le Samedi 14 décembre 2024
le Mercredi 13 décembre 2023 6:30 Chroniques et éditoriaux

L’indépendance de Radio-Canada

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
CBC/Radio-Canada a annoncé la suppression de 800 postes, soit 10 % de ses effectifs. Les compressions toucheront en parts égales les secteurs français et anglais de l’organisation. — Photo : Tyler Ingram – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)
CBC/Radio-Canada a annoncé la suppression de 800 postes, soit 10 % de ses effectifs. Les compressions toucheront en parts égales les secteurs français et anglais de l’organisation.
Photo : Tyler Ingram – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)
CHRONIQUE – Encore une fois, l’actualité nous offre un bel exemple de la difficile cohabitation d’entités francophones et anglophones dans des établissements bilingues en période de restriction budgétaire.
L’indépendance de Radio-Canada
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Cette fois-ci, il s’agit de la société CBC/Radio-Canada, forcée de faire des économies substantielles au cours des prochaines années. Son budget annuel de 2 milliards de dollars doit être amputé de 125 millions de dollars (soit plus de 6 % de ses dépenses).

Pour y parvenir, la société d’État a choisi de réduire ses effectifs, abolissant 800 postes, soit 10 % de sa main-d’œuvre.

On s’attendait à de mauvaises nouvelles. On sait que le secteur télévisuel est en pleine transformation au Canada et que la concurrence des gens du Web (Netflix, Amazon, Apple, Disney, etc.) est féroce. Cette transformation ne touche pas uniquement le milieu télévisuel du divertissement, mais aussi celui de l’information.

On le comprend donc, l’univers médiatique traverse une période de turbulence importante.

Il est encore trop tôt pour savoir ce qui résultera de ces changements, mais plusieurs observateurs sont préoccupés par ce que l’avenir semble nous réserver. Aurons-nous encore des productions qui répondent à notre culture? De l’information de qualité, qu’elle soit régionale ou internationale?

Égalité ne signifie pas équité

Mais ce qui est tout aussi troublant dans la décision de CBC/Radio-Canada, c’est qu’encore une fois on ne prend pas au sérieux l’inégalité des chances et des moyens entre les deux communautés linguistiques du pays.

Les compressions toucheront en parts égales les secteurs français et anglais de l’organisation. Appelée à justifier cette décision, la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, affirmait que «tous les secteurs sont mis à contribution. Nous sommes une seule et même organisation».

Voilà le problème. Les organisations canadiennes bilingues sont incapables de fournir des services en français adéquats.

Nous le voyons dans le secteur de la santé (est-il nécessaire de rappeler les réformes de Blain Higgs au Nouveau-Brunswick?), dans le secteur de l’éducation (pensons à l’Université Laurentienne en Ontario, au campus Saint-Jean en Alberta), du transport (Air Canada, les aéroports) et maintenant dans celui des médias.

Un idéal révolu?

Il est temps de se demander si l’idéal du bilinguisme peut encore être défendu au Canada.

Au départ, les organisations bilingues étaient perçues comme un moyen d’aider les communautés linguistiques minoritaires. Il s’agissait alors de tirer profit de la mise en commun de ressources. Grâce aux économies que font les grandes organisations, on pouvait ainsi mieux répondre aux besoins des communautés minoritaires.

Toutefois, la situation s’est renversée du tout au tout.

Maintenant, on ne protège plus les communautés linguistiques minoritaires. On les met à contribution pour régler les problèmes de la majorité linguistique.

C’est exactement ce qui se passe actuellement à CBC/Radio-Canada. Le public anglais délaisse le diffuseur public, alors qu’il existe encore un public fidèle pour le secteur français.

Par exemple, pour la télévision généraliste, la part de marché de l’auditoire de CBC était de 4,4 % en 2022, en deçà de la cible qui lui avait été fixée, comparativement à 23,2 % pour Radio-Canada, ce qui est supérieur aux prévisions. On observe les mêmes tendances pour la radio.

Pourtant, les réductions seront les mêmes dans les deux secteurs linguistiques. Par exemple, des 500 employés affectés à la production qui perdront leur emploi, 250 œuvrent dans le secteur français et 250 dans le secteur anglais.

On demande donc à Radio-Canada de contribuer à l’assainissement budgétaire des programmes de la CBC.

Comment régler le problème?

Avant tout, il faut revoir le financement de CBC/Radio-Canada.

Certains pourraient penser que c’est une mauvaise idée, car en finançant davantage la société d’État, on n’encourage pas celle-ci à être à l’écoute des demandes du public. C’est un argument valable.

Par contre, est-ce qu’un diffuseur public doit plaire au plus grand nombre? La réponse est justement non.

Les diffuseurs publics existent pour offrir des services que ne peuvent pas ou ne veulent pas offrir les diffuseurs privés, soit parce qu’ils sont trop chers, soit parce qu’ils ne sont pas rentables financièrement. Ceci se traduit donc par l’élaboration d’une programmation qui cible les petits marchés ou encore qui coute très chère à produire.

Le prix à payer

Voilà ce qui devrait être le mandat de Radio-Canada. Mais sommes-nous prêts à payer le prix de ces services?

Quand on compare le financement canadien à celui d’autres pays, on constate rapidement que la réponse est non.

Une étude publiée en 2021 dans The International Journal of Press/Politics montre que le Canada n’est certainement pas un premier de classe. Selon les calculs des auteurs de l’étude, le financement public de CBC/Radio-Canada s’élève à 26,51 $ US par habitant par année (soit environ 36,00 $ CAN), comparativement à 142,42 $ en Allemagne, 110,73 $ en Norvège, 101,29 $ en Finlande, 93,16 $ au Danemark et 89,15 $ en Islande.

La France et le Royaume-Uni, deux pays avec lesquels on aime bien se comparer, versent un financement annuel par habitant de 75,89 $ US et 81,30 $ US respectivement, soit trois fois plus que le Canada.

Si on ne faisait que doubler le financement actuel versé à CBC/Radio-Canada, ce qui ne permettrait certainement pas de hisser le Canada parmi les pays les plus généreux ni même d’atteindre les budgets français et britanniques, la société d’État ne serait plus déficitaire.

Elle pourrait même fonctionner sans obtenir d’autres revenus, comme ceux de la publicité et des abonnements.

De plus, si on décidait de verser un montant un peu plus élevé dédié spécifiquement à la production des services en français, Radio-Canada pourrait devenir indépendante et ainsi faire ses propres choix.

Lorsqu’il a modernisé la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral avait reconnu explicitement la nécessité d’adopter une approche asymétrique pour protéger les intérêts des minorités linguistiques.

C’est l’usage du français qui est menacé au pays, pas celui de l’anglais. Il serait temps que le gouvernement fasse le même exercice de réflexion à propos de son diffuseur public.

Le gouvernement devrait sérieusement envisager de créer une entité entièrement libre de faire ses propres choix en fonction des intérêts de la minorité francophone de tout le pays.

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.