L’immigration au Canada vise à servir les intérêts du pays et, avant tout, ses intérêts économiques. Les critères de sélection favorisent les personnes immigrantes qui peuvent répondre rapidement aux besoins de main-d’œuvre – même si leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus.
Il demeure difficile d’obtenir le statut de réfugié, surtout dans les cas où les candidats et candidates n’ont pas encore eu à quitter leur pays. Et si l’immigration initiale mène à des séparations familiales, de longs délais alourdissent le programme de réunification et posent un poids important sur la vie des familles.
La Politique en matière d’immigration francophone vise elle aussi l’immigration économique et cherche à la diriger vers les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM).
Son but premier est de contribuer à la vitalité et à l’épanouissement de ces communautés, ainsi qu’à leur développement, tandis que son but second est d’assurer l’intégration au sein de ces communautés et de veiller à renforcer leur capacité d’accueil.
L’approche actuelle est pensée comme un continuum. Celui-ci est généralement présenté comme passant du recrutement à l’accueil puis à la rétention.
En participant aux efforts d’augmentation du nombre de candidats et candidates à l’immigration et à leur rétention, les CFSM cherchent à convaincre des francophones de s’établir chez elles et à leur offrir des perspectives qui leur permettront de s’y installer plutôt que d’aller ailleurs.
S’il n’est pas surprenant que l’intérêt canadien ou communautaire prime dans les lois et politiques du pays, rien dans cette perspective n’assure que les intérêts et besoins des personnes immigrantes trouveront réponse. Rien ne prévoit non plus que leurs désirs seront satisfaits.
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Adopter la perspective des personnes immigrantes
L’initiative Communautés francophones accueillantes a pour objectif de mettre en place des stratégies développées au niveau local afin de retenir les immigrants et immigrantes dans les communautés de petite taille et souvent rurales. L’un des succès de cette initiative semble être son appui direct aux groupes ethnoculturels.
Toutefois, la Politique en matière d’immigration francophone se concentre sur les liens entre les ministères et avec les organismes communautaires, sans faire une place à celles et ceux qui connaissent le mieux les réalités de l’immigration francophone.
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Permettre aux organismes ethnoculturels de s’outiller
Une étude que j’ai menée avec deux collègues a montré que certains des besoins liés à l’ajustement des immigrants et immigrantes à un nouvel environnement de vie et leurs besoins de participer de manière diverse à la vie communautaire francophone, mais aussi au-delà de la francophonie passent généralement inaperçus.
Nous avons également pu voir qu’en fait, une grande partie de l’accompagnement à l’établissement se fait par les membres bénévoles d’organismes ethnoculturels, qui se concentrent sur l’ajustement à la vie au Canada.
Les organismes ethnoculturels, en organisant des regroupements, donnent la possibilité à leurs membres d’apprendre des trucs et astuces pour répondre à leur nouvelle situation et leur offrent aussi des occasions de se retrouver en compagnie de personnes qui ont de longues expériences de vie similaires.
Ces organismes vont au-delà de ce qui est possible en atelier. En plus de la possibilité de continuer ses pratiques culturelles, ils permettent à ceux et celles qui les fréquentent de bénéficier d’un répit d’avoir à parler une nouvelle langue, à s’adapter aux attentes des autres et à deviner les comportements d’autrui et les codes sociaux. On peut même y obtenir de l’aide pour trouver de nouveaux repères culinaires.
L’entraide qui a lieu au sein de plusieurs de ces organismes permet par ailleurs aux personnes immigrantes établies de contribuer à l’ajustement des nouveaux arrivants, d’offrir en retour ce qui leur a été donné – le tout, sans les limites imposées par les structures bureaucratiques formelles.
Une telle souplesse est essentielle étant donné que chaque personne a un parcours distinct et doit s’ajuster à différents aspects de la vie en communauté.
Plus encore, des organismes actifs permettent une participation citoyenne. Cette participation peut avoir lieu en leur sein sans que les personnes immigrantes doivent s’adapter à de nouvelles manières de s’associer, de travailler en groupe, d’établir des buts et de poursuivre des objectifs, ou même d’argumenter et d’écouter les autres.
Cette participation aide également les personnes immigrantes à apprendre de celles et ceux qui sont déjà en action dans d’autres organismes communautaires.
De telles occasions de partager sont surtout importantes pour les personnes qui ne sont pas originaires d’Europe, dont les modes de vie diffèrent davantage de ceux de leur communauté francophone d’accueil, pour qui de longues habitudes d’intégration n’existent pas et qui sont moins valorisées.
Les organismes ethnoculturels fournissent également un milieu important pour contrer les pratiques discriminatoires en place au Canada et dans le recrutement, qui pourraient limiter le succès de la nouvelle politique d’immigration francophone.
Une force à maintenir
C’est souvent par le biais des relations que l’on s’inscrit dans une nouvelle communauté. Or, les relations avec la population majoritaire (y compris au sein des CFSM) sont plus difficiles à établir, tant du fait des différences que de la résistance à l’immigration et du racisme qui existent dans nos sociétés.
De la sorte, une part de l’intégration dans un pays d’immigration passe par les groupes ethnoculturels.
En reconnaissant l’engagement de ces organismes dans les processus formels d’immigration, on doit toutefois éviter deux risques.
D’abord, il est probable que le gouvernement et des organismes communautaires plus solidement établis servent de gardiens à l’accès au financement et décident des organismes ethnoculturels qui recevront un soutien, ce qui pourrait amener ces derniers à se transformer pour répondre aux objectifs d’autres entités plutôt qu’à ceux qui ont fait leur succès.
Ensuite, le besoin de spécialisation dans l’accueil et l’établissement risque lui aussi de détourner les organismes de leurs forces. L’engagement bénévole qui existe déjà offre tout autre chose que la professionnalisation et il doit être vu comme une force à ne pas abandonner.
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).