le Samedi 14 décembre 2024
le Jeudi 10 octobre 2024 6:30 Francophonie

«Presque impossible» de sabrer le financement de CBC sans nuire à Radio-Canada en milieu minoritaire

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Même si Pierre Poilievre soutient qu’un futur gouvernement conservateur ne toucherait pas au financement de Radio-Canada, le diffuseur public francophone risque fort de souffrir de la perte de financement de CBC, voire de sa disparition.  — Photo : Sima Ghaffarzadeh - Pexels
Même si Pierre Poilievre soutient qu’un futur gouvernement conservateur ne toucherait pas au financement de Radio-Canada, le diffuseur public francophone risque fort de souffrir de la perte de financement de CBC, voire de sa disparition.
Photo : Sima Ghaffarzadeh - Pexels
FRANCOPRESSE – Parmi les promesses phares du Parti conservateur du Canada figure celle de «définancer» la CBC, sans toucher à Radio-Canada. Si cet engagement se veut rassurant pour la francophonie canadienne, des experts estiment qu’il est impossible qu’une entité prospère sans l’autre.
«Presque impossible» de sabrer le financement de CBC sans nuire à Radio-Canada en milieu minoritaire
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«Un impact sur CBC est un impact sur Radio-Canada», dit Jean François Rioux. 

Photo : Hélène Bouffard

Lors d’une réunion du Comité du patrimoine canadien en mai 2024, le député libéral de Nickel Belt en Ontario, Marc Serré, a demandé à la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada : «Comment peut-on garder Radio-Canada fort en situation [francophone] minoritaire si CBC est complètement rayée de la carte par les conservateurs?»

«Ça va être très difficile, presque impossible», avait-elle répondu.

En soulignant qu’elle ignore la portée précise de la proposition conservatrice, la présidente-directrice générale ne s’est pas aventurée à spéculer sur l’incidence exacte qu’elle aurait. Elle a tout de même confirmé que «si on coupe, ça va être un désastre pour les médias francophones à l’extérieur du Québec. Ça, c’est sûr.»

«Le rôle du diffuseur public est de desservir tous les Canadiens. Ça veut dire qu’on est dans les communautés autochtones, en situation minoritaire, et même si ce n’est pas rentable. C’est notre service public. C’est ça notre mandat. On sait très bien que […] nous sommes un fil de vie pour les gens qui veulent vivre en français à l’extérieur du Québec», a-t-elle ajouté.

«Un impact direct»

Si le chef conservateur fédéral Pierre Poilievre promet de maintenir la programmation francophone de Radio-Canada, «c’est impossible de dire qu’on va toucher CBC sans avoir d’impact négatif sur Radio-Canada, particulièrement dans les régions», affirme le directeur général des Médias régionaux de Radio-Canada, Jean François Rioux.

Les conséquences se feront surtout sentir dans les stations francophones à l’extérieur du Québec, car – sauf à Moncton, à Ottawa et à Sudbury – elles partagent notamment les locaux, les véhicules et la technologie avec CBC.

«Il faut absolument que l’on comprenne l’interrelation qui existe entre les deux [entités]», insiste Jean François Rioux. Que ce soit pour la tenue de débats électoraux, la couverture des Jeux olympiques ou la publication de grandes histoires, comme celle des «Panama Papers» d’il y a quelques années, la collaboration entre CBC et Radio-Canada s’avère cruciale.

À lire aussi : Le comité d’experts sur CBC/Radio-Canada inquiète les francophones

Marie-Linda Lord, professeure à la retraite en information-communication à l’Université de Moncton, confirme que sabrer le financement de CBC aurait «un impact direct» sur les équipes radio-canadiennes de Charlottetown, Halifax, St. John’s, Winnipeg, Regina et Edmonton, par exemple.

Il va falloir que [Pierre Poilievre] comprenne que les dommages collatéraux seront là s’il touche CBC. Ça va affecter la qualité et la production à Radio-Canada, poursuit-elle. Il va y avoir des conséquences pour Radio-Canada, surtout en région.

— Marie-Linda Lord

«C’est impossible de définancer CBC […] sans porter atteinte au cœur de Radio-Canada, d’autant plus dans nos communautés en situation minoritaire», appuie la présidente de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Nancy Juneau. 

Les services de CBC et de Radio-Canada «sont imbriqués les uns dans les autres, sont interdépendants, tant du point de vue de l’infrastructure, que des ressources humaines et financières», précise Nancy Juneau. 

Photo : Courtoisie

«Il y a un partage des locaux, de l’équipement, des techniciens. Si tu définances CBC, ça risque de couter tout aussi cher de maintenir Radio-Canada parce que les techniciens anglophones avec qui nos collègues de Radio-Canada travaillent, ben, il va falloir en trouver d’autres», poursuit-elle.

La FCCF aimerait savoir comment les conservateurs entrevoient concrètement de «définancer» l’entité anglophone tout en maintenant sa sœur francophone. À ce sujet, Nancy Juneau estime qu’il sera bientôt temps d’organiser une rencontre avec le Parti conservateur du Canada.

L’équipe conservatrice n’avait pas répondu aux questions de Francopresse sur la question au moment de publier le présent article.

Des «zones grises»

Pierre Poilievre ne précise pas dans ses discours si son intention de «définancer» la CBC mènera à une diminution de son financement ou à sa fermeture complète.

«On a aucune idée ce que [Pierre Poilievre] va faire, en toute honnêteté. C’est très difficile de spéculer sur ce que ça pourrait représenter, fait remarquer Jean François Rioux. On va traverser le pont quand on arrivera à la rivière.»

La société d’État est habituée à l’incertitude, dit-il. 

Le directeur travaille à Radio-Canada depuis 36 ans. «Le côté politique des choses, on apprend à vivre avec. J’ai traversé plusieurs crises [assez importantes], au début et à la fin des années 1990, au début des années 2000. Dans chaque cas, il n’y avait pas de couleur politique. C’est-à-dire que les gouvernements prennent des décisions qui nous affectent et il faut apprendre à s’ajuster.»

«C’est sûr que pour nous, ça rajoute un peu de zones grises dans notre regard sur les prochaines années, poursuit-il, en faisant référence aux intentions des conservateurs. Mais on ne peut pas s’attarder sur ça, parce que dans les faits, on n’a pas de financement stable. C’est un financement qui varie d’une année à l’autre.»

Nancy Juneau souhaite justement que le «gouvernement donne à Radio-Canada les moyens d’être un radiodiffuseur public à 100 %. Parce qu’on sait qu’une partie du financement de Radio-Canada provient de recettes publicitaires. Ça fait en sorte que Radio-Canada doit faire des choix en ce sens-là».

À lire aussi : L’indépendance de Radio-Canada

Marie-Linda Lord doute fortement que Pierre Poilievre revienne sur sa promesse de maintenir la programmation de Radio-Canada. 

Photo : Courtoisie

La levée de boucliers

«On sait que les Québécois et les minorités francophones à travers le pays sont très attachés à Radio-Canada, qui joue un rôle extrêmement important au niveau de la francophonie. Ça, je pense que M. Poilievre le reconnait», estime Marie-Linda Lord.

Selon elle, le politicien ne reviendra pas sur sa promesse de ne pas toucher à Radio-Canada, notamment parce qu’il est «quand même fier de ses origines francophones» et parce que des poursuites judiciaires pourraient s’en suivre. 

«Ça serait facile, sans doute, pour des avocats bien aguerris de montrer que c’est une atteinte aux droits des minorités francophones de les priver [de Radio-Canada]», avance la chercheuse.

Selon elle, si le chef conservateur touche Radio-Canada, il y aura «une levée de boucliers extraordinaire».

À lire aussi : Les compressions à CBC/Radio-Canada devraient tenir compte des francophones 

Au-delà de ces hypothèses, il faut aussi attendre la réaction de Pierre Poilievre et des conservateurs au nouveau mandat de la société d’État, qui devrait être annoncé d’ici un mois par la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, selon une source de CBC.

L’identité de la nouvelle présidence-direction générale devrait aussi être dévoilée cet automne, car le mandat de Catherine Tait doit prendre fin en janvier 2025. Elle occupe ce poste depuis 2018.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Corrections:

le Jeudi 17 octobre 2024 13:47:

Marie-Linda Lord est professeure à la retraite en information-communication à l’Université de Moncton, et non professeure émérite. Sa désignation a été changée dans le texte.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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