le Mercredi 11 septembre 2024
le Jeudi 15 août 2024 6:30 Politique

Santé en français au Canada : «Deux poids, deux mesures»?

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Une directive québécoise a amené certains observateurs à s’interroger sur les paramètres linguistiques de la Loi canadienne sur la santé et le droit d’obtenir des soins dans la langue de son choix.  — Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse
Une directive québécoise a amené certains observateurs à s’interroger sur les paramètres linguistiques de la Loi canadienne sur la santé et le droit d’obtenir des soins dans la langue de son choix.
Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse
FRANCOPRESSE – Des députés fédéraux se disent inquiets après l’émission d’une directive controversée du gouvernement québécois sur l’accès aux soins dans la langue de son choix. Des voix s’élèvent pour réclamer une considération similaire à l’égard des francophones en situation minoritaire.
Santé en français au Canada : «Deux poids, deux mesures»?
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Une directive du gouvernement québécois entrée en vigueur en juillet dernier précise la nature des situations dans lesquelles un organisme du réseau de la santé et des services sociaux peut utiliser une langue autre que le français.

Par exemple, cette permission est accordée «lorsque la santé, la sécurité publique ou les principes de justice naturelle l’exigent», notamment «dans toute situation d’urgence».

La députée libérale Anna Gainey a évoqué le critère d’accessibilité de la Loi canadienne sur la santé pour défendre ses préoccupations. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

La directive a été mal accueillie par les députés fédéraux libéraux de Montréal Anthony Housefather, Emmanuella Lambropoulos et Anna Gainey. Cette dernière a exprimé ses inquiétudes dans une déclaration officielle, le 7 aout dernier.

«[Certains électeurs] sont très inquiets, car la directive les empêchera de communiquer efficacement avec les personnes qui s’occupent d’eux», écrit-elle.

Elle ajoute s’être assurée que «le gouvernement fédéral, qui est un grand partenaire en vertu de la Loi canadienne sur la santé, est conscient de ces préoccupations et prêt, au besoin, à intervenir et à insister sur le respect des principes fondamentaux, en particulier en ce qui concerne l’accès universel aux soins de santé dans les deux langues officielles».

Comme évoqué par Anna Gainey, l’accessibilité à des soins de santé reste l’une des conditions de versements de fonds fédéraux à une province dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé.

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Quelques clarifications

Le 31 juillet, le ministre de la Langue française du Québec, Jean-François Roberge, a remis «les pendules à l’heure».

La directive «permet à toutes les personnes qui le souhaitent de recevoir des soins de santé dans une autre langue que le français», a-t-il assuré dans une publication sur le réseau social X.

«Sauf exception pour les membres de la communauté historique anglophone, la directive prévoit que les communications de nature administrative ou qui ne compromettent pas la santé de l’usager doivent être en français.»

La réponse du gouvernement

«Nous respectons la juridiction du Québec en matière de santé et ses efforts pour protéger la langue française, mais cela ne doit pas se faire au détriment du droit des Québécois à recevoir des soins dans l’une ou l’autre des langues officielles», a déclaré Randy Boissonnault, le 10 aout dernier.

Questionné par Francopresse sur la situation des francophones hors Québec, l’attaché de presse du cabinet de M. Boissonnault, Mathis Dennis, a assuré par courriel que «chaque Canadien a le droit d’accéder à des services médicaux dans la langue officielle de son choix, ce qui inclut les francophones et les anglophones en situation minoritaire».

Il a rappelé l’existence de mesures pour soutenir les services dans la langue de la minorité, incluant la santé, dans le Plan d’action sur les langues officielles (2023-2028).

Mais le juriste Michel Doucet, en entrevue avec Francopresse, demeure incrédule : «Il faut s’assurer que même si on accorde certains appuis, qu’en bout de ligne, le résultat soit là et que les gouvernements provinciaux respectent leurs obligations vis-à-vis des communautés francophones.»

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«Le fait que ce ne soit pas interdit aux francophones à l’extérieur du Québec de demander un service en français ne veut pas dire qu’on va l’obtenir», rappelle le juriste Michel Doucet. 

Photo : Courtoisie

Et les francophones?

Les réactions ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux, ramenant sur le devant de la scène les revendications des francophones en situation minoritaire.

«C’est bon à savoir si c’est exact. Alors, le reste du Canada mine la Loi canadienne sur la santé depuis des années en n’offrant pas de services en français?», a questionné Michel Doucet, en réplique aux propos d’Anna Gainey sur la plateforme X.

«Faut-il conclure que le gouvernement fédéral se battra pour que les minorités francophones du reste du Canada puissent elles aussi recevoir des soins de santé dans leur langue maternelle…? Deux poids, deux mesures. Deux langues, deux approches», a pour sa part lancé le co-porte-parole du Parti québécois en économie, Gabriel Coulombe.

Toujours sur X, une internaute, Rosella Melanson, a répondu à la déclaration du ministre fédéral des Langues officielles, Randy Boissonnault, en lui demandant où il était «ces dernières décennies quand des Néobrunswickois […] hurlaient qu’ils ne peuvent pas avoir de services dans leur langue?»

En entrevue, Michel Doucet a rappelé qu’à l’extérieur du Québec, «les francophones ont toujours énormément de difficulté d’avoir accès à des services de santé dans leur langue».

En réaction à ses publications, certains utilisateurs de X ont rétorqué que hors Québec, il n’est pas interdit d’octroyer des services en français. À cela, Michel Doucet répond : «On n’a pas besoin de les interdire pour qu’ils ne soient pas accessibles.»

Les francophones ont encore énormément de difficulté, et on n’a vu personne se déchirer la chemise sur la place publique. J’aimerais voir le même empressement à défendre les intérêts des communautés francophones à l’extérieur du Québec que ce qu’on a vu au Québec dans ce dossier.

— Michel Doucet

Du potentiel juridique

Sur la question de la Loi canadienne sur la santé, le juriste n’est pas convaincu que le principe d’accessibilité s’applique aux langues officielles. «Mais il faudra voir, ajoute-t-il. Peut-être que la députée Gainey a accès à de l’information que je n’ai pas. J’ai hâte de voir quelle interprétation sera donnée à ce critère-là.»

Selon l’avocat François Larocque, la Loi canadienne sur la santé pourrait être interprétée de manière à obliger l’accès aux soins en santé en français pour les francophones en situation minoritaire. 

Photo : Valérie Charbonneau

«Les lois qui encadrent les systèmes de santé au Canada sont nombreuses et complexes, poursuit le professeur de droit de l’Université d’Ottawa, François Larocque. Mais chose certaine : la Loi canadienne sur la santé est silencieuse sur la langue.»

L’esprit général de cette loi est de financer un système de santé universel et de règlementer les prestations du fédéral.

«Cela étant dit, j’ai déjà vu par écrit des arguments comme quoi il serait possible de voir dans le critère d’accessibilité […] une dimension [linguistique]», avance le professeur, qui évoque notamment le langage «flexible» de la Loi.

Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a de son côté indiqué par courriel ne pas pouvoir se prononcer sur l’interprétation de la Loi sans avoir mené une enquête.

Se faire soigner dans la langue officielle de son choix est une question de respect et de sécurité, et ce pour tous les Canadiens et les Canadiennes.

— Raymond Théberge

Anna Gainey, Anthony Housefather et Emmanuella Lambropoulos n’ont pas donné suite à nos demandes d’entrevues. Francopresse attend toujours des réponses du bureau du ministre de la Santé, Mark Holland.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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