Les décisions rendues par la Cour suprême avant 1970 sont disponibles en ligne depuis quelques années, mais pas dans les deux langues officielles.
C’est la deuxième fois que la Cour suprême est visée par une plainte sur la traduction de ses anciens jugements et la deuxième fois que le commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, conclut que le plus haut tribunal du pays ne respecte pas la Loi sur les langues officielles.
«Je conclus que toutes les décisions que la Cour suprême publie sur son site Web devraient être dans les deux langues officielles puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale», écrit-il dans son rapport final, dont Francopresse a obtenu une copie.
Rappel de la première plainte
En 2023, en réponse à une première plainte, le commissaire aux langues officielles avait conclu que la Cour suprême avait enfreint la Loi sur les langues officielles en ne rendant pas disponibles dans les deux langues officielles ses anciennes décisions.
Mais la Cour suprême avait évoqué un manque de ressources et avait indiqué qu’elle ne traduirait pas les anciens jugements.
L’organisme Droits collectifs Québec a par la suite décidé, lui aussi, de porter plainte en décembre dernier.
Plainte fondée
La plainte déposée par Droits collectifs Québec est donc fondée, estime le commissaire, conformément à la partie IV de la Loi, qui stipule que les Canadiens ont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans la langue officielle de leur choix.
«L’affichage de documents sur un site Web par une institution fédérale relève manifestement de la partie IV de la Loi dans la mesure où il s’agit bien d’un service ou d’une communication au public.»
Raymond Théberge propose un échéancier : la Cour suprême a 18 mois pour se conformer à ses obligations et veiller à ce que toutes les décisions publiées sur son site Internet soient dans les deux langues officielles.
«Il reste à l’institution fédérale de réagir à cette recommandation. […] Il est trop tôt pour parler de ce qui va se passer dans 18 mois, mais c’est certainement quelque chose qu’on pourra revisiter à ce moment-là», indique le commissaire en entrevue avec Francopresse.
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«Absolument inacceptable»
Si jamais la Cour suprême refuse de se conformer dans le délai établi, le plaignant, Droits collectifs Québec, pourrait mener le dossier devant la Cour fédérale du Canada. Le directeur général de l’organisme, Etienne-Alexis Boucher, le confirme en entrevue avec Francopresse.
«On n’est pas devant un défi comme aller sur la lune. On parle de traduire des jugements. […] On serait tout à fait renversés de devoir poursuivre la Cour suprême devant les tribunaux pour la forcer à respecter l’État de droit. Ce serait une situation exceptionnelle», dit-il.
Selon lui, l’absence de traduction pour d’anciens jugements engendre une discrimination à l’égard des juristes francophones qui se servent des anciennes décisions comme ressources.
«Le droit, c’est bien sur les textes des lois, mais c’est aussi ce qu’en ont pensé les juges à travers des décisions rendues précédemment. C’est ce qu’on appelle la jurisprudence, ajoute M. Boucher. Les jugements rendus avant 1969, c’est le socle du droit canadien.»
En juin dernier, lors d’une conférence de presse, le juge en chef de la Cour suprême avait évoqué un manque de ressources financières et humaines pour expliquer la non-conformité à la Loi.
«Depuis quand le respect de la Loi dépend des ressources financières ou humaines dont dispose un individu, un organisme ou une entreprise?», demande Etienne-Alexis Boucher. «Ça n’a pas de bons sens.»
Conscient de la lourdeur de la tâche qui s’impose devant l’institution, il suggère de considérer les nouvelles techniques en traduction et de faire appel à des experts en la matière.
Contactée pour une demande d’entrevue, la Cour suprême a indiqué par courriel qu’elle ne fera pas de mise à jour sur cette question.
«Exemplaire» depuis 1970
«Je tiens à souligner que, depuis 1970, la Cour suprême a été, parmi les tribunaux fédéraux, exemplaire en publiant simultanément ses décisions dans les deux langues officielles», note toutefois Raymond Théberge dans son rapport.
Il reconnait également les «difficultés» que connait la Cour pour rendre accessibles dans les deux langues les décisions historiques.
«Le comment relève toujours de l’institution fédérale, rappelle-t-il en entrevue. Je soupçonne qu’il y a des moyens à la disposition de la Cour, mais ça revient, encore une fois, à l’institution de décider de la démarche à prendre.»
Théberge espère que, peu importe la lourdeur de la tâche, la Cour suprême réussira à se conformer. Non seulement le respect de la Loi sur les langues officielles reste crucial, mais ces décisions ont aussi «un impact historique [et] peuvent alimenter et éclairer les décisions d’aujourd’hui».
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