le Samedi 12 juillet 2025

La règle non inscrite du bilinguisme des chefs des partis fédéraux a été mise de côté jeudi par le député de Nepean, Chandra Arya, qui a été le premier à confirmer qu’il tenterait sa chance.

Il a assuré que pour les Québécois, ce n’est pas «la langue qui compte, mais ce qui leur est livré», excluant à la fois le fait français au Québec et dans les communautés francophones existantes partout au pays. 

Il a fait cette déclaration à l’émission Power and Politics de la CBC. L’animateur, David Cowan, a insisté : «Si vous souhaitez être premier ministre, vous devez savoir que la langue française est importante». 

«Faites-moi confiance, ce qui compte le plus pour les gens, c’est de savoir comment leurs enfants et petits-enfants vont s’épanouir dans ce pays», a riposté le député. 

À lire : Démission de Trudeau et prorogation du Parlement

«Il s’est disqualifié»

Pour la professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal de Kingston, Stéphanie Chouinard, Chandra Arya «s’est totalement disqualifié avec ces propos». 

Pour Stéphanie Chouinard, les propos de Chandra Arya «sont ahurissants». 

Photo : Courtoisie

Elle affirme que ça «démontre une méconnaissance et une incompréhension gênantes de la réalité politique du Canada, en particulier pour un député de la région de la capitale nationale». 

Si le bilinguisme du poste de chef ne figure pas dans les règles officielles des partis, on peut prouver l’importance qu’un chef parle les deux langues officielles du Canada dans une telle course par «un simple calcul mathématique», précise Stéphanie Chouinard.

«Il y a 78 circonscriptions au Québec et à peu près 25 autres à l’extérieur du Québec où les francophones forment une proportion importante de l’électorat. Si on prétend être en mesure de remporter une élection en mettant de côté, dès le départ, à peu près une centaine de circonscriptions, si on prétend être en mesure de gagner des élections en s’imposant ce handicap-là, c’est une démonstration d’une confiance en soi qui dépasse l’entendement», analyse la professeure.

«Une «question de respect et de valeurs»

En réaction aux paroles de son collègue, la ministre des Langues officielles, Rachel Bendayan, a réagi auprès de Francopresse : «Nos deux langues officielles sont intégrales à notre identité canadienne. La prochaine personne à mener le Parti libéral doit pouvoir parler le français et l’anglais. C’est une question de respect et de valeurs.»

Elle n’a toutefois pas réagi publiquement, contrairement au ministre Jean-Yves Duclos, sur X, qui a suivi les mots d’ordre de «respects et valeurs» qui ont visiblement circulé dans les rangs libéraux :

Les déboires des candidats unilingues 

L’histoire a rappelé que mettre le français de côté nuit aux candidats. En 2017, Kevin O’Leary, ancien candidat à la chefferie conservatrice, faisait lui aussi fi des Canadiens francophones en affirmant que le chef d’un parti national n’avait pas besoin de parler français, vu que la majorité des Québécois parlent les deux langues. 

Il a dû se rallier à Maxime Bernier, faute de soutien au Québec. 

Plus récemment, lors de la course à la chefferie conservatrice en 2022, l’unilinguisme en anglais a porté préjudice aux candidats Scott Aitchison, Roman Baber et Leslyn Lewis. 

À lire : Chefferie du PCC : un débat à trois

L’ingérence étrangère : un risque à ne pas ignorer

Pour la professeure, les propos du candidat Arya sur l’ingérence étrangère sont un autre «autosabotage» dans la course. 

Le député a en effet assuré qu’il ne voyait «pas le problème» d’avoir rencontré le premier ministre indien, Narendra Modi, au moment où son chef, Justin Trudeau, accusait les services de renseignements indiens d’être impliqués dans le meurtre d’un leadeur sikh, en Colombie-Britannique, en juin 2023. Un avis que ne partage pas Stéphanie Chouinard.

Très attendu sur cette question d’ingérence étrangère, le Parti libéral a finalement circonscrit le vote aux Canadiens et aux résidents permanents pour répondre aux inquiétudes.

À lire : L’ingérence électorale étrangère : il est temps de prendre la menace au sérieux (Chronique)

Le poids des circonscriptions, garde-fou à l’ingérence étrangère 

L’Article 46 de la constitution du Parti libéral indique que chaque vote est compté «selon une pondération égale pour chaque circonscription du Canada». 

En d’autres termes, comme l’a aussi affirmé la journaliste politique Chantale Hébert au micro de Radio-Canada, cette pondération, qui donne un poids égal à chaque circonscription, limite grandement les possibilités d’ingérence. 

Pour cela, il faudrait «une organisation qui est capable de s’emparer de cartes de membres ou de droits de vote dans des [circonscriptions] à l’échelle du Canada. Le Nunavut pèse aussi lourd que la circonscription de Mississauga centre, en banlieue de Toronto. Connaissez-vous beaucoup d’organisations qui ont les reins assez solides pour piloter sur une semaine et demie la vente de milliers de cartes de membres dans 338 circonscriptions?»

Les prochaines étapes

Le Canada connaitra le nom de la personne qui succèdera à Justin Trudeau, à la tête du Parti libéral, le 9 mars, jour du vote.  

C’est ce qu’a fait savoir le Parti libéral le 10 janvier, en rendant publiques plusieurs des règles qui encadreront la course à la chefferie.  

Toute personne qui souhaite être candidat à la chefferie libérale doit payer des frais d’inscription de 350 000 $ et confirmer sa participation avant le 27 janvier. 

Autre détail : un plafond de dépenses pour les campagnes sera mis en place dans les prochains jours. 

Les personnes qui peuvent voter pour le ou la prochaine cheffe sont des Canadiens, des personnes qui ont le «statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens» ou des résidents permanents et qui ont au moins 14 ans.

Ces personnes ne doivent pas être membres d’un autre parti politique et «ne pas avoir déclaré publiquement, tout en étant membre du parti libéral, avoir l’intention de briguer un siège de député à la Chambre des communes autrement qu’à titre de candidat du parti». 

Poussé par des voix de plus en plus dissonantes au sein de son parti et partout au pays, le premier ministre, Justin Trudeau, a annoncé sa démission lundi.

L’enjeu : Il a aussi prorogé le Parlement jusqu’au 24 mars : les travaux s’arrêtent et les projets de loi meurent au feuilleton, mais les ministres en poste maintiennent les affaires courantes. Les députés restent aussi en place.

Une course à la chefferie libérale, ainsi que les règles qui l’accompagnent, devrait avoir lieu très rapidement.

Les partis d’opposition ont critiqué la prorogation, alors que le président américain désigné, Donald Trump, qui menace le Canada de tarifs douaniers à hauteur de 25 %, entre en exercice le 20 janvier.

À lire aussi : Démission de Justin Trudeau et prorogation du Parlement

FRANCOPHONIE

Lors de la réunion du caucus libéral mercredi, les députés ont discuté des critères essentiels pour être candidat ou candidate à la chefferie du parti. Steven MacKinnon, Jean-Yves Duclos et Yasir Naqvi ont notamment souligné l’importance du bilinguisme.

Pour Steven MacKinnon, être bilingue est même un «facteur primordial», a assuré le ministre du Travail aux journalistes mercredi. «J’essaie de déterminer si moi je peux remplir toutes ces conditions-là.»

Qui se lancera? : Pour l’heure, François-Philippe Champagne, Mélanie Joly Steven McKinnon et Chandra Arya font partie des quelques députés libéraux qui ont indiqué aux médias cette semaine qu’ils souhaitaient ou réfléchissaient à se présenter à la course à la chefferie.

Interrogé à l’émission Power and politics de CBC jeudi soir, Chandra Arya a assuré que pour les Québécois, ce n’est pas «la langue qui compte, mais ce qui leur est livré», excluant à la fois le fait français au Québec et ailleurs au pays.L’animateur s’est fait insistant : «Si vous souhaitez être premier ministre, vous devez savoir que la langue française est importante». Le principal concerné a riposté :

«Faites-moi confiance, ce qui compte le plus pour les gens, c’est de savoir comment leurs enfants et petits-enfants vont s’épanouir dans ce pays.»

L’ex-première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, s’est aussi dite intéressée selon Radio-Canada.

Chrystia Freeland n’a encore rien annoncé officiellement tandis que les ministres Dominic LeBlanc et Guddie Hutchings ont fermé la porte à cette option.

Les noms de la leadeure du gouvernement à la Chambre, Karina Gould, de l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et deMark Carney circulent également. 

Un sondage de Sparks Advocacy effectué entre le 21 et le 23 décembre, soit quelques jours après la démission de Chrystia Freeland, place cette dernière en 1re place pour diriger le parti, avec 23 % des voix sur les 2500 personnes interrogées. M. Carney et Mme Joly arrivent respectivement en 2e et 3e position.

À lire aussi : Les jeunes tournent-ils le dos au Parti libéral?

L’actuel ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail, Steven MacKinnon, fait partie des personnes qui souhaitent être candidates à la chefferie libérale. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

La ministre Mélanie Joly serait également candidate. P

hoto : Marianne Dépelteau – Francopresse

Le Québécois François-Philippe Champagne fait lui aussi partie des potentiels candidats en réflexion. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

CANADA

Le 3 janvier, Google a versé 100 millions de dollars au Collectif Canadien de Journalisme afin que ce dernier les redistribue aux médias canadiens admissibles.

Le Collectif Canadien de Journalisme devrait commencer le versement des fonds dès la fin janvier. 

Photo : Alban – Unsplash

Qui est touché? : Cette somme est versée par Google contre une exemption de cinq ans pour éviter au géant du Web de négocier avec chaque média canadien pour le partage de leurs nouvelles, comme le demande la Loi sur les nouvelles en ligne.

Le Collectif déterminera comment l’argent sera redistribué et s’il inclura les médias qui ne répondent pas aux critères d’admissibilité de la loi, ce qui touche plusieurs médias de langue officielle en situation minoritaire.

Google et Meta avaient très mal réagi lors de l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui les oblige à dédommager les médias canadiens qui partagent les nouvelles sur leur plateforme. Si Google a négocié et payé 100 millions de dollars, Meta a préféré bloquer les médias et les nouvelles canadiennes sur ses plateformes.

À lire aussi : Entente Google : la distribution des 100 millions peut commencer

Donald Trump se montre encore plus menaçant envers le Canada depuis la démission de Justin Trudeau. 

Photo : Courtoisie Office of U.S.

Donald Trump a multiplié les menaces contre le Canada depuis l’annonce de la démission de Justin Trudeau, lundi. Il a également indiqué qu’il voulait absorber le Groenland et prendre le contrôle du canal de Panama.

Le sujet : Quelques heures après l’annonce du premier ministre canadien, Donald Trump a assuré qu’il y aurait plein davantage si le Canada devenait le «51e état» des États-Unis.

Il a récidivé le lendemain, assurant qu’il utiliserait la «force économique» contre le Canada, ce dernier étant «subventionné» selon lui par les États-Unis pour sa protection.

«Jamais, au grand jamais, le Canada ne fera partie des États-Unis», a répondu Justin Trudeau, mardi, sur X. Plusieurs autres chefs fédéraux et provinciaux ont répondu la même chose.

«Les commentaires du président élu Trump démontrent une incompréhension totale de ce qui fait du Canada un pays fort», a de son côté dénoncé la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, toujours sur la plateforme X.

Selon Radio-Canada, Ottawa dresserait actuellement une liste de produits américains à taxer si Donald Trump concrétise le tarif douanier de 25 % sur les produits canadiens importés aux États-Unis.

À lire aussi : Les minorités canadiennes et l’élection de Donald Trump

Pierre Poilievre a présenté plusieurs alternatives économiques aux menaces économiques de Donald Trump, pour que «les deux pays s’y retrouvent», s’il devient premier ministre. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Dans une conférence de presse aux allures de lancement officiel de campagne électorale jeudi soir dans un hôtel d’Ottawa, Pierre Poilievre a redemandé à Justin Trudeau de déclencher une élection et appelé les Américains à la coopération économique. Une réponse aux menaces continues de Donald Trump cette semaine. 

Ce qu’il demande : Pierre Poilievre a assuré qu’il fallait «parler [à nos] alliés naturels», en faisant référence aux États-Unis. Pour cela, il faut, selon lui, viser «les chefs syndicaux», les «entreprises technologiques et le domaine de la construction qui achètent le bois d’œuvre canadien, car «ce sont des forces qu’on peut [leur] offrir». 

Pour lui, la liste de produits américains qu’Ottawa compte taxer pour répondre aux tarifs douaniers de Donald Trump – qui contient du jus d’orange, des produits en acier et des accessoires en céramique pour les salles de bain –  ne «sert pas à grand-chose». 

«On devrait rapidement construire des infrastructures d’énergie pour l’exporter aux étrangers outre-mer », a-t-il fait valoir. «On fait un gros cadeau en exportant notre gaz et notre pétrole aux États-Unis à très bas prix».

«Il faut mettre le Canada d’abord. Pour cela, il faut bâtir des infrastructures pour nous permettre d’être plus autosuffisants et moins dépendants des Américains.»

Comme leur chef, Pierre Poilievre, l’a fait la veille, les députés conservateurs Luc Berthold et Andrew Scheer ont demandé la tenue d’une élection fédérale mardi, en conférence de presse.

Le Québécois Luc Berthold a déploré que la motion de censure qui devait être présentée au Comité permanent des comptes publics mardi, et qui aurait pu faire tomber le gouvernement, ne puisse pas être déposée en raison de la prorogation demandée par Justin Trudeau la veille. Celle-ci a pour effet de faire mourir au feuilleton les travaux à la Chambre et des comités.

«On ne peut pas déclencher des élections. Trudeau a trouvé une porte de sortie et ce sont les Canadiens qui vont en payer le prix», a déclaré Luc Berthold.

Le député a aussi ajouté qu’une prorogation, au lieu d’élections fédérales, nuit au Canada. Le Parti libéral sera en pleine course à la chefferie du au lieu d’avoir un «premier ministre fort» en place pour contrer les menaces de Donald Trump.

À lire aussi : Une «tempête parfaite» pour la désinformation électorale

Dans un communiqué publié après la démission de Justin Trudeau, le 6 janvier, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a dit voir en lui un premier ministre qui «passera à l’histoire comme celui qui a mené la modernisation la plus substantielle de la Loi sur les langues officielles en une génération».

La professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal de Kingston, Stéphanie Chouinard, apporte une nuance.

Ce n’est pas évidemment le fait d’une seule personne de voir un changement de culture institutionnelle, mais il reste que les exemples viennent d’en haut et que si les langues officielles avaient été réellement une priorité pour le premier ministre, je pense qu’on aurait vu des changements plus substantiels au sein de l’État fédéral.

— Stéphanie Chouinard

Voici neuf ans de langues officielles sous Justin Trudeau.

Après six ans d’attente, 50 ans après l’adoption de la première du genre au Canada, la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) s’est concrétisée en 2023.

De longs débats ont porté sur la place des anglophones du Québec, le français du PDG d’Air Canada, les sanctions administratives, le partage de la responsabilité des langues officielles entre plusieurs ministères et le poids de l’immigration francophone au Canada.

La professeure Stéphanie Chouinard constate «depuis la dernière demi-décennie, une fragilisation du système postsecondaire francophone en situation minoritaire», du fait de certaines décisions prises par le gouvernement Trudeau. 

Photo : Courtoisie

La modernisation ne s’est pas faite sans accrocs, notamment sur la question de la place des langues autochtones dans les langues officielles. Les derniers débats au Sénat ont exposé les divergences de points de vue entre les francophones et les Autochtones.

Pour Stéphanie Chouinard, même s’il faut «saluer» Justin Trudeau pour cette réforme, cette question semblait aussi, à certains égards, servir de point de négociation pour sécuriser le vote des francophones, notamment lors des élections fédérales de 2019 et 2021.

Des promesses étaient faites, mais on n’était pas certains que ça allait aboutir».

Le processus règlementaire sur la partie VII de la Loi n’était toujours pas terminé au moment de la démission du chef du Parti libéral. «C’est une tâche au tableau», commente la professeure.

Consultez le dossier : Modernisation de la Loi sur les langues officielles

Dans son communiqué du 6 janvier, la FCFA a salué les deux plans d’action pour les langues officielles, «qui ont permis aux francophones d’aller chercher des gains importants en termes d’investissements».

Celui de 2018 avait offert une première hausse de l’enveloppe totale depuis le tout premier plan, élaboré en 2003 par un ministre libéral d’alors, Stéphane Dion. Il ajoutait 500 millions de dollars sur cinq ans.

Liane Roy voit d’un bon œil les actions posées par le gouvernement Trudeau depuis dix ans, tout en précisant qu’il n’est pas «parfait». 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Le document n’avait toutefois pas accédé à la demande de la FCFA de financer des organismes francophones en milieu minoritaire de plus de 575 millions de dollars sur cinq ans.

Toutefois, dans son budget, le gouvernement a plutôt réservé un nouveau financement de 400 millions de dollars sur cinq ans pour les minorités linguistiques, ainsi que 88,4 millions de dollars par an ensuite.

Chaque année, des organismes attendent dans l’incertitude, ne sachant pas si des fonds fédéraux leur seront assurés au début de chaque exercice financier.

En 2023, le plan d’action annonce un investissement historique de 1,4 milliard de dollars au total.

Un bémol toutefois : deux ans plus tôt, Justin Trudeau faisait campagne sur la promesse de financer les établissements postsecondaires francophones à hauteur de 80 millions de dollars par an de manière permanente. Mais ce financement ne s’est jamais concrétisé.

À lire aussi :

Les finances des organismes francophones toujours dans le rouge

Le postsecondaire en français grand perdant du Plan d’action pour les langues officielles

Le ministre Marc Miller avait fait polémique après avoir refusé de reconnaitre le déclin du français au Québec, à l’automne 2023. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Justin Trudeau peut aussi se targuer d’avoir atteint la cible d’immigration francophone de 4,4 %, fixée en 2003 mais atteinte 20 ans plus tard, en 2022.

Le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Marc Miller, a d’ailleurs annoncé une nouvelle cible de 6 %. Celle-ci demeure toutefois en dessous des revendications de la FCFA, qui aimerait voir le double.

Les francophones ont aussi été les seuls épargnés par la baisse drastique des seuils d’immigration permanente annoncée par le gouvernement Trudeau à l’automne 2024.

La Loi sur les langues officielles comprend un «retour du poids démographique de l’ensemble des membres des minorités francophones» au niveau du recensement de 1971, le plus haut niveau atteint, soit 6,1 % de la population à l’extérieur du Québec.

Le recensement de 2021 a confirmé la diminution du poids démographique des francophones en situation minoritaire. Statistique Canada constate un recul de 0,3 point de pourcentage comparativement à 2016.

À lire aussi : La francophonie minoritaire en perte de vitesse

Mais comme le rappelle la professeure Chouinard, Marc Miller a décidé l’hiver dernier de plafonner les visas des étudiants étrangers «en faisant fi de sa propre nouvelle loi sur les langues officielles, c’est-à-dire sans consulter les communautés francophones en situation minoritaire».

«Les réflexes d’application de la nouvelle loi ne sont toujours pas là, que ce soit au ministère de l’Immigration ou ailleurs», estime la politologue.

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) a déposé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles pour cette raison. Le ministre est revenu sur sa décision quelques mois plus tard, uniquement pour quelques étudiants francophones et sous certaines conditions.

Pour Stéphanie Chouinard, le gouvernement, à ce moment-là, n’a pas pris en compte «l’effet potentiellement dévastateur» et «l’impact démesuré» que cette mesure aurait sur ces institutions, comparé aux établissements de la majorité.

Autre ombre au tableau : des retards liés aux dossiers d’immigrants francophones africains et les méthodes utilisées pour les traiter ont forcé le ministère de l’Immigration à admettre qu’il y avait du racisme au sein de ses services.

À lire aussi :

Immigration francophone : Ottawa dépasse sa cible et annonce de nouvelles mesures

Plafond pour les étudiants étrangers : les institutions francophones s’inquiètent

Ottawa fait sauter son plafond pour des étudiants étrangers francophones

Ottawa réduit l’immigration permanente, mais augmente sa cible francophone

Immigration : le ministère reconnait le racisme au sein de son organisation

En février 2024, la Chambre des communes a adopté un amendement au projet de loi C-35 pour garantir le financement à long terme des garderies francophones en situation minoritaire.

Une victoire davantage attribuée à la FCFA, qui a témoigné plusieurs fois en comité parlementaire pour attester du besoin vital de ce financement.

Mais sur le terrain, la lutte n’est pas terminée. Plusieurs témoins francophones en comité cet automne ont continué de rapporter un manque criant de places pour les tout-petits dans les services de garde en français.

Dans ce même combat, une autre bataille reste à mener : les clauses linguistiques ne font toujours pas partie – ou juste partiellement – des ententes entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires pour les garderies.

Sans ces clauses, les places et la construction de service de garde francophones, notamment dans les régions les plus reculées du Canada, ne sont pas garanties. Sur cette question, le gouvernement fédéral a renvoyé la balle aux gouvernements provinciaux et territoriaux.

À lire aussi :

La Chambre accepte de garantir le financement des garderies francophones

Pénurie de garderies francophones : 4 enfants sur 5 sans place en français

L’Initiative de journalisme local (IJL), lancée en 2019, a permis à plusieurs médias, incluant des journaux et des radios de langue minoritaire, de produire davantage de nouvelles.

Les autres tentatives d’aide pour les médias n’ont pas un bilan aussi positif. Plusieurs conditions aux mesures mises en place empêchent les petits médias d’en profiter.

Ceci inclut la Loi sur les nouvelles en ligne, qui ne contient «aucune reconnaissance ni caractère particulier […] aux journaux et aux radios qui desservent les populations de langues officielles en situation minoritaire», soulignait le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire pendant l’étude du projet de loi.

Le Consortium estime que 96 % des médias de langue minoritaire ne répondent pas aux critères d’admissibilité, sauf peut-être dans le cas d’une exemption, comme celle demandée par Google.

La réponse à cette question se fait encore attendre, alors que Google a remis 100 millions de dollars pour se conformer à son entente d’exemption à la Loi. Le Collectif Canadien de Journalisme, choisi par Google pour le distribuer, devra éclaircir la question.

Le blocage des médias canadiens par Meta (Facebook et Instagram), survenu en 2023 en réponse à la Loi sur les nouvelles en ligne, a été très mal vécu par l’ensemble de la communauté journalistique du pays. Les Canadiens et les Canadiennes ne peuvent toujours pas partager les nouvelles sur les plateformes de Meta.

À lire aussi :

Renouvèlement de l’IJL : une francophonie plus riche

Faut-il remercier Google d’avoir demandé une exemption? (Éditorial)

Entente Google : les médias de langues minoritaires sur leurs gardes

L’ancien député du Nouveau Parti démocratique, François Choquette, a porté plainte auprès du Commissariat aux langues officielles (CLO), à la suite de l’entente conclue entre le gouvernement de Justin Trudeau et Netflix en 2017.

Sa motivation : malgré un investissement de 500 millions de dollars, dont 25 millions pour le marché francophone, le montant exact destiné aux communautés francophones est resté flou. François Choquette assurait que la partie VII de la Loi sur les langues officielles n’était pas respectée.

Le député a donc saisi la Cour fédérale après que le CLO a conclu que sa requête n’était pas fondée.

«C’est un combat pour le respect de la francophonie», affirme-t-il. La décision de justice est toujours attendue.

À lire aussi :

Netflix : le Commissariat aux langues officielles se serait restreint dans son enquête

Affaire Netflix : «Je ne veux plus jamais que ça se reproduise»

Pour diffuser la culture en français, les lois ne suffiront pas

«Je vois tellement de différences entre ma génération quand j’étais plus jeune, en élémentaire, secondaire, et les générations qui s’en viennent après. C’est vraiment une jeunesse forte et fière», remarque Connor Lafortune, étudiant de la Première Nation de Dokis à la maitrise en relations autochtones à l’Université Laurentienne de Sudbury, en Ontario.

«Les gens sont beaucoup plus éduqués qu’il y a 10 ans», estime Connor Lafortune. 

Photo : Sam Barry

Chez ses cadets, il observe une fierté sans scrupule : «Le seul mot auquel je peux penser, c’est unapologetically. C’est d’être fier sans avoir honte de ce qu’ils sont, de partager, de poser des questions.»

Pour expliquer cette évolution, il cite une éducation «accessible au grand public», qui passe notamment par l’Internet, des balados, des livres, des bandes dessinées et des films «plus ouverts» sur les questions autochtones qu’avant.

À la maison, poursuit-il, «l’éducation et la guérison intergénérationnelle continuent» : «Il y a vraiment des grosses conversations ouvertes entre familles pour parler de l’histoire, pour parler du futur de nos communautés. C’est vraiment ça qui cause une jeunesse aussi forte.»

À lire aussi : L’essor de la littérature autochtone en francophonie minoritaire

«Repenser et redéfinir»

Paru en novembre dernier, le livre Les jeunesses autochtones au Québec : décolonisation, fierté et engagement propose de «repenser les jeunesses dans leur dynamisme et leur diversité», plutôt que de les penser uniquement en termes de défis.

Natasha Blanchet-Cohen suggère de voir le verre à moitié plein et non à moitié vide lorsque l’on parle des jeunes Autochtones.

Photo : Rachel Crisp

«Guérir, être connectés, fiers et soutenus, trouver l’équilibre, prendre leur place et faire entendre leurs voix sont au centre des revendications et des multiples engagements des jeunes Autochtones», lit-on dans l’introduction.

«Il y a plusieurs exemples où les jeunes se réapproprient, redéfinissent la façon qu’ils sont représentés, qu’ils s’expriment, qu’ils veulent communiquer et voient leur vision de l’avenir», note une des directrices de l’ouvrage, Natasha Blanchet-Cohen, en entrevue avec Francopresse.

Selon elle, on parle souvent des problèmes et pas assez des «initiatives incroyables» que mènent de jeunes Autochtones. «Si on mettait plus la lumière où il y a un leadeurship, une autonomisation, ça aurait un impact sur la société», estime la titulaire du volet autochtone de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec et professeure à l’Université Concordia, à Montréal.

Écoutés au Sénat

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a justement souhaité entendre de jeunes leadeurs autochtones. En octobre dernier, huit jeunes ont témoigné pour raconter les barrières qui se dressent devant eux et le racisme persistant auquel ils font face. Ils ont aussi montré de quoi ils sont capables.

Parmi eux se trouvait Reanna Merasty, une artiste, écrivaine et militante Nihithaw de la Première Nation de Barren Lands, au Manitoba. À 30 ans, elle fait partie du conseil d’administration de l’Institut royal d’architecture du Canada et de celui de l’Université du Manitoba. Elle a aussi écrit un livre et défend l’inclusion des Autochtones en architecture.

Faithe McGuire est quant à elle documentariste à l’établissement métis de Paddle Prairie. Elle produit des films sur la signification d’être Métis.

Breane Mahlitz, de l’Alberta, est conseillère politique en matière de santé au Ralliement national des Métis.

Le lancement du livre Les jeunesses autochtones au Québec : décolonisation, fierté et engagement a eu lieu en novembre dernier. 

Photo : Ashley Merveille Lovinsky

«Repenser et redéfinir» sont des termes qui reviennent souvent dans le livre qu’a dirigé Natasha Blanchet-Cohen.

Tu peux avoir une approche déficitaire, où tu mets de l’avant tous les problèmes, ou une approche qui est basée sur les forces. Ce n’est pas dire que tout est beau, tout est rose et tout est parfait.

— Natasha Blanchet-Cohen

À lire aussi : Autochtones disparues et assassinées : les actions se font toujours attendre

Un racisme persistant

«La transmission de nos histoires se fait plutôt bien, estime Paskwamostosis Lightning, un étudiant universitaire de la Première Nation de Maskwacis, en entrevue avec Francopresse. L’éducation culturelle des personnes non-autochtones commence à mieux passer. Ils connaissent de plus en plus nos histoires et légendes.»

Les réseaux sociaux sont devenus un outil précieux pour éduquer à large échelle, selon Paskwamostosis Lightning. «On voit de jeunes autochtones sur TikTok ou Instagram qui partagent des connaissances autochtones, et ça reçoit tellement de likes et de partages des choses comme ça.» 

Photo : Anna Uliana

Selon lui, de façon générale, les Autochtones et les non-Autochtones commencent à mieux s’entendre. «Je pense que les non-Autochtones ont appris à ne pas faire de commentaires racistes et à aller trop loin.»

Mais certaines choses restent pareilles. «Il y a encore beaucoup de racisme envers les jeunes autochtones, regrette-t-il. Les gens pensent que t’es stupide. […] Pas beaucoup de gens croient en la jeunesse autochtone, aux étudiants autochtones.»

Les gens ne font pas toujours confiance aux jeunes autochtones, notamment par peur que ceux-ci abandonnent l’école ou ne remboursent pas leurs prêts, rapporte l’étudiant. «[Encore aujourd’hui], les gens nous perçoivent comme des pique-assiettes [freeloaders]. C’est bizarre.»

D’après lui, des effets à long terme des pensionnats autochtones ont cristallisé l’idée selon laquelle les Autochtones ne sont pas «équivalents».

«Il y a un changement, récemment, reconnait l’étudiant. Plus de gens veulent de jeunes autochtones, de jeunes personnes racisées dans leurs évènements. Mais c’était difficile, dans mon enfance.»

Accéder au pouvoir pour changer les choses

Dans le processus de réconciliation, il faut «des actions concrètes», revendique de son côté Connor Lafortune. «C’est de réaliser que chaque communauté devrait avoir de l’eau potable, réaliser [l’importance de] l’accès aux services sociaux, et réaliser que nos communautés devraient se faire entendre.»

Paskwamostosis Lightning croit qu’il y aura davantage de leadeurs politiques autochtones dans les générations à venir, notamment grâce à l’élargissement de l’accès au postsecondaire.

Selon Statistique Canada, en 2021, 5 % des étudiants nouvellement inscrits à un programme d’études postsecondaires donné étaient autochtones. Ce chiffre est proportionnel au poids démographique des Autochtones dans la population canadienne pour la même année.

Malgré cela, la proportion de jeunes Autochtones qui accèdent aux études supérieures demeure nettement plus faible que celle des non-Autochtones.

Il y a un «désir des jeunes d’avoir une plus grande place, d’être à la table, d’être dans une posture plus décisionnelle», confirme Natasha Blanchet-Cohen. «On ne sait pas comment sera l’avenir, mais les jeunes [veulent] faire partie de la création de cet avenir.»

À lire aussi : Être politisé par la force des choses

Ce que nous nommons «intelligence artificielle» (ou IA) est en fait une nébuleuse de technologies informatiques. Les grands modèles de langage (GML, ou LLM en anglais), dont ChatGPT est sans doute le plus connu, semblent permettre à une espèce de robot de répondre à nos questions à partir de connaissances trouvées un peu partout sur Internet.

On parle ainsi à tort et à travers d’«apprentissage», de «génération de connaissances», d’«intelligence» et d’«hallucination» ainsi que de création originale. Tout est mis en œuvre pour donner des apparences de processus cognitifs à ces logiciels.

Toutefois, les algorithmes qui sous-tendent cette production assistée par machine ne ressemblent à ces phénomènes humains que par analogie.

La réalité est tout autre.

Les GML sont «entrainés» à partir d’énormes banques de textes, comme leur nom le suggère. Ils divisent les requêtes selon les mots et les signes de ponctuation, puis ils compilent la réponse la plus probable en trouvant, un à un, les mots qui sont le plus souvent utilisés ensemble – sans égard à la signification.

Les GML n’ont donc aucun critère de vérité et ne peuvent qu’agencer d’une nouvelle manière ce qui a déjà été écrit. Ils ne peuvent pas chercher de sources, trouver de l’information selon sa pertinence, ni l’interpréter. Ils alignent des mots qui tendent à aller ensemble, c’est tout.

Cela signifie également que le racisme, le sexisme, la transphobie, le capacitisme et toutes les formes de suprémacisme qui règnent dans la plus grande partie des créations textuelles humaines se trouvent répétés et souvent amplifiés par l’IA.

Cette production de texte par probabilité statistique explique les résultats souvent décevants de l’IA : des bibliographies où le nom d’un auteur·rice renvoie à des articles et des livres qui n’existent pas, mais dont les titres sont plausibles; du texte truffé de formulations vagues et dépourvu quasi complètement de contenu concret.

À lire : L’intelligence artificielle, une odyssée vers l’inconnu

À qui profite l’IA?

Dans nos ordinateurs, nos logiciels de traitement de texte, nos outils de recherche en ligne et nos téléphones, l’IA nous est constamment imposée. Puisque le nombre de personnes qui l’adoptent fréquemment demeure limité et ne répond pas aux attentes du marché, les entreprises comme Meta, Microsoft, ou OpenAI tentent de la rendre inévitable.

La bulle de l’IA pourrait être sur le point d’éclater : les divers modèles exigent des investissements énormes, mais n’amènent pas encore de profits. Les revenus augmentent certes, mais plus lentement que les dépenses pour le développement et l’offre de service.

Et les dangers financiers de l’adoption de l’IA dans un contexte entrepreneurial, universitaire ou gouvernemental sont par ailleurs importants.

Pour toutes ces raisons, l’IA nous est imposée de plus en plus souvent, même à notre insu. Elle crée ses propres besoins, mais n’arrive pas à répondre aux véritables besoins actuels de l’humanité. La logique économique demande de recouvrer à tout prix les investissements.

Nous recevons ainsi une avalanche de messages et de discours qui nous détournent de la réalité et cherchent à nous rassurer sur les incidences de l’IA, à nous la faire voir comme une forme d’intelligence, mais aussi à nous faire croire que son adoption est inévitable, une étape de la marche libératrice du progrès. La répétition l’emporte sur les raisons.

À lire : L’IA ou la prochaine «merdification» (Éditorial)

Les entreprises technologiques sont de plus en plus nombreuses à imposer des outils inspirés des IA génératives dans leurs produits, ne donnant pas toujours de choix quant à leur utilisation. 

Photo : Mikael Blomkvist – Pexels

L’apprentissage nécessaire… et impossible

Nous entendons sans cesse que l’IA est là pour rester et que nous y opposer serait futile. Une tendance importante consiste dès lors à croire (ou à se faire croire) qu’il suffit d’apprendre à nous en servir.

Dès que les discussions tournent autour de cette question, nous supposons que nous pouvons nous servir de l’IA pour atteindre nos buts sans les transformer.

Nous supposons que nous pouvons même en faire un usage éthique, alors que les corpus des GML sont bâtis sur la violation du droit d’auteur et que leur utilisation des ressources en énergie et en eau pour leur fonctionnement n’est pas écoresponsable.

À lire : Climat : l’IA sous un ciel variable

Or, le problème essentiel du recours à l’IA est qu’avant d’être en mesure d’évaluer les résultats qu’elle produit, nous devons d’abord être capables de les comprendre et de les produire nous-mêmes.

L’utilisation de l’IA pour remplacer l’écoute, l’enseignement, la lecture, la discussion et les autres méthodes classiques d’apprentissage nous empêche de développer les compétences essentielles à la pensée critique et aux multiples formes de la littératie, qui permettent ensuite d’évaluer l’exactitude de l’IA.

Il en va de même pour l’écriture : les logiciels de révision – comme Antidote, Grammarly ou ceux inclus dans Microsoft Word et Google Docs – ne fonctionnent que si la personne qui s’en sert est en mesure d’accepter ou non les suggestions, puisque ces outils ne font que ramener l’écriture à une norme abstraite. Ils aplanissent l’écriture et enlèvent tout ce qui relève du style… qui n’est pas commun statistiquement.

Il faut donc apprendre à écrire avant de les utiliser; apprendre à traduire avant d’utiliser la traduction automatisée. Sans cet apprentissage, nous écrivons comme des machines, nous répétons par cœur ce que nous mémorisons sans comprendre. Nous répétons donc les mots et les formulations des autres.

Aller directement à l’IA, sans le processus d’essai et d’erreur central à l’apprentissage, c’est se voir comme une courroie pour l’information et non comme une personne ayant besoin d’apprendre pour atteindre ses buts et améliorer sa situation.

Tandis que certains types d’IA peuvent être fort utiles dans certains contextes, les technologies génératives demeurent pour l’instant des investissements en quête d’usagers et de nouveaux investissements.

Ne pas les utiliser, c’est refuser la destruction environnementale qu’ils amènent et ce qu’ils font de nous.

Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).

Au Sénat, il se joint à l’Acadien néoécossais Réjean Aucoin. La Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse se réjouit de la nomination d’Allister Surette, annoncée le 19 décembre.

«Originaire de la région d’Argyle, M. Surette est une figure bien connue de l’Acadie, grâce à son engagement dans la politique, l’éducation et la communauté», a-t-elle indiqué par communiqué.

Allister Surette a été député et ministre libéral provincial de la Nouvelle-Écosse de 1993 à 1998. Ensuite, jusqu’en 2003, il a été président-directeur général du Collège de l’Acadie. De 2011 à juin 2024, il a été recteur et vice-chancelier de l’Université Sainte-Anne, l’unique université francophone en Nouvelle-Écosse.

Par ailleurs, Allister Surette a été président du Congrès mondial acadien qui a eu lieu dans cette province en aout 2024.

À lire aussi : Quelles retombées pour le Congrès mondial acadien?

Francopresse a discuté avec le nouveau sénateur de sa nomination et de ses aspirations.

Francopresse : Comment vous sentez-vous depuis le 19 décembre?

Allister Surette : Je suis très honoré. Je vois ça un peu comme une continuation de tout mon travail et de mes efforts des 25-30 dernières années, non seulement comme recteur, comme député et ministre, mais aussi tout le bénévolat que j’ai fait au niveau de la province, des provinces atlantiques et du Canada, que ce soit présider le conseil d’administration de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne ou de la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures.

J’étais beaucoup aussi dans le domaine du développement économique, à part du domaine postsecondaire. J’ai, par exemple, été au conseil d’administration et président du Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse. Dans le domaine de la pêche, qui est très important en Nouvelle-Écosse, j’ai agi comme médiateur à différentes reprises.

Quelles seront vos priorités en tant que sénateur?

C’est difficile à dire. Pour le moment, ce qui m’intéresse, c’est surtout les communautés acadiennes et francophones du Canada et de mettre à profit mon expérience, que ce soit dans le développement économique, le développement de nos communautés ou le domaine de la pêche.

C’est toujours un défi, la prospérité de nos régions. Donc c’est sûr que le développement économique, ça ne s’arrêtera jamais parce que les choses changent assez rapidement et l’économie de nos jours nous crée des défis, surtout dans les régions acadiennes rurales.

Le postsecondaire est lié à ça. On peut faire de la recherche, appuyer le secteur de la pêche, le secteur agricole. Avec la recherche, on peut s’assurer qu’on fait du progrès dans le domaine économique.

L’Association acadienne des parlementaires du Canada, multipartite, a été lancée officiellement en novembre 2024. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Vous connaissez bien le milieu du postsecondaire francophone en situation minoritaire. Comment traduirez-vous cette expérience dans votre nouveau rôle de sénateur?

Je pense que ça joue aussi dans le développement des communautés acadiennes et francophones, comme le secteur de l’éducation en général. Le secteur du postsecondaire francophone a des rôles clés dans le développement culturel, social, économique, éducationnel de nos régions en situation minoritaire. Je connais très bien le dossier et j’espère que je peux profiter de ça pour apporter de bonnes discussions au Sénat.

La sénatrice Lucie Moncion a demandé une stratégie nationale sur le postsecondaire francophone. Faites-vous la même demande?

Absolument, oui. Je connais bien la sénatrice; on a travaillé de près pendant les dernières années dans des dossiers similaires. Peu importe le domaine, on peut toujours améliorer les choses. Dans ce cas-ci, si on attire l’attention sur le dossier postsecondaire francophone, ça peut juste être un appui à nos communautés.

À lire aussi : Postsecondaire : une stratégie nationale est demandée 

Votre passé comme député et ministre libéral en Nouvelle-Écosse pourrait susciter les critiques de la part de ceux et celles qui accusent Justin Trudeau de nommer d’anciens libéraux afin de l’appuyer au Sénat. Comment comptez-vous vous assurer de faire un travail indépendant? 

J’apprécie beaucoup d’être nommé comme indépendant. Ça fait quand même depuis 1998 que je ne suis plus directement engagé dans la politique partisane. Dans mes rôles de président du Collège communautaire, vice-recteur et recteur de l’Université pendant 25 ans, je m’assurais de travailler pour le mieux de nos communautés et au postsecondaire.

J’ai travaillé avec des gouvernements néodémocrates, [progressistes-]conservateurs et libéraux. Je n’ai pas été très partisan par rapport à ça. Ça se peut que je m’aligne un peu plus [aux libéraux] par rapport à mes valeurs. Mais du côté partisan, ça fait des années que je n’ai pas travaillé à ce niveau-là.

Comptez-vous joindre un groupe de sénateurs?

Ça, ce n’est pas certain. Je vais prendre mon temps comme non-affilié, regarder ce qu’il se passe, regarder les différents groupes et, après ça, je prendrai une décision.

Allez-vous vous joindre à l’Association acadienne des parlementaires du Canada?

Fort probable! C’est sûr que ça m’intéresse. Si j’ai l’occasion, c’est sûr que je vais m’engager.

Je suis très content, je crois que c’est la première fois dans l’histoire du Sénat qu’on a deux Acadiens de la province de la Nouvelle-Écosse. Réjean Aucoin, avec qui j’ai étroitement travaillé et collaboré depuis plusieurs années, vient d’un bout de la province, du côté du Cap-Breton.

Moi, je viens du côté opposé de la province, dans le sud-ouest. On aura des intérêts similaires, mais on apporte quand même différentes perspectives.

À lire aussi : Des parlementaires acadiens s’unissent pour mieux représenter leur peuple

Vous arrivez au Sénat au moment où on attend la règlementation de la nouvelle Loi sur les langues officielles. Comment voyez-vous les choses? Certains de vos collègues au Sénat ont exprimé de l’impatience. La partagez-vous?

C’est sûr qu’on a toujours des défis par rapport à cela, et connaitre exactement le timing est difficile. C’est un autre dossier sur lequel j’ai travaillé de près durant les consultations pour la nouvelle Loi.

Avec mes différents chapeaux, surtout à la Fédération canadienne pour le dialogue des cultures, on a travaillé avec des communautés acadiennes et francophones. J’ai suivi ça de près. Le plus rapidement qu’on peut avancer les règlements, le mieux ça serait pour tout le monde.

À lire aussi : «Le temps n’est pas notre ami» : la Loi sur les langues officielles suscite l’impatience au Parlement

Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de clarté.

Avec des informations de Julien Cayouette

C’est dans un froid glacial, devant sa résidence de fonction de Rideau Cottage, à Ottawa, que le premier ministre a rendu les armes avec émotion, le lundi 6 janvier. 

«Hier soir, j’ai demandé au président du parti de commencer les étapes nécessaires. Le pays mérite un choix clair et réel», a lancé Justin Trudeau.

«Je ne suis pas quelqu’un qui recule facilement devant un combat, surtout un combat si important pour le parti et pour le pays, a-t-il déclaré d’emblée. Je fais ce job parce que l’intérêt des Canadiens et le bienêtre de notre pays, de notre démocratie me tient à cœur. Et c’est devenu clair que je ne peux pas être le chef aux prochaines élections, à cause des batailles internes [du Parti libéral].»

Cette démission n’entraine pas d’une élection générale, seulement une course à la chefferie du Parti libéral.

À lire aussi : Feuilleton de la Colline : crise politique, déficit et services en français

Qu’est-ce que la prorogation du Parlement?

Généralement demandé par le premier ministre à la gouverneure générale, ce processus marque l’arrêt des travaux du Parlement.

Tous les projets de loi qui n’ont pas reçu la sanction royale sont annulés et «meurent au Feuilleton». Ils devraient être représentés lors de la prochaine législature et leur étude recommencerait du début.

Les comités parlementaires mettent également fin à leurs travaux. Certains peuvent poursuivre leurs travaux en adoptant une motion et seulement sous certaines conditions.

Le professeur Boily pense que des élections suivront rapidement la prorogation du Parlement, après le 24 mars. 

Photo : Courtoisie

Les prochaines étapes

Après le 24 mars, le Parlement reprendra ses activités, avec une nouvelle personne à la tête du parti libéral. «Il devrait y avoir la présentation d’un discours du trône pour initier une nouvelle législature et la présentation d’un budget», commente en entrevue avec Francopresse Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus St-Jean de l’Université de l’Alberta.

«Reste à voir comment les choses vont tomber. C’est au moment du discours du trône et du budget que les choses vont se décider», entrevoit le politologue.

Les voix des députés libéraux demandant la démission de leur chef se sont faites de plus en plus nombreuses depuis la sortie de Ken McDonald, député d’Avalon à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a environ un an. Plusieurs s’y sont ajoutées pendant la pause de la période des Fêtes.

À lire aussi : Justin Trudeau est-il à l’écoute de ses députés? (Chronique)

«Le Parlement a besoin d’un reset» 

En conférence de presse, Justin Trudeau a défendu sa décision en affirmant qu’elle ne donnait pas au Parlement l’occasion de voter une motion de censure, ce qui pourrait être perçu comme antidémocratique.

On est pogné dans une question de privilège. Il y a des motions d’obstruction constantes et on a pu très peu accomplir pendant les derniers mois au Parlement. Le Parlement a besoin d’un reset. Il a besoin de se calmer un peu les pompons pour se remettre au travail pour les Canadiens et ne pas faire de la petite politique constante qu’on est en train de voir des conservateurs.

— Justin Trudeau

Interrogé sur ses regrets, le premier ministre est revenu sur sa décision de ne pas adopter le vote préférentiel pour les élections : «Les partis auraient passé plus de temps à regarder les points qu’ils avaient en commun pour être les deuxième ou troisième choix des voteurs [sic] plutôt que de voir la polarisation que nous avions. Mais je ne pouvais pas, de façon unilatérale, changer notre mode de scrutin dans ce pays.»

Face aux inquiétudes concernant les menaces tarifaires de Donald Trump, il a affirmé que la course au leadeurship du Parti libéral n’empêcherait pas le gouvernement toujours au pouvoir de «protéger les Canadiens et leurs intérêts dans un monde très complexe».

À lire aussi : Les minorités canadiennes et l’élection de Donald Trump

Les médias se sont massés devant la résidence du premier ministre, le 6 janvier 2025. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

«Ça ne change rien»

Le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilievre, a ouvert la période préélectorale par la voie d’un communiqué intitulé «Ça ne change rien».

Ce dernier présente un choix entre des libéraux «souvent appuyés par le Bloc», ou «les conservateurs de gros bon sens, pour baisser les taxes et les impôts, bâtir des logements, réparer le budget et stopper les crimes».

Même exercice du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD). Son chef, Jagmeet Singh, a appelé les Canadiens et les Canadiennes à voter pour lui.

«Les libéraux ne méritent pas une autre chance, quel que soit leur chef. […] Je demande à tous celles et ceux qui partagent ces valeurs de se joindre à nous. Ensemble, nous stopperons les conservateurs et bâtirons le tout premier gouvernement canadien pour les travailleuses et travailleurs», déclare-t-il dans un communiqué.

Période préélectorale

En conférence de presse, quelques minutes après l’annonce de Justin Trudeau, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a reconnu qu’il n’avait d’autre choix que de laisser au Parti libéral le temps de mener sa course à la chefferie.

«Mais son ou sa successeure devra déclencher des élections dès son arrivée en poste», a-t-il ajouté.

Le chef bloquiste souhaite qu’une élection soit déclenchée à très court terme après le 24 mars. Il traitera les deux prochains mois comme une période préélectorale.

Yves-François Blanchet s’est aussi montré inquiet face aux menaces du président américain élu, Donald Trump. «Il y a le danger que le gouvernement canadien soit passif et très peu efficace au cours des prochaines semaines.»

«Ce que l’on peut lui reprocher à Justin Trudeau, c’est de ne pas avoir prévu le coup et d’avoir cru jusque dans les derniers moments de décembre qu’il pouvait relancer son gouvernement. C’est là qu’il faut être critique de M. Trudeau», affirme de son côté Frédéric Boily.

«Un chef véritablement soucieux de son parti aurait quitté dès le mois de juin», conclut-il.

Dans l’ouvrage commémoratif, 50 ans de conscientisation et de collaboration : La Fédération de la jeunesse canadienne-française 1974-2024, l’historien Serge Dupuis documente l’évolution d’un organisme dont les activités, parfois limitées par les aléas politiques, restent pertinentes.

«L’histoire de la FJCF démontre que la mission de conscientisation et d’habilitation des jeunes est aussi nécessaire aujourd’hui qu’il y a 50 ans. […] Le réseau de jeunesse peut être une bouée de sauvetage pour sortir les jeunes francophones de l’isolement et leur donner une voix», affirme-t-il en entrevue avec Francopresse.

Selon l’auteur, à travers son histoire, la FJCF a défendu des enjeux et des débats qui étaient négligés par les organismes des adultes, comme le vote à 16 ans et l’insécurité linguistique. Et côté réalisations sur le terrain, deux projets ont laissé leur marque jusqu’à aujourd’hui.

À lire : «Par et pour» les jeunes francophones : une philosophie gagnante?

«Nos accents» sur les ondes

La FJCF est à l’origine de l’instauration de dizaines de stations de radios communautaires entre 1985 et 1991. Un fait d’armes qui se distingue par son efficacité.

Alors que ces projets sont couteux en temps et en ressources, l’organisme parvient à obtenir le financement et encadre la création de stations d’un bout à l’autre du pays. De ces efforts naitrons par exemple Radio Péninsule (aujourd’hui CKRO-FM), à Pokemouche au Nouveau-Brunswick, Radio Clare (CIFA) en Nouvelle-Écosse, ou encore la Radio de l’Épinette noire (CINN FM), à Hearst dans le Nord ontarien.

«À l’époque, les radios sont encore très écoutées, et là […] on diffuse des émissions là où il n’y avait pas de radio francophone et c’est gagnant tout de suite parce que là les gens s’entendent! C’est pas Radio-Canada Montréal qui leur donne un bulletin de nouvelles, c’est les nouvelles locales, c’est les accents [locaux]», relate le professeur Gino Leblanc, ancien président de la FJCF de 1991 à 1992, dans le balado Voix de la jeunesse : 50 ans de la FJCF.

En 1991, l’Alliance des radios communautaires du Canada est créée pour prendre le relai et la FJCF se retire du dossier.

Une bulle de français : les Jeux de la francophonie canadienne

La lutte contre l’assimilation est une mission à laquelle la Fédération s’attèle depuis ses débuts et qu’elle a abordée de différentes façons au fil des ans. L’instauration de la Commission nationale sur l’assimilation en 1990, ou l’enquête plus récente pour la mise en place de la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique en 2019, en sont des exemples.

Mais c’est une initiative plus tangible qui a eu des effets concrets sur le sujet : les Jeux de la francophonie canadienne (JeuxFC). Organisé tous les trois ans depuis 1999, cet évènement reste une rare occasion pour de nombreux jeunes de pouvoir vivre et s’amuser entièrement en français, sans jugement, pendant quelques jours et de créer des liens avec d’autres jeunes d’un bout à l’autre du pays.

«C’est un gros choc de voir autant de francophones», racontait au Droit Stéphanie Delisle, une participante néoécossaise aux Jeux de 2014. «Ça me fait prendre conscience que je ne suis pas la seule au Canada.»

Les résultats le confirment. Un sondage réalisé à la sortie des Jeux de 2017 révélait que 62 % des participants et participantes se disaient motivés par l’évènement à s’engager davantage dans la promotion du français au sein de leurs communautés.

Par ailleurs, 93 % affirmaient que les JeuxFC leur avaient permis de développer une fierté et un sentiment d’appartenance à la francophonie canadienne. Un effet qui a duré, d’après les réponses aux questions posées  aux mêmes jeunes six mois plus tard.

À lire : La FJCF dévoile un plan d’action détaillé pour la sécurité linguistique

Le défi du financement

«Lorsqu’on est financé à 85 à 90 % par un seul bailleur de fonds qui est aussi la cible politique […] cela peut poser un vrai dilemme sur la manière d’opérer », explique Serge Dupuis en entrevue. Selon l’auteur, cette situation peut complexifier les relations lorsque les fédérations deviennent également mandataires de service pour le gouvernement, comme l’a fait la FJCF dans les années 1990 en acceptant d’administrer le programme Jeunesse Canada au Travail lors d’une période d’intenses coupes budgétaires affectant leurs fonds de fonctionnement, sous le gouvernement de Jean Chrétien. Un programme que l’organisme administre toujours aujourd’hui.

«C’est la première histoire d’une fédération nationale. Notre compréhension [des mécanismes de fonctionnement de la politique franco-canadienne] va se raffiner quand on pourra faire des comparaisons avec d’autres», dit Serge Dupuis. 

Photo : Courtoisie – Archives Francopresse

«Dans une version antérieure du titre [du livre], on avait aussi le mot “contestation”, mais on s’est rendu compte que cela était beaucoup plus présent dans les années 1970 à 1990. […] Durant les années 1990, cela s’est perdu. Avec le retour des fonds de fonctionnement dans les années 2000-2010 à nos jours, les revendications sont également revenues… avec un peu plus de retenue.»

Si la politisation et la responsabilisation des jeunes sont au cœur de la mission de la FJCF depuis ses débuts, elle est aujourd’hui peu encline au militantisme, comme les manifestations ou autres coups d’éclat. Ses dirigeants ont plutôt perfectionné l’art des demandes de projets en harmonie relative avec les objectifs fédéraux en matière de langues officielles.

La pandémie a été une période difficile pour la FJCF, qui a vu ses évènements rassembleurs, ses formations et ses activités annulés dans leur quasi-totalité. Les jeunes francophones à travers le pays se sont tournés vers Internet pour leur divertissement, où les contenus francophones sont rarement disponibles, et l’omniprésence de l’anglais facilite l’assimilation.

Mais les jeunes du réseau restent optimistes, comme en témoigne le président actuel, Simon Thériault, lors du gala qui a lancé les célébrations du 50e au début novembre : «Ce 50e anniversaire est une occasion unique de nous tourner vers l’avenir, tout en célébrant le parcours remarquable qui a façonné la FJCF. Ensemble, nous avons construit un réseau solide et inspirant, prêt à relever les défis de demain.»

À lire : Jeunesse et francophonie : une volonté d’avancer main dans la main

Robert Joseph Antoine Campeau est né le 3 aout 1923 à Chelmsford, une petite localité aujourd’hui annexée au Grand Sudbury, dans le Nord de l’Ontario. Alors qu’il a 14 ans, il quitte l’école pour ne plus y revenir. Il n’a pas terminé sa 8e année.

Il travaille dans les mines de l’International Nickel Company (couramment appelée l’INCO). Le jeune Campeau se lasse rapidement de ce travail éreintant et part pour Ottawa, où il occupe différents boulots.

En 1949, il construit sa première maison, qu’il vend à profit. Il ne regardera plus jamais en arrière.

À lire aussi : Face à la crise : réinvestir le logement social et abordable

«La maison de vos rêves»

Dès l’année suivante, il en aura construit et vendu une centaine d’autres avec le slogan «la maison de vos rêves».

En 1953, il incorpore sa compagnie sous le nom de Campeau Construction. Dès le début des années 1960, il fonde et acquiert d’autres entreprises, encore dans le domaine de la construction, mais aussi de la finance. Le journal Le Droit, en 1965, le qualifie de «Napoléon de l’industrie de la construction».

Fort de ses succès, Robert Campeau bâtit plus grand et, surtout, plus haut.

Après de premières expériences dans la construction de tours de logements et de bureaux, à Ottawa, il flaire la belle affaire avec la forte croissance de la fonction publique fédérale. Les nouveaux fonctionnaires ont besoin d’espaces à bureau.

Le premier grand projet de Robert Campeau : les trois édifices de Place de Ville, à Ottawa. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0 non transposé

Au milieu des années 1960, l’homme d’affaires prend les choses en main et construit Place de Ville, un vaste complexe de trois édifices, dont le troisième demeurera le plus haut immeuble d’Ottawa jusqu’en 2019.

On fait appel à Robert Campeau pour construire – sans appel d’offres – des immeubles de bureaux pour y installer des fonctionnaires à Hull, maintenant Gatineau, sur la rive québécoise de la capitale fédérale.

Rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension fulgurante du Franco-Ontarien. C’est alors qu’il se heurte à son premier mur.

À lire aussi : L’histoire du drapeau franco-ontarien, symbole d’une lutte

L’interlude Power Corporation

À la suite d’un projet immobilier qui tourne mal, Robert Campeau doit se résigner à céder le contrôle de sa compagnie à une autre société, en l’occurrence Power Corporation, dirigée par un autre important homme d’affaires franco-ontarien, Paul Desmarais.

Campeau encaisse très mal le coup. Il sombre dans une dépression pendant plusieurs mois et ne se présente pas au bureau. Abattu, mais pas battu.

Au début des années 1980, par un coup de maitre dont seul il a le secret, Robert Campeau convainc la Banco di Santo Spirito, soit la banque du Vatican, de lui verser suffisamment de fonds pour racheter la participation de Power Corporation – plus de 27 millions de dollars canadiens. Il est de nouveau seul en selle.

Devenu l’un des principaux acteurs du secteur immobilier à Ottawa, Campeau veut étendre ses ailes à Toronto. Il réalise quelques projets dans la Ville Reine, dont un hôtel et quelques constructions domiciliaires.

En 1980, il tente un coup d’éclat en déposant une offre d’achat pour la plus grande société financière au pays, la Royal Trust, qui a un actif de sept-milliards de dollars. Mais la métropole ontarienne résiste.

L’establishment financier anglophone de Toronto fera tout pour l’empêcher de mettre la main sur ce joyau de la finance canadienne.

Malgré cet échec, le Canadien français persiste à vouloir s’implanter dans la capitale ontarienne. Pour s’y faire accepter, il y déménage même son siège social et emménage dans une vaste demeure comptant 10 chambres, 13 salles de bain, une piscine olympique et une salle de bal pouvant accueillir 300 personnes.

Mais l’homme d’affaires en veut toujours plus.

Robert Campeau heureux de l’acquisition de l’entreprise Federated Department Stores, qui comprend les magasins Bloomingdale’s, en 1988. 

Photo : Pierre Roussel - Images Distribution

Avec ses visées de grandeur, la prochaine étape était pour lui tout naturellement les États-Unis.

Cap sur le pays de l’Oncle Sam

Dans un premier temps, Campeau y achète des centres commerciaux. Mais au lieu de tenter de convaincre de grandes marques de s’installer dans ses locaux pour attirer les foules et d’autres plus petits magasins, il décide de les acquérir.

Et il vise haut : rien de moins que Macy’s, la célèbre chaine dont le magasin phare a pignon sur Manhattan depuis le début du XXe siècle.

Macy’s dit non. Mais peu de temps après, Campeau réussit à mettre la main, en 1986, sur le groupe Allied Stores et ses 750 magasins de différentes enseignes. La facture est de 4,4 milliards de dollars US.

Encore une fois, Campeau n’est pas satisfait. Sa prochaine convoitise est la Federated Department Stores, le deuxième plus grand groupe de magasins aux États-Unis après Sears, et dont la marque emblématique est Bloomingdale’s. Cout d’acquisition : près de 7 milliards de dollars américains.

Grâce à cette transaction, Robert Campeau trône sur un empire de près de 12 milliards de dollars américains. Il mène un train de vie extravagant à New York et organise, par l’entremise de sa chaine Bloomingdale’s, des évènements spectaculaires avec des vedettes du cinéma et de la télévision.

Si Toronto a boudé le Franco-Ontarien, New York accepte et célèbre celui, parti de rien, qui a réussi. Le rêve américain incarné.

Robert Campeau a laissé aussi sa marque à Toronto, notamment avec la Scotia Plaza. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0 non transposé

Le début de la fin

Mais l’inexpérience de Campeau dans l’industrie de la vente au détail se fait ressentir. Bientôt, les finances tournent au mal… puis au désastre. Il se départit de certaines enseignes pour augmenter ses liquidités. Ce n’est pas suffisant. Ses cotes de crédit plongent. Une spirale vers le bas s’enclenche. À la fin des années 1980, rien de va plus.

En janvier 1990, ses deux joyaux, Federated Department Stores et Allied Stores, déclarent faillite. À hauteur de près de 8,8 milliards de dollars américains, il s’agit de la deuxième faillite en importance aux États-Unis à l’époque.

Démoli, Campeau cherche à se faire oublier. Un journaliste de Radio-Canada, Alain Gravel, le retrouvera plusieurs années plus tard en Autriche où, malgré sa déchéance financière, il habite une demeure palatiale valant 12 millions de dollars. Il a près de 75 ans et a toujours des projets, comme un complexe résidentiel en banlieue de Berlin.

Mais il n’y aura pas de renouveau. Le divorce d’avec sa seconde épouse, Ilse Luebbert, au nom de qui il avait placé environ 18 millions de dollars canadiens pour visiblement se protéger de ses créanciers, met le point final sur sa débâcle.

En 2001, il revient au Canada, s’installe incognito à Ottawa où il vit grâce à une pension de 70 000 $ par année que lui verse son ex-femme. Des miettes pour celui qui nageait dans les milliards à peine dix ans auparavant.

Il meurt en 2017 dans la capitale fédérale, dans un quasi-anonymat, à l’âge de 93 ans.