le Vendredi 26 Décembre 2025

En pleine guerre économique avec les États-Unis, les industries canadiennes cherchent de nouveaux débouchés. La construction du controversé oléoduc Énergie Est revient sur le devant de la scène comme porte de sortie du pétrole, moteur économique de l’Alberta.

Il s’agit d’un pipeline de 4600 km qui transporterait quotidiennement 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta et de la Saskatchewan vers le port de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Il traverserait six provinces et près de 200 territoires de Premières Nations.

Tracé du projet de l’oléoduc Énergie-Est. En orange, l’oléoduc projeté. Le projet est annulé le 5 octobre 2017 par TransCanada. 

Photo : Eshko Timiou CC BY-SA 4.0

L’entreprise TransCanada, devenue depuis TC Energy, a abandonné le projet en 2017 pour des raisons environnementales et faute d’acceptabilité sociale, surtout au Québec.

Fin janvier, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, et le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, ont pourtant relancé l’idée. Ce dernier a même demandé à Ottawa d’approuver «immédiatement» un projet, qui offrirait des «opportunités incroyables» de développement de nouveaux marchés, notamment vers l’Europe.

Le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilievre, a également déploré l’abandon de l’oléoduc, qui aurait, selon lui, pu être utilisé pour réduire la dépendance d’autres pays au pétrole russe.

Selon Charles Séguin, le secteur pétrolier et gazier préfère rester discret à propos d’Énergie Est tant que la campagne électorale est en cours. 

Photo : Émilie Tournevache

Pour le professeur au département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal, Charles Séguin, il est cependant «trop tard».

«Ce ne sont pas des discussions sérieuses, la fenêtre d’opportunité est passée, estime-t-il. On parle d’un vieux projet que certains politiciens aimeraient ramener à la vie, car ils regrettent d’en avoir sous-estimé les bénéfices à l’époque.»

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Économiquement inintéressant

La directrice du programme pétrole et gaz de l’Institut Pembina, un centre albertain en recherche environnementale, Janetta McKenzie, rappelle en outre que la construction d’un pipeline de cette envergure prendra au moins une décennie et «ne résoudra certainement pas les problèmes tarifaires à court terme».

Dans l’immédiat, «ça ne règlera pas non plus le problème de la dépendance du Canada envers les États-Unis pour son exportation de pétrole», ajoute le professeur au département de physique de l’Université de Montréal, Normand Mousseau.

«Avec Énergie Est, il s’agirait théoriquement d’acheminer du pétrole vers l’Europe, mais les importations européennes de pétrole ont stagné au cours des dernières années», expose Janetta McKenzie, en Alberta. 

Photo : Courtoisie

Faute d’infrastructures de traitement adéquates, plus de 80 % de la production albertaine d’or noir est en effet exportée vers le Midwest et le Texas par pipeline, explique Janetta McKenzie. Les raffineries transforment le pétrole lourd canadien en brut léger et l’exportent ensuite à l’international.

Selon les experts, le silence actuel des entreprises du secteur pétrolier sur le sujet témoigne de leur désintérêt pour une proposition économiquement inintéressante et trop risquée.

En 2017, le cout d’Énergie Est était estimé à près de 16 milliards de dollars. «Aujourd’hui, compte tenu de l’inflation et des perturbations de la chaine d’approvisionnement, ce montant serait certainement beaucoup plus élevé et complètement déraisonnable», avertit encore Janetta McKenzie.

Charles Séguin croit que les compagnies préfèrent attendre les résultats des élections fédérales avant de se prononcer : «Si les conservateurs gagnent, ça pourrait être favorable, si ce sont les libéraux, ça s’augure très mal.»

Des corridors énergétiques, «vendeur électoralement»

Au-delà d’Énergie Est, Ottawa et les provinces ont récemment décidé de créer des corridors énergétiques nationaux afin de faciliter le transport et l’exportation du pétrole et du gaz naturel.

«C’est vendeur électoralement d’améliorer les échanges Est-Ouest pour constituer une économie intégrée et renforcer notre indépendance, mais c’est complexe à mettre en place d’un point de vue politique publique», prévient le chercheur de l’Université du Québec à Rimouski Yann Fournis.

Il évoque notamment le conflit dans les années 1980 durant lequel l’Alberta a préféré envoyer son pétrole brut aux États-Unis plutôt qu’en Ontario. À cette époque, la province s’opposait au gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau qui voulait mettre en place le Programme énergétique national.

Contexte international défavorable

Dans une réponse par courriel, la présidente et directrice générale de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, Lisa Baiton, se dit d’accord avec «la nécessité de construire de grands projets énergétiques».

Mais, «plutôt que de défendre des projets isolés», elle appelle les gouvernements à créer un environnement propice à l’investissement privé dans des projets d’infrastructure nationaux qui permettront de «diversifier les marchés», d’assurer «la protection tarifaire» du pays et de «protéger sa souveraineté».

«Un investissement sur dix ans, basé sur une crise temporaire, c’est trop risqué», assure Normand Mousseau. 

Photo : Émilie Ferguson

En réalité, pour que les compagnies acceptent de mettre la main au portefeuille, elles doivent sécuriser des contrats de vente à long terme.

«J’ai de la misère à voir des marchés d’exportation dans un contexte où il y a un essor de la voiture électrique, où la demande mondiale est amenée à baisser et où le cout du pétrole canadien explose», observe Normand Mousseau.

Le physicien fait référence au prix très élevé du pétrole qui transite par l’oléoduc Trans Mountain (entre l’Alberta et la Colombie-Britannique) : «Aujourd’hui, on demande de ne pas le tarifer au prix coutant, car sinon il ne serait pas compétitif et impossible à exporter.»

L’Union européenne (UE) a par ailleurs adopté une taxe carbone aux frontières, qui permettra de taxer les importations de marchandises (le pétrole et le gaz ne sont pas concernés dans un premier temps) depuis des pays tiers aux normes moins strictes dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES).

À cet égard, Charles Séguin avance que l’UE aurait pu constituer un marché d’exportation si le Canada avait maintenu sa taxe carbone : «Ça aurait été un argument de vente intéressant.»

Au Canada atlantique, John Paul se dit conscient de «la pression» qui pèse sur le Canada pour travailler plus étroitement avec d’autres pays que les États-Unis. 

Photo : Courtoisie

Point de vue autochtone

Pour les Premières Nations, «quiconque souhaite réaliser le projet doit en discuter avec les communautés touchées et leur fournir toutes les informations pour qu’elles puissent prendre une décision éclairée quant à leur niveau de soutien ou même de partenariat», insiste le directeur général de l’Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs Secretariat, John Paul.

Le responsable se dit préoccupé par les impacts environnementaux du projet Énergie Est sur le fleuve Saint-Jean et les zones adjacentes : «Il s’agit d’un territoire faisant l’objet d’une revendication territoriale de la part des communautés autochtones du Nouveau-Brunswick.»

Une «solution du passé»

Reste donc à savoir si les contribuables seront prêts à payer alors que les tensions commerciales avec les États-Unis relancent la fibre patriotique canadienne.

«Il peut y avoir plus d’acceptabilité sociale à courte vue, mais je ne pense pas que le gouvernement voudra le financer, personne ne va mettre de dollars là-dedans», insiste Charles Séguin.

«Ça m’étonnerait qu’Énergie Est soit un cheval de bataille durant la campagne électorale. Ce serait risqué d’en parler, le projet a échaudé beaucoup de monde», considère Yann Fournis. 

Photo : Courtoisie

«Le repositionnement politique canadien lié au contexte international met la table pour des projets extractivistes [d’extraction des ressources naturelles], mais ça ne veut pas dire que les conditions sont favorables pour Énergie Est», confirme le professeur de science politique à l’Université du Québec à Rimouski, Yann Fournis. «Je serais étonné que ce pipeline ait lieu, il a fait l’objet de rebuffades assez dures.»

Normand Mousseau s’interroge quant à lui sur la pertinence d’Énergie Est à l’heure où le Canada s’engage à réduire ses émissions de GES et ses subventions à l’industrie pétrolière. Il n’hésite pas à parler de «solution du passé» : «Je ne suis pas sûr que ça emballe les gens de l’est du Canada.»

«Nous recherchons toutes les solutions possibles et imaginables pour renforcer la résilience économique et la sécurité énergétique. Ce nouvel oléoduc n’est peut-être pas pour autant la meilleure case à cocher, renchérit Janetta McKenzie. Nous avons aussi la capacité de diversifier nos sources d’énergie, de produire de l’électricité propre et à faible cout.»

Aux yeux de Charles Séguin, tout dépend de la direction que l’on veut donner à l’économie canadienne dans les 30 prochaines années : «Si l’on considère que le secteur pétrolier est voué au déclin et qu’il faut gérer la décroissance, on n’en a pas besoin.»

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Selon le recensement de 2021, il y avait 6 275 journalistes au Canada en 2020. En comparaison, le pays comptait 83 420 professionnels et professionnelles en publicité, en markéting et en relations publiques. Soit un ratio de 13 spécialistes en communication pour 1 journaliste.

Il est normal qu’il y ait plus de gens qui travaillent en communication qu’en journalisme. La catégorie inclut une bien plus grande variété d’emplois et représente un plus grand éventail d’entreprises et d’agences.

Cependant, pendant que les médias d’information perdent des joueurs, les relations publiques grossissent à vue d’œil. Depuis le recensement de 2016, le nombre de journalistes a diminué de quelques centaines, alors que les effectifs en publicité, en markéting et en relations publiques ont bondi de près de 30 000 personnes.

Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le ratio était de 2 pour 1 en 1990 au Québec.

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Asymétrie du baratin

Le déséquilibre s’accentue très rapidement, non seulement dans le nombre d’employés, mais aussi dans la nature du travail.

Comme le rappellent les chercheurs de l’IRIS : «Alors que les [journalistes] cherchent à rapporter les faits de la manière la plus objective et la plus équilibrée possible, les [relationnistes] diffusent de l’information formatée par des intérêts politiques ou économiques.»

Une équipe en communication peut avoir besoin de quelques heures pour développer un message.

Les journalistes, qu’ils soient seuls ou en équipe, auront besoin de bien plus de temps – et parfois plus d’un article – pour déterminer si le message est valide, s’il n’omet pas une partie de la réalité.

Ce déséquilibre a un nom : la loi de Brandolini, ou asymétrie du baratin. Celle-ci s’applique surtout aux fausses nouvelles, mais le principe fonctionne pour les demi-vérités : beaucoup plus de temps et d’énergie sont nécessaires pour corriger une mauvaise information que pour la produire.

Si 83 000 agents de communication produisent chacun une minute d’informations biaisées, combien de temps auront besoin 6 000 journalistes pour présenter tous les faits? Après cet exercice, qui a le plus de contrôle sur l’information?

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Bombardement électoral

Il faut garder ce concept en tête quand on parcourt les réseaux sociaux. Surtout en campagne électorale. Derrière chaque parti politique, derrière chaque message, il y a une équipe de communication qui a pour mandat de vendre des idées et des slogans.

Pour cette raison, le travail journalistique pendant cette période est doublement important. Les annonces vont extrêmement vite, elles fusent de tous les côtés et elles sont présentées dans leur plus bel emballage.

Les journalistes les déballent, les démontent et décrivent la partie du message qui ne cadre pas entièrement avec la réalité, ou le morceau de casse-tête qui manque.

Pour un électeur, suivre une campagne électorale uniquement à partir des médias sociaux d’un parti politique ou de leurs communications officielles ouvre une porte vers un univers parallèle.

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Malheureusement, au Canada, il faut faire un plus grand effort pour garder les deux pieds dans la réalité et accéder à du contenu non biaisé, puisque les médias sont absents de Facebook et Instagram. Sans oublier Twitter qui fait un X sur la vérité.

En voiture

Pour l’élection fédérale de 2025, les journalistes ne sont pas admis à bord de l’avion de campagne du Parti conservateur du Canada. Les conférences de presse et les évènements seront accessibles aux journalistes, mais les médias nationaux auront plus de difficulté à être sur le terrain pour poser des questions.

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Les médias régionaux – incluant les journaux francophones en milieu minoritaire – joueront donc un rôle de premier plan dans la couverture électorale et dans le «déballage» des promesses. Ils seront mieux placés pour comparer les messages bien écrits de tous les partis politiques aux réalités sur le terrain.

Gardez donc un œil sur leurs pages.

L’élection fédérale de 2025 a été déclenchée ce dimanche 23 mars. Le jour du scrutin est fixé au 28 avril. La campagne sera de 36 jours, le minimum prévu par la Loi électorale canadienne.

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Une circonscription francophone a soit une bonne proportion de sa population dont la première langue officielle parlée est le français, soit un potentiel de demande de services en français plus élevé.

Par une analyse basée sur des données d’Élections Canada, 38 circonscriptions réunissent à la fois une forte population de francophones et une demande de services en français assez conséquente pour faire partie des circonscriptions à surveiller selon Francopresse. Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive et peut être modifiée.  

Nous avons d’ailleurs ajouté à cette liste les circonscriptions comptant le plus de francophones dans d’autres régions du pays.

Atlantique

Ontario

Manitoba

Saskatchewan, Alberta, Colombie-Britannique et territoires

Les enjeux francophones non prioritaires, mais bien réels

«La langue c’est important, mais ça vient derrière l’économie», lâche d’emblée Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et chroniqueuse pour Francopresse.

La politologue croit que le premier thème francophone qui pourrait bien faire partie de la campagne concerne CBC/Radio-Canada. Pierre Poilievre en a d’ailleurs fait un enjeu dès son élection à la tête du Parti conservateur.

On sent que dans la population canadienne, on n’est pas si entiché à abolir même CBC. Les conservateurs ont dit qu’on ne touchera pas à Radio-Canada, mais on sait que ça prend un financement supplémentaire si CBC n’est plus là.

— Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et chroniqueuse pour Francopresse

Geneviève Tellier affirme que les enjeux francophones ne sont pas la priorité du moment, mais qu’ils pourraient quand même faire partie de la campagne électorale. 

Courtoisie

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Immigration et langues officielles

Les autres enjeux, tels que le postsecondaire ou encore l’immigration francophone, pourraient être sur la table, en filigrane toutefois.

«On a modernisé la Loi sur les langues officielles, donc il y a un gros morceau qui vient d’être fait», observe Geneviève Tellier.

Selon cette dernière toutefois, Mark Carney vient d’envoyer un «signal étrange» en invitant l’un des cofondateurs de l’Initiative du siècle, Mark Wiseman, au sein de son Conseil des relations canado-américaines.

L’Initative du siècle est un groupe d’influence qui a conseillé au gouvernement libéral de Justin Trudeau de fortement augmenter l’immigration au Canada.

Donc, c’est quoi la position de M. Carney en matière d’immigration, puis d’immigration francophone? Ça, c’est moins clair.

— Geneviève Tellier

D’après elle, tout peut changer pendant une campagne; les sujets francophones pourraient donc s’inviter spontanément dans la discussion.

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Le Forum des membres du RACCORD a eu lieu du 20 au 23 mars, à Ottawa, en marge du Festival international du film.

Marie-Claire Marcotte a reçu le Prix L’œil du RACCORD. Cette récompense vise à souligner la créativité et l’audace artistique d’un ou une cinéaste ainsi que de son apport aux arts médiatiques dans la francophonie canadienne.

Le jury, composé de Danielle Sturk (région Ouest et Nord), Nadine Valcin (région Ontario) et de Phil Comeau (région Acadie), a décidé d’honorer la Fransaskoise pour son adaptation de sa pièce de théâtre à l’écran : Rêver en néon, son premier long métrage en tant que réalisatrice.

Celui-ci raconte l’histoire de Billie (Maélya Boyd), 8 ans, qui vit avec son père (Corey Loranger) et sa grand-mère (Geneviève Langlois). Convaincue que sa mère est une ballerine célèbre, Billie ne recule devant rien pour la retrouver.

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Tourné à Sudbury

Les membres du jury ont tenu à souligner «l’ingéniosité de son réalisme magique à travers l’imaginaire d’un enfant», sa direction d’acteurs et d’actrices et sa «magnifique captation de l’hiver, mettant en valeur l’identité nordique de notre pays».

Le film a notamment été tourné dans la région de Sudbury, en Ontario.

Marie-Claire Marcotte est la première réalisatrice d’un long métrage de fiction français en Ontario, rapporte le RACCORD. Originaire de la Saskatchewan, l’artiste, également scénariste, productrice et actrice, est désormais établie à Toronto.

Ses premiers courts métrages lui ont notamment valu une invitation au Festival de Cannes dans le cadre de la sélection Talents tout court de Téléfilm Canada. Marie-Claire Marcotte a aussi été récompensée pour son travail de scénariste aux Los Angeles Film Awards et à l’International Academy of Web Television.

Ses pièces de théâtre Flush et Peau, publiées aux Éditions L’Interligne, ont aussi été primées au Canada et en France.

À noter que Rêver en néon était présenté en sélection officielle au Festival international du film d’Ottawa.

À l’occasion de ses 20 ans, le RACCORD revient sur ses défis et ses réalisations dans un magazine à paraitre prochainement. 

Photo : Courtoisie RACCORD

Un nouveau magazine

Le RACCORD, qui fête ses 20 ans, a aussi profité du Forum pour présenter un premier numéro du magazine RACCORD Image, qui présente, entre autres, plusieurs données sur le secteur de l’audiovisuel en situation minoritaire et revient sur l’histoire de l’organisme et son héritage.

Le statuquo s’est maintenu en Colombie-Britannique, où David Eby (Nouveau Parti démocratique) a été réélu, en Saskatchewan, avec la réélection de Scott Moe (Parti saskatchewanais) et en Nouvelle-Écosse, où Tim Houston (Parti progressiste-conservateur) a remporté un nouveau mandat.

De son côté, le Nouveau-Brunswick connait un revirement, passant du Parti progressiste-conservateur de Blaine Higgs – critiqué pour ses positions vis-à-vis de la francophonie – à Susan Holt (Parti libéral du Nouveau-Brunswick).

À lire ailleurs : Langues officielles : Holt n’est pas certaine de pouvoir respecter tous ses engagements (Acadie Nouvelle)

De l’inertie…

Dans certaines de ces provinces, les enjeux francophones n’avancent qu’à très petits pas.

La ministre responsable des Affaires francophones de la Saskatchewan, Alana Ross. 

Photo : Courtoisie Gouvernement de la Saskatchewan

En Saskatchewan, la ministre responsable des Affaires francophones, Alana Ross, ne parle pas le français couramment. Si, d’après le directeur général de la Direction des affaires francophones (DAF), Charles-Henri Warren, elle a suivi un parcours d’immersion en français, elle n’a «pas eu l’occasion» d’exercer la langue.

Les francophones ont une nouvelle école à Régina et deux autres s’en viennent à Saskatoon et à Prince Albert. Cependant, les projets francophones piétinent, notamment du côté de l’immigration.

Le Programme Candidats immigrant pour la Saskatchewan (PCIS) a récemment vu son nombre de places réduit par le fédéral. Conséquence : la province a dû le suspendre, ce qui a une répercussion sur l’immigration francophone, selon une source proche du dossier.

Charles-Henri Warren souligne toutefois une «augmentation des places en garderie francophone».

… à l’attente

En Nouvelle-Écosse, les projets francophones se font aussi attendre. «Je ne pense pas que [le gouvernement provincial, NDLR] en fassent davantage en soi et, d’une certaine manière, ils ont l’impression que ce qu’ils ont fait jusqu’à présent est “réussi”, observe Mario Levesque, professeur agrégé au département de politique et de relations internationales à l’Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick.

Pour le politologue Mario Levesque, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse est davantage préoccupé par la guerre tarifaire avec les États-Unis que par les affaires francophones. 

Photo : Courtoisie

Selon lui, le gouvernement néoécossais ne se préoccupe pas pour l’instant des enjeux francophones, car en réponse aux tarifs douaniers des États-Unis, la province se concentre davantage sur la relance de l’exploitation des ressources naturelles.

Le politologue ne remarque pas non plus d’évolution majeure en Nouvelle-Écosse concernant les services de réinstallation des immigrants francophones, sauf en cas d’investissement conséquent de la part du gouvernement fédéral.

«La position du gouvernement de [Tim] Houston sur ce sujet est, je pense, étroite. Donc le mieux que l’on peut espérer est de détourner les fonds déjà alloués ailleurs vers les francophones [s’il n’y a pas de nouveaux financements fédéraux]», affirme Mario Levesque.

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Continuité à l’Ouest…

Pour la présidente de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB), Marie-Nicole Dubois, le premier ministre réélu, David Eby, a «vraiment été là» pour appliquer la politique de services en français, rendue publique en avril 2024.

Avant cette date, la province n’avait ni politique ni loi qui encadraient les services en français. Toutefois, cette politique provinciale n’a pas force de loi, il s’agit d’une directive, mais la FFCB y voit tout de même «un bon pas».

C’est le ministre Adrian Dix, qui en a la responsabilité, est «un de nos alliés», affirme Marie-Nicole Dubois. «Il saisit la sensibilité, la vulnérabilité que la francophonie peut avoir dans une province majoritairement anglophone.»

L’application de cette nouvelle politique «va bien», estime-t-elle. L’exemple le plus récent étant que les Britannocolombiens peuvent désormais passer leur permis de conduire en français s’ils le souhaitent.

En outre, une clinique de santé francophone a ouvert ses portes à Vancouver en novembre dernier.

Concernant l’éducation toutefois, les organismes francophones restent prudents, car le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) est actuellement devant les tribunaux pour obtenir des terrains et des écoles.

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Le ministre des Affaires francophones de la Colombie-Britannique, Adrian Dix.

Photo : Courtoisie

Marie-Nicole Dubois, de la Fédération des francophones de Colombie-Britannique (FFCB).

Photo : Courtoisie FFCB

…et rupture à l’Est

À l’autre bout du Canada, la présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Nicole Arseneault-Sluyter, affirme que passer du gouvernement de Blaine Higgs à celui de Susan Holt débouche sur des «francophones vraiment contents», notamment de voir la première ministre s’adresser à eux «partout où elle passe». «On se sent beaucoup plus respectés.»

Toutefois, les francophones attendent la première ministre au tournant, notamment concernant la demande de la SANB d’avoir un sous-ministre chargé d’appuyer la première ministre dans l’application de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick (LLONB).

Si Susan Holt a créé un Comité permanent des langues officielles à l’Assemblée législative, elle a indiqué à l’Acadie Nouvelle ne pas être certaine de pouvoir tenir sa promesse de mettre en place toutes les recommandations du rapport Maclaughlin/Finn, publié en 2021.  

Ce dernier suggère, par exemple, que les foyers de soins de la province devraient être assujettis à la LLONB, les obligeant ainsi à communiquer dans la langue de choix des résidents. Mais la première ministre n’est pas certaine d’en avoir les moyens.

La création d’un poste de sous-ministre est aussi l’une de recommandations qu’elle pourrait laisser tomber.

Le changement souligné par la SANB réside surtout dans la possibilité qu’ont les fonctionnaires de choisir leur langue de travail, un dossier sur lequel Susan Holt et ses ministres «travaillent fort», témoigne Nicole Arseneault-Sluyter.

Ce qui n’était pas le cas sous le premier ministre précédent, Blaine Higgs.

La première ministre du Nouveau-Brunswick, Susan Holt, est également responsable de la francophonie. 

Photo : Alexandre Boudreau – Acadie Nouvelle

Nicole Arseneau-Sluyter, présidente de la SANB. 

Photo : Courtoisie SANB

Les Ontariens sont aussi allés aux urnes à la fin février. Le Parti conservateur de Doug Ford a été réélu et Caroline Mulroney a été reconfirmée dans son rôle de ministre des Affaires francophones. La réélection est cependant trop récente pour évaluer s’il y a changement, ou non, dans la gestion de la francophonie dans cette province.

Avec des informations de Marianne Dépelteau

FRANCOPHONIE

Rachel Bendayan, la nouvelle ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, a annoncé mercredi un financement de 9,3 millions $ pour 12 nouveaux projets soutenant le développement économique et la croissance démographique des communautés francophones en situation minoritaire.

Financés par le Programme d’appui à l’immigration francophone, issu du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, les investissements visent à faciliter le recrutement, la sélection et l’accompagnement des candidats francophones vers la résidence permanente.

Certains projets se concentrent sur la collecte de données pour réduire les barrières à l’immigration francophone.

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Rachel Bendayan assure que son rôle précédent au ministère des Langues officielles lui a «permis de rencontrer énormément de leadeurs des communautés francophones hors Québec, ce qui a beaucoup enrichi ma connaissance de la situation des francophones hors Québec». 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

L’ex-ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a la responsabilité des Langues officielles sans que le titre apparaisse dans son ministère. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Le titre de «ministre des Langues officielles» a disparu lors de l’assermentation du nouveau premier ministre, Mark Carney, et de ses ministres, vendredi dernier.

La fonction a été confiée au Québécois Steven Guilbeault, ex-ministre de l’Environnement, qui devient ministre de la Culture et de l’Identité canadiennes, Parcs Canada et lieutenant du Québec.

Plusieurs organismes francophones ont remis en question cette décision. La fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) a pour sa part déploré mardi l’absence d’un ministre de la Jeunesse au sein du Cabinet Carney.

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CANADA

La campagne électorale fédérale devrait être déclenchée cette fin de semaine par Mark Carney, selon plusieurs médias. Dès lundi, le Canada sera donc fort probablement en campagne électorale. Les promesses bourgeonnent déjà chez les libéraux et les conservateurs.

Côté conservateur

En conférence de presse lundi, le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilievre, a affirmé qu’il éliminera complètement la taxe carbone, aussi bien celle qui s’applique aux individus que celle pour les entreprises. Il assure que cela permettra à ces dernières de «réinvestir dans les emplois».

Le chef conservateur a expliqué que le document signé par Marc Carney, vendredi dernier, qui vise à éliminer la tarification du carbone pour les consommateurs, n’est pas la suppression de la taxe, mais une remise à 0 $ du cout pour la tarification aux particuliers seulement.

Il a également indiqué que son parti appuiera les «programmes de soutien aux familles pendant ces tarifs». «On va défendre vos emplois», a-t-il déclaré, en faisant référence à la guerre tarifaire en cours avec les États-Unis.

Mercredi, Pierre Poilievre était à Sudbury, dans le nord de l’Ontario, pour promettre qu’il accélèrerait le développement de la région du Cercle de feu – qui contient une grande quantité de minéraux critiques – et financerait la construction d’une route pour s’y rendre. 

Photo : Julien Cayouette – Francopresse

Interrogé mardi en conférence de presse à Sudbury sur l’appui au journalisme, Pierre Poilievre a précisé : «On fera en sorte que les médias locaux obtiennent leur juste part de publicités du gouvernement.»

Il a aussi mentionné que la gestion du programme de l’Initiative de journalisme local (IJL) par les libéraux «l’inquiétait» et que son parti appuiera davantage les médias «locaux et indépendants».

Pas de précision toutefois sur les médias locaux francophones.

Le chef du PCC a promis le retour d’un ministre des Langues officielles à part entière.

Côté libéral

Cette semaine, les analystes ont noté une remontée du Parti libéral du Canada (PLC) dans les sondages, avec une possibilité de 178 sièges pour les libéraux – qui franchiraient le seuil d’un gouvernement majoritaire de 172 sièges – et de 130 pour les conservateurs; ce qui serait quand même 11 sièges de plus qu’à la précédente législature.

Mark Carney a effectué une visite de courtoisie en Europe cette semaine, et non aux États-Unis comme c’est la coutume pour un premier ministre canadien tout juste assermenté. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Mercredi, le premier ministre Mark Carney a rencontré les membres du Conseil du premier ministre de la fédération canadienne pour discuter des relations canado-américaines et des tarifs douaniers américains imposés au Canada, y compris ceux qui devraient entrer en vigueur le 2 avril.

Les contretarifs, ainsi que les mesures de soutien aux personnes et aux entreprises canadiennes touchées, ont été abordés et viennent s’ajouter aux mesures supplémentaires prises par chaque province et territoire.

Mark Carney a aussi insisté sur l’urgence stratégique pour le Canada de renforcer la sécurité dans l’Arctique, d’établir des relations commerciales avec de nouveaux partenaires, comme l’Europe, où il a effectué ses premières visites officielles en début de semaine.

Par ce voyage en France et au Royaume-Uni, il a souhaité montrer aux États-Unis qu’il resserrait les liens commerciaux avec d’autres partenaires, en pleine guerre tarifaire.

Le ministre de l’Emploi, Steven MacKinnon, a fait plusieurs annonces facilitant l’accès aux emplois, notamment durables, au Canada cette semaine. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Mardi, le ministre de l’Emploi, Steven MacKinnon, a annoncé un investissement de 67 millions $ dans 10 projets pour aider 29 300 personnes à acquérir des compétences dans des industries écoresponsables.

Ce financement, qui devrait être en place de 2025 à 2030, provient du volet Emplois durables du Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical. Il vise à répondre aux besoins de main-d’œuvre spécialisée, soutenir la construction carbone et stimuler l’économie durable.

Le même jour, le ministre a annoncé le lancement d’un appel de propositions, ouvert depuis le mercredi 19 mars, pour financer l’achat d’équipement moderne afin d’améliorer la formation dans les métiers Sceau rouge, des métiers «régis par des règlements adoptés en vertu des lois sur l’apprentissage des provinces et des territoires».

Les syndicats, organismes de formation et établissements offrant des programmes reconnus pourront soumettre leur demande via le portail Services en ligne des subventions et contributions (SELSC).

L’ancienne cheffe de cabinet adjointe de Justin Trudeau, Marjorie Michel, sera la candidate du PLC dans la circonscription montréalaise de Papineau, jusque-là représentée par l’ancien premier ministre lui-même.

Francopresse a confirmé la nouvelle auprès de deux sources proches du parti. Le Globe and Mail et une journaliste de Radio-Canada sur X l’ont rapportée dans les derniers jours.

Justin Trudeau, qui est député de Papineau depuis 2008, a annoncé en janvier dernier qu’il ne se représentera pas aux prochaines élections.

Marjorie Michel est devenue cheffe de cabinet adjointe dans le bureau de l’ancien premier ministre du Canada Justin Trudeau en 2021. Elle est la première personne noire à occuper ce poste dans l’histoire du pays.

L’enjeu : Depuis 1957, Papineau a toujours élu un député rouge. L’exception se trouve en 2006-2008, quand le candidat du Bloc québécois Vivian Barbot a remporté le siège. Justin Trudeau l’avait récupéré en 2008.

Si élue, Marjorie Michel serait la deuxième femme d’origine haïtienne à siéger dans Papineau après Vivian Barbot.

Dans un plan déposé fin février, le Bureau de la traduction, qui est sous la responsabilité du ministère Services publics et Approvisionnements Canada, affirme que 339 postes de traduction seront supprimés par attrition, au cours des cinq prochaines années. Les membres du Bureau qui quittent pour la retraite ou un autre emploi, par exemple, ne seront pas remplacés.

Le Bureau de la traduction a bénéficié en 2024 d’une augmentation de son budget, avec un investissement de près de 32 millions de dollars sur cinq ans, suivis de 3 millions de dollars et de 200 000 dollars annuellement ajoutés au budget de façon permanente. 

La décision serait une manière «d’accroitre la capacité de traduction et d’interprétation au Parlement et de respecter les exigences de la Loi sur les langues officielles», peut-on lire dans le budget fédéral 2024

Nathan Prier assure que beaucoup de gestionnaires veulent «couper les coins ronds» pour éviter de financer et d’utiliser les services du Bureau de traduction pour «se diriger vers des logiciels». 

Photo : Courtoisie ACEP

Plus de 100 départements ministériels bénéficient du travail des traducteurs du Bureau.

«On a toujours des bons mots [de la part du Bureau de la traduction, NDLR]». Mais les raisons qu’il donne sont que ces coupes permettront de «survivre le prochain cycle [budgétaire]», cite le président de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP-CAPE), Nathan Prier, qui représente les traducteurs du Bureau. 

«Dans son plan quinquennal pour les années 2025 à 2030, le Bureau de la traduction tient compte des avancées technologiques et de la baisse de la demande en traduction pour orienter ses prévisions. Ces avancées serviront à soutenir le travail des traducteurs et à accroitre l’efficacité du Bureau», soutient le bureau du nouveau ministre de Services publics et Approvisionnements Canada, Ali Ehsassi.

«Le service d’interprétation du Parlement ne sera pas touché par les changements annoncés. Il n’est pas prévu de réduire le nombre d’interprètes au Parlement», ajoute-t-il.

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Perte d’accès à de l’information en français

«C’est une grave compression, ça va vraiment compromettre la qualité des traductions, en forçant les traductrices et traducteurs à travailler en sous-effectif.», craint Nathan Prier. Selon lui, la grande majorité des textes sont traduits de l’anglais vers le français. 

«Ce seront principalement les communautés francophones de chaque coin du Canada qui pâtiront de ces compressions et vont perdre l’accès à des informations et des services rigoureux», critique encore Nathan Prier. 

Il considère que préserver la qualité du français est essentiel pour défendre la Loi sur les langues officielles. 

Joël Godin, chef de file des conservateurs en matière de langues officielles, affirme quant à lui «tomber du haut de sa chaise». «Ça démontre encore que l’intention et la volonté de ce gouvernement ne sont pas là.» 

C’est encore une fois les francophones qui vont écoper. Parce qu’on comprend que la traduction et l’interprétation, c’est beaucoup plus la langue la plus vulnérable. Parce qu’à Ottawa, on le répète souvent, il y a deux langues : l’anglais et l’interprétation.

— Joël Godin

Selon lui, le gouvernement libéral profite du «brouillard provoqué par la situation politique» actuelle pour que ce genre d’information passe sous le radar.

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Vers l’intelligence artificielle?

Sans en faire la raison officielle dans son plan quinquennal, le Bureau de la traduction dispose d’un plan pour utiliser davantage d’outils d’intelligence artificielle, sur lesquels il compte miser pour augmenter ses capacités. 

Néanmoins, l’an dernier, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, avait fait une mise en garde contre l’utilisation de l’IA au sein du Bureau.

Pour l’heure, Nathan Prier reste optimiste : «Ce sont des prévisions issues d’un plan. On va mettre la pression pour éviter [ces suppressions de postes].»

«Faire en sorte que toute la société puisse épouser une idée, je trouve cela très très dangereux. Et on l’entend souvent. Quand on parle par exemple des nouveaux arrivants, on a souvent entendu qu’ils doivent s’intégrer, qu’ils doivent apprendre à vivre comme ici. Mais c’est quoi “apprendre à vivre comme ici” quand on sait que la société évolue de jour en jour?»

La question, lancée par le directeur artistique du Festival Noir et fier, Wilgis Agossa, lors d’une discussion sur la diversité au sein de la francophonie tenue le 18 mars, a obtenu le consensus des quatre panélistes : la francophonie doit s’ouvrir à la diversité.

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«La diversité nous invite à sortir de notre cadre de référence personnelle, de notre système de croyances, et à se situer dans nos communautés en transformation», explique Elie Ndala, qui a habité au Nouveau-Brunswick. 

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«Célébrer» la diversité

Elie Ndala, doctorant en éducation à l’Université d’Ottawa, a récemment visité des écoles franco-ontariennes : «On va entendre parler du créole, du lingala, de l’anglais. Ça fait partie d’une diversité à laquelle on doit discuter, penser et, en toute humilité, redéfinir ensemble.»

Il faut éviter, dit-il, de faire de la langue et de la culture «un monument et une révérence» et accorder plus de place à «ceux qui font évoluer [le français]» ainsi qu’aux autres langues et cultures. «C’est important, je le reconnais, de défendre les acquis francophones, et il est tout à fait possible à mon humble avis de le faire en protégeant aussi ceux des minorités en son sein.»

Sa directrice de thèse, la professeure titulaire en éducation Phyllis Dalley, aimerait que les écoles «cessent de croire que l’identité linguistique est le nerf de la guerre».

Si les élèves ne sortent pas en portant autour du cou le drapeau franco-ontarien, ce n’est pas grave, estime-t-elle. Les militants et militantes comme moi, il ne faudrait pas en avoir trop. Il y a déjà du monde qui sent qu’on marche trop sur leurs pieds.

— Phyllis Dalley

Selon elle, la francophonie a besoin de plus de «personnes non binaires, de médecins [et] de musiciens». «Mais les “Francos-fous”? C’est peut-être le temps de se rendre à l’hôpital», a-t-elle lâché, avant de souligner que ce dernier commentaire n’était qu’une blague.

«Les familles francophones aujourd’hui n’ont pas toutes le français comme langue maternelle», fait remarquer Phyllis Dalley. Même dans les écoles de langue française, «il faut qu’on célèbre le fait qu’on a des enfants qui parlent d’autres langues que le français à la maison».

Avec la langue de Molière, la chercheuse prône «l’approche plurinormative», qui «accepte que la variation ait sa place dans l’apprentissage». Autrement dit, elle plaide pour le droit d’utiliser différents lexiques, syntaxes, expressions, le franglais, le créole, le chiac, etc., en apprenant.

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Une question de survie

Megan Cotnam-Kappel, professeure agrégée en éducation à l’Université d’Ottawa, a aussi été la doctorante de Phyllis Dalley. Elle nuance les propos de son ancienne mentore : «C’est important pour moi qu’un finissant de l’école de langue française sorte avec le drapeau [franco-ontarien] autour de son cou, parce qu’une fois en relation avec l’autre, on a besoin d’être assez bien armé juste pour pouvoir survivre comme francophone.»

La grande majorité de ses amis vivent aujourd’hui en anglais. «Ils n’ont pas survécu la violence symbolique au sein de [l’Université d’Ottawa], raconte-t-elle. Nous sommes peut-être 40 % de la population étudiante, mais nos accents sont marginalisés. Nos identités sont mises de côté.»

Comme étudiante, on lui a déjà dit qu’elle obtiendrait de meilleures notes si elle faisait ses études en anglais, plutôt qu’en français.

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«Je ne veux pas qu’on me change»

«Apporter les différentes perspectives et différents points de vue ensemble pour coexister : je vois beaucoup de richesse là-dedans», témoigne Wilgis Agossa, qui habite au Manitoba. «Mais dans chaque culture, on peut faire le choix de prendre la richesse, de prendre ce qui me convient à moi.»

L’assimilation est, à son sens, «très dangereuse». «Moi, je ne veux pas être changé, je ne veux pas qu’on me change», insiste-t-il.

Dans ses 15 dernières années passées au Canada, il reconnait avoir épousé certaines facettes de la culture canadienne, «parce que je vois comment ça me rejoint dans mes valeurs, dans mon identité, comment ça peut m’apporter énormément de choses».

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«Faire partie de la gang»

Depuis son arrivée en francophonie canadienne, Elie Ndala tente de s’adapter : «Qu’est-ce que je dois faire pour faire partie de la gang? Est-ce qu’il faut que j’arrête d’amener la nourriture de mon pays, de ma grand-mère natale, pour me faire des amis à l’école?»

La diversité ici nous expose à un système de relations, à des dynamiques de pouvoir, à des modes d’adaptation, à de nouvelles idéologies dans lesquelles il faut, malheureusement, se placer. Il faut, parfois, s’assimiler. Ou il faut résister, avec les conséquences qui s’ensuivent.

— Elie Ndala

Née d’un père anglophone et d’une mère acadienne, Phyllis Dalley raconte avoir lutté pour avoir droit à l’identité acadienne. Elle met en garde contre l’idée selon laquelle l’identité est une question de sang.

«On n’arrête pas de raconter l’histoire de la déportation. C’est important, mais ce n’est pas ce qui nous définit aujourd’hui, ou du moins pas uniquement. Je pense que l’identité se bâtit dans la relation. Elle n’existe pas en moi. C’est quelque chose que je construis avec toi.»

Elie Ndala remarque deux «tensions» : «D’un côté, protéger les identités francophones historiquement moins représentées au sein de la francophonie. Ou prioriser le combat contre l’anglophonie institutionnellement dominante et la menace des droits qui ont été acquis.»

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D’après le professeur en relations internationales à l’Université de Moncton, Roromme Chantal, nous assistons aujourd’hui à une reconfiguration des rapports de force à l’échelle mondiale.

Selon Roromme Chantal, le Canada doit renforcer sa présence diplomatique en Afrique s’il veut augmenter ses relations commerciales. 

Photo : Courtoisie

«Nous sommes dans un contexte de guerre conventionnelle et non conventionnelle», explique-t-il, évoquant d’un côté la guerre en Ukraine et, de l’autre, la guerre économique entre les États-Unis et la Chine. Cette rivalité sino-américaine met une pression considérable sur les pays tiers, les poussant à revoir leurs alliances économiques.

Dans ce contexte, le Canada, qui exporte plus de 75 % de ses produits vers les États-Unis, tente de diversifier ses relations. Si un rapprochement avec la Chine avait été envisagé sous Justin Trudeau, cette option a été écartée en raison de tensions diplomatiques et de différends sur les droits de la personne.

L’Asie étant elle-même un terrain géopolitique complexe, l’Afrique devient alors comme un partenaire à privilégier.

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L’Afrique, un marché en pleine croissance

Selon Pierre-Marcel Desjardins, professeur d’économie à l’Université de Moncton, l’Afrique représente une «opportunité stratégique majeure» pour le Canada : «C’est une région où il y a une croissance démographique importante, une classe moyenne émergente et où les tendances de consommation évoluent rapidement.»

Pierre-Marcel Desjardins rappelle que l’Afrique sera le prochain marché émergent.

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Affaires mondiales Canada a justement dévoilé le 6 mars sa «première stratégie mondiale pour l’Afrique», un plan de développement des relations diplomatiques et d’investissement en préparation depuis deux ans.

Pierre-Marcel Desjardins explique que l’intérêt du Canada pour le continent africain repose sur plusieurs facteurs. Le continent offre un marché jeune et dynamique, avec une population qui devrait représenter un quart de la population mondiale d’ici 2050.

Ce dynamisme économique s’accompagne d’un besoin croissant en infrastructures, un domaine dans lequel le Canada possède une expertise reconnue, notamment en gestion des ressources naturelles, en technologies propres et en agriculture durable, détaille l’économiste.

Enfin, la francophonie constitue un atout de taille, facilitant les échanges avec plusieurs pays africains francophones.

Toutefois, ce marché présente aussi des défis. Roromme Chantal souligne que l’Afrique reste un continent économiquement fragmenté, avec des règlementations variées et des infrastructures inégales. Par ailleurs, la concurrence y est féroce. Des puissances comme la Chine, la Turquie et même les États-Unis ont déjà investi massivement sur le continent.

Retard à rattraper

Alors que d’autres nations ont multiplié leurs investissements et visites diplomatiques en Afrique, le Canada reste en retrait. Selon Roromme Chantal, la Chine, par exemple, a déjà effectué plus de 70 visites de haut niveau en Afrique ces dernières années, alors que le Canada n’a pas encore une présence diplomatique forte.

Affaires mondiales Canada a d’ailleurs reconnu cette faiblesse dans son communiqué du 6 mars. La Stratégie comprend de missions diplomatiques et l’établissement d’«une ambassade à part entière au Bénin».

Le Canada est à la recherche de nouvelles opportunités d’intégration dans des marchés émergents, notamment en Afrique, observe Roromme Chantal. L’émergence de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) ouvre ainsi des perspectives d’investissement dans un marché en pleine expansion, une dynamique qu’il juge essentielle pour l’avenir des échanges canado-africains.

Le Canada compte augmenter ses échanges d’affaires et commerciaux avec plusieurs pays africains. Un besoin encore plus pressant en raison des actuelles relations avec les États-Unis. 

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Il ajoute que le gouvernement entend aussi mobiliser la diaspora africaine installée au Canada afin de renforcer les liens économiques et culturels.

En parallèle, le renforcement des échanges commerciaux et des investissements directs figure parmi les priorités affichées. Une initiative comme celle du Conseil économique du Nouveau-Brunswick (CENB), qui tisse des liens avec des pays comme le Togo depuis 2023, illustre bien le potentiel de collaborations à l’échelle provinciale.

Des opportunités sectorielles à exploiter

Plusieurs secteurs pourraient bénéficier de ce rapprochement entre le Canada et l’Afrique. Les services, l’éducation et la formation professionnelle sont identifiés comme des secteurs clés où le Canada pourrait jouer un rôle majeur, indique Pierre-Marcel Desjardins.

L’Afrique, riche en ressources naturelles, représente un levier stratégique pour le développement des échanges économiques entre le Canada et le continent. Cette abondance ouvre des perspectives de coopération, notamment dans le domaine de l’exploitation responsable des matières premières, un enjeu sur lequel Pierre-Marcel Desjardins attire particulièrement l’attention.

L’essor du secteur agroalimentaire constitue également un levier de croissance essentiel pour le Canada en Afrique, met de l’avant le professeur, avec des perspectives d’échanges commerciaux renforcés. Les exportations canadiennes, comme les fruits de mer, trouveraient un marché en expansion, tandis que l’Afrique, riche en ressources agricoles, pourrait voir sa production de café mieux valorisée au Canada, un marché encore largement tourné vers l’Amérique latine, analyse-t-il.

Il ne faut pas seulement penser à exporter, mais à construire un partenariat économique mutuellement bénéfique

— Pierre-Marcel Desjardins

L’idée est de ne pas répéter les erreurs du passé, où certains partenariats ont été déséquilibrés, plus profitables pour les pays du Nord que pour les pays africains.

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Une diversification économique nécessaire

La dépendance du Canada envers les États-Unis est maintenant perçue comme un risque, constate Pierre-Marcel Desjardins. Avec la montée du protectionnisme américain et les tensions commerciales récurrentes, le Canada doit se diversifier. L’Afrique, avec son marché en pleine expansion et ses ressources, représente une alternative crédible et stratégique.

Pourtant, le chemin reste long. Roromme Chantal et Pierre-Marcel Desjardins soulignent tous deux que le Canada devra structurer son approche, renforcer sa diplomatie économique et investir dans des projets de long terme. L’heure n’est plus aux simples déclarations d’intention : il est temps de passer à l’action.