Existe-t-il une «économie acadienne»? La question est plus ardue qu’il n’y parait.
«Moi j’ai de la difficulté à [la] définir ou à [la] cadrer», admet Pierre-Marcel Desjardins, l’un des experts invités au Forum économique du Congrès mondial acadien 2024. Selon le professeur à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton, il est parfois compliqué de cerner quelles compagnies sont acadiennes.
«Une entreprise qui est la propriété d’un Acadien ou d’une Acadienne, mais dont les employés sont anglophones, est-ce une entreprise acadienne? Ça devient difficile.» L’économiste préfère parler d’économie dans les régions acadiennes, où il peut y avoir des sociétés de diverses appartenances.
Mais encore là, où situer les régions acadiennes? La présidente du Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse (CDÉNÉ), Suzanne Roy, explique que ce concept a changé dans sa province.
«Traditionnellement, on disait “l’Acadie, c’est les Acadiens qui vivent dans des villages acadiens”. Mais c’est plus ça. À Halifax, il y a 30-40 000 francophones et francophiles qui sont dynamiques, qui sont actifs. Certains ont des entreprises, puis ça fait partie de la communauté aussi.»
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Manque de main-d’œuvre
Les grands joueurs de l’économie acadienne qui se sont établis il y a belle lurette sont encore là, toujours liés aux ressources naturelles, comme la pêche, la forêt ou la tourbe.
Dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, ces grandes entreprises ont pour nom Comeau’s Sea Foods (1946), Les Algues acadiennes (1981) et le constructeur de navires A. F. Thériault et fils (1938). Des entreprises qui œuvrent sur la scène internationale.
Le PDG de Comeau’s Sea Foods, Noël Després, a expliqué lors du Forum que son entreprise fait preuve d’innovation pour se maintenir à flot, mais comme bien d’autres, elle reste confrontée à un défi de taille : «On n’a pas la main-d’œuvre.»
Recherche et innovation
Ce ne sont pas seulement les entreprises qui misent sur l’innovation et qui se lancent dans la recherche et le développement, les pêcheurs s’y intéressent également.
Depuis une vingtaine d’années, diverses organisations de pêche en Atlantique investissent et déploient des efforts pour comprendre l’environnement marin qui fait vivre leurs membres et les communautés.
«Ce savoir nous permet ensuite de convaincre nos pêcheurs, nos gestionnaires et nos politiciens sur les directions à prendre pour avoir une industrie qui est en santé», a expliqué un autre participant, Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes (UPM).
L’Acadie et la francophonie économique
Plusieurs politiciens ont pris part aux discussions, dont le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada, François-Philippe Champagne, qui a présenté sa vision d’une «francophonie économique».
Selon lui, le numérique prend de plus en plus de place dans l’économie mondiale et il souhaite que le développement de solutions dans ce domaine puisse se faire aussi en français.
«Pourquoi la francophonie numérique, ça ne partirait pas à partir d’ici, avec les gens d’ici? Comme ça on va s’assurer d’être des leadeurs non seulement dans ce siècle-ci, mais dans le prochain.»
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Traverser les frontières
François-Philippe Champagne déplore en outre qu’il n’y ait pas assez d’échanges et de mobilité entre les étudiants des universités acadiennes et québécoises ou d’ailleurs au pays.
«Alors, donnons-nous comme défi, au niveau du Congrès mondial acadien [de voir] comment on peut donner à la prochaine génération d’Acadiens et d’Acadiennes les opportunités, par exemple, de traverser la frontière du Québec au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse et de garder leurs crédits. Comme créer un réseau où les étudiants pourraient passer un semestre dans une université et un semestre dans une autre.»
C’est une idée qui plait à l’économiste Pierre-Marcel Desjardins. Il existe selon lui un modèle dont les francophones du Canada pourraient s’inspirer : «Ne réinventons pas la roue. En Europe, on a le programme Erasmus.»
Les étudiants peuvent ainsi étudier de trois à douze mois dans une université d’un autre pays. «On pourrait avoir le même genre de programme au Canada, un programme pancanadien qui fait en sorte que pendant un semestre, on offre du financement pour ce genre de mobilité.»
Au début du Congrès mondial acadien 2024, le chanteur et militant cadien Zachary Richard a fait valoir que l’économie joue un rôle crucial dans la survie du peuple acadien. Les économistes et intervenants présents au Forum économique lui ont donné raison.
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