’une exception linguistique est totalement adéquate et même nécessaire» dans le cas du Québec, estime Christopher Skeete.
Dans un courriel à Francopresse, le ministre albertain du Travail, de l’Économie et du Commerce, Matt Jones, assure que l’Alberta continuera le travail «indépendamment des relations commerciales extérieures».
«L’Alberta continue de promouvoir des avancées en plaidant pour l’harmonisation règlementaire et la suppression des barrières dans des secteurs tels que le marché des boissons alcoolisées et le transport», écrit-il.
En entrevue avec Francopresse, le ministre québécois délégué à l’Économie, Christopher Skeete, confirme que peu importe ce qui se passe du côté des États-Unis, le Québec continuera de travailler sur la facilitation du commerce interprovincial.
«On est en train de regarder pour envoyer des gens dans d’autres provinces pour nous aider à ouvrir des réseaux de marchés, de distribution», a pour sa part déclaré le premier ministre québécois François Legault, en conférence de presse le 3 février.
En entrevue, Christopher Skeete confirme que cette réflexion se poursuit, peu importe la suspension des tarifs.
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Un potentiel de 200 milliards de dollars
Dans un communiqué de presse, la ministre Anita Anand confirme que «l’élimination des obstacles règlementaires fera baisser les prix, augmentera la productivité et ajoutera potentiellement jusqu’à 200 milliards de dollars à l’économie canadienne».
C’est aussi le chiffre qu’évoque l’analyste sénior en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Gabriel Giguère, en entrevue avec Francopresse. Ce think tank a développé un index pour suivre l’évolution des barrières codifiées dans l’ALEC.
«Ce qu’on a constaté, c’est que certaines provinces, notamment l’Alberta ou le Manitoba, ont réduit leurs barrières au commerce interprovincial, dit-il. Mais il y en a d’autres qui ont fait du surplace. On peut penser au Nouveau-Brunswick, mais surtout le Québec.»
Le Québec a posé le plus grand nombre d’exceptions, 36, et n’en a éliminé aucune depuis 2017. «Je pense que toutes les provinces devraient s’attaquer aux barrières qui restent de leur côté, mais le Québec a très certainement beaucoup de travail à faire», poursuit l’expert.
«Le Québec se tient debout»
Au Québec, nos exceptions sont assez normales. On va reconnaitre les diplômes et les professions à l’extérieur du Québec, mais on exige le français.
«Est-ce que ça freine vraiment le commerce? Peut-être. Mais est-ce qu’en termes de dollars ça a un impact réel considérant le cout sociétal? Je pense qu’on est à la bonne place. […] Le Québec se tient debout pour défendre le français.»
L’élu évoque une «perception persistante» selon laquelle le commerce interprovincial va mal, en particulier à cause des exceptions. «C’est sûr qu’il y a des irritants, des enjeux à régler, mais la bonne nouvelle c’est que l’on constate déjà qu’il y a une belle augmentation du commerce interprovincial depuis un bon nombre d’années.»
Statistique Canada chiffre la croissance de la valeur du commerce interprovincial à 16,5 % entre 2021 et 2022.
Selon Christopher Skeete, il faudrait dorénavant surtout travailler sur les barrières règlementaires. Le CCI s’est entendu pour identifier cinq à dix secteurs prioritaires pour l’harmonisation de certaines règles et pour une reconnaissance mutuelle.
Depuis la montée de ce que l’on appelait la «droite alternative» dans les années 2010 jusqu’aux paniques engendrées plus récemment par les discours «anti-woke», une droite radicale et sans respect pour les institutions en place a maintenant pris le dessus sur la droite institutionnelle et démocratique.
De nombreux décrets signés par Donald Trump visent l’affaiblissement des mécanismes de régulation.
Ce mouvement politique a su utiliser la désinformation, le mensonge et l’intimidation pour prendre les commandes du Parti républicain aux États-Unis, mais aussi s’installer au sein du Parti conservateur au Canada. C’est en son sein qu’est né le convoi dit «de la liberté» à Ottawa.
Cette droite a notamment donné naissance au Parti populaire du Canada et est liée à des fréquentations de Pierre Poilievre, de Scott Moe et de Danielle Smith ainsi qu’aux politiques mises de l’avant par leurs partis et gouvernements.
Il importe de nommer ce mouvement afin de savoir le reconnaitre autour de nous. Des saluts nazis d’Elon Musk à ceux de personnes opposées à l’immigration à Saint-Albert en Alberta, il existe un lien direct où la mise en valeur de ces symboles et idées mène à une plus grande légitimité sociale.
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Le concept du fascisme est de plus en plus utilisé pour rendre compte d’une famille d’idées et de politiques, y compris au Canada. Certains grands traits devraient déjà nous indiquer la présence d’une menace.
C’est une volonté d’expansion territoriale qui a mené à la menace de tarifs lancée par le président américain. Ce dernier a en effet fait référence à l’annexion du Canada ainsi qu’à celle du Groenland et du canal de Panama, des lieux perçus comme appartenant à une zone d’influence qui reviendraient de droit aux États-Unis, selon Donald Trump.
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Prenant pour cible les personnes transgenres et non binaires, ce mouvement crée également la figure d’un ennemi intérieur. Les décrets signés par Trump criminalisent la transition sociale pour les personnes mineures ainsi que les rares soins d’affirmation de genre qui leur sont accessibles. Même les personnes qui les soutiennent dans leur transition à l’école sont visées.
Au-delà de ces cibles, on voit une montée de l’emprise sur les corps au nom d’une homogénéité et d’une pureté du corps social, que ce soit par la lutte contre l’avortement ou par la purge des différences vues comme dangereuses et indésirables.
C’est le rôle notamment du démantèlement des mesures d’équité et de toute référence au genre et à la race, dans les programmes d’étude jusqu’aux sites Web.
Ce mouvement s’appuie par ailleurs sur une vaste propagande et une tentative d’écarter les médias non ralliés au régime en place. Les Fox News et Breibart reçoivent ainsi un «accès» aux centres de pouvoir qui est refusé aux médias qui suivent des règles d’éthique journalistique plus strictes.
Viennent s’y greffer les têtes dirigeantes des médias sociaux les plus populaires, comme Elon Musk et Mark Zuckerberg, qui se rapprochent du pouvoir ou s’y immiscent carrément et reprennent des discours d’extrême droite.
Au-delà des médias, la liste des grandes entreprises qui se sont empressées de soutenir la cérémonie d’inauguration de Trump montre par ailleurs comment sa présidence tend à transformer l’économie pour créer une oligarchie capable de la soutenir, plutôt qu’un capitalisme néolibéral qui s’autorégulerait.
La montée d’un mouvement et d’un régime fascistes ne signifie pas que l’ensemble des caractéristiques des fascismes du passé seront présentes : le mouvement doit s’adapter aux structures économiques et politiques du moment et innover.
Il n’en demeure pas moins que le régime politique américain semble sombrer dans la dictature. Cette avancée n’est pas nouvelle : l’accès au vote demeure limité pour de grandes parties de l’électorat américain et le système politique noie ou détourne les voix par le biais de charcuterie électorale et par le Collège électoral.
Umberto Eco a écrit : «Le fascisme éternel parle la novlangue. La novlangue, inventée par Orwell dans 1984, […] se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.»
Nous voyons toutefois une présidence qui cherche à se soustraire aux mécanismes de contrôle et qui agit sans se soucier de la constitution (ou qui l’interprète de manière abusive). Elle compte par ailleurs sur une version extrême de la discipline de parti dans les institutions où les républicains sont majoritaires.
Le gouvernement par décret cohabite ainsi avec des politiciens et politiciennes qui créent des lois limitant les perspectives et les protections pour les groupes minorisés.
Les purges dans la bureaucratie étatique vont d’ailleurs de pair avec une construction de structures alternatives. Ces transformations rappellent les régimes totalitaires, où la discipline et les ordres passent par le parti et d’autres réseaux parallèles et où les forces de l’ordre et l’armée sont contrôlées par les figures politiques.
Avec la menace de tarifs importants, le Canada ressent déjà les effets de l’arrivée au pouvoir de ce mouvement qui a ses adeptes de ce côté-ci de la frontière.
Les transformations rapides depuis l’inauguration de Trump doivent nous rappeler que les institutions démocratiques sont fragiles et dépendent d’un accord de la part des parlementaires, de l’électorat, mais aussi des centres de pouvoir économique.
Dans le contexte actuel, tout appui aux politiciens et politiciennes qui ne s’opposent pas fermement à ce mouvement fasciste nous en rapproche.
Il en va de même des politiques visant le démantèlement des capacités d’action de l’État : sans ses leviers et mécanismes, nous risquons de perdre les moyens de nous défendre… mais aussi de perdre les programmes et les initiatives qui nous donnent des raisons de le faire.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
En plus d’un plan qui place «Le Canada d’abord» dans la guerre commerciale qui oppose le pays avec les États-Unis, le chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, martèle depuis plusieurs semaines qu’il faut rappeler le Parlement à Ottawa, prorogé jusqu’au 24 mars.
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, exhorte lui aussi le gouvernement libéral à réunir les parlementaires afin de mettre en place un plan pour soutenir les travailleurs et les entreprises.
Les tarifs de 25 % sur les produits canadiens importés aux États-Unis et de 10 % sur le secteur de l’énergie, qui devaient entrer en vigueur le 4 février, ont été suspendus après que Justin Trudeau et Donald Trump se sont entretenus le 3 février.
Le Canada s’apprêtait à riposter en taxant également à 25 % une liste de produits américains.
D’après la procédure de la Chambre des communes, ce ne sont pas les chefs de parti, mais bien le gouvernement qui décide de rappeler le Parlement. Néanmoins, le Canada a-t-il besoin de débats en chambre à un moment crucial de son histoire avec les États-Unis? Pas forcément, répond Frédéric Boily, professeur en science politique au Campus Saint-Jean, à Edmonton, en Alberta.
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Pour le politologue, le gouvernement dispose d’outils de riposte assez forts pour se passer de l’intervention du Parlement.
Le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a présenté son plan «Le Canada d’abord» pour montrer aux États-Unis qu’il veut lui aussi plus de contrôle à la frontière, tout en ripostant «dollar pour dollar».
«Il faut bien comprendre que la demande des partis d’opposition de le rappeler [le Parlement, NDLR], c’est aussi pour avoir une tribune. Là, présentement, ils n’en ont pas. C’est très difficile pour M. Poilievre et encore plus pour M. Singh», analyse-t-il.
Selon le professeur, sans Parlement, «le gouvernement n’est pas obligé de parler avec Pierre Poilievre ni avec Jagmeet Singh. Donc, dans ce contexte, les partis d’opposition se trouvent marginalisés».
Il souligne que la demande du chef conservateur d’abandonner la Loi d’évaluation d’impact (anciennement projet de loi C-69), qui a reçu la sanction royale en 2019, n’est pour l’instant pas pertinente.
Avec cette loi, le gouvernement libéral est accusé par les conservateurs d’avoir voulu freiner tous les nouveaux projets de développements énergétiques, liés notamment au pétrole, au gaz et à l’électricité.
«En principe, Pierre Poilievre aurait pu en discuter au Parlement. Il sait très bien que cette demande ne sera pas acceptée [mais] il devait montrer qu’il était capable de se mettre au-dessus de la mêlée.»
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Si le Canada propose une réponse forte, ce ne seront pas les «plans provinciaux» qui feront reculer Donald Trump, si les tarifs douaniers s’appliquent au bout d’un mois, estime Frédéric Boily.
Frédéric Boily pense que le gouvernement a déjà «présentement certains outils» pour riposter contre les États-Unis, sans avoir besoin de rappeler le Parlement.
La première – et presque la seule – action de plusieurs provinces a été d’interdire la vente d’alcool provenant des États-Unis. Une mesure mise de l’avant par la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Ontario, le Manitoba et la Colombie-Britannique.
La Nouvelle-Écosse avait aussi proposé de limiter l’accès des entreprises américaines aux marchés publics provinciaux.
De son côté, l’Alberta, qui en janvier ne s’est pas affichée aux côtés de ses homologues lors de la réunion des premiers ministres à Ottawa en prévision d’une éventuelle riposte à ces tarifs, est «en mode attente», relève Frédéric Boily.
La première ministre albertaine, Danielle Smith, a bien affirmé sa «déception» face à l’application des tarifs.
Rejoignant certaines paroles de ministres fédéraux, elle a affirmé sur X, en anglais, que cette décision «portera préjudice aux Canadiens comme aux Américains, et mettra à mal les relations et l’alliance importantes entre nos deux nations».
(1/2) I am disappointed with U.S. President Donald Trump’s @realDonaldTrump decision to place tariffs on all Canadian goods. This decision will harm Canadians and Americans alike, and strain the important relationship and alliance between our two nations.
— Danielle Smith (@ABDanielleSmith) February 1, 2025
Alberta will do… pic.twitter.com/2oUT0tO4kd
Pour le professeur Boily, Danielle Smith – qui a tenté de négocier directement avec les États-Unis pour protéger les exportation de pétrole canadien, se dit surement que les tarifs douaniers pour cette ressource étaient seulement de 10 %, qu’ils n’étaient prévus que pour le 18 février et qu’il ne faut «peut-être pas réagir trop fortement pour éviter d’empirer la situation».
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Avec les informations de Marianne Dépelteau.
«Le Canada met en œuvre notre plan frontalier de 1,3 milliard de dollars – on renforce la frontière avec de nouveaux hélicoptères, de nouvelles technologies, plus de personnel, une coordination accrue avec nos partenaires américains et plus de ressources pour lutter contre le trafic de fentanyl. Près de 10 000 agents sont et seront sur le terrain pour protéger notre frontière», indique Justin Trudeau sur X.
Le Canada avait répondu à la menace d’imposition de tarifs douaniers américains en annonçant des contre-tarifs de 25 % sur 155 milliards de dollars de produits exportés au Canada par les États-Unis. Les provinces ont aussi annoncé des mesures ciblées.
Des produits américains d’une valeur totalisant 30 milliards de dollars seraient taxés si les tarifs américains entraient en vigueur dans un mois. Une deuxième vague de tarifs douaniers était aussi prévue sur 125 milliards de dollars.
Ces contre-tarifs étaient une réponse à l’annonce du samedi 1er février du président des États-Unis, Donald Trump, qui a dit vouloir imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les importations du Canada, sauf le pétrole, le gaz et l’électricité, qui seront taxés à 10 % à partir du 18 février.
«Cette décision met en péril une relation économique historique», a commenté Justin Trudeau, lors d’une conférence de presse en soirée le 1er février.
Le Mexique a aussi été visé par des tarifs de 25 % et a obtenu un sursis d’un mois avec une promesse similaire. La Chine devra composer avec des tarifs de 10 %, qui s’ajoutent à des taxes à l’importation déjà existante.
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Contre-tarifs ciblés
Une grande partie de la liste des 1200 produits visés par les représailles canadiennes inclut des produits alimentaires : produits laitiers transformés, viande, fruits, jus de fruits, légumes et des boissons alcoolisées en font partie. On y retrouve également des parfums, des articles textiles, des chaussures, des appareils électroménagers ainsi que des matériaux de construction, tels que du bois de charpente et des plastiques.
Le premier ministre canadien a expliqué que, dans le cadre de la réponse canadienne aux tarifs douaniers imposés par les États-Unis, il envisage avec les provinces et territoires d’autres mesures non tarifaires. Certaines pourraient concerner les minéraux critiques, l’approvisionnement en énergie et «autres partenariats», a-t-il indiqué.
La première réponse des provinces canadiennes a été d’annoncer qu’elles cesseraient de vendre des boissons alcoolisées et des vins américains.
Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Ontario, le Manitoba et la Colombie-Britannique ont toutes annoncé le retrait de produits américains de leurs tablettes à partir du 4 février.
Justin Trudeau a également assuré que les provinces et territoires «ont tous appuyé» l’approche du gouvernement fédéral. «On est unis et solidaires, a-t-il dit. On est aussi alignés pour faire tomber les obstacles qui freinent le commerce entre nos provinces et territoires et rendre ça plus facile pour les consommateurs de choisir les produits de chez nous.»
L’une de ses préoccupations principales pour les tarifs douaniers sera de ne pas affecter disproportionnellement certaines régions ou industries du Canada.
Cela fait quelques années que des organismes francophones hors Québec, tels que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), demandent des données économiques fréquentes sur les communautés francophones.
En 2024, le Comité permanent des langues officielles a recommandé au gouvernement fédéral de demander à Statistique Canada de recueillir ces informations dans le cadre de son Enquête mensuelle sur la population active (EPA).
Recueillir des données économiques sur les francophones permettrait entre autres de connaitre les besoins de main-d’œuvre dans les communautés en situation minoritaire, le taux de chômage et le taux d’emploi.
L’idée est de brosser un portrait mensuel sur, par exemple, le taux de chômage des francophones en situation minoritaire, afin de mieux cibler les subventions et programmes gouvernementaux qui leur sont destinés.
Francopresse rendait compte de cette situation le 27 janvier. Depuis, Statistique Canada a affirmé par courriel qu’il était «au courant» de la recommandation formulée, mais qu’il attendait la réponse du gouvernement fédéral. «Nous ne sommes pas encore en mesure de discuter de changements potentiels au niveau de l’Enquête sur la population active», écrit un porte-parole.
Le gouvernement fédéral doit effectivement répondre au rapport du Comité, mais il ne pourra pas le faire avant le début de la prochaine session parlementaire en raison de la prorogation du Parlement.
«Notre organisation reste tout de même engagée à fournir des données de qualité sur les différents enjeux qui touchent les communautés de langues officielles en situation minoritaire», poursuit le porte-parole de Statistique Canada.
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L’autonomie de Statistique Canada
Si Statistique Canada attend la réponse du gouvernement avant d’agir, l’organisme rappelle dans un autre courriel à Francopresse que «Statistique Canada détermine le contenu de ses enquêtes afin de répondre aux besoins de ses utilisateurs de données (y compris les besoins liés aux exigences législatives, aux politiques et aux programmes) et fournir des renseignements fiables et pertinents».
Selon Darrell Samson, il serait «idéal» que Statistique Canada prenne l’initiative.
Techniquement, Statistique Canada n’a pas besoin d’un feu vert d’Ottawa pour ajouter des questions à l’EPA permettant de recenser des données linguistiques.
La FCFA indique qu’il existe une ouverture de la part de Statistique Canada pour trouver des solutions.
Le député libéral et membre du Comité permanent des langues officielles, Darrell Samson, espère tout de même que son gouvernement en fera la demande. «Toute l’évidence depuis quelques années signale l’intérêt de notre gouvernement de répondre à nos communautés linguistiques des langues officielles à travers le Canada», dit-il en entrevue avec Francopresse.
«Par contre, poursuit-il, j’aimerais mieux voir Statistique Canada dire à notre gouvernement : “Regardez ce que nous allons faire.” […] Dans un monde idéal, Statistique Canada sauterait sur [l’occasion] pour dire : “Je suis ici pour faire ma job de façon à assurer que nos communautés auront les outils, l’information, les données pour répondre à la marchandise”.»
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L’argent, «pas une considération première»
Questionné sur le cout que représenterait l’ajout de questions linguistiques dans l’EPA, Statistique Canada écrit que «bien que les aspects financiers soient aussi pris en compte lors de cette évaluation, il ne s’agit pas d’une considération première».
L’organisme explique qu’une évaluation de faisabilité est menée avant d’ajouter des questions à une enquête existante, afin d’éviter «d’ajouter au fardeau de réponse» supplémentaire aux 65 000 ménages questionnés mensuellement.
Le cas échéant, «Statistique Canada pourrait par exemple examiner la possibilité de retirer certaines autres questions afin d’éviter d’augmenter ce fardeau», lit-on dans le courriel.
Une possibilité serait d’intégrer les renseignements déjà recueillis dans le cadre du Recensement de la population – lequel comprend des questions sociodémographiques détaillées –, avec celles de l’EPA, rapporte l’agence fédérale.
Une sensation de déjà-vu
Selon Darrell Samson, l’accès aux données économiques sur les francophones en situation minoritaire est «un droit, pas un privilège». Questionné sur la raison pour laquelle ces données n’existent toujours pas, il évoque une possible «question de leadeurship».
Ce n’est pas la première fois que l’élu demande ce type de renseignements. La modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), en 2023, avait laissé place au sein du Comité à tout un débat sur le dénombrement des ayants droit.
Joël Godin est porte-parole du Parti conservateur du Canada en matière de langues officielles.
«Ça a été une bataille énorme pour convaincre Statistique Canada d’ajouter les deux questions pertinentes à l’article 23 [sur les ayants droit], se souvient M. Samson. Il faut des données pointues, complètes, pour pouvoir assurer que nous répondons à nos responsabilités, qui sont d’offrir une éducation de la langue de la minorité aux ayants droit.»
Finalement, la LLO modernisée engage le gouvernement fédéral à estimer périodiquement le nombre d’ayants droit, et non de les dénombrer.
Comme pour les données économiques, la question des données sur les ayants droit était sur la table depuis des années. En 2017, la FCFA évoquait dans un rapport un sous-dénombrement des potentiels élèves francophones.
«Aussitôt qu’une école est construite, elle se remplit. Même quand des estimations sont faites, l’intérêt des gens est sous-estimé. Comme on le dit en anglais : “If you build it, they will come”. Dans nos communautés, c’est tout à fait évident, tant à propos des services fédéraux que des écoles», peut-on lire.
Le député conservateur Joël Godin, aussi membre du Comité, fait également un lien entre les données économiques et les ayants droit. À l’époque de la modernisation de la LLO, il avait milité pour que le dénombrement soit fait.
Dans une entrevue accordée à Francopresse le 17 janvier, il explique que les données linguistiques précises sont «un outil important pour permettre aux communautés linguistiques en situation minoritaire d’avoir un portrait réel».
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Mis à part la très répandue, mais discutable histoire de la présence d’un interprète noir nommé Mathieu Da Costa au sein des expéditions de Samuel de Champlain en Acadie et au Canada, les attestations de personnes noires en Nouvelle-France sont arrivées plus tard, au XVIIe siècle.
Leonard Braithwaite a été le premier député noir de l’Ontario. Son premier discours en Chambre a entrainé la fermeture de la dernière école ségréguée de la province en 1965.
À la demande des autorités coloniales, le roi Louis XIV autorise, en 1689, l’importation d’esclaves noirs dans ce qui est maintenant le Québec, quoique la présence d’esclaves africains en Nouvelle-France remontait à bien avant cette date.
À l’époque, les esclaves de la population blanche étaient surtout des Autochtones, en particulier de Panis (nom donné par les Européens aux Premières Nations vivant dans le bassin du Missouri).
Mais c’est l’arrivée massive de loyalistes dans le Canada actuel, après la guerre d’indépendance des États-Unis, qui entrainera la migration d’un large groupe de personnes noires vers les colonies britanniques au nord. Pour ces personnes, le nord représentait une oasis de liberté.
Mais cette liberté nouvellement acquise ne signifiera pas l’égalité avec les Blancs et encore moins l’intégration dans la société blanche.
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Après la guerre d’indépendance, la Grande-Bretagne a promis des terres aux personnes noires qui se sont battues pour elle dans les colonies américaines. Dans ce qui allait devenir l’Ontario et la colonie de la Nouvelle-Écosse (qui comprend alors le Nouveau-Brunswick d’aujourd’hui), la plupart des Noirs libres n’obtiennent cependant pas les terres promises. Et ceux qui en reçoivent se retrouvent avec des terres de piètre qualité.
D’autres vagues d’immigration noire suivront dans les décennies subséquentes. On estime qu’entre 1800 et 1865, environ 30 000 personnes noires s’installent au Canada.
La ségrégation territoriale commence rapidement à se pratiquer. On dirige les nouveaux arrivés noirs dans des lieux isolés des communautés blanches, comme à North Preston, près d’Halifax, et Elm Hill, près de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, deux localités qui existent toujours.
Une autre communauté noire vivait au sein même de la ville d’Halifax, dans un quartier séparé du reste de la municipalité. Fondé au milieu du XIXe siècle, Africville ne recevait pas les mêmes services municipaux, malgré le fait que les résidents – des personnes noires – payaient des impôts. Dans les années 1960, la Ville d’Halifax a forcé la relocalisation des résidents et a rasé le quartier Africville.
Ceux et celles qui décident de tenter leur chance dans les villes et les villages des Blancs feront face à la discrimination, au racisme et à la ségrégation sociale des autorités et de la majorité blanche.
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Dès le début du XIXe siècle, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse mettent en place des écoles légalement ségréguées. Le sud-ouest de l’Ontario est d’ailleurs l’endroit qui comptait la plus forte population noire au nord des États-Unis.
La pratique des écoles séparées en Ontario est formellement légalisée en 1850 par l’adoption d’un amendement à la Common Schools Act. Il prévoit l’établissement d’écoles séparées pour les protestants, les catholiques et les Noirs.
Dans certaines municipalités, les écoles sont physiquement séparées. Ailleurs, les élèves noirs fréquentent la même école que les élèves blancs, mais à des heures différentes, ou encore ils se voient désigner des bancs différents en classe.
Une législation semblable entre en vigueur en Nouvelle-Écosse en 1865. Certaines autorités scolaires interdisent carrément aux élèves noirs l’accès à l’école.
Dans cette province, à Inglewood et à Weymouth Falls, les écoles ne sont pas ségréguées, mais le résultat est le même, car les familles noires vivent dans des quartiers séparés qui leur sont réservés. Les enfants se retrouvent donc dans des écoles uniquement fréquentées par des Noirs.
En Ontario, la ségrégation dans les écoles perdurera jusqu’en 1965, dans la communauté de Colchester. Il faudra l’intervention en Chambre du premier député provincial noir, Leonard Braithwaite, pour alerter l’opinion publique à cette situation honteuse.
En Nouvelle-Écosse, la dernière école ségréguée, située à Guysborough, ne fermera ses portes qu’en 1983, il y a à peine 40 ans…
La ségrégation sociale des personnes noires aura cours dans la plupart des sphères de la vie, et ce, pendant des décennies. D’autres communautés non blanches subiront d’ailleurs cet opprobre, notamment les Asiatiques, surtout sur la côte ouest du pays et les Autochtones partout au pays.
En Ontario, Leamington et Kingsville étaient des communautés «sundown», c’est-à-dire des endroits où les Noirs étaient menacés d’être brutalisés s’ils ne quittaient pas la ville avant le coucher du soleil. À Harrow, il y avait des restaurants et des cinémas réservés aux Blancs.
À Vancouver, la discrimination existait également. Des clauses étaient incluses dans les transactions immobilières, jusqu’en 1965, pour empêcher la vente de propriété à des personnes d’origine chinoise, japonaise – ou autre provenance asiatique –, indiennes ou noires.
Ici et là au pays, les personnes noires se voient refuser l’accès à des restaurants, des barbiers, des théâtres, des cinémas, etc. Quand on les accepte, on les confine à l’étage ou dans des endroits séparés.
À Montréal, en 1936, Fred Christie se voit refuser une bière qu’il commande à la taverne York du Forum, en raison de la couleur de sa peau. Sa poursuite contre le débit de boissons du célèbre aréna de la Ligue nationale de hockey se rendra jusqu’en Cour suprême du Canada.
Le plus haut tribunal du pays donnera cependant raison à la taverne, statuant que les entreprises ont le droit de faire preuve de discrimination et de refuser de servir des clients.
L’histoire de Viola Desmond est emblématique. Femme d’affaires noire d’Halifax, elle décide de défier la discrimination raciale alors qu’elle doit s’arrêter pour la nuit à New Glasgow, en route vers Sydney.
Décret du gouvernement canadien de 1911, signé par le premier ministre Wilfrid Laurier, interdisant pour un an l’immigration de personnes noires.
Elle décide d’aller au cinéma Roseland et de s’assoir dans un siège réservé aux Blancs, tout devant dans la salle. Elle est expulsée de l’établissement, arrêtée et mise en prison pour la nuit. Elle reçoit en plus une amende.
Elle porte alors sa cause jusqu’à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Ce tribunal rejettera l’affaire, qui suscitera cependant l’indignation et constituera un moment marquant dans la lutte pour le respect et l’égalité de la communauté noire.
Viola Desmond est en quelque sorte la Rosa Parks du Canada. En 1955, cette femme noire de l’Alabama avait refusé de céder sa place à des Blancs dans un autobus. Elle avait, elle aussi, été arrêtée et condamnée à payer une amende. Son acte de défiance avait déclenché un mouvement de résistance contre la ségrégation aux États-Unis.
En 2010, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a présenté des excuses formelles et un pardon posthume à Viola Desmond, une femme qui a eu le courage de ses convictions. En 2018, elle est devenue la première femme – autre que la reine – à figurer sur un billet de banque au Canada.
Il faudra attendre l’adoption de la Charte des droits et libertés lors du rapatriement de la Constitution, en 1982, afin que les descendants d’esclaves africains obtiennent une égalité sur papier. Malheureusement, même si la ségrégation est disparue, la discrimination et le racisme perdurent.
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