le Vendredi 18 juillet 2025

S’il pense que la cible de 6 % d’immigrants francophones pour 2024 sera «largement atteinte, à moins d’un revirement majeur», le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, assure que l’immigration est «indispensable», mais qu’elle n’est pas la «solution à tout».

«C’est la clé de la revitalisation des communautés» francophones à l’extérieur du Québec, a-t-il tout de même assuré au président du Comité, le sénateur acadien René Cormier.

Le ministre témoignait sur deux sujets liés à la francophonie minoritaire : l’immigration et les conséquences du plafonnement des permis pour des étudiants internationaux pour les établissements postsecondaires.

Le gouvernement fédéral a récemment annoncé des cibles progressives afin d’atteindre 10 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec en 2027.

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«Une cible de 10 %, c’est beaucoup demander à mon ministère»

Mais une cible de 10 %, «c’est beaucoup demander à mon ministère, mais aussi aux communautés, qui ne sont pas nécessairement habituées à voir de nouveaux arrivants, surtout dans un petit village, où il y a deux maisons de libres. Ça peut poser des problèmes d’intégration et de migration vers les grands centres, où il y a plus de logements», a-t-il déclaré en entrevue avec Francopresse, en marge du Comité.

Il faut regarder ce qui est réalisable. En politique, la pire chose est d’entretenir le faux espoir. Je voulais donner un coup de barre à mon ministère pour augmenter le nombre d’immigrants francophones.

— Marc Miller, devant les sénateurs

Pour Marc Miller, l’une des solutions autre que l’immigration pour contrer la baisse du poids démographique des francophone repose surtout sur une bonne intégration des immigrants déjà présents avec l’assurance d’obtenir des services en français, l’accès à l’éducation et aux soins de santé, «dans les régions historiquement bilingues comme le Nouveau-Brunswick, ou celles qui ont une forte proportion de francophones», a-t-il confié à Francopresse.

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L’accompagnement par les provinces comme solution

Selon lui, l’accès à ces services ne peut se faire sans un engagement des provinces en la matière.

À la question de la sénatrice franco-ontarienne Lucie Moncion, qui a demandé quel était l’engagement des provinces en immigration francophone, le ministre a répondu que celui-ci était «souvent mitigé» : «Ça dépend de la mouture politique. Au Nouveau-Brunswick, j’ai plus d’espoir aujourd’hui que je ne l’avais il y a deux semaines. La collaboration dépend de la province en question.»

Ça incombe au gouvernement de l’Ontario de s’assurer que les Franco-Ontariens puissent avoir des services de qualité en français. Ça prend une réflexion de société.

— Marc Miller, en entrevue avec Francopresse

Marc Miller plaide aussi pour un processus «d’accompagnement» des immigrants comme solution, en parallèle des cibles d’immigration francophone. Sans cet accompagnement, il n’y a pas de rétention possible, estime-t-il : «C’est très important, sinon on manque notre coup.»

Et l’accompagnement commence «par les maires ou les organisations qui les entourent», maintient le ministre : «Il faut un engagement politique de tous les partis, peu importe à quel palier, pour un bon accompagnement.»

«Malgré moi transformé en ministre fédéral de l’Éducation»

Le ministre a également souligné «le manque flagrant de responsabilité des provinces» quant à la gestion du nombre de permis d’étude délivrés aux étudiants étrangers, plafonné en début d’année par le gouvernement fédéral.

En comité, le ministre Miller a accusé «beaucoup d’institutions» postsecondaires d’avoir privilégié «la quantité sur la qualité» pour faire plus d’argent.

Il a répondu avec vigueur sur la question des étudiants étrangers.

La modernisation de la Loi sur les langues officielles ne donnait pas nécessairement un passe-droit à toutes les institutions francophones d’aller se payer n’importe qui, n’importe comment avec les vannes ouvertes, simplement par prétexte qu’ils ont à cœur le fait français.

— Marc Miller

«Il fallait agir et limiter le volume pour miser sur la qualité. Je tends la main à ces institutions pour qu’on assume notre responsabilité de bien accueillir ces jeunes adultes dans des communautés qui leur sont nouvelles, quitte à pouvoir les accompagner dans la résidence permanente par la suite.»

Comme conséquence, selon le ministre, il y a des étudiants «fragilisés» qui demandent l’asile au Canada. «Ce n’était pas l’idée. Les gens n’ont pas la perspective de devenir des résidents permanents ou des citoyens.»

«Je n’ai jamais demandé aux institutions francophones, anglophones ou autres de facturer quatre fois le prix qu’un étudiant [canadien] pourrait payer dans les universités. Il y a eu un manque de responsabilité flagrant à certains égards. Le gouvernement fédéral se devait d’agir», a-t-il encore insisté.

Le ministre a annoncé cet été le lancement du Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire (PPECFSM), qui soustraira des étudiants internationaux francophones du plafond imposé pour le nombre d’étudiants étrangers, non francophones.

Il s’agit d’une autre manière, selon lui, d’augmenter le nombre d’immigrants francophones, en privilégiant l’accès à la résidence permanente pour ces étudiants. «Car ils ont un début d’intégration au pays», a-t-il justifié.

En entrevue avec Francopresse après le comité, Marc Miller déplore : «Je me suis transformé malgré moi en ministre de l’Éducation fédéral. Je ne voulais pas ce rôle, mais j’ai dû l’assumer.»

On a souvent expliqué les différences de niveaux de développement des pays par les différences géographiques ou les différences culturelles. 

Le philosophe français Montesquieu et l’économiste britannique Alfred Marshall, par exemple, argumentaient que le climat tropical diminuait l’ardeur au travail. Le sociologue allemand Max Weber, pour sa part, prétendait que les «valeurs protestantes» accroissaient l’ardeur au travail.

Pour les trois économistes américains nouvellement nobélisés, ce sont plutôt les institutions mises en place par les gens au pouvoir qui sont principalement responsables des différences de prospérité entre les pays. 

Ils utilisent le concept d’«institutions inclusives» pour décrire des institutions qui agissent pour que le fruit de la croissance soit partagé par l’ensemble de la population. Ces institutions économiques et politiques font en sorte que le droit de vote est favorisé. Leurs contraires sont des «institutions extractives», qui profitent plutôt à la minorité au pouvoir. 

Les institutions inclusives peuvent comprendre, par exemple, un régime politique démocratique, un système judiciaire impartial et des emplois gouvernementaux ouverts à tous, pas seulement aux amis du pouvoir. Le respect des droits de propriété privés est aussi important, afin que l’on ne puisse pas confisquer unilatéralement et sans fondement les avoirs d’un particulier.

La récente élection au Nouveau-Brunswick, où il y a eu un changement de gouvernement reflétant le souhait de la majorité de la population, est un exemple d’institution inclusive en action.

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Moins de liberté, moins de prospérité

Les lauréats du Nobel ont attribué le revers de fortune de nombreux pays et régions à la colonisation. 

Les structures imposées par les puissances coloniales variaient. Les régions qui connaissaient une prospérité impressionnante avant la colonisation, mais qui se sont vu imposer des institutions qui minimisaient les bénéfices pour les populations locales ont généralement connu un déclin de leur prospérité.

Par contre, les régions où ont été mises en place des institutions de redistribution de la richesse ont connu une croissance de leur niveau de prospérité.

Un exemple tiré de l’histoire récente présenté par les lauréats est celui de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. Ces deux pays ont une géographie similaire, soit la péninsule coréenne. Ils partagent une culture commune. La grande différence entre les deux pays est au niveau des institutions créées à la suite de la guerre de Corée. 

La Corée du Nord a choisi un régime dictatorial, sans démocratie et ne permettant pas l’existence d’un secteur privé «indépendant». 

La Corée du Sud, bien qu’elle ait connu certains régimes militaires, est une démocratie avec un secteur privé dynamique. Plusieurs compagnies de la Corée du Sud sont d’ailleurs des leadeurs mondiaux, tels que Kia, Samsung et Hyundai. 

La différence du niveau de vie entre ces deux pays est, selon les lauréats du Nobel, la démonstration que les institutions inclusives jouent un rôle fondamental dans le développement économique.

Les menaces actuelles

Il n’est probablement pas anodin que la Fondation Nobel ait décerné le prix 2024 aux économistes Acemoglu, Johnson et Robinson. Nous pouvons argumenter que les institutions qui assurent une certaine égalité des chances sont menacées dans de nombreux pays démocratiques. 

Les modèles russe ou chinois sont souvent présentés comme des solutions de rechange crédibles. Or, les travaux de ces économistes montrent qu’en l’absence d’institutions inclusives, les perspectives de développement ne sont pas reluisantes.

Les exemples de régions dans le monde où les institutions sont mises à rude épreuve abondent.

Aux États-Unis, Donald Trump a mis en doute la pertinence de certaines institutions américaines et semble avoir une admiration pour les façons de faire de certains dictateurs. 

Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement Higgs a tenté de réduire le rôle des conseils d’administration élus des régies régionales de la santé. 

Au Brésil, l’ancien président Jair Bolsonaro a également mis à mal les institutions de son pays. 

Et en Haïti, aujourd’hui, les institutions ne peuvent simplement plus jouer pleinement leur rôle. 

Dans les efforts de développement économique, on peut penser que l’aide internationale, des investissements importants ou des transferts technologiques peuvent changer le cours des choses. Cela est incontestablement vrai.

Néanmoins, Acemoglu, Johnson et Robinson nous enseignent qu’en l’absence d’institutions inclusives, incluant la démocratie, les espoirs d’une réelle prospérité risquent de ne pas se concrétiser.

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Pierre-Marcel Desjardins est titulaire d’un doctorat en économie de l’University of Texas (Austin). Il a obtenu un baccalauréat et une maitrise en science économique de l’Université de Moncton, où il enseigne l’économie depuis 1990. Ses recherches portent sur le développement économique régional et rural, les politiques publiques ainsi que la langue et l’économie. Il conseille gouvernements et organismes, en plus de faire partie de plusieurs conseils d’administration.

«La nourriture est le meilleur moyen de découvrir l’autre. En Afrique, la cuisine fait partie intégrante de qui on est, de notre quotidien», affirme le coordonnateur de projets au Contact interculturel francophone de Sudbury (CIFS), en Ontario, Gouled Hassan.

Une vingtaine de bénévoles confectionnent des plats de leur pays d’origine pour les faire découvrir lors de la soirée du Cabaret africain à Sudbury, en Ontario. 

Photo : Courtoisie

Le responsable parle d’un art culinaire qui «façonne les rencontres, exprime l’amour ou le chagrin» à l’occasion des mariages ou des décès.

Depuis 25 ans, le CIFS organise une fois par an le Cabaret africain. L’évènement multiculturel réunit quelque 500 personnes autour de la gastronomie, de la musique et de la mode. Le repas attire aussi bien des anglophones que des francophones, des Franco-Ontariens de longue date que de nouveaux arrivants déboussolés en quête de repères, détaille Gouled Hassan.

«On célèbre la diversité, on veut favoriser la rencontre de personnes qui ne se seraient pas croisées par ailleurs.»

Près de 80 bénévoles, dont une vingtaine en cuisine, s’activent pour donner vie à cette soirée qui se déroule à guichet fermé depuis 15 ans. Chaque année, plantain, couscous et riz en tout genre mijotent dans les marmites fumantes.

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Une semaine dédiée à l’immigration francophone

La Semaine de l’immigration francophone a lieu début novembre chaque année au Canada. Des activités d’intégration, de discussion et de rencontres entre nouveaux arrivants et communautés d’accueil sont organisées dans plusieurs communautés francophones.

Faire tomber les préjugés

Avec le Cabaret, Gouled Hassan souhaite faire tomber les clichés et les préjugés tenaces envers l’Afrique.

«Quand les Canadiens pensent Afrique, ils pensent famine, guerre, besoins humanitaires. On veut leur faire prendre conscience d’aspects plus positifs, leur montrer les richesses culturelles et l’apport des immigrants», insiste le coordonnateur.

Des groupes de musique professionnels se produisent lors de la soirée multiculturelle du Cabaret africain à Sudbury, en Ontario. 

Photo : Courtoisie

Plus à l’est, au Nouveau-Brunswick, les centres de la petite enfance de l’Association régionale de la communauté francophone (ARCf) de Saint-Jean tentent également de jeter des ponts entre les nouveaux arrivants et les deux communautés d’accueil de la région grâce à la nourriture.

Depuis quatre ans, les dix éducatrices des deux garderies du secteur mitonnent des spécialités de leur pays d’origine pour les enfants à l’occasion de la Semaine nationale de l’immigration francophone, début novembre.

Les tout-petits découvrent des recettes du Cameroun, du Maroc, d’Algérie, de Cuba. Mélanges sucrés-salés, soupes, boulettes de viande, haricots rouges sont à l’honneur.

«Les enfants sont très curieux, rien que les odeurs si particulières les attirent et ils posent des questions sur les ingrédients avant de déguster», assure l’éducatrice au CPE La vallée enchantée à Quispamsis, Malika Abbassi.

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«Les locaux s’ouvrent à nous et on s’ouvre à eux»

Originaire du Maroc, Malika Abbassi est engagée depuis le début dans le projet. L’an dernier, elle a cuisiné une medfouna, un plat traditionnel composé notamment de vermicelles de blé, de poulet et d’épices, puis recouvert de sucre à glacer et de cannelle.

Pour l’éducatrice en petite enfance, Malika Abbassi, la cuisine «permet aux gens de se rencontrer et de s’apprécier davantage, ça contribue à changer les regards». 

Photo : Claude Emond

Le personnel prépare aussi un livret pour les parents avec des explications sur l’histoire des mets et des détails sur les recettes, s’ils veulent les refaire chez eux. «C’est une manière d’aider les gens à voyager sans se déplacer, on ramène nos pays ici», se réjouit l’éducatrice.

Elle en est persuadée, la cuisine facilite l’intégration des immigrants : «Ça permet aux gens de se rencontrer et de s’apprécier davantage, ça contribue à changer les regards. Les locaux s’ouvrent à nous et on s’ouvre à eux.»

L’agente de projets arts et culture de l’Association franco-yukonaise, Alexia Desoblin, considère également que la cuisine est un «élément rassembleur».

Chaque mois, l’organisme propose un repas communautaire qui réunit au minimum 25 personnes de la communauté francophone. En novembre, c’est au tour de la gastronomie belge d’être sous le feu des projecteurs.

Il y a des liens énormes entre pratiques culinaires et intégration sociale des nouveaux arrivants. La mise en valeur du patrimoine culinaire aide à cultiver le dialogue et la curiosité de l’autre. 

— Alain Girard, professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec

Le sociologue de l’alimentation aimerait voir plus d’évènements de ce type : «Ça reste trop ponctuel et ça limite les possibilités d’établir des liens durables à l’extérieur, dans la vie de tous les jours.»

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La curiosité toujours au rendez-vous

À Quispamsis, dans le sud-ouest du Nouveau-Brunswick, Malika Abbassi a pu nouer des «relations plus profondes» avec plusieurs parents grâce à l’initiative de l’ARCf. «Avant c’était “bonjour, au revoir”, maintenant la cuisine a ouvert des portes, on a de nouvelles discussions sur mon pays, ma culture.»

Aminata Konaté, originaire du Mali, arrivée en 2013 au Canada, a créé son entreprise de traiteur My African Cuisine in YK dans les Territoires du Nord-Ouest. 

Photo : Courtoisie

«La nourriture est un moyen d’intégration et de partage, beaucoup de gens me connaissent à travers ma cuisine», abonde dans le même sens la fondatrice de l’entreprise de traiteur My African Cuisine in YK, dans les Territoires du Nord-Ouest (T. N.-O.), Aminata Konaté.

Venue du Mali, la jeune femme prépare des spécialités ouest-africaines, comme du riz jollof, du couscous sauté aux légumes, des grillades ou des bananes plantains. «Quand on parle de cuisine africaine, on réduit souvent ça au piment. Mon travail est l’occasion de faire connaitre la richesse et la diversité de notre patrimoine culinaire.»

Arrivée dans les T. N.-O. en 2019, elle a commencé par vendre des jus de gingembre et d’hibiscus au marché des fermiers de Yellowknife. Elle a ensuite lancé sa gamme de sauce et offre désormais un service de traiteur pour des repas à domicile ou de plus grands évènements, comme des assemblées générales ou des 5 à 7.

«Les gens sont toujours très curieux, ils aiment quand je leur donne de l’information sur mon pays d’origine, sur ma langue maternelle, le bambara, que je leur explique mes traditions», salue Aminata Konaté, qui évoque le «bonheur» de confectionner des plats de son enfance.

Les odeurs et les saveurs lui redonnent le gout du Mali et lui rappellent la richesse de ses racines.

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«Dans une campagne électorale, ce qui est important, c’est que les gens soient informés», amorce la chercheure au Groupe de recherche en communication politique (GRCP) de l’Université Laval, Mireille Lalancette.

Mireille Lalancette rappelle que la baisse du niveau d’information des électeurs n’est pas seulement due au blocage de Meta, mais aussi, par exemple, à la graduelle disparition des journaux papier. 

Photo : Josee-Beaulieu-UQTR

Or, le blocage des médias canadiens sur les plateformes de Meta accentue les risques de désinformation : «Beaucoup de gens sont moins informés, ont des informations qui n’en sont pas. Ils vont être informés par des influenceurs, par des annonces, par des gens qui ne sont pas assujettis à une éthique journalistique.»

Étant donné que la plupart des Canadiens préfèrent ouvrir les réseaux sociaux qu’un journal ou qu’un site Web d’information, le risque de n’être exposé qu’aux propos de personnalités politiques et de leadeurs d’opinion est encore plus grand depuis le blocage.

Et quand la seule information dont disposent les gens est fausse ou politisée, «ça soulève des questions importantes sur l’avenir de la démocratie et de la manière dont on peut prendre des décisions importantes, comme celle d’aller voter», dit Mireille Lalancette. «Ça peut faire une grosse différence sur les élections en général.»

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L’importance des journaux locaux

Selon le président de Réseau.Presse (l’éditeur de Francopresse) et directeur général du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Nicolas Jean, la «manipulation de l’opinion» au travers d’informations trompeuses reste «le risque principal».

«Il y a encore des gens, à ma grande surprise, qui découvrent qu’on n’est plus sur Facebook depuis un an», témoigne Nicolas Jean. 

Photo : Courtoisie

«On sait à quel point ces plateformes, dont Facebook, sont utilisées dans nos communautés. Si je prends le cas de la Nouvelle-Écosse, des communautés rurales que l’on desserre, c’est une plateforme extrêmement utilisée, rapporte-t-il. Tout passe par Facebook.»

Malgré la hausse de trafic sur le site Internet du Courrier de la Nouvelle-Écosse depuis le blocage de Meta, sans la présence de ses contenus sur les réseaux sociaux, le média perd une partie de son pouvoir d’information.

«Je pense qu’on a un rôle important à jouer en période électorale, évidemment. On pense aux médias comme contrepouvoir. […] Que ce soient des élections municipales ou fédérales, il y a aussi un rôle éducationnel auprès des populations», commente-t-il.

Par exemple, pour expliquer les enjeux électoraux, les décisions «qui pourraient affecter la vie dans ces communautés en situation minoritaire» ou «le positionnement des conservateurs sur l’éducation en français [et] sur la place des médias dans ces communautés-là», il estime que son journal s’avère crucial.

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Des «opinions qui nous confortent»

Selon le chercheur en communication politique à l’Université Laval, Bader Ben Mansour, le contenu journalistique permet de diluer les chambres d’écho sur les réseaux sociaux en offrant du contenu neutre et des points de vue variés.

Les chambres d’écho, qu’est-ce que c’est?

Les chambres d’écho désignent des environnements médiatiques où les individus sont principalement exposés à des opinions similaires aux leurs, ce qui renforce leurs idées et croyances, tandis que les perspectives opposées sont minimisées ou ignorées.

Ce phénomène, souvent observé sur les réseaux sociaux, serait notamment favorisé par le phénomène des bulles de filtres et par la tendance des gens à privilégier spontanément les informations qui confortent leurs croyances, rapporte l’Office québécois de la langue française (OQLF).

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En ayant uniquement accès à du contenu généré par des organisations politiques et des internautes citoyens, on se retrouve souvent devant des «opinions qui nous confortent», observe-t-il : «L’information qui va être proposée dans notre fil d’actualité [sera] plus du contenu partisan que du contenu journalistique.»

«Le politicien, ça va être bien pour eux. Pour la démocratie, ça va être un gros problème», estime Elie Serge Banyongen, au sujet de l’absence des médias d’information sur des réseaux sociaux. 

Photo : Courtoisie

Pourtant, le contenu journalistique favorise parfois «un certain débat dans les commentaires», note le chercheur. «Ça permet de voir des avis différents, divergents, sur certaines positions de partis politiques par exemple.»

«C’est très difficile de percer des phénomènes comme les chambres d’écho, accorde le professeur en d’études politiques à l’Université d’Ottawa, Elie Serge Banyongen. [Les médias] peuvent apporter un contrediscours, une approche rationnelle à l’information et aux faits.»

Selon lui, l’environnement médiatique actuel «a effacé la distinction capitale entre les faits, les sentiments et les opinions».

L’équilibre qu’apportent les médias sur les réseaux sociaux est d’autant plus important à la lumière de l’évolution de la communication politique. Le professeur rappelle la prépondérance actuelle de l’«infotainment», des «soundbites» et des jeux de mots qui alimentent la communication de politiciens.

«Mais derrière le jeu de mots, il y a des conséquences», prévient-il.

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«Très bien» pour les politiciens

«Pour les politiciens, c’est très bien, parce qu’il n’y a plus de filtre», souligne Elie Serge Banyongen.

Les réseaux sociaux permettent aux candidats politiques de «directement parler aux individus». Mais l’absence des médias sur ces mêmes plateformes empêche des éléments importants : «la vérification, l’approche rationnelle, la lecture et l’analyse des informations», regrette-t-il.

Les utilisateurs qui ont le réflexe d’ouvrir les journaux papier ou de visiter leurs sites ne forment qu’un «très petit» pourcentage, relève Bader Ben Mansour.

«Pour le débat public, le fait qu’on n’ait plus de contenu journalistique, ça va laisser davantage place à la désinformation, à la polarisation et à la mésinformation», craint Bader Ben Mansour. 

Photo : Courtoisie

Le spécialiste affirme que le blocage de Meta a tout de même des répercussions négatives sur les politiciens, car ces derniers ont toujours besoin des médias traditionnels.

Sur les réseaux sociaux, auparavant, le contenu journalistique offrait une grande visibilité aux messages des organisations politiques, analyse-t-il. «Il est plus crédible également parce qu’il a été écrit [avec] une déontologie journalistique.»

«Pour les politiciens qui croient en la démocratie, ça ne les arrange pas du tout, estime Mireille Lalancette. Les politiciens respectent les médias, veulent que les citoyens soient informés, que la démocratie fonctionne.»

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Un avenir incertain

Le blocage de Meta est encore récent, la recherche scientifique sur ses impacts n’est donc pas complète. En attendant, Mireille Lalancette espère que la situation «va prendre une autre tournure».

Elle fait remarquer que les médias et leurs lectorats ont trouvé des moyens de contourner le blocage, comme en ajoutant des lettres à retirer au début des hyperliens qui mènent vers les articles de presse. D’autres partagent, sur les plateformes de Meta, une publication existante sur la plateforme X dans laquelle l’article est accessible.

«Mais je m’imagine que X et Facebook ne sont pas dupes, dit Mireille Lalancette. Ils ne vont pas laisser faire ça longtemps.»

Né à Montréal en 1915, Marcel Ouimet a 2 ans lorsque sa famille déménage à Ottawa, où il grandira, étudiera et fera ses premières armes en journalisme. Son père, Paul G. Ouimet, était responsable de la traduction à la Chambre des Communes.

C’était l’époque du Règlement 17 adopté par le gouvernement de l’Ontario pour limiter l’usage du français dans les écoles de la province. Le pays était par ailleurs plongé dans le débat sur la conscription, alors que la Première Guerre mondiale faisait toujours rage.

Lorsqu’il termine ses études en sciences politiques à l’Université d’Ottawa, en 1934, Marcel Ouimet décroche aussitôt un premier boulot au journal franco-ontarien Le Droit d’Ottawa. Peu de temps après, il obtient une bourse pour étudier les sciences sociales et politiques à Paris pendant deux ans.

À son retour au Canada, en 1939, il reprend la plume au Droit, mais sa jeune carrière prend un tournant déterminant.

D’Ottawa à Londres

Pendant son séjour en France, Le Droit avait fait l’acquisition de la station de radio CKCH de Hull, maintenant Gatineau, au Québec, qui était une station affiliée à Radio-Canada, fondée quelques années auparavant.

Marcel Ouimet en 1946 lors d’un enregistrement pour l’émission À ceux qui reviennent, sur Radio-Canada. 

Photo : Conrad Poirier, BAnQ, Wikimedia Commons, domaine public

Le journal avait fait aménager dans ses bureaux une cabine d’où ses journalistes, dont Marcel Ouimet – et, incidemment Jules Léger, futur gouverneur général du Canada –, présentaient quotidiennement des bulletins de nouvelles.

Marcel Ouimet est alors recruté par Radio-Canada comme annonceur en prévision de la visite royale du roi George VI et de la reine Élisabeth (parents d’Élisabeth II).

À l’époque, le diffuseur public de langue française n’a pas de service de nouvelles. Les informations qu’il livre en ondes sont préparées par la Presse canadienne et traduites.

Quand la guerre éclate en Europe en septembre 1939, Radio-Canada décide de se doter de son propre réseau de nouvelles et il en confie la tâche au jeune Marcel Ouimet. À 25 ans, celui-ci devient, en janvier 1941, le chef de la première salle de rédaction de Radio-Canada.

La société publique envoie quelques correspondants de guerre pour couvrir le conflit, mais ceux-ci sont essentiellement confinés à Londres, d’où ils décrivent la guerre.

Marcel Ouimet au front

En 1943, Marcel Ouimet part pour l’Europe avec deux autres journalistes, Benoit Lafleur et Paul Barette. Ils accompagnent les troupes canadiennes et britanniques sur le terrain. Mais Marcel Ouimet se démarquera rapidement, d’abord en Italie où les Alliés mènent une première campagne.

Le journaliste Ouimet préparera des reportages touchants sur la présence des soldats canadiens qui vivent une première période de Noël loin des leurs.

Il est ensuite rapatrié à Londres où on se prépare pour une opération encore plus importante, celle qui marquera la Seconde Guerre mondiale : le débarquement de Normandie.

Marcel Ouimet est aux premières loges en ce 6 juin 1944. Il est de la deuxième vague d’assaut qui prend pied sur les plages de Bernières-sur-Mer, deux heures après que les premiers soldats alliés eurent débarqué.

            Extrait d’un reportage de Marcel Ouimet lors du jour J :

Tout semble irréel. Sur le front, officiers de l’armée et de la marine, soldats et marins suivent le progrès de l’opération. Nous nous rapprochons constamment de la côte. C’est à ce moment que les petites embarcations de débarquement nous dépassent. Elles transportent les troupes d’assaut massées, l’arme au bras, coiffées de leur casque d’acier, ne portant que le strict nécessaire, leur masque à gaz et des rations pour 24 heures, leur gamelle, leurs pansements de premiers secours. […] Une fumée grise et noire commence à envelopper le village et quelques maisons sont en feu au moment où les premiers soldats se précipitent sur la plage. De loin, nous pouvons les voir monter à l’assaut au milieu des tirs de mitrailleuses, au milieu des mortiers et des obus que tirent certaines batteries allemandes qui n’ont pas encore été réduites au silence.

— Marcel Ouimet

Plusieurs jeunes soldats tomberont au combat et, comme le racontait Marcel Ouimet, ils feront «leur dernier sommeil sur ce sol riche que des Français ont quitté pour aller fonder la Nouvelle-France».

La Libération

Au cours des semaines et des mois suivants, Marcel Ouimet sera sur place lors de la libération de Paris et témoignera de «la joie du peuple, une véritable explosion». Il continue d’accompagner les troupes jusqu’aux Pays-Bas, où on apprend la prise de Berlin et le suicide d’Adolf Hitler.

Accompagnant le Régiment de la Chaudière, l’intrépide correspondant parcourt quelques villes allemandes dévastées pour se rendre jusqu’à la capitale du Troisième Reich.

Il pénètre même dans les ruines du bunker du führer, l’un des seuls journalistes alliés à avoir eu ce privilège. Il y récupère quelques décorations qu’Hitler distribuait à ces officiers méritants et les envoie à son parton, le directeur général de Radio-Canada, Augustin Frigon.

L’extérieur du bunker d’Adolf Hitler détruit lors de la prise de Berlin. Marcel Ouimet a pu y pénétrer. 

Photo : Wikimedia Commons, Archives fédérales allemandes, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0

Pendant cette période, un autre jeune journaliste canadien-français est témoin de l’offensive et de la victoire des Alliés en Europe, soit René Lévesque, futur premier ministre du Québec, qui est pour sa part correspondant pour l’armée américaine.

Marcel Ouimet revient en France, assez longtemps pour couvrir le procès du maréchal Pétain, celui qui avait décidé de pactiser avec le dictateur allemand et de lui soumettre sans combat la partie nord de la France.

Au cours de ses 18 mois en service en Europe, Marcel Ouimet a produit près de 200 reportages sur le front, majoritairement en français.

René Lévesque était un autre journaliste canadien-français sur le terrain, avec l’armée américaine, pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Photo : Wikimédia Commons, Domaine public

Marcel Ouimet est resté assez longtemps en France après la guerre pour suivre le procès du maréchal Philippe Pétain. 

Photo : Wikimédia Commons, Domaine public

De journaliste à directeur général

Pendant l’après-guerre, Marcel Ouimet grimpe rapidement les échelons de l’administration de Radio-Canada. Dès son retour, il est nommé à un poste de direction et devient quelques années plus tard vice-président puis directeur général du réseau français.

C’est sous sa gouverne que Radio-Canada étend ses ailes et ses antennes à l’extérieur du Québec, avec une première station à Moncton, en 1954.

Ses années de correspondant de guerre auront marqué la profession de journalisme, selon Marc Laurendeau, qui a réalisé une série radiophonique sur les correspondants et envoyés spéciaux de Radio-Canada.

Pour lui, Marcel Ouimet était de la trempe des grands journalistes. «Il était l’équivalent d’un [Ernest] Hemingway, correspondant de guerre aussi. […]. C’est un pionnier du journalisme international. C’est un modèle pour plusieurs générations de journalistes, pour ses reportages en particulier sur le débarquement en Normandie, qui sont d’une grande, grande, grande sensibilité.»

Un son si particulier

Matt Boudreau est l’une des voix de plus en plus familières de l’Acadie. Membre de la formation Baie, musicien pour plusieurs artistes, l’auteur-compositeur-interprète, natif de Petit-Rocher comme Denis Richard, nous proposait à la fin septembre son 4e disque solo : Yellow Mellow.

Pochette de l’album Yellow Mellow

Photo : legreniermusique.com

Toujours avec ce son pop-rock qui démarque le musicien, l’album nous captive par une fraicheur hors du commun. Les arrangements sont des moments magiques, qui nous séduisent chaque seconde. Le tout compose un mélange fluide de claviers et de guitares qui donne ce son si particulier, propre à l’artiste, dont le timbre de voix reste enveloppant, texte après texte.

Tout au long de l’album, l’Acadien nous parle d’amour, d’évasion et de prendre le temps de vivre. On découvre de vrais petits bijoux. Dès Supernova la séduction opère. Sur les plages Chérie, Tes dents sont belles et Cerf-volant les chœurs de Maude Sonier ajoutent un peu de tendresse.

Parlant de tendresse, Matt Boudreau termine l’album avec une prestation guitare-voix sur la belle petite chanson Lou.

Supernova
Album : Yellow Mellow

Une voix qui traverse le temps 

L’auteur-compositeur-interprète Brian St-Pierre nous présentait à la fin septembre un 7e opus solo, Malgré tout, où l’on retrouve encore toute la magie de l’artiste. Il y a une trentaine d’années, le Franco-Ontarien épatait la galerie avec ses compositions pour le groupe Vice-Versa.

Pochette de l’album Malgré tout

Photo : lecanalauditif.ca

Du pop rock accrocheur à la ballade folk profonde, nous sommes à nouveau séduits par la puissance des mélodies. Chaque texte est accompagné d’un univers musical juste, qui interpelle sur des sujets aussi bien légers que profonds.

Avec toi je vole et Je te vois sont deux superbes textes sur la source de son inspiration. Te souviens-tu de moi et Coule le temps abordent la question du temps et des souvenirs.

Les yeux pleins d’eau est l’une des deux pièces maitresses du disque. Il s’agit d’une ballade aux sonorités des années 1950, qui rend un superbe hommage à une personne chère.

Il y a enfin la pièce-titre Malgré tout, un puissant arrangement piano-voix, supporté par un quatuor à corde qui saura vous soutirer une larme.

Malgré les années, malgré la pop moderne, l’artiste franco-ontarien sort du lot et nous offre de magnifiques mélodies, accompagnées de textes remplis de vérité. Cette voix réconfortante demeure une inspiration pour toute la communauté francophone de l’Ontario.

Beaucoup d’amour
Album : Malgré tout

Un tempo endiablé

Vincent Bishop, natif de Vancouver mais franco-ontarien d’adoption, nous proposait, en 2022, un premier album francophone au tempo endiablé : L’amour serait bienvenu, un bouquet de mélodies accrocheuses aux rythmes folkloriques.

Se basant sur des structures de musiques folkloriques et chansons à répondre, Vincent Bishop propose des trames accrocheuses bien construites, accompagnées d’excellents textes, livrés avec une énergie contagieuse.

Pochette de l’album L’amour serait bienvenu

Photo : vincentbishop.ca

Les thèmes de prédilection de l’auteur sont l’amour, les relations humaines et le courage. Il laisse souvent transparaitre une charmante touche d’humour.

Tout au long de son 3e opus, Vincent Bishop nous offre plusieurs vers d’oreille irrésistibles. Le premier en tête de liste est Dans l’air pur et clair. L’une des versions de cet extrait est presque à capella, avec seulement une petite trame de percussion.

Dansons la corona est un petit velours humoristique qui nous fait du bien, tout comme La vision 20/20. Je dois dire bravo à Vincent Bishop pour une autre version tellement rafraichissante de Mille après mille.

La pièce maitresse de l’album est selon moi Plus que tout. Elle se démarque non seulement par son style musical, mais aussi par la profondeur du texte et de la mélodie.

Il s’agit donc d’un opus francophone rafraichissant fort réussi, livré avec une énergie contagieuse. Vincent Bishop se permet quelques à-côtés qui viennent démontrer une facette plus profonde de l’auteur-compositeur-interprète.

Dans l’air pur et clair
Album : L’amour serait bienvenu

«Nous avons initié ce matin un recours déposé à la Cour fédérale à Montréal pour que la Cour suprême du Canada […] traduise les jugements qu’elle a rendus antérieurement à l’adoption de la Loi sur les langues officielles», a lancé le juriste et président de DCQ, Daniel Turp, en conférence de presse le 1er novembre.

C’est un peu surréaliste de devoir faire ça, mais à Droits collectifs Québec, on est préoccupés par le respect des droits politiques et linguistiques des francophones du Québec et du Canada dans son ensemble.

— Daniel Turp

Le bureau de la registraire de la Cour suprême du Canada (BRCSC) est composé d’employés du gouvernement fédéral qui travaillent exclusivement pour la Cour suprême. C’est donc le BRCSC spécifiquement qui est visé par la poursuite, et non la Cour suprême ou les juges.

«Il y a un problème sérieux parce qu’il y a un tribunal, pas n’importe lequel, le tribunal suprême, qui refuse de respecter l’État de droit», alerte Daniel Turp. 

Photo : Wikimedia Commons

Les décisions rendues par la Cour suprême avant 1970 sont disponibles en ligne depuis quelques années, mais pas dans les deux langues officielles. DCQ a été la deuxième entité à porter plainte. On estime qu’environ 6000 de ces décisions sont en anglais seulement.

Comme pour la première plainte, le commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, a conclu en septembre dernier que le plus haut tribunal du pays ne respecte pas la Loi sur les langues officielles.

«Je conclus que toutes les décisions que la Cour suprême publie sur son site Web devraient être dans les deux langues officielles puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale», avait-il écrit dans son rapport final, dont Francopresse avait obtenu une copie.

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Ordonnance, lettre d’excuses et de l’argent

DCQ a donc déposé vendredi un avis de demande et un affidavit devant la Cour fédérale.

L’organisme cherche quatre conclusions particulières : avant tout une ordonnance de la Cour fédérale pour obliger la Cour suprême à traduire ses anciennes décisions, puis un jugement déclaratoire, une lettre d’excuses officielles destinée à l’ensemble des francophones du Canada et des dommages et intérêts à hauteur d’un million de dollars.

De gauche à droite, Alyson Mercure (étudiante stagiaire à DCQ), François Côté, Daniel Turp, Etienne-Alexis Boucher. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Ce million servirait d’abord à couvrir les frais judiciaires de la cause. La balance serait remise à des «des organismes de défense de la langue française et des droits des francophones», s’est engagé le directeur général de DCQ, Etienne-Alexis Boucher, en conférence de presse.

Son collègue, l’avocat François Côté, assure que même si la liste des organismes n’est pas encore dressée, des organismes francophones en situation minoritaire seront considérés.

«D’ailleurs, on espère que la FAJEF [Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, NDRL], qui est intervenue médiatiquement, s’inscrira dans le débat à titre d’intervenante.»

«Donc la FAJEF est une évidence, poursuit-il. Il y en a d’autres […] qu’on regarde, comme la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada par exemple.»

En entrevue avec Francopresse, le président de la FAJEF, Justin Kingston, dit explorer la possibilité d’être intervenant dans le cadre de cette poursuite.

Dans un affidavit, Etienne-Alexis Boucher se dit «profondément déconsidéré et humilié dans ma dignité humaine, linguistique et citoyenne». 

Photo : Mouvement national des Québécois et Québécoises

Unir les francophones pour la lutte

«Il y a là une opportunité unique pour les francophones du Québec et les francophones du Canada de commencer à rebâtir une forme de communauté politique qui a été très affectée depuis 1969, depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles qui a fini par diviser les francophones québécois des francophones du reste du Canada», a pour sa part déclaré Etienne-Alexis Boucher.

C’est, selon lui, le moment pour «que les francophones, peu importe où ils se situent, qu’ils soient au Manitoba, au Canada, en Acadie ou encore en Colombie-Britannique, s’unissent pour lancer un message très fort à l’effet que jamais plus les francophones du Canada et du Québec accepteront que leurs droits soient brimés, cela même par le plus haut tribunal du pays».

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Dans un communiqué de presse, DCQ détaille sa motivation : «Plus jamais ne sera toléré le fait de voir les francophones du Québec et du Canada être considérés comme des citoyennes et des citoyens de seconde zone, des citoyennes et des citoyens dont les droits peuvent être bafoués sans aucune conséquence.»

«Droits collectifs Québec lance un appel à la mobilisation de la nation québécoise et des communautés francophones et acadienne», lit-on aussi.

En entrevue avec Francopresse, Etienne-Alexandre Boucher détaille la volonté de créer ce pont : «Ce dossier-là les concerne, au moins autant que les Québécoises et les Québécois. C’est une évidence. […] Et quelque part, les communautés francophones et acadiennes hors Québec sont des alliés naturels pour les Québécoises et les Québécois.»

«C’est concret»

Daniel Turp martèle que cette affaire, «c’est très concret». Il donne l’exemple d’un jugement de la Cour suprême impliquant un ancien premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, dans les années 1950.

«Cette décision-là, depuis 1959, a été citée 1317 fois par les tribunaux. Juste en 2024, elle a été citée 30 fois.»

Pourtant, la décision n’est disponible qu’en anglais sur le site de la Cour suprême, comme l’a constaté le juriste quelques minutes avant la conférence de presse.

En tant que professeur émérite de droit, M. Turp peut témoigner de l’importance d’avoir ces décisions dans les deux langues officielles : «Pendant 40 ans, je voulais faire lire des jugements aux étudiants […], mais ils n’ont jamais pu lire la version française.»

Une question de moyens

Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a évoqué par le passé un manque de ressources pour traduire les anciennes décisions.

En conférence de presse, Etienne-Alexis Boucher argüe que la capacité de travail du milieu de la traduction «est présente pour relever ce défi-là».

«Nous n’avons pas la confiance aveugle nécessaire pour tout simplement se dire “le CLO a rendu un rapport et nous allons espérer que la Cour suprême suive les recommandations”», regrette François Côté. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

«Je suis persuadé que le gouvernement fédéral serait très ouvert à réserver des enveloppes spéciales dédiées au BRCSC [Bureau de la registraire de la Cour supérieure du Canada] pour permettre à cette dernière de respecter l’État de droit», ajoute-t-il.

François Côté renchérit que le BRCSC dispose déjà d’un budget annuel significatif ainsi qu’une possibilité de crédit supplémentaire.

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En entrevue avec Francopresse, M. Boucher ajoute qu’en cas de victoire, il serait inconcevable que le gouvernement fédéral ne s’engage pas pour régler la question.

«La jurisprudence est très claire sur la question : l’allocation des ressources ou le manque de ressources n’est absolument pas une justification valable pour brimer les droits fondamentaux.»

Il rappelle que la Cour suprême elle-même a déjà jugé en ce sens dans le cadre d’autres affaires judiciaires.

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«Le Collectif postera une date sur son site web bientôt, maintenant que nous avons la législation», a précisé en entrevue avec Francopresse Cathy Edwards, l’administratrice du CCJ et directrice générale de la Canadian Association of Community Television Users and Stations.

Le 28 octobre, le CRTC a annoncé qu’il accordait à Google l’exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne. Pour avoir droit à l’exemption de négocier avec chaque média, le géant du Web remettra la somme de 100 millions de dollars qui sera redistribuée aux médias admissibles et qui ont fait la demande.

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On rembobine

La Loi sur les nouvelles en ligne adoptée en 2023 exige que les grandes entreprises du numérique, telles que Google, négocient avec les médias canadiens pour les indemniser pour l’utilisation de leur contenu sur leurs plateformes. Un dispositif d’exemption de négocier est prévu dans cette loi.

En juin, Google avait demandé une exemption pour éviter de négocier avec chaque entité médiatique afin de distribuer 100 millions de dollars par année, indexé à l’inflation. L’exemption est accordée pour 5 ans.

Cathy Edwards assure que la distribution sera égale entre tous les médias canadiens. 

Photo : Courtoisie CJC

Deux chèques assez rapidement

Cathy Edwards le rappelle d’emblée : «C’est impossible que le Collectif distribue l’argent avant ou à un taux différent pour les petits médias, comparativement aux grands médias.» Les médias de plus petite taille éligibles ne recevront pas d’argent plus rapidement, même s’ils sont plus «fragiles» financièrement.

Toutefois, les entreprises devraient recevoir deux chèques à l’intérieur de «six ou huit mois», car la compensation qui est envoyée en 2025 est établie à partir des chiffres d’emploi de 2023.

«Les chiffres basés sur 2024 devraient possiblement arriver plus tôt. Les gens ne devraient pas attendre un an pour le prochain chèque», précise Cathy Edwards.

Cette dernière explique que le Collectif prépare le terrain depuis des mois – avant que le CRTC n’accorde l’exemption à Google – pour que les médias qui souhaitent recevoir de l’argent, s’ils répondent aux critères, puissent faire la demande avant le 1er novembre.

Une tarte et des critères

Les 100 millions, c’est comme une tarte divisée en fonction de critères, comme tous les employés à temps plein engagés par toutes les entreprises de nouvelles au Canada. Il est impossible de savoir qui obtient combien jusqu’à ce que toutes soient évaluées en même temps.

— Cathy Edwards

De son côté, le porte-parole du bureau de la ministre de Patrimoine canadien, Charles Thibault-Béland, assure que «les difficultés financières rencontrées par les salles de rédaction sont navrantes et nous avons une pensée particulière pour les employés du milieu journalistique qui vivent des moments d’incertitude».

Le Crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne pour renforcer la résilience des salles de rédaction est toujours en place pour alléger leur fardeau, rappelle-t-il.

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Le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault, a annoncé la distribution d’une partie des 16,8 millions de dollars prévus dans le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 pour les médias en situation minoritaire. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Le gouvernement fédéral déboursera 12,6 millions de dollars, dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles 2023–2028, pour les médias communautaires en situation minoritaire : 7,6 millions visent à financer des projets structurels et 5 millions devraient permettre de rémunérer 125 stages partout au pays.

L’enjeu : Sur la totalité des 16,8 millions de dollars dédiés aux médias en situation minoritaire dans le Plan d’action, 1,6 million pour les médias communautaires en situation minoritaire n’ont pas encore été alloués.

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Mardi, lors d’une séance du Comité permanent des langues officielles, libéraux et conservateurs ont multiplié questions et points d’ordre sur une motion du député libéral Angelo Iacono. Les deux témoins de Statistique Canada qui devaient être entendus ce jour-là n’ont eu que quelques minutes pour s’exprimer sur le continuum d’éducation dans la langue de la minorité.

Le cœur du débat : La motion portait sur les propos et le comportement de deux députés conservateurs, Larry Brock de Brantford–Brant en Ontario, et Rachael Thomas, de Lethbridge, en Alberta.

Les deux ont dénigré la langue française en Chambre. Larry Brock a notamment provoqué la colère du ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos.

«La question est en anglais», avait lancé Larry Brock au ministre, qui venait de répondre à sa question en français. Ce dernier a demandé des excuses. Larry Brock l’a fait seulement sur le réseau X, le 24 octobre.

Les conservateurs du Comité ont voté contre la motion qui demandait les excuses du député, ainsi que la reconnaissance du français et la dénonciation de «l’inaction du chef conservateur face aux propos anti-francophones répétitifs de ses députés», selon le texte de la motion.

La motion a été soutenue par le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD).

Les débats ont repris jeudi. Les conservateurs ont déposé deux amendements à la motion du député Iacono, sans succès. Leur objectif était de faire accepter les excuses du député Larry Brock et de retirer la partie concernant «l’inaction» de Pierre Poilievre.

Ce qu’ils disent : «On reconnait que le député n’aurait pas dû tenir ces propos, ça a créé un doute. C’est inacceptable», a admis Joël Godin, député porte-parole conservateur en matière de langues officielles.

La députée de Sarnia–Lambton, Marilyn Gladu, s’est quant à elle outrée du blâme des libéraux : «On met tous les conservateurs dans le même panier. Certains, comme moi et [Marc] Dalton, on fait la promotion du français.»

CANADA

Kimberly Murray a rendu mardi son rapport final pour appeler le gouvernement canadien a lancé une enquête publique sur les enfants autochtones disparus et les sépultures anonymes. 

Photo : Courtoisie

L’interlocutrice spéciale indépendante pour les lieux de sépulture non marqués autochtones, Kimberly Murray, a appelé mardi le gouvernement fédéral à mettre sur pied une commission d’enquête sur les enfants autochtones disparus et les sépultures anonymes.

Pourquoi c’est important : Dans son rapport final présenté à Gatineau, Kimberly Murray est arrivée à trois conclusions :

L’interlocutrice spéciale insiste sur la nécessité d’établir un cadre de réparation dirigé par les Autochtones en respectant les obligations légales et éthiques du Canada. Elle a formulé 42 recommandations pour y parvenir.

Ce qu’elle dit : Mardi, Kimberly Murray a critiqué également la culture d’impunité, affirmant que «seul un petit nombre de personnes qui ont commis des crimes contre des enfants autochtones dans un pensionnat pour Autochtones ont été poursuivies».

Selon elle, il faut passer d’une «culture d’amnistie» à une «culture de responsabilité», en intégrant des lois autochtones et des principes de justice. Elle appelle les Canadiens à s’engager activement dans ce processus de réconciliation, en écoutant les témoignages des survivants et en combattant le négationnisme qui a longtemps entouré ces questions.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a annoncé en point de presse mardi que l’ultimatum du 29 octobre – lancé cinq semaines plus tôt aux libéraux pour faire adopter deux projets de loi – était arrivé à échéance. «Le gouvernement n’a pas respecté cette date butoir», a-t-il constaté.

En coulisse : Le leadeur parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, a envoyé une lettre aux autres partis d’opposition pour indiquer que le Bloc est prêt à discuter de la possibilité de renverser le gouvernement libéral dès que l’occasion se présentera.

Pas si vite : Mercredi, toutefois, le chef du Nouveau Parti démocratique Jagmeet Singh, a assuré qu’il ne «jouera pas le jeu» du Bloc québécois.

En Chambre, Alain Therrien a assuré que, de ce fait, le gouvernement libéral et le NPD formaient de nouveau un couple.

Le Bloc québécois pourrait appuyer les conservateurs si ces derniers proposent une motion portant uniquement sur la confiance du gouvernement, mais ils ont besoin du NPD pour arriver à leur fin. Car, pour faire tomber le gouvernement, les trois partis d’opposition doivent s’allier sur une motion de censure pour s’assurer d’obtenir la majorité des voix de la Chambre.

Le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, est revenu lundi sur son Plan sur des niveaux d’immigration 2024–2028, dévoilé la semaine dernière, dans lequel le gouvernement libéral marque un tournant majeur en diminuant ses cibles d’attribution de résidences permanentes.

«Le consensus a changé», a justifié Marc Miller en entrevue avec Radio-Canada.

Le ministre du Logement et ancien ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a assuré que les programmes temporaires, la pression d’immigration extérieure et la mauvaise gestion des étudiants étrangers par certaines provinces ont poussé le gouvernement à baisser ses cibles d’immigration permanente. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Ce qu’ils disent : «On a fait confiance un peu trop longtemps aux universités et aux collèges, et même aux provinces. C’est eux qui ont fait du cash là-dessus à court terme», a affirmé le ministre, pointant du doigt les permis temporaires, de travail et d’étude.

Le ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, Sean Fraser, a ajouté que les engagements du Canada envers l’Ukraine et l’Afghanistan pour accueillir des réfugiés ont provoqué «une grande augmentation de la pression» dans les demandes d’immigration.

En outre, selon le ministre Fraser, certains gouvernements provinciaux n’ont «pas bien géré, en particulier le programme des étudiants internationaux».

«Certaines communautés ont reçu plus de gens que ce qu’elles avaient la capacité de réussir à intégrer ou d’absorber. Donc nous travaillons maintenant pour construire cette infrastructure.»

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Lundi, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a approuvé la demande d’exemption de Google à la Loi sur les nouvelles en ligne.

L’enjeu : Le montant de 100 millions de dollars sera distribué à partir de janvier 2025 par le Collectif canadien de journalisme (CCJ), selon Cathy Edwards, directrice générale de Canadian Association of Community Television Users and Stations et membre du CCJ, en entrevue avec Francopresse.

À lire aussi : Entente Google : la distribution des 100 millions peut commencer

Mercredi, alors que des députés libéraux demandaient un scrutin secret sur le leadeurship de leur chef, Justin Trudeau, les députés en sont sortis silencieux, selon plusieurs sources internes au parti.

Pourquoi les médias en parlent : Si une majorité parmi les 153 élus libéraux votait en faveur du départ de Justin Trudeau, même si ce vote n’est pas contraignant, la pression serait plus forte sur le chef pour qu’il démissionne. Une course à la chefferie et des élections fédérales devraient alors être lancées.