le Mercredi 10 septembre 2025

Au Nouveau-Brunswick, province officiellement bilingue, les patientes et patients francophones font encore face à d’importants obstacles linguistiques dans le système de santé, en dépit des obligations légales.

Une étude exploratoire sur la discordance linguistique a mis ces obstacles en lumière. Elle a été présentée le mardi 6 mai lors d’un colloque tenu dans le cadre du 92ᵉ Congrès de l’Acfas.

«Les patients se sentent souvent coupables de demander un service en français, même lorsqu’ils connaissent leurs droits», ont affirmé les autrices de l’étude, Shayna-Eve Hébert et Isabelle Violette, chercheuses à l’Université de Moncton.

Reposant sur 12 entrevues qualitatives, menées entre juin et novembre 2024 avec des francophones atteints de maladies chroniques, cette recherche met l’accent sur l’expérience vécue, les émotions et les stratégies de contournement déployées par les patients pour accéder à des soins dans leur langue.

L’étude révèle que la discordance linguistique – c’est-à-dire un décalage entre la langue du patient et celle utilisée par le professionnel de la santé – entraine des effets concrets, mais souvent invisibles.

«Cette discordance ne se limite pas à la langue parlée : elle inclut aussi un vocabulaire trop technique ou un accent difficilement compréhensible, notamment dans les échanges avec certains spécialistes», précise Shayna-Eve Hébert, doctorante en sociolinguistique.

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Le 92ᵉ Congrès de l’Acfas en bref

Le congrès annuel de l’Acfas est le plus grand rassemblement scientifique multidisciplinaire de la francophonie. Il a eu lieu cette année à Montréal du 6 au 10 mai 2025. Il y a eu plus de 240 colloques scientifiques et conférences en ligne et en présentiel ainsi que des activités spéciales, grand public et de vulgarisation scientifique.

Impact sur la santé

«Au-delà des difficultés de communication, la discordance linguistique provoque des effets émotifs, identitaires, mais aussi physiques», relève pour sa part Isabelle Violette, professeure de sociolinguistique au campus de Moncton.

Selon Isabelle Violette (en noir), le manque d’information claire dans leur langue maternelle compromet la capacité des patients à prendre des décisions éclairées. 

Photo : Courtoisie

Les chercheuses rapportent des témoignages de patients évoquant de l’anxiété accrue ou une hausse de la pression artérielle.

«Plus on progresse dans le système de santé – notamment vers les soins spécialisés –, plus il faut faire des concessions linguistiques. Dans ces services, il n’y a souvent plus d’option pour recevoir des soins en français», résume Isabelle Violette.

Selon elle, le fardeau repose en grande partie sur les épaules des patients francophones, qui doivent s’adapter à un système «anglo-dominant», marqué par une distribution inégale du bilinguisme, surtout dans les régions rurales ou éloignées.

«Cette discordance n’est pas qu’un obstacle pratique : elle s’inscrit dans une dynamique plus large de minorisation linguistique, où les patients francophones doivent constamment s’ajuster, parfois au détriment de leur santé», a souligné Mme Violette.

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Réaffirmer l’offre active

Les chercheuses insistent sur l’importance de renforcer l’offre active, un principe qui veut que les services en français soient proposés de manière proactive, sans que les patients aient à les réclamer. «Cela permettrait de recentrer la responsabilité sur le système de santé, plutôt que sur les individus eux-mêmes», insiste Shayna-Eve Hébert.

Le colloque sur l’offre des services de santé dans les langues minoritaires du 92e congrès de l’Acfas a mis en lumière les défis et avancées liés à l’accès aux soins dans la langue du patient. 

Photo : Courtoisie

Parmi les recommandations avancées figurent l’affichage de la langue de préférence sur les bracelets hospitaliers, la création d’un répertoire linguistique du personnel et un meilleur jumelage linguistique entre soignant et patient.

Pour améliorer la collecte de données sur la réalité linguistique des soins, les chercheuses proposent également la mise en place d’une base de données administrative contenant des variables linguistiques et l’instauration d’un journal de bord tenu par les patients, afin de mieux documenter leur parcours linguistique dans le système de santé.

Mesurer autrement l’accès aux soins linguistiques

Une autre étude, présentée au même colloque par Patrick Timony de l’Université Laurentienne de Sudbury en Ontario, propose de repenser la façon dont est mesuré l’accès aux soins de santé dans la langue du patient.

En ce sens, Patrick Timony critique les approches traditionnelles qui utilisent les ratios de médecins francophones par nombre de francophones et qui, selon lui, surestiment l’accès réel des francophones aux soins en français.

«Les francophones ne sont pas les seuls à consulter les médecins francophones. Il faut tenir compte de la concurrence linguistique intergroupe pour évaluer l’accès réel», explique-t-il.

Se basant sur les données du recensement de 2021 ainsi que sur celles de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, l’étude prend cette province comme exemple.

La nouvelle approche présentée par Patrick Timony a révélé qu’il y a, en Ontario, 0.09 médecin francophone par 1000 habitants. 

Photo : Courtoisie

Ainsi l’approche suggérée propose des ratios ajustés et des probabilités d’accès réelles. Selon ses calculs, les anglophones sont assurés à 100 % d’être servis dans leur langue tandis que les francophones, eux, n’ont que 11,4 % de chances d’être jumelés à un médecin francophone.

«En d’autres mots, un anglophone a 8,8 fois plus de chances d’être servi dans sa langue qu’un francophone», souligne Patrick Timony.

Le chercheur note que paradoxalement, dans les régions à forte densité francophone, l’accès s’améliore, même si le nombre absolu de médecins francophones diminue, note le chercheur.

«Cela s’explique par une réduction de la concurrence linguistique : dans un environnement plus homogène, les soins en français sont plus facilement accessibles», relève ce doctorant en santé dans les milieux ruraux et du Nord à Université Laurentienne.

«Ces résultats remettent en cause l’idée que les francophones sont suffisamment desservis dans certaines régions. Le sentiment de sécurité linguistique ne suit pas toujours la concentration démographique», conclut le chercheur.

Il appelle à repenser les outils de planification en santé et à développer une cartographie linguistique fine des médecins et des communautés pour améliorer le jumelage linguistique patient-prestataire.

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Le Conseil des arts du Canada, la Société du Centre national des arts (CNA), le Musée des beaux-arts du Canada, le Musée canadien de l’histoire, entre autres, sont censés voir leurs dépenses diminuer au cours des prochaines années.

Patrimoine canadien, le ministère responsable, projette une baisse générale des financements accordés à ces entités. Deux raisons principales sont identifiées par le ministère dans une réponse par courriel : la fin des fonds d’urgence et temporaires liés à la pandémie de COVID-19 et le resserrement du budget général annoncé en 2023.

Le programme Cadre du marché culturel, qui doit favoriser «la création de contenu culturel canadien diversifié prisé ici et à l’étranger et l’accès à ce contenu», par exemple, devrait voir son financement coupé de moitié entre 2019 et 2027.

Des projections revues à la baisse

Pour l’enveloppe Créativité, arts et culture, Ottawa projette une diminution des dépenses de 100 millions de dollars entre 2019 et 2027. Le Fonds du livre du Canada, le Fonds de la musique du Canada et le Fonds des médias du Canada figurent parmi les programmes financés par cette enveloppe.

Yves Bergeron attend de voir le prochain budget fédéral. Il rappelle que les musées ont historiquement participé aux efforts diplomatiques du Canada. 

Photo : UQAM – cycles supérieurs en muséologie

Pour l’Apprentissage de l’histoire canadienne, le gouvernement estime que les dépenses vont diminuer jusqu’à environ 4,3 millions de dollars en 2026-2027. Le montant était de 9,2 millions en 2019-2020. Il s’agit d’une remise au niveau de financement régulier après des années de fonds supplémentaires, explique Patrimoine canadien dans un courriel.

Ottawa prévoit aussi une baisse des dépenses pour l’Office national du film (ONF) : une prévision de dépenses de 66,8 millions de dollars en 2026-2027. Depuis 2019, l’ONF présente des dépenses réelles plus basses que ses autorisations. 

Ces données sont publiées sur le site web du gouvernement du Canada.

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En temps de guerre

La réduction du financement a cependant été commandée à une époque différente. Avant que le président des États-Unis parle de tarifs douaniers et d’un 51e État.

«On pousse tellement l’identité canadienne récemment», remarque le professeur et expert en politiques culturelles de l’Université Saint-Paul, Christopher Gunther. «Je n’ai aucun doute que les musées vont pousser [dans] ce sens, si ce n’est pas déjà fait. […] Nos musées publics et institutions culturelles font la promotion et renforcent l’unicité canadienne.»

C’est ce qui, dans le cadre du contexte actuel avec les États-Unis, porte le professeur et expert en muséologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Yves Bergeron, à croire qu’Ottawa va revoir ses dépenses.

Je répète aux directeurs et directrices de musées : «Oui, c’est vrai, ça va mal, mais attendez. On va voir quelle position vont adopter les différents paliers de gouvernement.» Les gouvernements ont besoin des musées. C’est une institution qui rapporte beaucoup aux plans économique et social.

— Yves Bergeron

«Là, on est dans une guerre commerciale, économique, et qui touche la souveraineté, rappelle-t-il. Dans toutes les périodes de conflits, crises économiques, je peux le démontrer depuis la Deuxième Guerre mondiale et même avant dans les années 1930, les gouvernements investissent en culture.»

Car les musées jouent un rôle politique et diplomatique, explique le chercheur. Historiquement, lors de moments comme la Seconde Guerre mondiale, les musées «se rangent toujours du côté du gouvernement».

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«Ça ne couvre pas l’inflation»

Dans sa plateforme électorale, le Parti libéral du Canada (PLC) de Mark Carney s’est engagé à augmenter le financement du Conseil des arts du Canada, du Fonds des médias du Canada, de l’ONF et de Téléfilm Canada.

Le Parti libéral du Canada n’avait pas répondu à nos questions au moment de publier.

Les prévisions actuelles de Patrimoine canadien projettent environ 37 millions de dollars de plus pour le Conseil des arts entre 2019 et 2025. «À mon avis, ça ne couvre pas l’inflation», estime Yves Bergeron.

Le Conseil n’a pas répondu à nos questions sur la suffisance des fonds, mais une porte-parole souligne par courriel les résultats d’un sondage mené par le Conseil en 2024 : «La majorité des répondants ont indiqué vivre une instabilité financière depuis deux ans […] Les répondants s’entendaient pour dire qu’il fallait du financement public supplémentaire pour aider le secteur à se transformer, à s’adapter et à s’inscrire dans la durée.»

La directrice générale, Stratégie et communication du CNA, Annabelle Cloutier, rappelle en entrevue que le CNA a un devoir de neutralité en tant que société d’État.

Ce sera intéressant de voir, une fois qu’un ministre sera nommé et que le cabinet sera formé, quels seront les engagements. On demeure en attente un peu comme tout le monde.

— Annabelle Cloutier

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Pandémie : la plaie est toujours ouverte

Pour les musées nationaux, dit Yves Bergeron, «il faudra surveiller de près le nouveau budget du gouvernement libéral». Il doute que les augmentations prévues à cette date soient suffisantes.

Non seulement à cause de l’inflation, mais aussi parce que «les musées n’ont pas tout à fait retrouvé le niveau de fréquentation de 2019 avant la pandémie. Ça veut dire moins de visiteurs, moins de revenus autonomes».

«Ça fait un bout que les musées [de façon générale] ne reçoivent pas un financement gouvernemental adéquat», déplore Christopher Gunther. 

Photo : École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère

Le Musée de l’histoire a refusé nos demandes d’entrevues, car il attend de voir ce que fera le nouveau gouvernement fédéral. Le Musée des beaux-arts nous a redirigés vers Patrimoine canadien, après avoir précisé par courriel qu’il complète le financement fédéral par ses propres moyens.

Dans son rapport annuel 2023-2024, ce musée écrit : «Les niveaux de financement posent des difficultés pour nos programmes publics, nos recherches, nos collections et notre capacité à préserver la collection nationale.»

«Nous avons besoin de financement supplémentaire pour les nouvelles exigences, comme la numérisation et les programmes virtuels, les programmes autochtones, le rayonnement national et l’accessibilité. L’inflation entraine une hausse des couts et une réduction de notre pouvoir d’achat (les crédits parlementaires ne sont pas indexés) et les ajustements salariaux visant à attirer et maintenir en poste le personnel ne sont financés que partiellement», lit-on encore.

Les crédits parlementaires constituaient 71 % du budget total en 2023-2024.

Les musées ne dépendent pas uniquement du financement fédéral, rappelle Christopher Gunther. Celui-ci estime tout de même que les financements publics devront être revus, «surtout si l’on regarde notre volonté de développer nos industries culturelles et nos musées».

Il y a une différence entre se tenir la tête au-dessus de l’eau et développer, dit-il. «Je me demande ce que ça pourrait vouloir signifier pour les futurs plans de diversifier [les projets] ou d’inclure de nouveaux services.»

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Quand on parle de réfugiés climatiques, on pense rarement au Canada. Pourtant, ici aussi, des milliers de personnes sont contraintes de fuir leur maison à cause des incendies, des inondations, des tempêtes ou de phénomènes plus longs, comme l’érosion et la montée des eaux.

Peut-on parler de «réfugiés climatiques»?

Si l’appellation «réfugié climatique» n’existe pas au sens juridique du terme, l’Office québécois de la langue française (OQLF) parle aussi de «migrant climatique» pour désigner «une personne ayant quitté son lieu d’habitation, de façon temporaire ou permanente, à cause d’une dégradation environnementale spécifiquement liée aux changements climatiques et bouleversant gravement ses conditions de vie».

D’Ouest en Est

«À l’Ouest, il y a beaucoup de communautés dans les montagnes qui sont exposées à des risques multiples, comme les incendies de forêt, les inondations, les glissements de terrain», amorce Robert McLeman, professeur au Département de géographie et d’études environnementales à l’Université Wilfrid-Laurier à Waterloo, en Ontario.

S’il s’agit généralement de petites villes isolées, toutes les provinces et tous les territoires sont touchés par ce type d’évènements extrêmes, précise-t-il.

«Ces évènements se produisent régulièrement. L’Ouest canadien a connu de nombreux incendies terribles ces dernières années.»

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Témoignage d’une évacuée francophone

«Ça s’est fait très précipitamment. On a été mis sur un pied d’alerte vers 5 h le soir, puis peut-être une heure après, tout le monde a été évacué», se souvient Julie Cayouette, résidente francophone de Labrador City, à Terre-Neuve-et-Labrador.

L’été dernier, face à la progression rapide d’un incendie de forêt, toute la population de la ville a dû être évacuée en urgence. Près de 10 000 personnes ont dû se rendre à Happy Valley-Goose Bay, 530 km plus loin.

Pour cette native de la région, c’était une première : «On a toujours eu des feux, mais on n’avait pas d’opportunité d’évacuation. On était ici, tout était contrôlé.»

Cette fois, les vents violents et la sècheresse ont rendu la situation incontrôlable : «Le feu se rapprochait rapidement. Il ventait énormément», raconte-t-elle.

L’évacuation vers Happy Valley-Goose Bay a duré près de 11 heures pour certains, en raison notamment des longues files d’attente dans les stations-service : «Il y avait tellement de monde… c’était malade.»

Puis la population a été prise en charge par la municipalité et la Croix-Rouge. «Il y avait des lits, des draps, une cantine mobile. Ils nous ont vraiment très bien accueillis.» Le retour à Labrador City n’a pu se faire qu’au bout de dix jours.

En tant que francophone, Julie Cayouette souligne l’importance dans ces moments de crise «de faire passer l’information en français». Elle prévoit siéger au comité d’urgence pour faire avancer cette cause.

Si, dans la plupart des cas, ces déplacements sont temporaires et les gens peuvent regagner leur domicile rapidement, certaines communautés subissent plus durement les effets de ces désastres naturels.

Les inondations posent de très graves problèmes pour les communautés autochtones du centre et du nord du Manitoba. Les personnes peuvent être déplacées pendant de très longues périodes, parfois des années, parce que leur communauté a été inondée et que le gouvernement a été très lent à reconstruire.

— Robert McLeman

Donald Jardine souligne que les résidents des Îles-de-la-Madeleine, au Québec, sont également touchés par les changements climatiques. 

Photo : Courtoisie

L’est du pays n’est pas en reste. «L’intensité des tempêtes s’est accrue avec le changement climatique», remarque Donald Jardine, chercheur au sein du laboratoire sur le climat de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, faisant notamment référence au cyclone posttropical Fiona qui a ravagé les provinces de l’Atlantique en 2022.

«Et comme nous sommes une ile et que notre substrat rocheux est sédimentaire, composé de grès et de sable, nous n’avons pas de fondations très solides. Nous sommes donc très sensibles aux ravages des tempêtes qui frappent notre littoral.»

La Première Nation de Lennox Island, à l’Île-du-Prince-Édouard, est particulièrement à risque. Ces dernières années, le quai a fait l’objet d’importants travaux de modernisation, car il a été plusieurs fois inondé, rendant l’ile inaccessible en cas de tempête, explique le chercheur.

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Les populations autochtones à risque

Selon Services aux Autochtones Canada, entre 2009 et 2013, les Premières Nations vivant en réserve ont été touchées par en moyenne 28 incendies de forêt par an. Entre 2018 et 2023, ce nombre a augmenté de 127 %, atteignant en moyenne 63 incendies par année.

Les Premières Nations sont affectées de manière disproportionnée par les situations d’urgence et les évacuations. Entre 2009 et 2023, plus de 177 000 membres vivant dans une réserve ont dû être évacués en raison d’un danger naturel.

«Pour l’instant, les réfugiés climatiques au Canada sont presque uniquement les peuples autochtones», confirme la chercheuse Isabelle Côté.

Des solutions «au cas par cas»

Les solutions proposées aux populations déplacées se font souvent «au cas par cas», constate Robert McLeman.

Il prend l’exemple de la Première Nation du lac Saint-Martin, au Manitoba. «Elle a été inondée et il a été décidé que l’endroit était trop dangereux et que les gens ne devaient pas reconstruire là.»

Pendant près de deux ans, les membres de cette communauté ont vécu dans des hôtels à Winnipeg et ailleurs, en attendant que le gouvernement tente de trouver une solution.

«Dans les montagnes de la Colombie-Britannique, nous voyons des gens construire de grandes maisons et des complexes touristiques dans des zones exposées aux incendies, aux inondations et aux glissements de terrain», déplore Robert McLeman.

Photo : Courtoisie

«Le problème avec les communautés des Premières Nations, c’est qu’il y a plusieurs niveaux de gouvernement impliqués : le national, le fédéral, le provincial et celui des communautés.»

«Il y a un certain nombre de petites communautés des Premières Nations au Canada qui vont devoir déménager», ajoute Robert McLeman, citant Tuktoyaktuk, un village Inuvialuit situé aux Territoires du Nord-Ouest, menacé par les tempêtes, la montée des eaux et l’érosion.

«Le gouvernement commence déjà à planifier l’endroit où il va déplacer la communauté. Il s’agira probablement d’un endroit situé plus à l’intérieur des terres, sur un terrain plus élevé, et il faudra reconstruire une grande partie des infrastructures.»

D’autres communautés dans le Nord du pays seront dans la même situation dans les 20 à 30 prochaines années, prévient le professeur.

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Un trauma supplémentaire

«Les Autochtones ont des liens de longue date avec la terre, l’eau, la chasse, la pêche, la spiritualité. C’est donc un véritable défi pour eux s’ils doivent être déplacés», rappelle le professeur Robert McLeman.

La plupart d’entre eux ont déjà été contraints de quitter leur territoire par le passé. Le chercheur cite le cas des habitants de Tuktoyaktuk, qui ont été déplacés dans ce village des Territoires du Nord-Ouest par le gouvernement canadien dans les années 1950.

«Les personnes réinstallées ont subi beaucoup de traumatismes et de difficultés. Aujourd’hui, leurs descendants, leurs petits-enfants, se retrouvent dans une situation où ils devront à nouveau déménager.»

«Les membres de la communauté doivent être activement impliqués dans le processus, alerte-t-il. Le gouvernement ne peut pas se contenter de dire : “OK, vous devez tous déménager. Maintenant, allez ici.” Cela ne peut plus fonctionner de cette manière.»

Le cas des relocalisations à Terre-Neuve

Certaines régions commencent à envisager de mettre en œuvre des politiques de relocalisation pour les communautés exposées.

Selon la chercheuse Isabelle Côté, les relogements liés aux changements climatiques soulèvent des questions profondes sur notre lien au passé.

Photo : Courtoisie

Ce phénomène n’est pas nouveau à Terre-Neuve-et-Labrador, rapporte Isabelle Côté, professeure agrégée au Département de Science Politique à l’Université Memorial, à Terre-Neuve.

Pour des raisons économiques et de centralisation des ressources, le gouvernement de la province a déjà procédé à plusieurs programmes de réinstallation depuis les années 1950.

Elle prend l’exemple récent du petit village insulaire de Little Bay Islands, dont les habitants ont été relocalisés en 2019. Les résidents permanents ont accepté de quitter leur ile en échange d’une compensation financière de 250 000 dollars. L’objectif était double pour la province : réduire les couts de services – comme le traversier – et permettre aux habitants de se réinstaller ailleurs.

Avec l’érosion côtière grandissante, la question des relocalisations refait surface dans l’actualité dans les Maritimes, cette fois pour des raisons climatiques. «Il y a de plus en plus de communautés dont les maisons sont vraiment sur les façades et peuvent être emportées par les marées», souligne Isabelle Côté.

Des solutions et des illusions

«Il est important de renforcer la coordination entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour s’assurer de la planification des urgences, car nous connaissons les risques […] Ces évènements se multiplieront à l’avenir», avance Robert McLeman.

Ce qui se passe souvent à l’heure actuelle, c’est que nous nous en rendons compte au fur et à mesure. Nous devons être plus proactifs dans notre planification. Les autorités locales doivent essayer de décourager le développement d’infrastructures dans des endroits exposés à des risques.

— Robert McLeman

Le chercheur rappelle aussi que toute personne a la responsabilité de se préparer aux urgences.

«D’après mon expérience, plus il s’écoule de temps entre la dernière tempête et la suivante, plus la mémoire des gens s’effrite», soulève Donald Jardine. Cependant, la hausse des primes d’assurance les ramène à la réalité.

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Le premier ministre canadien aurait réussi sa mission, selon plusieurs analystes politiques, lors de sa visite avec le président des États-Unis, Donald Trump.

Point de départ : Alors que Mark Carney avait brisé la tradition en allant avant tout voir les chefs d’État européens et non son homologue américain, il a fini par aller à la Maison-Blanche, mardi.

Le premier ministre avait limité les attentes avant de se rendre à Washington. Il ressort de sa rencontre sans avoir convaincu Donald Trump de mettre fin aux tarifs douaniers sur des produits canadiens ou d’arrêter de parler de 51e État.

Mais il a tenu tête au président sur certains points tout en évitant de le confronter sur d’autres. Il a notamment rappelé que «le Canada n’est pas à vendre, il ne le sera jamais».

Un pari réussi pour les premiers ministres des provinces réunis dès le lendemain. Ils se sont aussi mis d’accord sur une approche «un projet, un examen», rapporte le bureau du premier ministre Carney, pour accélérer les projets provinciaux.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a rappelé de son côté qu’il comptait sur une aide fédérale pour l’extraction des minerais québécois ou le projet d’un pipeline.

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Pierre Poilievre brigue la circonscription albertaine de Battle River–Crowfoot. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

Les députés conservateurs ont choisi Andrew Scheer comme leadeur parlementaire pour la reprise des travaux à la Chambre des Communes. Chef du parti en 2017 et 2020, il s’était fait montrer la porte en 2020 par son caucus.

Réchauffer la chaise : Ce proche de l’actuel chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, mènera la période de questions face à Mark Carney en attendant que ce dernier retrouve, s’il est élu lors d’une élection partielle, son siège aux Communes. Ayant été défait dans sa circonscription lors de la dernière élection fédérale, Pierre Poilievre briguera celle de Battle River–Crowfoot, que le député conservateur Damien Kurek lui a cédée.

Le caucus a également voté à la majorité une disposition leur permettant de montrer la porte à Pierre Poilievre, en vertu de la Loi sur la réforme des partis, adoptée en 2014.

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Don Davies a pris l’intérim de la direction du Nouveau Parti démocratique (NPD) après la défaite et la démission de Jagmeet Singh. 

Photo : Courtoisie Facebook

Le député de Vancouver Kingsway Don Davies, réélu à la Chambre des Communes sous la bannière du Nouveau Parti démocratique (NPD), est devenu chef intérimaire du parti, après la démission de Jagmeet Singh.

Ce dernier a perdu sa circonscription de Burnaby Sud, en périphérie de Vancouver, face aux libéraux.

La semaine dernière, le Collectif canadien de journalisme (CCJ) a confirmé que 108 médias écrits ont reçu leur premier paiement venant des 100 millions de dollars versés par Google. Le géant du Web remet en raison de son accord de dérogation à la Loi sur les nouvelles en ligne, adoptée en 2023. 

L’enjeu : La Loi contraint les géants du Web à compenser les médias canadiens pour la redistribution de leurs contenus sur leurs plateformes.

«Aujourd’hui, nous démontrons que notre modèle de référence mondial est en action, garantissant que les géants du Web rémunèrent les médias d’information de manière équitable et juste dans tout l’écosystème de l’information du Canada», a déclaré la directrice générale du Collectif canadien de journalisme, Sarah Spring, par communiqué.

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Une marche pro-vie a réuni plus de 1000 personnes sur la Colline du Parlement, à Ottawa, le 8 mai. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

En conférence de presse sur la Colline mardi – et à l’origine de la Marche pour la vie –, la Coalition nationale pour la vie (CNV) a demandé à Mark Carney de cesser «de laisser mourir des bébés qui ont survécu à l’avortement», selon George Buscemi, le porte-parole de la branche québécoise du groupe d’influence. Il demande la «protection de toute vie humaine dès la conception».

Un autre responsable de la CNV a affirmé en conférence de presse plus tôt que son mouvement avait soutenu des candidats de tous les partis, mais «aucun n’a été élu». Il a ajouté que si Pierre Poilievre a perdu, c’est parce qu’il a laissé du «ressentiment» s’enraciner parmi ses députés et la population pro-vie.

La directrice mondiale d’Amnistie internationale, Agnès Callamard, a tenu une conférence de presse lundi, Journée de la robe rouge au Canada (en hommage aux femmes, aux filles et aux personnes 2LGBTQI+ autochtones disparues et assassinées) et la veille de la rencontre de Mark Carney et de Donald Trump à la Maison-Blanche, pour lancer son «alerte maximale sur l’état des droits de la personne» dans le monde.

L’appel : «Nous appelons le monde à se réveiller sur la réalité, sans quoi ce moment historique se transformera en une dévastation historique», a-t-elle lancé, d’emblée.

Agnès Callamard fait état de la dégradation continue des droits de la personne, qui sont en chute libre, notamment au Soudan et à Gaza au premier rang.

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Le coup de canon a retenti le 23 mars. L’élection canadienne a été lancée et les efforts des partis fédéraux pour rejoindre l’électorat canadien ont commencé. Un projet qui est largement passé par les plateformes de Meta, comme Facebook et Instagram.

Lors des quatre dernières semaines de la campagne électorale, entre le 30 mars et le 28 avril, le Parti conservateur du Canada (PCC) a dépensé 2,7 millions de dollars en publicité auprès du géant du numérique. La facture du Parti libéral du Canada (PLC) était semblable, s’élevant à 2,6 millions.

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Mark Carney en tête

Si le PCC est le parti qui a le plus dépensé, parmi les chefs, c’est le libéral qui l’emporte. Mark Carney a déboursé 1,4 million de dollars entre le 30 mars et le 28 avril, loin devant son principal adversaire, le conservateur Pierre Poilievre, qui a dépensé 8 200 dollars.

Toutes ces données sont toutes disponibles sur le site Web de Meta.

Il a malheureusement été difficile d’obtenir des données pour la première semaine de campagne, c’est-à-dire du 23 au 29 mars. Toutefois, les informations recueillies par Who Targets Me permettent de brosser le portrait suivant pour cette période :

 

Par courriel, le Bloc québécois confirme avoir dépensé au total 116 000 dollars sur les plateformes de Meta durant la campagne électorale.

Le parti s’était fixé l’objectif de doubler ce montant pour l’investir dans des médias imprimés, numériques, télévisuels et radiophoniques québécois. «Dans les faits, nous avons quasiment triplé nos investissements faits au cours de cette campagne dans ces médias», écrit un porte-parole du parti.

Des dépenses critiquées

L’achat de publicités auprès de Meta est un sujet controversé et politisé, notamment depuis que le géant bloque les médias d’information sur ses plateformes au Canada.

La Presse canadienne a recensé plus de 900 000 dollars de publicités achetées dans la semaine qui a précédé le déclenchement de l’élection. Ces dépenses ont été durement critiquées par la présidente de Réseau.Presse – l’éditeur de Francopresse et qui regroupe une vingtaine de médias francophones en milieu minoritaire –, Maryne Dumaine.

Ce n’était pas la première fois qu’elle se désolait de voir la classe politique canadienne privilégier Meta par rapport aux médias d’information, qui eux, souffrent d’un manque de revenus publicitaires.

En début d’année, lorsque le gouvernement fédéral a recommencé à acheter de la publicité chez Meta pour la première fois depuis le début du blocage des nouvelles sur ses plateformes, Mme Dumaine a relevé une «contradiction» de la part d’Ottawa. Car si Meta bloque les médias, c’est parce qu’elle refuse de se soumettre à la Loi canadienne sur les nouvelles en ligne.

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Les radios communautaires ont aussi dénoncé les 900 000 dollars dépensés avant la campagne. Dans un communiqué, l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec (ARCQ), l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARCC) et l’Association des radios régionales francophones (ARRF) parlent d’une «incohérence des partis politiques fédéraux».

Elles estiment que les médias locaux auraient pu se partager la somme et rappellent que tous les partis soutiennent l’achat local, «un sentiment de patriotisme qui ne semble pas atteindre les politiciens dans leurs achats de publicités», peut-on lire dans leur déclaration.

Quebec Community Groups Network (QCGN) n’a pas souhaité commenter, mais dit par courriel qu’il comprend «que les campagnes politiques se déroulent de plus en plus sur les médias sociaux et que les partis intelligents doivent aller là où se trouvent les gens», faisant référence aux réseaux sociaux.

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«Rien de significatif», dit le NPD

«Nous avons délibérément investi beaucoup plus (des millions de dollars, NDLR) dans la télévision numérique, les services de diffusion en continu et la vidéo en ligne plutôt que sur les plateformes de Meta», assure de son côté un porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) dans une réponse par courriel. Selon lui, en comparaison, les dépenses du parti sur Meta ne représentent «rien de significatif».

Les partis conservateur, libéral et vert n’avaient pas répondu à nos questions au moment d’écrire ces lignes.

Les dépenses d’Élections Canada

Selon ses rapports préliminaires, Élections Canada a dépensé environ 1,4 million de dollars en publicité auprès de Meta pendant la campagne. Grâce aux données disponibles sur le site du géant américain, il est possible de constater que la page en français d’Élections Canada affiche des dépenses bien moins importantes que la page en anglais, «Elections Canada», qui fait état de plus d’un million de dollars.

«Le ratio de l’investissement des publicités dans les 2 langues officielles est représentatif de la population canadienne», explique l’institution dans une réponse par courriel.

Parmi les plateformes numériques étrangères où Élections Canada investit en publicité pour «s’assurer que tous les Canadiens disposent de l’information dont ils ont besoin pour s’inscrire et voter», Meta capte 9 % du budget, tandis que YouTube détient 5 % des parts.

Ces géants américains permettent de «joindre des clientèles moins exposées aux médias traditionnels et/ou médias canadiens», des clientèles spécifiques et de livrer beaucoup d’information (notamment dans une vidéo YouTube), justifie Élections Canada.

«Élections Canada privilégie les médias canadiens», écrit Élections Canada. 74 % des dépenses publicitaires prévues leur sont destinées.

Les gains du Parti libéral du Canada à l’élection fédérale de 2025, en comparaison avec celle de 2021, proviennent avant tout d’un vote stratégique et d’une absence de fidélité des électeurs et électrices de centre-gauche.

Le taux de participation est passé de 62,6 % en 2021 à 68,65 % en 2025, une augmentation normale pour une élection qui n’est pas jouée à l’avance. Ce n’est toutefois pas en convainquant davantage de personnes à voter que les libéraux et les conservateurs ont augmenté leur part du vote qui est passée respectivement de 32,6 % à 43,7 % et de 33,7 % à 41,3 %.

La plus grande part des nouveaux votes pour le Parti libéral viendraient des voix qui se seraient autrement exprimées pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), dont la part des suffrages est passée de 17,8 % en 2021 à 6,3 %.

Notons aussi une chute moins dramatique pour le Parti vert (de 2,3 % à 1,2 %) et pour le Bloc québécois (de 7,6 % à 6,3 %). Ces pourcentages suggèrent un déplacement de ces votes vers les libéraux. Pris ensemble, ces trois partis ont perdu un peu plus de 2 millions de votes, tandis que le parti mené par Mark Carney en a gagné un peu plus de 3 millions.

Or, seulement 2 373 202 personnes de plus ont voté lors de cette élection fédérale. Les conservateurs ont gagné un nombre de votes très proche de cette augmentation.

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Un mouvement conservateur à son apogée?

On a mentionné que Pierre Poilievre a donné aux conservateurs le plus haut pourcentage du vote depuis l’époque de Brian Mulroney, qui avait atteint 50 % en 1984. En comparaison, en 2011, Stephen Harper avait pu former une majorité avec 39,6 % du vote populaire.

Le Parti conservateur a réussi à reprendre une grande partie des voix qui s’étaient tournées vers le Parti populaire du Canada; qui est lui passé de 5 % à 1,7 % des votes. Pierre Poilievre y est arrivé en canalisant le mécontentement contre les libéraux, certes, mais aussi en reprenant plusieurs de ses politiques et en se radicalisant encore plus à droite.

Or, tandis que les libéraux ont plus ou moins maintenu le cap en matière de politiques depuis des décennies, on ne peut comparer le Parti conservateur d’aujourd’hui et le Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney.

Les échecs constitutionnels de ce dernier ont mené à la création du Bloc Québécois. C’est aussi contre ce Parti progressiste-conservateur que s’est dressé le Parti réformiste. Celui-ci a pu grandir suffisamment pour avaler l’ancien parti, l’intégrer et le digérer.

Tandis que Stephen Harper cherchait à courtiser le centre-droit – il aurait sans doute conquis bon nombre des personnes qui ont voté pour Mark Carney – le Parti conservateur ne tente plus de faire taire l’extrême-droite en son sein. Même le chef conservateur Erin O’Toole avait expulsé un membre important du parti pour avoir proféré des propos haineux.

Sous le leadeurship de Pierre Poilievre, les proches du «Convoi de la liberté» trouvent ainsi leur place au sein du parti. La campagne électorale conservatrice s’est rapprochée, dans une certaine mesure, des slogans et de la vision des groupes suprémacistes blancs.

Le parti s’est rapproché des réseaux qui propagent des théories du complot, dont certains réseaux religieux, et a bénéficié de leurs attaques contre Mark Carney. Si bien que la victoire libérale est déjà remise en cause par certaines personnes… par le biais de fabulations.

Entre le travail fait par les théories du complot, une forte organisation bien éprouvée pendant le «Convoi de la liberté», des réseaux de communication et des organes de désinformation comme Rebel News, le Parti conservateur a tous les atouts de son côté. Il ne cherche plus à prendre ses distances de ce mouvement qui l’a presque porté au pouvoir.

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Le Nouveau Parti démocratique, principal parti politique de gauche au Canada, n’a pas fait élire assez de députés pour être reconnu comme un parti officiel lors de l’élection. Le chef Jagmeet Singh, qui n’a pas été élu dans sa circonscription, a démissionné de son poste le soir même. 

Photo : Wayne Polk – Flickr CC BY-NC 2.0

Une gauche en fin de déclin?

À moins qu’une autre situation tout aussi opportune n’émerge lors du prochain scrutin, les libéraux ne pourront pas répéter leur victoire à l’arraché. Ils devront créer un soutien qui ira plus loin que la peur de Trump et d’un trumpisme canadien.

Le parti devra choisir entre une orientation vers la droite – et ce groupe instable que forment les «torys rouges» et les «libéraux bleus» – ou vers la gauche, qui l’a porté au pouvoir pour bloquer le mouvement conservateur.

Le vote stratégique pourrait avoir des conséquences à long terme pour les politiques sociales et environnementales. Après tout, les libéraux ont pu se faire élire malgré leur silence sur certaines questions, une diminution de la place des femmes et du genre au sein du gouvernement, ainsi qu’une position hostile aux politiques environnementales.

Malgré un appui somme toute considérable pour ses positions politiques, le NPD n’arrive pas à convaincre les mouvements sociaux. Il a perdu le soutien des syndicats et du monde ouvrier. Sans un appui ferme de ces électeurs, le vote stratégique pour le choix «le moins pire» est plus tentant.

La gauche citoyenne qui se préoccupe peu de la politique se trouve devant un dilemme en matière électorale, aux côtés de ses activités au sein de la société civile. Doit-elle travailler au renouvèlement du NPD et risquer une prochaine victoire conservatrice si les libéraux n’arrivent pas à former le gouvernement?

Ou pourrait-elle plutôt militer pour tirer le Parti libéral vers la gauche et enfoncer le clou dans le cercueil d’un parti qui semble parfois moribond et qui a, jusqu’à présent, évité toute perspective de renouvèlement?

Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).

Au lendemain de la défaite de Pierre Poilievre dans sa circonscription de Carleton, près d’Ottawa, des députés conservateurs ont commencé à accorder des entrevues à des plateaux télé boudés jusqu’ici par les membres du parti.

Chris d’Entremont, député conservateur réélu dans la circonscription néoécossaise d’Acadie–Annapolis, s’est montré ouvert à travailler avec les autres partis de la Chambre pour faire face à l’administration Trump. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse (Archives)

C’est le cas de Chris d’Entremont, réélu dans Acadie–Annapolis, en Nouvelle-Écosse, qui affirme à CBC que son parti devra travailler avec les autres partis pour faire face à l’administration Trump.

Idem pour son collègue réélu dans le Grand Toronto, Jamil Jivani, qui déclare sur CBC être prêt à discuter avec son ami J.D. Vance, vice-président des États-Unis, afin d’appuyer le gouvernement libéral dans ses négociations.

«Un changement de dynamique est toutefois nécessaire entre nos deux pays», a-t-il ajouté, évoquant de «forts désaccords politiques» avec J.D. Vance.

Les deux députés se sont exprimés sur CBC, un média dont Pierre Poilievre promettait de couper le financement.

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Langues déliées

Ces ouvertures du côté conservateur, peu communes lorsque le Parlement siège, seraient renforcées par des manœuvres des libéraux en coulisses qui, à trois sièges seulement de la majorité, tenteraient de recruter des conservateurs de l’autre côté de la Chambre, rapporte Radio-Canada.

Selon Yan Plante, le leadeur parlementaire qui sera choisi cette semaine «va devenir un peu comme un leadeur adjoint» de Pierre Poilievre. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Le président-directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE) Canada, Yan Plante, n’exclut pas qu’il y ait des «frustrations» chez les députés conservateurs, par rapport à la défaite de leur chef.

Selon lui, s’ils restaient auparavant silencieux, c’est «parce qu’ils avaient l’impression qu’ils se dirigeaient vers une victoire». «Au lendemain d’une défaite, certaines personnes mécontentes pourraient avoir le choix de s’exprimer davantage», commente l’ancien stratège politique.

En attendant, malgré la vingtaine de sièges gagnés par les conservateurs par rapport à l’élection fédérale de 2021, Pierre Poilievre «porte à lui seul le poids de la défaite», analyse François Rocher, professeur agrégé de science politique à l’Université d’Ottawa.

«Ce n’est pas quelque chose qui peut être partagé avec d’autres acteurs conservateurs […] puisqu’ils ont été absents du débat.»

Des députés de premier rang comme Pierre Paul-Hus, lieutenant des conservateurs au Québec, ou Melissa Lantsman, bras droit de Pierre Poilievre, étaient assurés d’avoir des postes de ministres. «Là [certains] se voient finalement de nouveau dans l’opposition», observe François Rocher.

Le Parti conservateur a rapidement fait savoir que le député conservateur Damien Kurek, élu à plus de 80 % dans la circonscription albertaine de Battle River–Crowfoot, acceptait de céder son siège aux Communes.

Le premier ministre, Mark Carney, a indiqué lors de son premier point de presse, le 2 mai, qu’il ne tarderait pas à déclencher une élection partielle, sans toutefois en préciser la date. Il a fixé le retour du Parlement au 26 mai, mais l’élection de la présidence de la Chambre, et le 27 mai pour le discours du Trône.

Tant qu’il ne sera pas élu lors d’une élection partielle, Pierre Poilievre ne pourra pas siéger à la Chambre des communes.

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«Il tient toujours son parti»

Pierre Poilievre, qui a obtenu une large majorité de plus de 68 % lorsqu’il a été élu chef du Parti conservateur du Canada (PCC) en 2022, tient toujours son parti, affirme François Rocher, et cela tient en grande partie au fait que le chef n’a «pas de successeur naturel ou de têtes fortes».

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Yan Plante abonde dans le même sens : Pierre Poilievre reste le chef de parti. «Dans l’écrit, trompons-nous pas, tout ce qui va se passer d’important à la Chambre des communes [chez les conservateurs] devra recevoir l’aval du chef du parti, qu’il siège ou non.»

Il rappelle que le chef aura toujours son bureau au Parlement et une équipe «chargée d’écrire les questions qui seront posées en Chambre».

Celles-ci ne seront pas posées par Pierre Poilievre, mais par le leadeur parlementaire et certains députés choisis en amont… par le chef et son équipe, anticipe François Rocher.

Le caucus conservateur se réunissait d’ailleurs le 5 mai pour décider si ce serait lui ou Pierre Poilievre qui choisirait le prochain leadeur parlementaire. Les députés sont divisés sur la question.

Il y a quelques jours, Pierre Paul-Hus, lieutenant du Québec pour le Parti conservateur, a affirmé que le caucus était «uni» derrière son chef, malgré sa défaite.

En outre, les gains des conservateurs lors de la dernière élection fédérale l’ont emporté sur les défaites, estime Yan Plante. «Malgré tout ce qu’on entend sur le fait que [Pierre Poilievre] était apparemment contrôlant, il y a quand même 41 % des Canadiens qui ont voté pour lui. Donc force est d’admettre que ce [côté] n’est pas quelque chose qui a influencé les électeurs beaucoup.»

Le PDG du RDÉE entrevoit toutefois que la défaite individuelle de Pierre Poilievre ne lui laisse «pas le choix que d’écouter [ses députés] et de prendre des notes pour voir comment on peut faire mieux la prochaine fois».

«Avec l’augmentation de l’immigration francophone à l’extérieur du Québec, la demande de justice en français est de plus en plus importante», affirme le directeur général de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, Rénald Rémillard.

Les besoins des nouveaux arrivants et des nouvelles arrivantes qui maitrisent mal ou aucunement l’anglais exercent une pression toute nouvelle à laquelle l’appareil judiciaire ne parvient pas toujours à répondre, selon l’avocat.

Pour François Larocque, la formation des magistrats aux droits linguistiques n’est pas encore à la hauteur. Il cite notamment l’affaire Mazraani dans laquelle le juge connaissait mal les droits linguistiques des témoins et avait commis des erreurs. 

Photo : Courtoisie 

«La langue demeure encore trop souvent une barrière à l’accès à la justice, confirme le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque. L’expérience des justiciables varie d’un bout à l’autre du pays. Plus on va à l’ouest, plus la situation est critique […], mais le problème demeure systémique.»

Sur le papier, l’article 530 du Code criminel prévoit que toute personne accusée d’une violation de la loi peut réclamer un procès dans l’une des deux langues officielles du Canada, à savoir le français et l’anglais, et qu’elle doit être informée de ce droit.

En ce qui a trait au droit de la famille, en vertu de modifications à la Loi sur le divorce adoptées en 2021, il devrait être possible de divorcer en français partout au Canada. Tous les gouvernements provinciaux et territoriaux n’ont cependant pas encore adopté les règlements nécessaires.

En décembre 2024, la Colombie-Britannique a permis l’utilisation des deux langues officielles dans des procédures de séparation. 

«Chaque province devrait avoir une capacité de bilinguisme suffisante pour traiter les requêtes en français. Les cours provinciales ont les mêmes obligations sur l’offre active que les cours fédérales», estime François Larocque.

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«Un avocat ou un juge bilingue qui parle français, ça ne suffit pas»

En réalité, le degré de bilinguisme judiciaire diffère fortement d’une province à l’autre. Selon Rénald Rémillard, il est «le plus abouti» au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Ontario et le «moins exhaustif» dans les autres provinces.

Depuis la création de la Faculté de droit de l’Université de Moncton, d’«énormes progrès ont été faits dans la nomination de personnel de justice francophone», salue Denis Lavoie au Nouveau-Brunswick. 

Photo : Courtoisie

«Grâce à notre loi sur les langues officielles, nous avons des services juridiques en français plus avancés qu’ailleurs, confirme le vice-président de l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, Denis Lavoie. Mais on ne peut pas s’assoir sur nos acquis. On pensait être secure et des enjeux sont remontés à la surface avec Blaine Higgs.»

L’avocat évoque notamment la fermeture par l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de deux tribunaux dans la péninsule acadienne majoritairement francophone. 

La situation dans les territoires est légèrement différente, car ils ont été créés par le gouvernement fédéral. «Ils ont donc des obligations linguistiques imposées par Ottawa beaucoup plus importantes», détaille Rénald Rémillard.

Quelles que soient les disparités à l’échelle du pays, la pénurie de juges, de juristes, mais aussi de personnel de soutien bilingues est généralisée.

«Un avocat ou un juge bilingue qui parle français, ça ne suffit pas. Il y a tout un staff en arrière-plan qui doit aussi avoir des compétences juridiques en français», insiste la présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario, Naaila Sangrar.

Il manque des greffiers, des interprètes, des shérifs, des médiateurs francophones dans les palais de justice, de même que des assistants capables de préparer les documents juridiques dans les cabinets d’avocats.

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Offre active quasi «inexistante»

L’offre active de services en français est de ce fait quasi «inexistante» dans les tribunaux et les salles d’audience, rapporte le directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba, Tarik Daoudi.

«Même s’ils sont francophones, beaucoup d’avocats préfèrent déposer des dossiers en anglais», rapporte Tarik Daoudi au Manitoba. 

Photo : Courtoisie

«Quand un avocat se présente au tribunal et tente de déposer un dossier en français au comptoir, ce n’est pas évident. Il faut vouloir s’imposer comme francophone, revendiquer ses droits», déplore le responsable.

De la même manière, il dénonce une attente «de plusieurs heures» si un avocat sollicite une ordonnance en français auprès d’un juge, contre seulement quelques minutes si elle est rédigée en anglais.

«Si la personne bilingue n’est pas disponible pour prendre le dossier ou traiter une demande, c’est comme ça que les délais plus longs commencent», poursuit Naaila Sangrar.

François Larocque mentionne à cet égard une décision de 2024 de la Cour supérieure de l’Ontario ayant conclu à des «délais déraisonnables» en français en matière criminelle : «La cour a donc ordonné l’arrêt de la procédure à cause de l’incapacité systémique à fournir une justice dans les deux langues officielles.» 

Des progrès significatifs ont néanmoins été accomplis ces dernières années. Grâce à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le ou la ministre de la Justice et procureur général du Canada a l’obligation de tenir compte des besoins d’accès à la justice dans les deux langues officielles et de la pénurie de juges bilingues au moment de nommer les juges des cours provinciales supérieures.

«Il y a une approche plus intentionnelle pour pallier les déficiences systémiques», salue François Larocque.

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Efforts de recrutement et de sensibilisation

«Les autorités prennent ça au sérieux, il y a des efforts de recrutement pour embaucher plus de personnes bilingues», appuie Tarik Daoudi. La juge en chef du Manitoba, Marianne Rivoalen, est notamment francophone.

«Les acteurs unilingues doivent aussi être formés pour avoir une meilleure compréhension des droits linguistiques. Tout le système doit être sensibilisé», estime la professeure Caroline Magnan à l’Université d’Ottawa. 

Photo : Courtoisie

Pour changer la donne, l’Université d’Ottawa a également lancé en 2016 un programme de Certification de common law en français. L’objectif est de permettre à des étudiants et des étudiantes des facultés de droit de l’Ouest canadien de suivre des cours de common law et d’acquérir les outils nécessaires pour offrir des services juridiques en français. Plus de 100 juristes ont déjà été formés.

Le nombre insuffisant de personnes bilingues dans le domaine de la justice n’est pas seul en cause. Trop souvent, les justiciables connaissent mal leurs droits linguistiques.

«Les francophones sont souvent réticents à réclamer, car le système judiciaire est punitif et conflictuel. C’est presque toujours une épreuve, analyse Rénald Rémillard. Ils veulent en sortir le plus vite possible pour limiter les couts et les délais.»

Les associations de juristes se mobilisent aux quatre coins du pays et organisent des ateliers de sensibilisation afin d’«expliquer aux francophones, et en particulier aux nouveaux arrivants, qu’ils ont le droit fondamental d’avoir des services en français à chaque étape d’une procédure», relève Tarik Daoudi.

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