le Dimanche 14 septembre 2025

La Loi sur les langues officielles a été modernisée au terme de la dernière session parlementaire. Les élus venaient tout juste d’unir leurs forces pour donner lieu à une nouvelle Loi plus apte à lutter contre le déclin du français. La question linguistique aurait pu être quasi absente des débats cette année.

Mais force est de constater que le fait français a révélé des tensions sous-jacentes entre ces mêmes élus.

Récapitulatif

Dès le mois d’octobre 2023, le français fait les unes. Au Comité permanent des langues officielles, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, s’attire les foudres des conservateurs et des bloquistes en refusant de reconnaitre explicitement le déclin du français au Québec.

Francis Drouin s’est excusé à plusieurs reprises après l’incident au Comité. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

En novembre, le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, présente une étude sur le financement fédéral de l’anglais au Québec. Les libéraux se défendent de protéger la minorité anglophone québécoise tandis que le Bloc les accuse de financer l’assimilation des Québécois francophones.

Le 6 mai 2024, au Comité des langues officielles, le député libéral Francis Drouin insulte des témoins venus parler de l’anglicisation du Québec. «Vous êtes pleins de marde», leur a-t-il dit, retirant immédiatement après ses propos.

Le député s’excuse, ses collègues libéraux le défendent, mais rien n’y fait : les partis d’opposition exigent son retrait du Comité et son départ de  la présidence de la section canadienne de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF).

Des motions sont déposées, des votes comptés, mais aucun des souhaits de l’opposition n’est exaucé.

Quelques semaines plus tard, en Comité, le député libéral Angelo Iacono avance que le Québec gagnerait à devenir officiellement bilingue. De nouveau, l’opposition s’indigne, et la défense du français se fraye un chemin dans les débats en Chambre.

«Plusieurs [députés libéraux] hésitent de reconnaitre la crise du déclin du français», selon Niki Ashton. 

Photo : Courtoisie

Bien que tous ces évènements concernent avant tout le Québec, les francophones en situation minoritaire sont évoqués. À plusieurs reprises, les chefs du Bloc québécois et du Parti libéral débattent sur qui défend réellement ces communautés minoritaires et le français en général.

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L’affaire Drouin

Ce débat a explosé après l’histoire des «témoins pleins de marde», paralysant des réunions entières du Comité.

«Les libéraux se sont engagés dans un filibuster (obstruction parlementaire, NDLR) pour [empêcher] le Comité de voter sur une motion qui se penchait sur cette affaire-là. Finalement, on n’a jamais eu la chance de voter», regrette aujourd’hui la porte-parole néodémocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton.

«Plusieurs membres sont prêts à défendre une arrogance troublante qui nuit [aux discussions] sur le déclin du français, stipule la députée. C’est là que les libéraux, particulièrement M. Drouin, ont montré qu’ils ne sont pas prêts à entendre des perspectives sur cela venant du Québec.»

Darrell Samson espère que la prochaine session parlementaire pourra faire avancer les travaux du Comité permanent aux langues officielles, en particulier ceux sur l’éducation en milieu minoritaire. 

Photo : Courtoisie

Selon le député bloquiste Mario Beaulieu, M. Drouin a réagi au «simple constat de la situation de façon très agressive». Cette situation, qu’il a chiffrée dans son étude présentée en novembre, est celle d’un «surfinancement» des établissements postsecondaires anglophones du Québec.

Le député attend de voir la suite des choses : «Peut-être que M. Drouin ne sera plus là au début de la prochaine session. […] S’il revient, on va voir comment on s’organise.»

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Pour Darrell Samson, député libéral qui siège au Comité, les évènements entourant Francis Drouin et Angelo Iacono ont été des «moments difficiles», mais qui ont permis de faire parler du français.

«On n’a pas passé à l’action civile que j’aurais aimée, donc je suis déçu de ce côté-là, admet-il. Même si sur le coup, à court terme, c’est négatif, ça peut être positif parce que ça force les réflexions.»

Darrell Samson ne cautionne pas les paroles de ses deux collègues, mais il demande à la population canadienne de ne pas réduire la vision du Parti libéral et de ses députés à ces deux évènements.

«Notre gouvernement, autant qu’on veuille peut-être chercher à le pointer du doigt, a développé une nouvelle loi. […] Ça, pour moi, ça démontre beaucoup plus.»

Selon Joël Godin, ni les libéraux ni le Bloc québécois ne font de réels efforts pour défendre les francophones en situation minoritaire. 

Photo : Facebook

Des délais, malgré l’urgence

Mais l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles n’est pas suffisante aux yeux des députés du Comité. Sa règlementation, réclamée par les élus et organismes francophones depuis des mois, se fait attendre. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, prévoit déposer un projet de règlement au début de l’année 2025.

En attendant, les institutions fédérales peinent à respecter leurs obligations linguistiques, comme l’ont noté le Commissaire aux langues officielles (CLO) et le Conseil du Trésor

Pour s’attaquer à ce problème, «[la règlementation] devrait se faire beaucoup plus rapidement», estime Mario Beaulieu.

«Rien ne s’est fait pour les langues officielles depuis que la Loi [a été adoptée] en juin dernier. Je trouve ça malheureux pour la langue française», déplore de son côté le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin.

Des décrets sont aussi attendus, notamment par le CLO. Ce dernier souhaite mettre en œuvre ses nouveaux pouvoirs, ce qui laisse croire à M. Godin que «le gouvernement libéral n’est pas là pour agir».

«La volonté du gouvernement libéral, la volonté politique n’est pas là», dit Mario Beaulieu. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

«Il faut avoir des leadeurs qui prennent leur responsabilité et agissent. Je ne peux pas affirmer que l’ensemble de la députation de tous les partis a l’intention de protéger les deux langues officielles. Il y a des gens qui ne sont pas très sensibles à ce sujet-là, ce n’est pas leur priorité», dit-il.

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Critiquant la «lenteur» du Conseil du Trésor, Niki Ashton affirme qu’«un projet de loi n’est pas assez». «On doit s’assurer d’un financement stable à long terme.» 

Darrell Samson espère que la règlementation se fera «plus tôt que plus tard». «J’aimerais qu’on puisse procéder aussi rapidement que possible, car on a besoin de ces outils-là, dit-il. Ça vaut quoi d’avoir des outils si on ne peut pas les utiliser? […] Mettons-nous à la tâche, livrons la marchandise et passons à l’action.»

L’art de raconter des histoires

Cette année, les Franco-Manitobains ont eu plus que la fête du Canada à célébrer. Leur amie Hélène Perreault leur a offert un beau cadeau. Le 1er juillet, l’auteure-compositrice-interprète franco-manitobaine a lancé numériquement son deuxième opus; Nuit sans sommeil.

Illustration de l’album Nuit sans sommeil

Photo : musiquelnpmusic.ca

Dès la première plage «Rebelles», elle nous offre un bouquet de mélodies, allant de la chanson française au jazz en passant par le blues et le folk. Des changements de tempos et d’orchestrations remarquables nous démontrent une belle évolution dans l’écriture musicale de la Franco-Manitobaine, originaire de Montréal.

Sa plume n’est pas en reste. Elle nous interpelle sur la fierté, les prétentieux ou encore les amours compliqués. Un moment fort du disque est la reprise de la chanson de Gérard Jean, «Histoire d’antan». Hélène Perrault en fait une version sobre, mais tout de même accrocheuse.

D’autres bonnes pièces de ce disque sont le folk Ici, sur la fierté du territoire, l’excellent air latino «Jet Lag», sur les joies du jetset, ou encore la country folk «Poussière verbale». Cette dernière chanson est l’un des meilleurs textes de l’album et porte sur les ouï-dire et les rien-dire. J’aime bien également l’air pop «Minuit moins toi», la musique est signée Hélène Perreault sur un texte magnifique du grand Claude Gauthier.

L’artiste franco-manitobaine nous offre une belle variété au niveau des arrangements et de magnifiques textes qui nous interpellent sur de nombreux sujets. Bref, il s’agit d’un nouveau rendez-vous réussi pour Hélène Perreault.

Rebelles
Album : Nuit sans sommeil

L’assurance et la maturité au bout des doigts

Quel plaisir de vous présenter le 2e EP d’une artiste exceptionnelle de l’est de l’Ontario. Tout ça pour moi d’Héloïse Yelle est un petit bijou très captivant lancé à la fin mai.

Illustration de l’album  Tout ça pour moi

Photo : heloiseyelle.com

La jeune artiste, qui baigne dans la musique depuis sa tendre enfance, possède déjà un curriculum artistique bien rempli. Avec ce microalbum, elle nous invite dans son univers de soul, de blues et de ballade.

Dès la première plage «Demande-moi pas de faire semblant», nous sommes séduits par des arrangements de cuivres solides, qui mettent en évidence la voix unique de la chanteuse. Héloïse Yelle démontre toute la puissance et la profondeur de sa voix grâce à deux pièces piano-voix remplies de tendresse.  

La jeune interprète franco-ontarienne propose un à-côté plus intimiste avec les chansons «Poète du vent» et «Nos âmes tristes». Ce dernier titre est gage du talent d’une grande chanteuse. L’album se termine sur une version francophone d’un classique du chanteur R&B Bobby Hebb, «Sunny».

Tout ça pour moi est une carte de visite qui met en évidence le grand talent et la profondeur de la voix d’Héloïse Yelle : une voix énergique et puissante par moment et douce et réconfortante à d’autres.

Poète du vent
Album : Tout ça pour moi

Retour sur un Voyage intérieur d’une âme manouche

Christine Tassan que nous avons connue comme guitariste de jazz manouche avec Les Imposteures,, nous a invités en 2020 à un Voyage intérieur avec son quintette. Il s’agissait d’un album avec de nouvelles compositions captivantes.

Illustration de l’album Voyage intérieur

Photo : christinetassan.com

La première chanson, «Going to NYC», dans un univers plus cool jazz, met la table pour cet opus. Ça rappelle les sons de John Coltrane, Dave Brubeck et Thelonious Monk : un univers où se côtoie, énergie, nostalgie et mélancolie.

Nous avons droit à de nombreux échanges entre le piano, le saxophone et la guitare, et chacun y va de merveilleux solos de temps à autre. L’album s’écoute du début jusqu’à la fin sans effort tellement la complicité des cinq musiciens est enivrante.

La pièce la plus forte est «Frisson d’avril», un tango sur fond de mélancolie tout en douceur. «Gypsy Funk» sonne plus moderne et offre un groove des plus irrésistibles. La pièce titre, «Voyage intérieur», est exceptionnelle avec son univers profond, paisible et nostalgique. Dans le même créneau, «Pleine lune» se charge de terminer cet album tout en beauté.

Après nous avoir séduits avec son groupe Les Imposteures et cinq albums de jazz manouche, voilà que Christine Tassan dévoile une nouvelle carte. Voyage intérieur est un incontournable pour ceux qui sont à la recherche d’une oasis à la vie stressante. Tout au long du disque, nous nous laissons promener par des mélodies exceptionnellement bien fignolées.

Gypsy Funk
Album : Voyage intérieur

Marc Lalonde, dit Lalonde des ondes, est chroniqueur musical depuis plus de 25 ans au sein de la francophonie musicale canadienne et animateur de l’émission radiophonique Can-Rock. Il se fait un malin plaisir de partager cette richesse dans 16 stations de radio à travers le pays chaque semaine.

Victoire des conservateurs et Justin Trudeau sur la sellette

Don Stewart est le nouveau député de la circonscription Toronto–St. Paul’s. 

Photo : Courtoisie

Les conservateurs ont remporté l’élection partielle dans Toronto–St. Paul’s lundi soir, dans une course serrée entre leur candidat Don Stewart et la libérale Leslie Church.

Don Stewart, un financier professionnel, a gagné avec 42,1 % des voix, contre 40,5 % pour Leslie Church, 10,9 % pour la candidate néodémocrate Amrit Parhar et 2,9 % pour le candidat du Parti vert Christian Cullis.

La circonscription ontarienne était rouge depuis plus de 30 ans. Don Stewart succède à Carolyn Bennett, qui a été députée libérale pendant 26 ans et ministre fédérale pendant 10 ans. Celle-ci a pris sa retraite de la vie parlementaire en décembre 2023.

Leslie Church a affirmé sur X qu’elle sera de nouveau candidate dans Toronto–St. Paul’s lors des prochaines élections fédérales.

Au fil des semaines précédant l’élection partielle, de nombreux analystes statuaient qu’une perte pour les libéraux signifierait un coup dur pour Justin Trudeau, dont le leadeurship serait davantage remis en cause.

Mais un sondage d’Angus Reid paru lundi suggère qu’un changement à la tête du Parti libéral ne changerait pas grand-chose à l’écart général entre les libéraux et les conservateurs dans les intentions de vote.

Marc Miller, ami proche de Justin Trudeau, appuie le leadeurship du premier ministre. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Dans une réaction écrite aux résultats de l’élection publiée lundi, Justin Trudeau n’a montré aucun signe de départ : «Il est clair que moi et toute mon équipe libérale avons encore beaucoup de travail à faire pour réaliser des progrès tangibles et réels que les Canadiens peuvent voir et ressentir.»

Questionnés par les journalistes au sujet de sa possible démission, des députés de son caucus se sont tenus debout derrière leur chef.

«Mon avis en tant qu’ami proche ne serait jamais entendu par le public. Mon avis comme ministre et collègue, professionnellement, c’est de rester, absolument», a par exemple déclaré le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, en conférence de presse mercredi.

Outre le leadeurship du premier ministre, une autre question reste sur les lèvres de commentateurs : si une forteresse comme Toronto–St. Paul’s s’est écroulée, quelle circonscription est encore sure pour les libéraux?

Hausse des prix et reconnaissance autochtone

Selon Statistique Canada, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a grimpé de 2,9 % en mai par rapport au même mois en 2023. Cette augmentation était de 2,7 % en avril.

Cette montée s’explique, entre autres, par l’augmentation des prix des services (4,6 % en mai, contre 4,2 % en avril), notamment les forfaits pour téléphones cellulaires, des voyages organisés, des loyers et du transport aérien. Le prix des biens a quant à lui progressé de 1,0 %.

Dans les épiceries, les prix ont augmenté de 22,5 % par rapport à mai 2020, une progression qui se poursuit de mois en mois.

«En reconnaissant l’importance de la robe à clochettes, nous progressons également sur la voie vers la réconciliation», a déclaré Patty Hajdu. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Statistique Canada attribue principalement la hausse des prix des loyers à la situation en Ontario, où ils ont grimpé de 8,4 % d’une année à l’autre en mai, à la croissance de la population et des taux d’intérêt.

Le ministre responsable de Parcs Canada, Steven Guilbeault, a annoncé mercredi la désignation de Shiibaashka’igan, une robe à clochette sacrée et une tradition de danse sacrée des femmes anishinaabe, comme un évènement d’importance historique nationale.

Dans un communiqué, la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a qualifié cette reconnaissance de «geste de profond respect pour le patrimoine culturel et les traditions de guérison des communautés anishinaabe».

Le processus de désignation se fait dans le cadre du Programme national de commémoration historique de Parcs Canada et «repose en grande partie sur des propositions du public», selon le communiqué.

«À ce jour, plus de 2240 désignations ont été effectuées à l’échelle nationale.»

La robe à clochettes a reçu une désignation nationale cette semaine. 

Photo : JoslynLM

Caribous, bovins et porcs en politique

Les caribous du Québec ont fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière après que le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a annoncé un possible décret d’urgence pour forcer la province de Québec à protéger cette espèce en péril.

Pierre Poilievre promet d’annuler le décret d’urgence sur les caribous s’il prend le pouvoir. 

Photo : Eya Ben Nejm – Francopresse

Il s’est dit particulièrement préoccupé par l’exploitation forestière et minière, qui menace l’habitat de l’animal.

L’imposition de mesures restrictives par Ottawa a rapidement créé des remous à Québec, qui déplore une ingérence du fédéral dans ses champs de compétences.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, en tournée à Saguenay, a déclaré cette semaine que la protection du caribou reste la responsabilité du Québec et qu’il faut «protéger les emplois dans le secteur forestier».

De son côté, la Cour supérieure du Québec a donné raison aux communautés autochtones de Mashteuiatsh et d’Essipit, qui «déploraient ne pas avoir été consultées adéquatement en marge de l’élaboration d’un plan de protection du caribou forestier», rapporte Radio-Canada.

Le tribunal a exigé que le gouvernement du Québec consulte ces communautés d’ici le 30 septembre.

Le gouvernement fédéral veut lever les restrictions sur le clonage de bovins et de porcs pour l’alimentation. Il éliminerait l’obligation de déclaration et d’évaluation des risques, selon un reportage de Radio-Canada.

Ottawa veut lever les restrictions sur le clonage d’animaux à des fins alimentaires. 

Photo : Pixabay

D’après Santé Canada, les produits alimentaires issus du clonage ne présentent pas de risque. Ottawa assure aussi que ce projet de réforme ressemble à ceux que d’autres pays, tels que les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande, ont déjà instaurés.

Selon un avis scientifique émis dans le cadre de cette politique, le clonage permet «la production de copies génétiques presque identiques d’animaux», ce qui peut permettre de cibler des «caractères supérieurs ou rares».

Ultimement, cette technique pourrait contribuer à la qualité du produit et à la tolérance immunitaire à certaines maladies.

Selon un sondage mené par le Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE) en avril 2024, 41 % des francophones en situation minoritaire se trouvent dans une situation financière précaire.

La même proportion affirme que sa situation s’est détériorée au cours des 12 derniers mois. Ce constat est le même dans la population canadienne générale. Selon Angus Reid, 42 % des Canadiens et des Canadiennes pensent aussi que leurs finances sont pires que l’an dernier.

La précarité financière perçue par les francophones hors Québec reste également similaire à celle de la population en général. D’après un sondage du Canadian Maru Household Outlook Index, 55 % des Canadiens sont inquiets pour leurs finances et 43 % d’entre eux ont du mal à joindre les deux bouts.

Selon le sondage du RDÉE, le groupe d’âge des 55 ans et plus est celui dont la situation financière s’est le plus détériorée. Les francophones de 55 à 74 ans ont répondu à 56 % que leur situation financière s’est détériorée et 67 % des 75 ans et plus font le même constat.

«Ce sont des gens qui ont bâti nos communautés […] et qui ne retourneront probablement pas sur le marché du travail, dont les revenus ne suivent absolument pas la hausse des couts […]. Ce genre d’information peut être utile pour les gouvernements», dit le président-directeur général du RDÉE, Yan Plante, en entrevue avec Francopresse.

Parmi les 41 % de francophones en situation précaire, 67 % attribuent leur situation au cout de la vie. Et ils n’ont probablement pas tort : selon Statistique Canada, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a grimpé de 2,9 % entre mai 2023 et mai 2024.

Yan Plante rappelle que «les sondages d’opinion sur les communautés francophones, c’est très rare». 

Photo : Courtoisie RDÉE

Des préoccupations variées

Selon Yan Plante, le sondage démontre qu’il faut continuer à améliorer les conditions des francophones «en soutenant ceux qui cherchent un emploi, les employeurs et les communautés quand elles ont des projets de développement économique».

Le cout de la vie, l’inflation, bref le prix à payer pour vivre, «[…] c’est l’enjeu numéro un dans la population canadienne, peu importe la langue dont on parle. Les francophones ne sont pas différents de ça», dit-il.

La population générale s’inquiète au sujet de l’économie et de l’accès au logement, de l’environnement et de l’accès aux soins de santé.

Les francophones en situation minoritaire sondés par le RDÉE  ont surtout parlé de cout de la vie, d’inflation, d’accès aux services en santé, de changements climatiques, d’accès au logement et de criminalité comme étant leurs préoccupations principales.

La protection du français arrive en sixième place derrière ces enjeux.

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Protection des communautés

De manière générale, 41 % des francophones en situation minoritaire pensent que leurs droits linguistiques sont peu ou pas du tout protégés dans leur région. Mais la majorité constate une amélioration de la protection par rapport aux cinq dernières années.

Yan Plante estime que le contexte y est pour beaucoup. Il y a environ cinq ans, le projet de l’Université de l’Ontario français et la survie du Campus Saint-Jean en Alberta étaient menacés, et un nouveau gouvernement au Nouveau-Brunswick inquiétait les francophones, rappelle-t-il. 

«Je pense que les données devant nous démontrent que les gens reconnaissent que dans les cinq dernières années, particulièrement le gouvernement fédéral a fait des avancées avec la modernisation de la Loi sur les langues officielles, un nouveau Plan d’action pour les langues officielles. La mer est plus calme, si on veut.»

Quant à l’avenir de leurs communautés, les sondés sont ambivalents : 5 % sont très pessimistes, 19 % plutôt pessimistes, 27 % plutôt optimistes et 14 % très optimistes.

Si la majorité des personnes interrogées reste partagée sur l’aide gouvernementale pour le développement économique de leurs communautés, 18 % estiment que le gouvernement fédéral en fait trop et 17 % pensent de même pour les gouvernements provinciaux. 

D’ailleurs, selon 15 % des répondants, ce n’est pas aux gouvernements d’assurer la vitalité économique des communautés.

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Il reste que l’accès aux services en français demeure difficile. Les loisirs, les évènements culturels, les lieux touristiques et les services sociaux et de santé sont des secteurs auxquels une proportion significative de francophones peine à accéder dans leur langue.

Néanmoins, ces données n’illustrent pas forcément un déclin dans l’offre des services. Par exemple, 60 écoles élémentaires et secondaires francophones en milieu minoritaire ont été créées  entre 2016 et 2021.

Les vestiges de la pandémie

Quatre-vingt-deux pour cent des répondants estiment que les entreprises francophones sont essentielles à la survie de la langue française dans leurs régions.

La majorité y reste d’ailleurs attachée ou très attachée, comme en témoigne leur mode de consommation : 52 % disent faire des achats en entreprise et commerce francophones, 28 % le font parfois.

Sur une note moins positive, selon 30 % des francophones en situation minoritaire, la pandémie de COVID-19 a entrainé la fermeture d’entreprises francophones et bilingues. La couverture médiatique lors de cette époque le confirme.

À lire ailleurs : Ces entreprises qui ferment leurs portes en raison de la Covid-19 (IJL-Réseau.Presse-Le Franco)

Mais c’est une autre conséquence de la pandémie qui marque le plus les sondés : la première place est accordée à l’inflation, à 76 %. En deuxième place se trouve la santé mentale, à 44 %.

Ça m’a frappé, raconte . Il y a des gens qui souffrent, qui ont besoin d’aide et [en même temps], on manque de personnel qui parle français dans le milieu de la santé.

— Yan Plante

Le secteur de la santé est effectivement celui qui a été le plus souvent identifié par les francophones comme étant en demande de main-d’œuvre, suivi par l’enseignement et la construction.

Ironiquement, les médias de langue minoritaire sont peut-être mieux servis par la décision de Google d’utiliser l’exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne. Parce que c’est le seul endroit dans la Loi où les parlementaires ont pensé aux médias des minorités linguistiques.

La Loi sur les nouvelles en ligne prévoit en effet la demande d’une exemption. L’article 11 donne le droit à un «intermédiaire de nouvelles numériques» – comme un moteur de recherche ou un réseau social – de demander une exemption à la Loi s’il respecte certaines conditions.

L’une de ces conditions stipule qu’il doit avoir conclu des accords qui «assurent qu’une partie importante des médias d’information des communautés de langue officielle en situation minoritaire en bénéficie et [que les accords] contribuent à [la] viabilité [de ces médias]». Très gentil… à moitié.

Loi sur les nouvelles en lignes

Le projet de loi C-18, devenu la Loi sur les nouvelles en ligne, contraint les entreprises qui servent d’intermédiaire entre les producteurs de contenu en ligne – comme les médias – et les lecteurs ou auditeurs à négocier des compensations financières avec les producteurs.

Afin de ne pas être assujetti à cette Loi et de ne pas devoir indemniser les médias d’information pour leur contenu, Meta bloque depuis aout 2023 les nouvelles sur Facebook et Instagram au Canada.

Pour éviter de négocier des accords d’indemnisation avec des dizaines d’entités, Google demande une exemption à la Loi et, en échange, l’entreprise remettra 100 millions de dollars à un seul groupe, qui sera ensuite responsable de redistribuer cette somme aux médias.

Labyrinthe juridique

Le critère de protection des médias de langue minoritaire figure dans le processus d’exemption qu’invoque Google – et certainement créé à la demande de l’entreprise –, mais nulle part ailleurs dans le texte de la Loi.

Puisqu’ils ne sont pas expressément mentionnés dans les critères d’admissibilité de la Loi elle-même, très peu de médias de langue minoritaire auront la possibilité de négocier une entente avec les plateformes en ligne, notamment parce qu’ils doivent répondre à un autre critère, soit celui d’employer au moins deux journalistes.

La plupart des journaux et radios communautaires en milieu minoritaire ne comptent pas deux journalistes.

Selon le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, à l’heure actuelle, 96 % des médias qu’il représente ne sont pas admissibles à une indemnisation selon la Loi. Cette proportion pourrait peut-être descendre à 85 % si l’on compte les journalistes recrutés à l’aide de l’Initiative de journalisme local (IJL).

À lire : Entente Google : les médias de langues minoritaires sur leurs gardes

Pourtant, les médias autochtones sont mentionnés explicitement dans la section sur l’admissibilité de la Loi. Ils ne sont pas tenus d’avoir deux journalistes.

Pourquoi des médias qui produisent du «contenu de nouvelles d’intérêt public qui est axé principalement sur des questions d’intérêt général et qui rend compte d’évènements actuels, y compris la couverture des institutions et processus démocratiques» dans une langue officielle en situation minoritaire n’ont-ils pas droit au même statut distinct?

Sont-ils protégés par la Loi sur les langues officielles? Le temps que la question fasse l’objet d’un débat, il sera trop tard.

En d’autres mots, si Google n’avait pas demandé d’exemption, la Loi ne forcerait pas le géant américain à discuter avec les médias francophones en milieu minoritaire, ou les entités qui les représentent, s’ils ne respectent pas tous les autres critères d’admissibilité.

Il fait noir dans le tunnel

Malgré la précision dans le processus d’exemption, les médias de langue minoritaire ne savent pas encore s’ils seront inclus dans la distribution des 100 millions de dollars de Google en raison des critères d’admissibilité.

Les médias communautaires de langue minoritaire attendent de voir s’ils auront une place au sein du Collectif canadien de journalisme (CCJ), l’organisation choisie par Google pour distribuer l’argent. 

Le CCJ sera fort probablement sympathique à ces médias, puisqu’il a été créé par des petits médias et des médias communautaires.

L’admissibilité des médias de langue minoritaire à la somme promise par Google reste tout de même un mystère. Est-ce que l’obligation d’avoir deux journalistes s’applique ou non à l’exemption? C’est une exemption à la Loi après tout! Sinon, est-ce que le CCJ sera plus souple dans l’interprétation de la Loi?

Il est certain que l’argent de Google ne règlera pas tous les problèmes des médias. De fait, Patrimoine canadien s’attend à ce que les petits médias reçoivent environ 17 000 $ par journaliste. C’est loin de couvrir un salaire.

De plus, si aucun éclaircissement n’est fait dans la loi ou le règlement, les mêmes questions pourraient revenir dans cinq ans, lorsque l’entente entre Google et le CCJ viendra à échéance.

À lire : Les angles morts de l’Entente Google

Impossible aussi de savoir quels autres défis pendent au bout du nez des médias canadiens.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications poursuit ses audiences publiques pour la création du cadre règlementaire de l’application de la Loi.

Il doit encore déterminer quels autres «intermédiaires de nouvelles numériques» pourraient être assujettis à la Loi. Est-ce que ces derniers demanderont une exemption comme Google ou est-ce qu’ils couperont l’accès aux médias d’information au Canada, comme l’a fait Meta?

En attente de réponses, les médias de langue minoritaire retiennent leur souffle.

Ils suffoquent.

«J’ai été étonné de la difficulté du TEF [Test d’évaluation du Français], surtout pour l’expression écrite. Les questions étaient assez compliquées, pas toujours claires et on n’avait pas beaucoup de temps pour y répondre», témoigne Adil Khallate de l’Île-du-Prince-Édouard.

Adile Khallate avait déjà passé le TEF au Maroc il y a quelques années, mais à cause de sa durée de validité de deux, il a dû le repasser en début d’année au Canada. 

Photo : Courtoisie 

Originaire du Maroc, ce nouvel arrivant a fait l’examen en janvier 2024, en vue d’obtenir sa résidence permanente. Depuis 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) utilise le TEF pour attester du niveau de langue française des candidats à l’immigration.

Créé en 1998 par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris, le TEF est «le premier test standardisé de français général dans le monde et 80 pays le reconnaissent aujourd’hui», affirme l’organisme dans un courriel.

Il est composé de quatre épreuves : compréhension écrite, compréhension orale, expression orale et expression écrite.

Selon Sarah Théberge, qui gère l’administration du TEF au sein de l’Université Bishop’s au Québec, l’épreuve de compréhension orale est celle qui suscite le plus de commentaires de la part des candidats.

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«Franco-français»

La spécialiste regrette le manque d’«inclusivité» des thèmes de discussion proposés par rapport à des immigrants provenant de cultures et de milieux très divers, ayant des niveaux de scolarité hétérogènes.

C’est très franco-français et les candidats ne comprennent pas des sujets qui leur sont complètement inconnus, ça ne fait pas partie de la culture de leur pays d’origine

— Sarah Théberge

Sarah Théberge estime que la création d’un nouveau test serait «bénéfique», mais doit s’accompagner de ressources supplémentaires. 

Photo : Courtoisie

«Le test est vraiment axé sur la France […] Il ne prend pas en considération la réalité canadienne et le français d’ici, où nous avons un vocabulaire vraiment différent par rapport à la France», renchérit Adil Khallate.

Sarah Théberge note néanmoins les efforts de la CCI Paris pour s’éloigner des thématiques hexagonales et s’ouvrir à la diversité canadienne dans le TEF Canada.

Depuis deux ans, les candidats qui ne sont pas à l’aise avec les outils technologiques sont néanmoins confrontés à un obstacle supplémentaire : papier et crayon sont désormais interdits.

«Ce passage au tout numérique désavantage ceux qui ne savent pas bien utiliser un ordinateur, déplore la responsable. On finit par évaluer les compétences en technologie alors qu’au départ, on veut évaluer les compétences langagières.»

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Cout exorbitant 

À l’Île-du-Prince-Édouard, Adil Khallate a dû se déplacer à plus de 200 kilomètres de chez lui pour passer le TEF, car aucun centre d’examen n’est agréé par IRCC dans sa province.

Entre le prix du test, le cout du transport et du péage, il a dû débourser 550 dollars : «C’est très cher, surtout pour des résidents temporaires qui vivent souvent des situations précaires et ont beaucoup d’autres couts au niveau des démarches d’immigration.»

Adil Khallate est loin d’être le seul nouvel arrivant à éprouver ce genre de difficultés. Dans un récent rapport, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes estime que le TEF «représente un obstacle à l’obtention de la résidence permanente», à cause de son niveau de difficulté élevé, ses frais d’inscriptions dispendieux et sa courte durée de validité de deux ans.

Le comité parlementaire préconise ainsi la création d’un nouveau test, conçu et administré au Canada par les établissements postsecondaires de langue française en situation minoritaire et au Québec.

L’objectif serait d’avoir un examen «adapté à la réalité et aux besoins de la société canadienne», dont le cout est abordable et uniformisé. Le comité suggère d’augmenter la durée de validité à cinq ans. Les candidats auraient le choix de passer le TEF Canada ou cette nouvelle évaluation.

Fournir assez de ressources

Dans une réponse écrite, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) dit avoir «pris connaissance de la recommandation» et assure qu’elle en parlera «avec ses partenaires pour bien cerner les enjeux, les attentes et les responsabilités de chacun». 

De son côté, Sarah Théberge salue l’idée, avant de prévenir : «Nous aurons besoin de ressources humaines et financières en plus pour le créer.»

C’est une logistique compliquée, l’organisation demande du personnel formé, des ressources technologiques et informatiques sécurisées

— Sarah Théberge

À ses yeux, les candidats choisiront un test plutôt qu’un autre en fonction de considérations pratiques : les dates des prochaines sessions, le centre agréé le plus près de leur domicile. Pour éviter un système à deux vitesses, elle appelle surtout à pratiquer des tarifs similaires pour les deux examens. 

«Il y a eu une grande augmentation de demandes d’asile des personnes nouvelles arrivantes dans les centres 2SLGBTQIA+», témoigne Rose-Eva Forgues-Jenkins, gestionnaire de la programmation au Comité FrancoQueer de l’Ouest, à Edmonton, en Alberta.

Rose-Eva Forgues-Jenkins constate que les personnes 2SLGBTQIA+ qui demandent l’asile sont confrontées à différents obstacles administratifs. 

Photo : Emily Riddle

Parmi elles, certaines ne parlent pas ou très peu anglais. L’organisme se charge alors de leur traduire des documents, notamment pour les services sociaux et la santé.

Selon Rose-Eva Forgues-Jenkins, l’un des principaux obstacles reste administratif. «Quand ces personnes font une demande d’asile ou un statut de réfugié, le gouvernement leur demande de prouver qu’elles font partie de la communauté de 2SLGBTQIA+.»

«C’est quelque chose qui est fondamentalement incorrect, dénonce-t-elle. Parce que ces personnes, dans leur pays, c’est un traumatisme qu’elles ont vécu, parce que c’est illégal. Donc ce n’est pas quelque chose dont tu vas avoir des traces.»

Les associations peuvent alors écrire des lettres confirmant que ces personnes font partie ou ont des liens avec des organismes 2SLGBTQIA+. Mais pas question de leur demander une quelconque «pièce justificative».

«Personne n’a à prouver qu’il fait partie de la communauté. Il y a déjà tellement de stigmatisation», lâche Rose-Eva Forgues-Jenkins.

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Se rendre dans les périphéries

L’organisme franco-ontarien FrancoQueer a réalisé à une recherche pour favoriser le bienêtre et l’intégration sociale de la communauté racisée francophone 2SLGBTQIA+ de Toronto et d’Ottawa.

Les chercheurs recommandent notamment aux organismes de réaliser certaines activités en périphérie. Ils suggèrent par exemple la mise en place de groupes satellites pour réunir les membres qui ne peuvent pas toujours se déplacer au centre-ville.

Pour améliorer l’accessibilité aux services en français dans les organismes de santé et les institutions gouvernementales et socioculturelles, «il est impératif de continuer à plaidoyer de concert avec d’autres organismes francophones», peut-on lire dans le document.

Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’offrir une formation adaptée aux professionnels de la santé et des services sociaux pour inclure les personnes racisées nouvellement arrivées.

Isolement géographique

Les personnes éloignées des centres urbains ou des quartiers généraux des associations rencontrent également des difficultés pour accéder à leurs ressources.

Élisabeth Bruins estime que les indicateurs de succès actuels, dont dépendent certains financements, ne reflètent pas l’impact réel des services proposés par les organismes communautaires francophones. 

Photo : Courtoisie

«Le fait que nos services se soient élargis pendant la pandémie nous a en quelque sorte un peu aidés, parce qu’on a dû transformer beaucoup de nos programmes au format virtuel», explique Élisabeth Bruins, coordinatrice de l’engagement communautaire à FrancoQueer, à Toronto, en Ontario.

«On aimerait pouvoir offrir plus de services, d’activités et de programmation en personne à l’extérieur de Toronto», ajoute-t-elle. Mais les ressources manquent.

«On essaie d’obtenir plus de financement pour justement élargir la portée de nos services vraiment à la grandeur de la province. Parce qu’on a des demandes de personnes à Windsor, à London, dans le nord de l’Ontario, dans la région d’Ottawa, de Cornwall…»

Collaborer avec d’autres organisations locales est également crucial.

«On est vraiment ancré en ce moment dans la région de Toronto, un petit peu dans la région d’Ottawa. Alors c’est essentiel pour nous d’établir des connexions avec des partenaires qui sont déjà implantés ailleurs dans la province», témoigne Élisabeth Bruins.

L’éloignement entre les organismes et leurs bénéficiaires n’est pas seulement physique, il peut aussi être culturel.

Barrières culturelles

«Il y a cette idée comme quoi les personnes de la communauté de 2SLGBTQIA+, elles sont blanches, elles sont occidentales et ça, c’est juste faux», insiste Élisabeth Bruins.

«C’est au cœur de notre travail de reconnaitre et de célébrer qu’il y a des personnes queers, des personnes trans partout au monde, partout à travers la francophonie.»

Pour s’aligner avec cette réalité, FrancoQueer offre des services culturellement adaptés aux personnes nouvellement arrivées.

Quand on parle de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle, on ne peut en parler exclusivement dans des termes occidentaux, parce qu’on sait qu’à travers le monde, à travers l’histoire, il y a eu des conceptions différentes de la communauté arc-en-ciel et ça, c’est des référents qui résonnent plus avec nos membres.

— Élisabeth Bruins

L’association intègre dans ses évènements plusieurs référents culturels pour refléter la diversité de sa communauté. Cela va de la musique jouée, à la nourriture proposée, en passant par les mots employés.

«On a une série d’activités qu’on appelle “Culture queer”, où des membres viennent et partagent la culture de leur pays d’origine, mais aussi la culture queer : ça ressemble à quoi, être queer dans ton pays?»

Mais malgré les efforts, «il y a encore du travail à faire», reconnait Élisabeth Bruins.

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Former pour ne pas traumatiser

Rose-Eva Forgues-Jenkins note aussi l’importance de la représentation et de la diversité au sein des équipes. 

«C’est important pour que les personnes se sentent confortables à voir quelqu’un, qu’elles se sentent reflétées dans un organisme […] ou avoir au moins quelqu’un qui connait bien ces enjeux-là.»

Les organismes proposent ainsi des formations au bénéfice de leur personnel.

«On parle d’humilité culturelle, de reconnaitre que nos référents culturels, notre socialisation, ce n’est ni la seule façon de faire, ni la meilleure, et donc d’approcher des situations où il pourrait y avoir des malentendus, des conceptions différentes, de les approcher avec curiosité, avec générosité et avec humilité», complète Élisabeth Bruins, qui a récemment suivi une formation sur les bonnes pratiques interculturelles.

«C’est important pour nous de nous former en approche trauma-informed, qui tiennent compte des traumatismes et de la violence.»

L’organisme franco-ontarien FrancoQueer a réalisé une recherche pour favoriser le bienêtre et l’intégration sociale de la communauté racisée francophone 2SLGBTQIA+ de Toronto et d’Ottawa. 

Photo : FrancoQueer

Revoir le mode de financement

Mais toutes ces initiatives ne sont pas gratuites. «Il faut passer plus de temps sur des demandes de subventions […] au lieu de passer du temps avec la communauté», regrette Rose-Eva Forgues-Jenkins.

Pour Élisabeth Bruins, c’est la structure même des financements qui pourrait être revue.

À ses yeux, la façon dont les indicateurs de succès sont mesurés par certains bailleurs de fonds ne reflètent pas forcément l’impact des services proposés et empêche les organismes d’obtenir plus de fonds.

L’indicateur de succès, c’est combien de personnes participent à une activité. Mais le meilleur service ce n’est pas toujours celui qui rejoint le plus de personnes à la fois.

— Élisabeth Bruins

«Dans certains cas, peut-être qu’il suffirait de faire de plus petits évènements et en faire plus dans les régions», avance-t-elle.

Élisabeth Bruins appelle à changer les indicateurs et les manières de travailler pour mieux servir les bénéficiaires, en s’appuyant notamment sur les recherches et les rapports faits par les organismes.

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Richard Wagner évoque un manque de ressources financières et humaines pour justifier le refus de traduire d’anciennes décisions. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

En 2023, en réponse à une première plainte, le Commissaire aux langues officielles (CLO) a conclu que la Cour suprême viole la Loi sur les langues officielles en ne traduisant pas ses décisions rendues avant 1970, disponibles en ligne.

Alors que le CLO se penche en ce moment sur une seconde plainte de la sorte, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, maintient qu’il ne traduira pas ces décisions.

«D’après les informations qu’on m’a données, ça prendrait une centaine d’interprètes pour faire le travail. Ça couterait entre 10 et 20 millions de dollars. On n’a pas cet argent-là», a-t-il tranché en conférence de presse, le 3 juin dernier.

«S’il y a quelqu’un qui l’a [cet argent-là], tant mieux. Ça va faire plaisir à ceux qui sont des amateurs de patrimoine culturel/juridique. Nous, on ne l’a pas.»

Selon le juge en chef, le «problème ultime» est que les versions traduites ne seraient jamais «officielles». «Ce n’est pas de la mauvaise foi, s’est-il défendu. C’est une question de moyens, c’est une question de raisonnabilité aussi.»

Selon Le Devoir, qui a obtenu une copie du rapport préliminaire de l’enquête, le CLO rendra la même conclusion pour la seconde plainte que pour la première et priera la Cour suprême de traduire ses anciennes décisions.

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La Cour se contredit

«Je suis sympathique à la question du budget, mais je ne pense pas que c’est une excuse valable», exprime le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque, en entrevue avec Francopresse.

Selon lui, ne pas traduire les anciennes décisions ne respecte pas l’esprit de la Loi sur les langues officielles (LLO), qui valorise l’égalité entre l’anglais et le français.

Aux yeux de François Larocque, on ne peut pas justifier des violations de droits linguistiques par des inconvénients administratifs comme le temps et l’argent. 

Photo : Valérie Charbonneau

«Ce n’est pas conforme non plus à la Charte des droits et libertés», ajoute l’avocat. Citant les articles 16, 19 et 20 de la Charte, il rappelle que le français et l’anglais ont un statut égal.

«Si ça existe en anglais, ça doit exister en français. […] Avoir des choses qui existent uniquement en une langue, ça perpétue un état d’inégalité entre les deux langues.»

La réponse de Richard Wagner est d’ailleurs «difficilement conciliable avec les principes de la Cour suprême», fait remarquer le juriste. Faisant référence à l’arrêt Beaulac de 1999, il rappelle que la Cour a alors renforcé le droit d’obtenir un procès dans la langue officielle de son choix.

«Cette obligation doit être mise en œuvre et les inconvénients administratifs et financiers ne sont généralement pas des excuses valables pour ne pas respecter ce droit. Ça, c’est la Cour suprême elle-même qui le dit.»

Conformément à la LLO, les tribunaux fédéraux sont tenus de fournir leurs décisions dans les deux langues officielles. Bien qu’il n’existe pas de disposition spécifique aux anciennes décisions de la Cour suprême, ces décisions demeurent importantes.

Les anciennes décisions ont une utilité pratique aujourd’hui. Ça démontre l’évolution des règles, l’évolution du droit et ça, c’est toujours important.

— François Larocque

Le CLO a préféré ne pas commenter le dossier, puisque l’enquête concernant la deuxième plainte est toujours en cours.

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Le Commissaire aux langues officielles étudie présentement une deuxième plainte en lien avec l’absence de traductions d’anciennes décisions de la Cour suprême. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Des pistes de solution

François Larocque aurait préféré entendre que «ça va couter cher, ça va prendre du temps, mais c’est important, […] on va en faire un peu sur plusieurs années».

«L’autre façon serait que le gouvernement […] augmente de manière ponctuelle ou accorde une enveloppe spéciale dans le budget de la Cour suprême pour cette dépense», suggère-t-il.

Le juriste avance une troisième solution : faire de ces anciennes décisions un service du gouvernement. «C’est le gouvernement qui s’engagerait à financer […] des versions françaises, explique-t-il. Ça viendrait résoudre la question du budget de la Cour.»

En tant que service gouvernemental, les versions traduites de ces décisions ne seraient pas de la jurisprudence à proprement parler, car elles seraient des versions non officielles. «Mais ça serait quand même une information juridique disponible.»

Le gouvernement devrait s’assurer de mettre en place les ressources nécessaires pour respecter les droits.

— Justin Kingston

Une autre avenue serait de confier la mission de traduction à une autre entité, telle que CanLII, le site web contenant les décisions juridiques du Canada, dit le président de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law (FAJEF), Justin Kingston.

Justin Kingston accepte la possibilité que la traduction se fasse sur plusieurs années au besoin. 

Photo : Courtoisie

«Un pays bilingue»

«On est tellement fiers d’être un pays bilingue et bijuridique. On ne peut pas se présenter comme ça si on a des décisions de la plus haute cour du pays qui ne sont pas traduites en français», déplore Justin Kingston.

«Il y a des manquements dans d’autres sphères de l’administration de la justice : manque de juges bilingues, d’avocats bilingues, etc. C’est juste un autre élément de manquement d’un système qui se dit bilingue et bijuridique.»

Pour François Larocque, «c’est du patrimoine juridique et il faut le valoriser» : «On dépense des millions de dollars à restaurer de vieux édifices parce qu’ils ont une importance architecturale et [symbolique].»

Justin Kingston rappelle que certaines anciennes décisions sont étudiées dans les facultés de droit francophones. «C’est aussi une question d’accès à la justice, ajoute-t-il. Le manque de ressources ne devrait pas [enfreindre] le droit de l’accès à la justice dans les deux langues officielles.»

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«Le démon de l’intelligence artificielle»

Questionné sur l’utilité de l’intelligence artificielle, Richard Wagner a prêché la prudence.

«Je vois un intérêt très positif à l’intelligence artificielle au niveau de la traduction des décisions, a-t-il affirmé en conférence de presse. La question est d’éviter des aspects négatifs à [son] usage.»

Le démon de l’intelligence artificielle, c’est la désinformation. On se rend compte qu’au niveau juridique, judiciaire, c’est par exemple la création artificielle d’une jurisprudence.

— Richard Wagner

Richard Wagner a nommé des cas au Canada et en Europe dans lesquels des noms, dates et pages qui n’existent pas étaient cités par l’intelligence artificielle dans des documents juridiques. Il a également fait une mise en garde contre le risque de créer des personnages et des paroles qui n’ont jamais existé.

«Je suis complètement d’accord, il faut faire attention, concède Justin Kingston. Mais je pense qu’il y a d’autres acteurs, d’autres compagnies, des experts qui seraient probablement prêts à faire ou à aider la traduction.»

Après l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique, l’Alberta a annoncé à la mi-juin qu’elle interdira l’utilisation des téléphones cellulaires en classe.

S’ajoute à ces annonces une poursuite lancée par des conseils scolaires ontariens contre les entreprises derrière les réseaux sociaux les plus populaires, qui relance la question des impacts de ces sites Web sur les jeunes.

Selon Natalie Coulter, les réseaux sociaux sont conçus pour capturer indéfiniment l’attention des gens, sans pause. Elle suggère donc plus de règlementations entourant leur conception et leur usage. 

Photo : Courtoisie

Selon Natalie Coulter, directrice de l’Institut de recherche sur la littératie numérique et professeure en études en communication et médias à l’Université de York, à Toronto, l’usage excessif du téléphone par les jeunes s’explique en bonne partie par les «médias sociaux, qui sont conçus pour [nous] faire défiler constamment, afin que vous n’ayez aucune pause pour les lâcher».

Pour mieux illustrer l’effet des réseaux sociaux sur les utilisateurs, la professeure prend l’exemple du casino où «tout est conçu pour vous permettre de rester là et de dépenser de l’argent. Il n’y a pas d’horloge, il n’y a pas de fenêtre…».

Elle tient toutefois à ne pas diaboliser leur utilisation, lorsque son usage peut être fait de manière saine et sans abus.

Manque de productivité

Quand il n’y a pas d’équilibre, les réseaux sociaux peuvent devenir une vraie distraction pour les enfants et les adolescents, explique l’experte.

Les jeunes peuvent développer des problèmes au «niveau de l’attention, la difficulté à se concentrer pour un certain temps sans vérifier son téléphone», raconte une personne membre du corps enseignant de l’Ontario, qui souhaite garder l’anonymat.

Cette personne observe aussi une décroissance de la richesse du vocabulaire chez les jeunes. De plus, lorsque les élèves rentrent en classe, ils ont l’air fatigués, presque endormis.

«Quand l’élève est trop fatigué en classe, l’élève ne participe pas, l’élève ferme ses yeux, l’élève ne comprend pas la leçon et l’élève manque de motivation.»

Même lorsqu’ils ne sont pas fatigués, les élèves sont distraits. Ils s’envoient des vidéos ou des photos sur Snapchat et consultent YouTube, témoigne ce membre du corps enseignant.

Règlementation et éducation

Les problèmes créés par les réseaux sociaux résultent des principes de conception adoptés par les compagnies, mais aussi du manque de règlementation par les gouvernements, interpelle Natalie Coulter.

Pour elle, le débat ne devrait pas être au sujet de l’usage du téléphone, mais sur la régularisation des réseaux sociaux, car ces plateformes peuvent être aussi utilisées à travers une montre digitale ou sur un ordinateur.

La règlementation permettrait d’assurer plus de sécurité. Par exemple, «les constructeurs automobiles ne peuvent pas construire de voitures sans ceintures de sécurité, c’est illégal». Un principe qui doit s’appliquer aux réseaux sociaux, illustre Natalie Coulter.

Le Centre ontarien de prévention des agressions (COPA) s’inquiète justement de la sécurité des enfants en lien avec les réseaux sociaux.

Pour la directrice générale, Marie-Claude Rioux, il faut promouvoir l’éducation sur l’usage des téléphones et des réseaux sociaux. Un téléphone n’est pas le prolongement d’un bras, mais un outil qui doit être utilisé avec bienveillance, et non avec malveillance.

De la même façon, on peut apprendre à utiliser un couteau, on peut apprendre à utiliser un marteau, il y a toujours des règles, il y a toujours une vigilance à exercer, il y a toujours des marches à suivre de sorte qu’on se protège.

— Marie-Claude Rioux

Interdire crée parfois l’effet inverse, prévient-elle. «On a envie de les tester, on a envie de passer outre et d’essayer quelque chose, alors ça ne marche pas.» Il faut selon elle aller au-delà de l’interdiction et leur offrir l’information adéquate.

À lire : L’interdiction des réseaux sociaux aux mineurs, bonne ou mauvaise idée?

Agressivité et intimidation

Si les réseaux sociaux constituent un moyen d’échange et de divertissement pour les jeunes, les plateformes en ligne peuvent rapidement se transformer en lieu de violence et d’intimidation.

Selon Statistique Canada, une utilisation fréquente des réseaux sociaux augmente le risque d’être victime de cyberintimidation.

Marie-Claude Rioux encourage les jeunes à en apprendre davantage sur l’usage des réseaux sociaux afin de les utiliser de manière responsable et bienveillante. 

Photo : John Rafuse

Ce phénomène s’est intensifié depuis la pandémie, remarque Marie-Claude Rioux, qui s’inquiète de cette tendance.

Selon elle, la cyberintimidation à l’école peut prendre différentes formes, comme prendre des camarades en photo sans leurs consentements, se moquer ou les insulter sur les réseaux sociaux. 

Pendant que le monde rigole sur les médias sociaux, une autre personne souffre derrière l’écran, alerte-t-elle.

Les jeunes peuvent aussi être influencés par les opinions très polarisées présentes sur les réseaux sociaux, ajoute la directrice. 

Il y a de plus en plus de «déclarations sensationnelles, de déclarations controversées, mais aussi de la misogynie et du racisme», ajoute Natalie Coulter.

Pour la professeure, l’abondance d’informations très polarisées et violentes n’est pas un hasard. Elles suscitent diverses réactions qui les poussent au sommet des algorithmes.

À lire : Les réseaux sociaux nous ont menti (Chronique)

Face à ces dangers, les parents peuvent être tentés d’interdire à leurs enfants d’avoir des comptes sur les réseaux sociaux, mais un autre problème peut alors surgir : l’exclusion du jeune par ses camarades, rappelle la personne membre du corps enseignant ontarien. «C’est à l’âge où on veut absolument faire partie d’un groupe. On veut absolument des amis.»

Les réseaux sociaux permettent aussi de donner une voix aux jeunes pour exprimer leurs opinions et partager les causes qui leur tiennent à cœur, comme le réchauffement climatique, rappelle Natalie Coulter.

D’autres «ont trouvé une communauté grâce aux médias sociaux, peut-être une communauté autour de leur identité sexuelle», donne-t-elle en exemple. Il ne faut donc pas déduire que les interdire leur sera entièrement bénéfique.

À lire : Protéger les jeunes face aux conséquences de la cyberintimidation

Roland-Garros, le premier évènement sportif d’envergure internationale de 2024 en sol français, venait de se terminer sur le sacre de la nouvelle vedette espagnole Carlos Alcaraz.Le coup d’envoi de l’Euro de soccer, pour lequel l’équipe de France fait partie des favoris, était sur le point d’être donné.

Arnaud Assoumani refuserait de serrer la main de Jordan Bardella s’il venait à être élu. 

Photo : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Un peu plus tard, ce devait être au Tour de France d’être sous le feu des projecteurs, pour un mois de juillet placé sous le signe de la liesse populaire dans la France rurale. Avant, évidemment, l’apothéose attendue des Jeux olympiques de Paris, à compter du 26 juillet.

Autant d’occasions pour les Français de faire la fête, l’esprit léger. La mairesse de Paris, Anne Hidalgo, et le président de la République, Emmanuel Macron, devaient même se baigner dans la Seine, pour ouvrir la voie d’un été décomplexé. Si la fête est encore au programme, les esprits seront, eux, sans doute beaucoup plus occupés.

Château de cartes à la française

Le coup de massue est tombé le dimanche 9 juin. Après les résultats catastrophiques de son parti Renaissance aux élections européennes, Emmanuel Macron décide de dissoudre l’Assemblée nationale, une première depuis 1997 et la présidence de Jacques Chirac, appelant les Français aux urnes les 30 juin et 7 juillet.

Depuis cette annonce, les médias français tournent en boucle sur les différents rebondissements – dignes de la série télévisée Château de cartes (House of Cards), il faut bien l’avouer – qui accompagnent cette campagne électorale improvisée. Les JO, eux, sont relégués au second plan.

Le président du Comité international olympique, Thomas Bach, a beau assurer que les Jeux ne seront «pas perturbés» par le scrutin, force est de constater qu’à un peu plus d’un mois de la cérémonie d’ouverture, la France est dans le brouillard. Elle ne sait pas qui sera à la tête de son gouvernement lorsque le pays accueillera le monde.

Emmanuel Macron fait un pari risqué juste avant les Jeux olympiques de Paris. 

Photo : Quirinale.it

Alors qu’un statuquo, à savoir une majorité présidentielle et Gabriel Attal au poste de premier ministre, semble exclu par les sondages, il y a trois options possibles :

Le premier scénario est le plus redouté par une large partie de la classe politique. Jamais sous le régime de la Ve République l’extrême droite n’a été aussi proche d’accéder au pouvoir.

Les soutiens d’Emmanuel Macron utilisent même la représentation aux JO comme argument de campagne. «Il y a une question à se poser, c’est quelle image veut-on projeter dans le monde? Les Français sont conduits à se demander qui ils veulent pour diriger le pays et ils sont également conduits à se demander qui ils veulent pour accueillir le monde», a lancé, dès le mardi 11 juin, la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques de France, Amélie Oudéa-Castéra.

Des sportifs partent en campagne

Autre crainte : celle de manifestations d’envergure en cas de victoire de l’extrême droite.

Le monde a eu un premier aperçu de cette mobilisation le samedi 15 juin, avec 250 000 personnes qui sont descendues dans la rue.

Avec ses forces policières déjà fortement mobilisées pour encadrer les compétitions, la France pourrait-elle assurer le bon déroulement de ces mouvements sociaux? Y aurait-il un risque de paralysie au plus mauvais des moments?

Kylian Mbappé est l’un des joueurs de soccer qui s’est prononcé au sujet du climat politique français. 

Photo : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Signe de la gravité de la situation, les sportifs, généralement très prudents sur les sujets politiques et de société, s’engagent publiquement. L’athlète paralympique français Arnaud Assoumani a ainsi déclaré le lundi 17 juin qu’il «refuserai[t] de serrer la main de Jordan Bardella» si ce dernier est nommé premier ministre.

«Il y a une vraie incompatibilité entre ce que le RN [Rassemblement national] véhicule comme valeurs et le sport tel qu’il est. Les valeurs d’union, de partage, de fair-play, de solidarité et de justice sociale», justifie-t-il.

Certains joueurs de l’équipe de soccer de France sont aussi montés au créneau, comme Marcus Thuram, Ousmane Dembélé et, surtout, le plus célèbre d’entre eux, Kylian Mbappé.

Devant la presse, ce dernier a déclaré : «Je pense qu’on est dans un moment crucial de l’histoire de notre pays. […] J’appelle les jeunes à aller voter, on voit que les extrêmes sont aux portes du pouvoir. On a l’opportunité de choisir l’avenir de notre pays.»

Sa prise de parole peut avoir son importance. Même s’il semble mettre dos à dos le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire – ou du moins une partie – sous le même descriptif d’«extrême», ce qui est très contestable de l’aveu même du Conseil d’État et ce qui lui a été reproché par certains.

Kylian Mbappé est une figure populaire auprès de la jeunesse, qui est la population qui statistiquement s’abstient le plus (70 % des moins de 35 ans n’avaient pas voté aux élections législatives de 2022). Une forte mobilisation de la jeunesse devrait favoriser la gauche et pourrait bloquer l’accession au pouvoir de l’extrême droite. Au grand soulagement du monde du sport.

Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.