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le Mardi 28 juillet 2020 14:49 Arts et culture

La statue emblématique d’Évangéline au site historique de Grand-Pré a 100 ans

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En lieu d’une cérémonie formelle et officielle pour souligner le centenaire de la statue d’Évangéline à Grand-Pré, on a invité la population à réinventer Évangéline en pop-art. Ces quelques exemples sont l’œuvre de François Gaudet, guide à Grand-Pré. — Courtoisie François Gaudet
En lieu d’une cérémonie formelle et officielle pour souligner le centenaire de la statue d’Évangéline à Grand-Pré, on a invité la population à réinventer Évangéline en pop-art. Ces quelques exemples sont l’œuvre de François Gaudet, guide à Grand-Pré.
Courtoisie François Gaudet
FRANCOPRESSE - «This is the forest primeval. The murmuring pines and the hemlocks, bearded with moss…» C’est avec ces mots que s’ouvrent le célèbre poème Évangéline, a Tale of Acadie de l’auteur américain Henry Wadsworth Longfellow, paru en 1847. C’est dans le cadre enchanteur, bucolique de cette «forêt primitive», remplie de «sapins qui murmurent» et de «pruches revêtues de mousse», à Grand-Pré, que débute le récit tragique d’Évangéline et de son fiancé Gabriel.
La statue emblématique d’Évangéline au site historique de Grand-Pré a 100 ans
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L’histoire raconte la longue quête d’Évangéline à travers l’Amérique naissante pour retrouver son fiancé, Gabriel, dont elle fut séparée lors de la Déportation. Elle retrouvera son amour sur son lit de mort, bien des années plus tard.

Si l’Américain Longfellow a créé le personnage d’Évangéline, c’est le sculpteur québécois Henri Hébert qui l’a immortalisée par sa statue érigée, il y a maintenant cent ans, sur le lieu historique national de Grand-Pré, inscrit depuis 2012 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Domaine public

L’origine de la statue

Henri Hébert a créé la sculpture d’après une statuette en terre cuite intitulée L’Acadie, conçue par son père, Louis-Philippe Hébert. Tous deux étaient considérés comme les meilleurs du Canada à leur époque pour ce genre d’ouvrage. La statuette est aujourd’hui à la galerie d’art de l’Université Acadia, à Wolfville.

© Ministère de la Culture et des Communications

À l’époque, c’est la compagnie de chemin de fer néoécossaise Dominion Atlantic Railway qui a commandé cette statue. La compagnie avait acheté les terres où était situé le cœur de l’ancien village de Grand-Pré au propriétaire John Frederic Herbin.

Celui-ci s’en était porté acquéreur dix ans plus tôt afin de préserver la mémoire de l’endroit et avait tenté en vain de convaincre l’élite acadienne d’y créer un parc commémoratif.

Domaine public

Herbin, un natif de la région habitant tout près de l’ancien village de Grand-Pré, à Wolfville, était Français de par son père, John Herbin, et Acadien de par sa mère, Marie-Marguerite Robichaud. Bijoutier, John (parfois nommé Jean) Frederic Herbin a aussi écrit plusieurs poèmes et romans sur le thème d’Évangéline et de Grand-Pré. Il avait à cœur la préservation et la promotion de l’héritage du peuple acadien.

Toujours est-il que Louis-Philippe Hébert étant décédé, on a demandé à son fils Henri de réaliser l’œuvre. Il s’est alors rendu à Paris pour faire couler la statue de bronze de plus de deux mètres de haut et pesant deux tonnes. En plus de son nom, Henri Hébert a fait graver celui de son père sur la sculpture.

Des problèmes de transports pour envoyer la statue à Montréal sont survenus, si bien qu’elle ne sera placée sur son piédestal à Grand-Pré que quelques heures avant la cérémonie d’inauguration, le 29 juillet 1920.

Wikimedia Commons

Une inauguration très britannique…

Pour l’élite acadienne, ce n’était pas la statue qui était l’élément de plus important du site de Grand-Pré, mais l’érection d’une église commémorative qui symboliserait l’ancienne église de Saint-Charles-des-Mines où, en septembre 1755, les Acadiens de la région avaient été convoqués par les dirigeants militaires dans ce qui n’était qu’un piège pour les emprisonner et les déporter.

En 1919, la compagnie Dominion avait cédé aux Acadiens une partie du site où on allait construire l’église.

Joseph-Yvon Thériault, sociologue à l’UQAM et auteur d’Évangéline : Contes d’Amérique, souligne que l’élite acadienne est à ce moment déjà critique de l’utilisation très commerciale d’Évangéline. «Tellement que les Acadiens ne seront pas présents à l’inauguration de la statue en 1920. La Société Nationale de l’Acadie (appelé alors Société Nationale l’Assomption) était en discussions avec la compagnie de chemin de fer – elle disait : “Si vous voulez une statue d’Évangéline, nous on veut une église, avec une statue de l’Assomption dans l’église.” Donc, déjà une espèce de conflit de mémoire.»

Archives Francopresse

Sans représentants du peuple acadien, la cérémonie va ironiquement se dérouler uniquement en anglais, et dans un cadre très britannique. En effet, l’auditoire est un groupe de journalistes britanniques effectuant un «Imperial Press Tour of Canada» en train.

Et c’est aussi la très britannique Lady Burnham (née Olive de Bathe), épouse de Harry Lawson Webster Levy-Lawson, vicomte de Burnham, et présidente de l’Imperial Press Conference, qui regroupe les journalistes présents, qui aura l’honneur d’inaugurer la statue.

Dans son allocution, Lady Burnham tente de minimiser la Déportation en affirmant que l’Histoire a révélé un nouvel aspect de l’histoire acadienne. «Nous réalisons aujourd’hui que la politique britannique n’était pas aussi sombre qu’elle a été présentée. Quelle que soit la vérité, en tant que femme anglaise, je vais toujours considérer cette histoire comme l’un des épisodes les plus pénibles de notre mémoire.»

Centre d’études acadiennes, Université de Moncton

Certains médias acadiens vont dénoncer la cérémonie. «Un des textes dans le journal L’Évangéline va dire que c’est une Évangéline “impérialisée” qu’on nous propose», mentionne l’historien Maurice Basque, conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton.

«Aujourd’hui, on dirait : vous avez fait de la récupération culturelle. Vous êtes allés chercher un morceau très honteux de votre histoire et vous l’avez repris, et en quelque part, vous le relancez vers le monde comme si, bon, c’est dommage, mais il y a une statue. Elle est élégante.»

Domaine public

La statue d’Évangéline, «un succes-story»

Le site de Grand-Pré, avec la statue et bientôt l’église-souvenir construite en 1922, deviendra rapidement une destination touristique très populaire et un lieu de pèlerinage pour les Acadiens. «C’est vraiment l’histoire d’Évangéline et de Grand-Pré qui va lancer l’industrie touristique néoécossaise, souligne Maurice Basque. Les Américains sont arrivés parce Longfellow était encore étudié dans les écoles publiques aux États-Unis.»

Le gouvernement fédéral se portera acquéreur du site dans les années 1950 et en fera un lieu historique national en 1961.

Dès le début, et aujourd’hui encore, la statue demeure la figure symbolique et la carte postale de Grand-Pré. Le style de la sculpture a fait pour beaucoup dans sa popularité : debout, les mains croisées devant elle, la tête tournée avec un regard mélancolique, elle propose une attitude, disait-on, inspirée de la phrase «pleurant le pays perdu».

Courtoisie Louise Imbeault

Pour Joseph-Yvon Thériault, «elle a la tête tournée et ça représente l’idée que dans le poème, à un moment donné, avant de monter sur le bateau, elle regarde derrière elle et elle voit le village bruler.»

La présidente de la Société nationale de l’Acadie (SNA), Louise Imbeault, voit plutôt dans la statue un regard vers l’avenir : «Quand tu regardes la statue elle-même, ça aurait pu être d’autre chose, ça aurait pu être misérabiliste, défaitiste, la grande déchéance. Au lieu de ça, c’est devenu un symbole de fierté, de résilience.»

Selon l’interprète au site de Grand-Pré Amy Antonick, «en marchant autour de la statue et en regardant son visage, on peut voir que son visage parait jeune d’un côté et plus âgé de l’autre. Alors, il y a un petit mystère-là.»

Courtoisie Parcs Canada

Et c’est à la suite de l’apparition et de la popularité de cette statue que les Acadiens vont s’approprier beaucoup plus le personnage fictif d’Évangéline. Le prénom devient populaire dans les familles et la région la plus acadienne de l’Île-du-Prince-Édouard adopte ce nom, tout comme une petite localité de la Péninsule acadienne, dans le nord du Nouveau-Brunswick.

Bien avant, le principal journal acadien — qui a cessé de paraitre en 1982 — avait été fondé sous ce nom en 1887. Encore aujourd’hui, le Festival acadien de Clare, en Nouvelle-Écosse et celui de Caraquet, au Nouveau-Brunswick, choisissent chaque année une Évangéline et un Gabriel comme ambassadeurs de l’évènement.

La pandémie de COVID-19 empêche la tenue d’une cérémonie pour souligner le centenaire de la statue d’Évangéline. Les responsables du site de Grand-Pré ont invité les gens à réaliser une version «pop-art» d’Évangéline et à leur envoyer le résultat. Certaines images feront partie de la galerie d’art numérique de Parcs Canada.

Courtoisie François Gaudet

Marc Poirier

Journaliste

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