le Lundi 15 septembre 2025

Rhéa Rocque, experte en psychologie de l’environnement, encourage les jeunes à ne pas minimiser les petites actions, car elles ont un impact social.

Photo : Courtoisie

Pour certains jeunes, «l’écoanxiété peut aller jusqu’à de la difficulté à se concentrer à l’école, ne pas faire ses devoirs […], ça peut mener à la dépression, les maux de ventre», déclare Rhéa Rocque, professeure de psychologie à l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba.

Les inquiétudes naissent de la peur face à un avenir incertain annoncé par la communauté scientifique et les médias, avec les problèmes climatiques et d’autres défis connexes à l’environnement, comme la justice environnementale, informe la professeure.

Sophia Mathur, jeune militante de Sudbury, en Ontario, demande plus d’actions gouvernementales contre les changements climatiques. Elle constate que ses propres peurs augmentent en observant les effets du réchauffement climatique, qui ne cessent de s’aggraver.

Transformer la peur et la frustration

Pour vaincre les émotions difficiles, il faut apprendre à réguler et à accepter nos différentes émotions qui provoquent de l’anxiété, en essayant de cultiver en même temps des émotions positives, indique Rhéa Rocque.

Parmi les émotions positives, il y a «l’espoir, la motivation d’agir, le sens de la communauté qu’on peut avoir quand on agit», précise-t-elle.

C’est le cas de Sophia Mathur, qui dit avoir transformé sa peur en motivation pour sensibiliser à la fois son entourage sur la question environnementale et encourager les jeunes qui vivent de l’écoanxiété à faire de même.

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Des petits gestes qui font la différence

Justine Bourgeois, étudiante en troisième année en criminologie et en psychologie à l’Université d’Ottawa, voit aussi cette anxiété, si elle reste modérée, comme un moyen de développer une conscience environnementale et faire plus attention à ses comportements.

Justine Bourgeois raconte avoir développé une conscience environnementale dès l’école élémentaire grâce à son enseignant de sciences, qui faisait des activités en plein air avec la classe. 

Photo : Joube Boyer

Depuis son adolescence, Justine Bourgeois s’inquiète de voir la faune et la flore se dégrader. Elle redoute l’avenir des futures générations et craint aussi la mentalité climatosceptique.

Pour soulager son écoanxiété, l’étudiante entreprend des actions au quotidien pour prendre soin de l’environnement qui l’entoure. Pour elle, prendre le temps de faire son triage pour le recyclage, le compost, les déchets et nettoyer sa cour est important.

«Je ne suis pas la seule qui vit là, il y a des animaux qui viennent là, et puis ils ont besoin de la propreté, par exemple. En ramassant les petits dégâts plastiques que je trouve par terre dans ma cour, ça me soulage que je ne vais peut-être pas trouver un animal en train de s’étouffer dessus, par exemple», explique-t-elle.

Il ne faut pas minimiser les petites actions qui ont une répercussion sociale, souligne Rhéa Rocque. D’autres personnes peuvent remarquer le geste et en être inspirées.

Sophia Mathur conseille aussi aux jeunes de faire d’une pierre deux coups en incluant leurs intérêts pour l’environnement à leurs passions. «Je fais de la danse et j’aime danser, et chaque année, avec mon studio de danse, nous organisons un spectacle de collecte de fonds pour l’environnement», raconte-t-elle.

Les jeunes peuvent aussi discuter avec la direction de leur école pour engager une façon efficace d’aider l’environnement, ajoute la militante.

«Et cela ne vaut pas seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Je veux dire, parler aux parents de leur travail et de leur lien avec la crise climatique. Mon père est médecin et il a travaillé sur la réduction de l’empreinte environnementale à l’hôpital», illustre-t-elle.

À lire : L’impact de la crise climatique et ses conséquences sur la santé physique et mentale des Britanno-Colombiens (Journal La Source)

Affronter l'écoanxiété

Découvrez comment des gens transforment leur inquiétude en actions positives.

Une éducation interactive

Le corps enseignant peut également aider les jeunes à mieux vivre leur écoanxiété en les aidant à développer des émotions positives lorsqu’il est temps d’aborder les questions environnementales, explique Rhéa Rocque.

Selon la militante Sophia Mathur, il faut transformer les émotions négatives que provoque l’écoanxiété en motivation pour sensibiliser son entourage au sujet de l’environnement. 

Photo : Ecojustice

Une activité extérieure peut leur permettre «de tisser leur relation avec la nature et ils vont pouvoir en tirer les bienfaits», précise la professeure.

Justine Bourgeois cite justement son enseignant de sciences à l’école élémentaire, qui était passionné par la nature. Grâce à son exemple, elle a développé un intérêt pour l’environnement dès l’enfance.

«On avait un parc ou une petite forêt en arrière de notre école et il nous amenait là pour nous montrer des choses dans la nature, c’était vraiment interactif», se souvient-elle.

Pour assurer un meilleur apprentissage, Rhéa Rocque encourage aussi les enseignants à adapter les informations sur le réchauffement climatique selon la catégorie d’âge ou de niveau scolaire des jeunes.

Un programme psychoéducatif pour les adolescents

Rhéa Rocque, professeure en psychologie et experte en psychologie de l’environnement, mène actuellement une recherche avec des collègues de diverses universités qui devrait être publiée l’année prochaine.

Ils explorent le développement, l’implantation et l’évaluation d’un programme psychoéducatif de groupe qui fait la promotion de l’adaptation psychologique aux changements climatiques auprès des adolescents.

Souvent, les réflexes, ça va être de bombarder les jeunes d’informations difficiles et on va penser que si on les stresse, ils vont agir. Il n’y a personne qui marche comme ça, c’est la pire méthode.

— Rhéa Rocque, professeure de psychologie

Pour ne pas se noyer dans une marée de contenus inquiétants, Sophia Mathur suggère aux jeunes d’équilibrer leur consommation d’information pour inclure des nouvelles positives sur le climat.

De son côté, Rhéa Rocque rappelle toutefois que si des jeunes ressentent des symptômes de dépression et sont paralysés en raison de leur écoanxiété, il est indispensable d’aller voir un professionnel pour en discuter.

«Des mesures doivent être prises rapidement pour accroitre l’immigration francophone dans les communautés francophones en situation minoritaire et au Québec», alertent les parlementaires dans un communiqué de presse.

Dans son plus récent rapport, intitulé Ouverture sur la Francophonie internationale : Optimiser l’immigration francophone au Canada, le Comité permanent des langues officielles présente 19 recommandations au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Canada (IRCC).

«À l’heure actuelle, le recrutement et l’intégration d’immigrants ayant le français comme première langue officielle parlée sont parmi les moyens les plus importants pour accroitre le nombre de francophones au pays», peut-on lire dans le document.

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Le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes est composé de 12 députés.

Il est présidé par René Arseneault, député libéral du Nouveau-Brunswick et ses vice-présidents, le conservateur Joël Godin et le bloquiste Mario Beaulieu, tous deux du Québec.

Les autres membres du comité sont : les conservateurs Marc Dalton (Colombie-Britannique), Bernard Généreux (Québec), Stephanie Kusie (Alberta); les libéraux Francis Drouin (Ontario), Angelo Iacono (Québec), Annie Koutrakis (Québec), Darrell Samson (Nouvelle-Écosse) et Marc Serré (Ontario) et la néodémocrate Niki Ashton (Manitoba).

Augmenter la cible en immigration

La première recommandation faite au ministre de l’Immigration, Marc Miller, est de reconnaitre que les cibles fixées pour augmenter le taux actuel de l’immigration francophone ne sont pas suffisantes.

Au début du mois de novembre 2023, Marc Miller avait annoncé vouloir atteindre une cible progressive allant de 6 %, en 2024, à 8 % en 2026.

Dans cette optique, les parlementaires rappellent que l’immigration francophone est inscrite dans le préambule de la nouvelle loi sur les langues officielles, et reconnue comme un moteur économique et démographique.

La Loi modernisée impose de nouvelles obligations en matière d’immigration francophone au ministre de l’IRCC.

— Le Comité permanent des langues officielles

Par ailleurs, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) avait démontré son insatisfaction face à l’annonce de Marc Miller.

L’organisme souhaiterait voir une cible de 12 % en 2024, qui grimperait progressivement à 20 % en 2036, afin de rétablir le poids démographique des francophones en situation minoritaire à 6,1 %, soit celui du recensement de 1971.

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Reconnaissance des diplômes

Les parlementaires demandent aussi au ministre Marc Miller d’améliorer le processus de reconnaissance des titres et des compétences étrangers, en travaillant de concert avec les provinces et les territoires.

L’objectif est de «combler la pénurie de main-d’œuvre dans les communautés francophones en situation minoritaire, notamment dans les domaines de la petite enfance, de l’éducation et de la santé et que [le ministre de l’Immigration] tienne compte des besoins des communautés rurales», avance le rapport.

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Lors des réunions du comité, plusieurs témoins ont soutenu que le processus de reconnaissance des acquis était un frein à l’intégration socioéconomique des immigrants dans les communautés francophones en situation minoritaire.

Le directeur général de la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM), Alain Laberge, avait affirmé, lors d’une audience le 16 juin 2023, qu’il était difficile pour les régions ou les communautés éloignées de retenir des enseignants et le personnel.

«Nous ne [pouvons] pas accorder le statut d’enseignant aux cinq, six, sept ou huit enseignants que nous pourrions avoir tant et aussi longtemps que leur diplôme ne sera pas reconnu au Canada, avait-il partagé aux parlementaires. Cela implique souvent un retour à l’université pour eux.»

Favoriser la rétention et le recrutement

Martin Normand a témoigné devant le Comité permanent des langues officielles le 27 septembre 2023. 

Photo : Guillaume Lamy

Selon le rapport, Alain Laberge soutient que des mesures peuvent être prises en charge par le gouvernement pour favoriser la rétention et le recrutement du personnel des écoles au sein des communautés linguistiques en milieu minoritaire.

Le directeur général suggère, entre autres, la mise en place d’échanges culturels professionnels, culturels scolaires, une perméabilité de la reconnaissance des diplômes et des crédits secondaires et universitaires, ou encore l’octroi de bourses pour des stages en milieu minoritaire.

Par ailleurs, lors de son témoignage devant le comité le 27 septembre 2023, le directeur de la recherche stratégique à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), Martin Normand, a tenu à souligner que même si la reconnaissance des acquis est prise en charge par les gouvernements provinciaux et territoriaux, la certification peut être difficile à obtenir pour les francophones vivant en milieu minoritaire, en raison du manque de personnel qualifié pour évaluer leurs compétences.

Dans leur rapport, les parlementaires préconisent également au ministre d’IRCC d’élaborer un programme économique pour l’immigration francophone dans les communautés linguistiques minoritaires et de traiter rapidement les demandes de permis de travail postdiplôme des étudiants étrangers francophones.

D’autres recommandations touchent la présence de bureau d’immigration du Canada dans les pays de l’Afrique francophone, la fraude et les services d’établissement.

Rapport bien accueilli

Liane Roy apprécie le travail des parlementaires découlant du cinquième rapport du Comité permanent des langues officielles. 

Photo : Chantallya Louis – Francopresse

Dans une déclaration fournie par courriel, la FCFA qualifie le rapport de «très étoffé» et d’«utile» pour le gouvernement et les communautés.

«C’est aussi très significatif que le rapport ait été endossé par tous les partis», a ajouté la présidente de la FCFA, Liane Roy.

De son côté, un porte-parole d’IRCC, Remi Lariviere, soutient, dans une déclaration écrite, que le ministère accueille favorablement le document des députés : «Nous sommes en train d’examiner le rapport et ses recommandations afin de déterminer la meilleure voie à suivre.»

Le nouveau budget fédéral ne se contente pas d’augmenter les impôts des plus riches, il tente aussi de faciliter la remise des prestations sociales aux plus pauvres.

Antoine Genest-Grégoire, fiscaliste, explique qu’il y a des différences entre provinces. Le nombre de non déclarants est très élevé en Ontario et plus faible au Canada atlantique.

Photo : Courtoisie

Au cours de l’été 2024, l’Agence du revenu du Canada (ARC) mènera un projet pilote de production automatique de déclarations fiscales, par papier ou voie numérique, pour les contribuables aux revenus les plus modestes.

Autrement dit, les personnes avec de faibles revenus n’auront pas à remplir de déclaration. C’est l’ARC qui s’en chargera à leur place, en utilisant les renseignements à sa disposition. Les contribuables n’auront qu’à valider les informations préremplies par l’administration et à répondre à une série de brèves questions pour les éléments auxquels l’ARC n’a pas accès.

«Il s’agit d’une démarche proactive du gouvernement pour ramener les gens vers l’impôt. Ottawa semble prêt à investir des ressources humaines et financières», salue Antoine Genest-Grégoire, professeur adjoint de fiscalité à l’Université Sherbrooke, au Québec.

Le fiscaliste reste néanmoins prudent. Un projet similaire, promis dans le budget de 2023, n’a jamais abouti.

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Un million de dollars «dans les coffres fédéraux»

Si Ottawa veut simplifier les démarches fiscales, c’est parce que remplir sa déclaration de revenus reste obligatoire pour avoir droit aux diverses remises monétaires du gouvernement.

«Trop de gens pensent à tort qu’ils ne doivent pas faire de déclaration, parce qu’ils ne gagnent pas ou très peu d’argent. Résultat, ils se privent automatiquement de nombreuses prestations», regrette Mallory Chafe, porte-parole de l’ARC au Canada atlantique.

Elle cite, entre autres, l’Allocation canadienne pour enfant, la Remise canadienne sur le carbone ou encore le crédit pour la TPS/TVH.

En Alberta, Mafily Mae Diabagate constate que de nombreux nouveaux arrivants viennent frapper à la porte du comptoir d’impôts gratuit au sein duquel elle est bénévole. 

Photo : Courtoisie

Mafily Mae Diabagate, bénévole au sein d’un comptoir d’impôts gratuit dans le nord de l’Alberta, confirme le «flou qui entoure systématiquement les taxes» : «Les gens ne savent pas s’ils doivent déclarer, ce qu’ils doivent déclarer, quand et où ils doivent le faire.»

«Les plus modestes n’ont pas non plus l’argent pour payer un comptable qui remplira leur formulaire de taxes pour 60 ou 80 dollars», ajoute l’employée de Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP) dans la région de Wood Buffalo.

Une étude de 2020 a révélé qu’environ 10 à 12 % des individus résidants au Canada ne font pas leur déclaration d’impôt. En d’autres termes, entre 1,2 et 2 millions de personnes ne touchent pas les prestations sociales auxquelles elles pourraient avoir accès.

«On parle de millions de dollars en prestations et en crédits d’impôt qui dorment dans les coffres fédéraux», souligne François Boileau, ombudsman des contribuables du Canada.

Jeunes et nouveaux arrivants hors des radars

Mallory Chaffe, porte-parole de l’ARC au Canada atlantique, assure que beaucoup de gens ne remplissent pas de déclaration d’impôt, parfois pendant plusieurs années. 

Photo : Courtoisie

À Halifax, Mallory Chafe confirme que beaucoup de gens «ne font pas de déclaration pendant plusieurs années, dix ans parfois» et elle constate même une augmentation depuis la pandémie.

Il existe aussi des disparités entre provinces. Si le taux de non-déclaration est faible au Québec et au Canada atlantique, il reste très élevé en Ontario.

Antoine Genest-Grégoire avance qu’une partie de l’explication réside dans le profil démographique de ces régions : «Les ainés sont ceux qui déclarent le plus, or la population du Québec et de l’Atlantique est plus vieillissante qu’ailleurs.»

Selon Statistique Canada, environ 17 % des personnes gagnant moins de 20 000 dollars et quelque 15 % des 18 à 24 ans n’ont pas produit de déclaration en 2020.

«Les non déclarants sont majoritairement des jeunes encore aux études et des individus dans des situations de logement ou de santé précaires, qui ne travaillent pas ou peu», appuie Antoine Genest-Grégoire.

Les immigrants récemment arrivés sur le sol canadien, y compris les étudiants étrangers, ont également tendance à se tenir éloignés du système fiscal et à disparaitre des radars de l’ARC.

«Ils découvrent une fiscalité très complexe, ce n’est pas évident pour eux alors que leur vie est déjà compliquée», affirme Mafily Mae Diabagate.

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Simplifier le langage fiscal

Antoine Genest-Grégoire estime par ailleurs que la «dimension punitive» de l’ARC effraie les contribuables : «Ce n’est pas évident, ils ne savent pas ce qui peut leur arriver s’ils se trompent.»

L’ombudsman des contribuables, François Boileau, appelle l’ARC à travailler plus étroitement avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Statistique Canada pour mieux connaitre la «composition socio-démographique» des non déclarants et élaborer des stratégies efficaces à même de les rejoindre. 

Photo : Courtoisie

François Boileau abonde dans le même sens. «Même sur le site de l’Agence du revenu, on parle de milliers de pages qui sont disponibles, ils essayent d’écrire en langage le plus simple possible, mais ce n’est pas toujours le cas.»

L’ombudsman invite l’agence fédérale à améliorer son travail de communication afin de rejoindre des populations vulnérables qui ne sont pas du tout «branchées».

Du côté de l’ARC, Mallory Chafe se veut rassurante et encourage les gens à se manifester auprès des autorités fiscales. «Il ne faut pas avoir peur, pour les plus modestes, il n’y a pas beaucoup de gens qui devront payer à la fin de l’année.»

«Les gens sont souvent surpris, ils ignorent que déclarer leur donne accès à de nombreuses prestations», poursuit-elle.

Après avoir procédé aux vérifications nécessaires, l’ARC peut même verser des montants qui n’ont pas été réclamés jusqu’à dix ans en arrière.

Quelles que soient les possibilités de régularisation, Antoine Genest-Grégoire appelle avant tout à réduire la complexité du système fiscal canadien. Pour tenter d’introduire un peu de transparence dans la jungle des crédits d’impôt, prestations et déductions en tout genre.

Des bénévoles au service de l’impôt

Depuis 1971, l’ARC mène avec des organismes communautaires le Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt (PCBMI).

Aux quatre coins du pays, des bénévoles, formés par l’ARC, renseignent les contribuables moins fortunés sur le système fiscal canadien tout en les aidant à remplir leur déclaration.

«La demande augmente chaque année», rapporte Mallory Chafe. La porte-parole de l’ARC au Canada atlantique évoque des profils très divers, aussi bien des étudiants que des nouveaux arrivants, des Autochtones que des personnes en situation de handicap.

En 2023, 1800 bénévoles ont aidé 82 000 individus à déclarer leurs impôts dans les provinces à l’est du Québec.

Dans le nord de l’Alberta, Mafily Mae Diabagate, bénévole au sein d’un comptoir d’impôts gratuit, parle également de «besoins énormes» : «Nous avons du mal à répondre à la demande. Nous sommes limités à cause d’un manque de bénévoles.»

Si la date limite pour soumettre sa déclaration est le 30 avril, certains comptoirs d’impôts restent ouverts toute l’année. «Il n’est jamais trop tard, on peut demander de l’aide n’importe quand», insiste Mallory Chafe.

Dans le budget fédéral, déposé mardi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, le gouvernement prévoit de verser sur cinq ans 26 millions de dollars au ministère du Patrimoine canadien, au Secrétariat du Conseil du Trésor et au Commissariat aux langues officielles, afin d’appuyer la mise en œuvre de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

Liane Roy est satisfaite des nombreuses annonces du budget 2024 pour les services de garde et la mise en œuvre de la nouvelle Loi sur les langues officielles, mais elle reste déçue du manque de financement pour les organismes francophones en milieu minoritaire.

Photo : Chantallya Louis – Francopresse

«Ce sont de très bonnes nouvelles, parce qu’on avait demandé qu’il y ait des fonds d’alloués spécifiquement pour ça. Ça nous réjouit beaucoup [de savoir] qu’on a été entendus sur cette demande-là», lance la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Liane Roy.

Même son de cloche du côté de Guillaume Deschênes-Thériault, doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Cependant, «les détails, comment est-ce que cette enveloppe-là va être distribuée [sont absents], mais en soi, c’est une bonne nouvelle qu’on ait investi pour la mise en œuvre de la loi», précise-t-il.

À lire : Budget 2024 : Ottawa garde une petite place pour la francophonie

Pas de financement pour les organismes de la francophonie

Par contre, «il n’y a pas de fonds spécifiques qui vont pour le financement de base des organismes de la francophonie canadienne», se désole Liane Roy.

Martin Normand regrette l’absence de fonds permanents pour le postsecondaire francophone en milieu minoritaire. «On ne peut pas renouveler le secteur à coup d’initiatives ponctuelles.»

Photo : Guillaume Lamy

En 2022, la FCFA démontrait, par le biais d’un mémoire, que les organismes francophones et acadiens du Canada étaient en situation précaire.

Alors que l’organisme demandait une augmentation de 280 millions de dollars sur cinq ans pour le financement de base des organismes de la francophonie canadienne, le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 proposait seulement 62,5 millions sur cinq ans.

«On pensait peut-être qu’il allait y avoir une bonification dans le budget cette année», indique Liane Roy.

Par ailleurs, elle ajoute que l’allocation des fonds annoncés dans le Plan d’action en avril 2023 s’est fait «très, très tard», soit juste avant la fin de l’année fiscale, ce qui a causé des mises à pied dans plusieurs organismes et associations francophones, assure-t-elle.

Une promesse non tenue pour les collèges et les universités

Lors de sa dernière campagne électorale, Justin Trudeau avait promis un investissement permanent de 80 millions de dollars par année pour les collèges et les universités francophones à l’extérieur du Québec.

Guillaume Deschênes-Thériault se réjouit du financement de 9,6 millions de dollars pour accroitre la capacité des tribunaux à fournir des décisions traduites en français et en anglais. 

Photo : Courtoisie

Cependant, seulement 128 millions de dollars sur cinq ans ont été alloués dans le cadre du Plan d’action sur les langues officielles, en plus des 30,4 millions pour la période 2023-2024 qui avaient été annoncés dans le budget de 2021.

«C’est une promesse du Parti libéral qu’on avait l’espoir de voir se concrétiser», souligne le directeur de la recherche stratégique et des relations internationales de l’Association des collèges et des universités de la francophonie canadienne (ACUFC), Martin Normand.

Que ça soit en matière d’infrastructure, d’offres de programmes, d’incitatifs, etc., «il y a plein de choses qu’on pourrait faire avec ce 80 millions-là pour rendre le secteur postsecondaire francophone encore plus attrayant qu’il l’est pour la clientèle domestique».

Guillaume Deschênes-Thériault est du même avis. Un financement de cette envergure «permettrait une meilleure stabilité financière des établissements et de contribuer à leur développement et aussi de contribuer de manière large à la vitalité des communautés, parce que les universités et collèges jouent un rôle important à la vitalité des communautés francophones».

À lire : Postsecondaire francophone : le fédéral n’assume pas toutes ses responsabilités

Une tentative pour sauver les meubles en arts et cultures

La présidente de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Nancy Juneau, salue les efforts apportés par la ministre Chrystia Freeland pour soutenir le secteur culturel canadien, «mais on ne peut pas dire que ça répond aux besoins de l’ensemble du milieu».

Selon elle, l’enveloppe de 31 millions de dollars sur deux ans proposée dans le budget pour le Fonds du Canada pour la présentation des arts reste une reconduite des montants supplémentaires qui avaient été octroyés pendant la pandémie.

«Le milieu avait demandé qu’un 31 millions soient ajoutés et ça, ça n’a pas été fait […]. Ça remet les organismes encore dans un statut de précarité parce qu’on ne peut pas planifier à long terme», déplore-t-elle.

Nancy Juneau donne aussi l’exemple des 10 millions de dollars sur trois ans qui ont été ajoutés au Fonds du livre du Canada : «C’est à peine un tiers de ce que demandait le secteur, soit 35 millions sur 3 ans.»

L’impression globale que j’ai, c’est qu’on a tenté de sauver les meubles.

— Nancy Juneau, présidente de la FCCF

De son côté, l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC) se réjouit des annonces de la ministre.

Selon l’organisme, les 42 millions de dollars supplémentaires pour CBC/Radio-Canada pour l’année 2024-2025 sont aussi une bonne nouvelle pour les communautés de langue officielle en milieu minoritaire. Ce montant aidera la société d’État à «rendre compte de la diversité régionale du pays et refléter la situation et les besoins particuliers des collectivités de langue officielle», rapporte l’APFC par voie de communiqué.

Nancy Juneau soutient que le milieu culturel canadien est toujours fragilisé par la précarité des emplois, la pénurie de main-d’œuvre et l’augmentation faramineuse du cout de la vie. 

Photo : Courtoisie

Par ailleurs, le coprésident de Réseau.Presse (organisme éditeur de Francopresse), Nicolas Jean, se réjouit de savoir que le gouvernement reconnait l’importance de desservir les communautés rurales, éloignées, et de langue minoritaire à travers l’Initiative de journalisme local (IJL).

Néanmoins, «il ne faut pas perdre de vue que nos journaux [membres] contribuent déjà à renforcer la démocratie de ces communautés en couvrant des enjeux locaux qui n’auraient pas été abordés autrement», partage-t-il par courriel.

Bien que Nicolas Jean voit d’un bon œil le réinvestissement de 58,8 millions de dollars sur trois dans l’IJL, confirmé le 1er mars dernier, il aurait aussi voulu voir un allègement des critères entourant l’accréditation d’organisation journalistique canadienne qualifiée (OJCQ), pour obtenir un crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique.

«Malheureusement, quelque 85 % de nos journaux n’y sont pas admissibles, car ils n’ont pas les moyens d’employer deux journalistes, une des conditions essentielles pour obtenir l’accréditation de l’OJCQ», avance-t-il.

Ottawa s’apprête à mettre en œuvre une importante réforme de sa fiscalité. Plutôt que de couper dans ses dépenses pour financer ses programmes et équilibrer le budget, le gouvernement augmentera substantiellement ses revenus.

Les quelque 40 000 contribuables les plus fortunés du pays, ceux dont les revenus annuels bruts sont de plus de 1,4 million de dollars en moyenne, se partageront une facture de près de 19,4 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.

Le gouvernement fait passer la portion imposable des gains en capital de 50 % à 66,6 % à partir du 25 juin. Pour les particuliers, ce changement s’appliquera seulement aux gains en capital dépassant 250 000 dollars.

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Piger dans les poches des plus riches

Le gouvernement a pris soin, dans la mesure du possible, d’exempter les propriétaires de petites entreprises pour aller chercher l’argent dans les poches des plus riches ou de leurs fiducies.

Les gains en capital sont les revenus qu’un particulier ou une entreprise tire de la vente d’un bien immobilier ou d’actifs financiers, comme des actions. Les contribuables les plus riches déclarent davantage de gains en capital que la classe moyenne et bénéficient donc d’un taux d’imposition avantageux.

Autrement dit, ils ne paient pas leur juste part d’impôt.

En faisant entrer en vigueur cette augmentation le 25 juin, le gouvernement fait le pari que les contribuables visés liquideront une part de leurs actifs avant cette date. Ottawa espère de la sorte engranger 6,9 milliards de dollars dès cette année.

Et c’est ainsi que les libéraux ont résolu la quadrature du cercle.

Le déficit que tout le monde voyait exploser, y compris le directeur parlementaire du budget pas plus tard que le mois dernier, restera conforme aux attentes de la mise à jour économique de l’automne pour s’établir à un peu moins de 40 milliards de dollars.

Il n’y a pas de retour à l’équilibre budgétaire en vue, mais le gouvernement prévoit que le déficit se résorbera progressivement.

De toute manière, tant que le déficit se situe autour de 1 % du produit intérieur brut, il n’y aura aucune inquiétude des marchés ou des agences de notation.

À moins que les prévisions économiques les plus pessimistes ne se concrétisent, le gouvernement pourrait même jouir d’une marge de manœuvre pour son budget de 2025, qui annoncera son programme électoral.

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Un calcul politique astucieux

En proposant de financer des programmes couteux, mais populaires, le gouvernement libéral de Justin Trudeau se distinguait déjà de son adversaire conservateur. En le faisant en augmentant massivement les impôts des plus riches plutôt qu’en creusant le déficit, il vient rendre la distinction encore plus nette.

Pierre Poilievre martèle depuis des semaines ses thèmes de campagne. Il souhaite baisser les impôts, équilibrer le budget, bâtir des logements et réduire la criminalité. Il peut bien s’opposer à des programmes sociaux couteux, mais si le déficit est maitrisé, son programme d’austérité sera moins attrayant pour les électeurs.

Il sera aussi difficile pour les conservateurs de s’insurger contre l’augmentation du fardeau fiscal des plus riches.

Dans un tel contexte, que fera Pierre Poilievre? Réduire le déficit est un objectif louable, mais à quel prix? En supprimant le nouveau programme d’assurance dentaire? En reculant sur l’implantation de places en garderie à 10 $ par jour?

Certainement pas en réduisant les nouvelles dépenses militaires annoncées la semaine dernière. Faire des compressions dans la fonction publique sans nuire aux services a ses limites, et trouver des dizaines de milliards de dollars de cette manière est une lubie.

Courtiser les millénariaux et la génération Z

Le gouvernement Trudeau a dans sa mire les électeurs de 40 ans et moins. C’est la tranche démographique la plus susceptible de voter pour lui aux prochaines élections s’il peut réussir à faire sortir leur vote.

La question de l’accès au logement abordable et à la propriété est cruciale pour ces électeurs et le gouvernement multiplie les mesures en ce sens. Il veut construire des logements abordables ou à vocation sociale sur ses terrains inutilisés, faciliter l’accès au financement des premiers acheteurs et se porter à la défense des locataires.

Il manque plus de trois-millions de logements au Canada pour rééquilibrer le marché. Étant donné l’ampleur du problème, les nouvelles sommes consacrées à cet enjeu dans le budget sont étonnamment limitées. Le gouvernement prévoit seulement un à deux-milliards de dollars de nouveaux investissements par an au cours des cinq prochaines années.

La ministre Freeland a déclaré en conférence de presse que la solution à ce problème n’est pas d’octroyer davantage de fonds fédéraux, mais de réduire le fardeau administratif.

En ce sens, le gouvernement Trudeau empiète largement sur les champs de compétence provinciale et municipale. Il rend le financement fédéral conditionnel à l’adoption de ses solutions.

Par exemple, le nouveau Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement, qui sert à financer les infrastructures municipales, exige des villes qu’elles adoptent de nouveaux règlements de zonage qui favorisent la densification. C’est une stratégie qui semble calquée sur les propositions des conservateurs.

Le gouvernement met en place ou bonifie un ensemble d’autres mesures qui ciblent spécialement les jeunes adultes : amélioration des programmes de prêts et bourses d’études, investissement dans la formation professionnelle, augmentation du nombre de places abordables en garderie, création d’un programme d’alimentation scolaire, etc.

Les pions sont en place. Reste à voir si la stratégie du gouvernement lui permettra de remonter dans les intentions de vote.

Des nuages à l’horizon

En terminant, mentionnons que même si les perspectives budgétaires semblent bonnes, plusieurs risques pèsent sur les finances du gouvernement.

Si les revenus ne sont pas au rendez-vous dans les prochaines années, le gouvernement pourrait perdre le contrôle de la dette. La planification budgétaire du gouvernement dépend d’une baisse prochaine des taux d’intérêt et d’une croissance régulière de l’économie.

Du côté des dépenses, avec le vieillissement de la population canadienne, les prestations aux personnes âgées pèsent de plus en plus lourd dans les finances du gouvernement. C’est déjà le programme fédéral le plus couteux.

Le gouvernement versera plus de 80 milliards de dollars à plus de 7 millions de personnes âgées en 2024-2025. Cette somme s’élèvera à plus de 100 milliards de dollars par année dans cinq ans.

Les transferts en santé arrivent au deuxième rang des programmes les plus couteux, et la croissance des dépenses dans ce secteur est aussi liée au vieillissement de la population.

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.

À plusieurs reprises dans le document de plus de 450 pages, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, rapporte que son gouvernement veut protéger les droits en matière de langues officielles.

Dans cette optique, 26 millions de dollars seront versés sur cinq ans au ministère du Patrimoine canadien, au Secrétariat du Conseil du Trésor et au Commissariat aux langues officielles afin d’appuyer la mise en œuvre de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

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Accroitre la capacité de traduction

À partir de l’année fiscale 2024-2025, le gouvernement fédéral propose une enveloppe de 31,9 millions de dollars sur cinq ans au Bureau de la traduction de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC). L’objectif est d’accroitre la capacité de traduction et d’interprétation au sein du Parlement. Trois-millions de dollars seront versés annuellement après 2028-2029.

Bien que le document précise que la pénurie de main-d’œuvre et le manque de ressources ont mis «à rude épreuve les services de traduction, mettant en péril la capacité des gens à participer à la démocratie», le plan n’établit pas comment le montant permettra d’augmenter le nombre d’interprètes et de traducteurs dans la sphère politique fédérale. 

Toutefois, le gouvernement propose d’ajouter à cette enveloppe 1,1 million de dollars sur cinq ans à compter de 2023-2025 et 200 000 par la suite pour établir un programme de bourses d’études au sein de SPAC. «Le financement proviendra de ressources existantes du ministère», précise-t-on dans le budget.

Le gouvernement prévoit également d’investir 9,6 millions de dollars sur trois ans pour le Service administratif des tribunaux judiciaires, à compter de 2024-2025, pour accroitre sa capacité à fournir des décisions traduites au sein des juridictions fédérales.

Par ailleurs, parmi les mesures législatives annoncées, le gouvernement fédéral propose de modifier la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada «afin de corriger une erreur technique qui empêcherait les personnes salariées, éventuelles et anciennes, de porter plainte auprès du commissaire aux langues officielles», promet le budget.

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Culture et médias

Un montant de 10 millions de dollars sur trois ans sera ajouté au Fonds du livre du Canada afin de promouvoir davantage les auteurs et autrices au pays et à l’étranger. Le Fonds est géré par Patrimoine canadien, qui déterminera s’il y aura une portion réservée pour les livres en français hors Québec.

Aucune nouvelle mesure n’est proposée pour les médias autres que CBC/Radio-Canada. La société d’État pourrait bénéficier d’un investissement supplémentaire de 42 millions de dollars cette année «pour les émissions d’actualité et de divertissement».

Même si on indique que ce financement donnera accès à des émissions pour tous, «y compris les communautés rurales, éloignées, autochtones et de langue minoritaire», la portion pour la programmation en français en milieu minoritaire reste à préciser par le diffuseur public.

Patrimoine canadien disposera, pour sa part, de 15 millions de dollars supplémentaires pendant deux ans pour appuyer les services de programmation d’intérêt public. 

La chaine de télévision parlementaire CPAC recevra quant à elle 5 millions en 2024-2025 pour appuyer ses besoins en capital. Les 10 millions restant seront distribués à des services comme TV5 Québec Canada et le Réseau de télévision des peuples autochtones (RTPA).

Chrystia Freeland prévoit que les frais de la dette publique s’élèveront à 54,1 milliards de dollars en 2024-2025. 

Photo : Julien Cayouette – Francopresse

Améliorer les services dans les communautés rurales

Le gouvernement tente d’attirer plus de diplômés dans le domaine de la santé et les services sociaux dans les régions rurales et éloignées.

Le programme d’exonération de remboursement de prêts d’études canadiens sera étendu aux spécialistes de la santé qui choisissent de pratiquer hors des grands centres. Les métiers ciblés incluent les dentistes, les pharmaciens, les sagefemmes et les psychologues. 

Le personnel enseignant fait également partie de cette liste. Les éducatrices de la petite enfance, les médecins et le personnel infirmier avaient déjà droit à une exonération.

Le gouvernement estime que les nouveaux métiers ajoutés à la liste lui couteront 253,8 millions de dollars sur quatre ans, à compter de 2025-2026, et à 84,3 millions de dollars par la suite.

Cependant, le budget ne présente aucun plan pour promouvoir ces services en français dans les communautés francophones en milieu minoritaire.

Augmenter les bourses d’études

Quelques mesures dans le budget visent à faciliter l’accès aux études postsecondaires.

Le gouvernement prévoit rendre permanente la hausse des bourses d’études canadiennes, qui était passée de 3000 dollars à 4200 dollars pour l’année 2023 à 2024 pour les étudiants dans le besoin.

De plus, «à compter de 2028-2029, un régime enregistré d’épargne-études serait ouvert automatiquement pour tous les enfants admissibles nés à partir de 2024, et les paiements admissibles du Bon d’études canadien y seraient déposés automatiquement», est-il écrit.

Depuis 2004, les parents devaient ouvrir un Régime enregistré d’épargne-études (REEE) pour recevoir la contribution du gouvernement, qui peut aller jusqu’à 2000 dollars.

Selon ses estimations, le gouvernement croit qu’il devra investir 161,9 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2024-2025 et 148,8 millions de dollars par la suite pour remplir les demandes de Bon d’études.

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Les grands oubliés francophones du budget

Lors de sa campagne électorale en 2021, le premier ministre Justin Trudeau avait promis une enveloppe de 80 millions de dollars par année pour les établissements postsecondaires francophones en situation minoritaire.

Dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles, lesdits établissements recevront un financement de 128 millions de dollars sur quatre ans.

Même si elle reste satisfaite de l’annonce, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) croit à l’importance de respecter la promesse initiale pour contrer le sous-financement de ses membres.

«Le 32 millions [par année] pour 4 ans, c’est loin de ce que la promesse avait formulé», avait lancé Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales de l’organisme en septembre dernier.

Malgré les nombreuses mesures annoncées par le gouvernement, entre autres pour la construction de plus de logements, la défense nationale et l’intelligence artificielle, le gouvernement prévoit un déficit de 39,8 milliards de dollars. 

Cependant, les frais de la dette publique s’élèveront à 54,1 milliards de dollars, une augmentation par rapport aux projections de l’énoncé économique de 2023, qui s’élevait à 52,4 milliards. 

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Avec la collaboration de Julien Cayouette

Dans son budget 2024-25, le gouvernement fédéral annonce 11,9 milliards de dollars de nouvelles dépenses. La plupart ont déjà été présentées. Depuis deux semaines, les annonces concernant le logement, la défense et l’intelligence artificielle se sont multipliées.

De nouvelles dépenses viennent s’y ajouter, notamment pour les l’éducation et la santé des Autochtones.

Pour financer tous ces programmes, le gouvernement a choisi de procéder à une importante réforme de la fiscalité.

En ce moment seulement 50 % des gains en capital sont imposables. Cette proportion passera au deux tiers, ou 66,7 %, à partir du 25 juin.

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Le gouvernement évalue qu’il récupèrera 19,4 milliards de dollars sur cinq ans grâce à cette mesure, dont 6,9 milliards seulement en 2024-25.

Les gains en capital peuvent être tirés de la vente d’actifs matériels, comme un chalet ou un immeuble à logement par exemple, mais aussi d’actifs financiers comme des actions ou des obligations. 

Les personnes les plus riches sont beaucoup plus susceptibles de déclarer des gains en capitaux substantiels. Ce type de revenu bénéficie d’un taux d’imposition moins important que les travailleurs de la classe moyenne, dont la totalité du revenu d’emploi est imposable.

Exemption pour les entrepreneurs

Afin d’éviter de pénaliser les petits entrepreneurs, cette augmentation du taux d’inclusion n’affectera pas les personnes qui déclarent des gains en capital de moins de 250 000 dollars par an. 

Grâce à cette exemption, la réforme touchera seulement les 40 000 contribuables les plus riches au pays, selon Ottawa.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, fait de l’équité intergénérationnelle un thème majeur de ce budget. Pour favoriser l’entrepreneuriat et le transfert des entreprises, le budget ajustera la fiscalité pour encourager les jeunes entrepreneurs à se lancer en affaires. Ils pourront accumuler des crédits pour réduire leur taux d’inclusion de gain en capital.

Les plus vieux entrepreneurs pourront en contrepartie bénéficier d’une exemption d’impôt plus généreuse lorsqu’ils vendent leur entreprise après l’avoir opérée pendant de longues années.

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Un déficit sous contrôle

Malgré une forte croissance des dépenses, Ottawa profite d’une conjoncture économique plus favorable que prévu. La récession anticipée après le resserrement du taux directeur ne s’est pas matérialisée. 

Dans ce contexte et en y ajoutant les revenus de la réforme fiscale, l’ampleur du déficit fédéral devrait rester conforme aux attentes.Il devrait s’élever à 39,8 milliards pour l’exercice budgétaire 2024-25. Ce qui représentera environ 1,3 % du produit intérieur brut (PIB).

Le gouvernement ne prévoit toujours pas de retour à l’équilibre budgétaire dans les prochains cinq ans. Le déficit devrait cependant se résorber progressivement durant cette période pour atteindre 20 milliards de dollars.

La dette fédérale nette devrait s’élever à 42,7 % du PIB cette année. Le gouvernement a comme objectif de réduire la proportion de la dette par rapport au PIB sous la barre des 40 % d’ici cinq ans.

En avril 2024, l’ACUFC a déposé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles pour contester la décision du gouvernement fédéral de plafonner le nombre de permis d’étude des étudiants étrangers. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Il y a un an et demi, le rapport final des États généraux sur le postsecondaire francophone en contexte minoritaire tirait la sonnette d’alarme. Il insistait sur la nécessité pour les établissements de recevoir plus de financement de la part du gouvernement fédéral.

Le 11 avril, lors d’une audience devant le Comité permanent des langues officielles, Martin Normand, directeur de la recherche stratégique à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), a rappelé que les collèges et universités francophones continuent de souffrir en attendant que le gouvernement en fasse plus.

«Le fédéral a aussi des responsabilités qu’il n’assume pas nécessairement en ce moment. Il doit prendre acte des nouvelles obligations qui lui reviennent dans la Loi sur les langues officielles», a-t-il lancé devant le Comité.

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Une stratégie nationale demandée

La sénatrice indépendante Lucie Moncion, qui a déposé le projet de loi S-215 – Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire –, défend le besoin d’une stratégie nationale sur le postsecondaire.

Pour la sénatrice Lucie Moncion, la viabilité des communautés francophones passe, entre autres, par des établissements postsecondaires en santé. 

Photo : Courtoisie

Selon la Franco-Ontarienne, le «sous-financement chronique» par les gouvernements provinciaux des établissements est en partie responsable de la «précarité» dans laquelle ceux-ci se trouvent.

«On a besoin d’une stratégie nationale qui regarde les besoins de financement, mais dans le cadre de ce que le gouvernement fédéral peut faire», dit-elle.

Cela veut dire, entre autres, des investissements fédéraux dans les infrastructures : «On parle de laboratoires de recherche, de centres étudiants, de bibliothèques, de centres de recherche, de gymnases […] Les universités qui attirent les étudiants, ce sont celles qui ont justement toutes ces infrastructures-là, les plus modernes», affirme la sénatrice.

La stratégie devrait aussi inclure une révision des modes de financement, notamment ceux qui fonctionnent par projet.

D’après Lucie Moncion, qui a été vice-présidente du conseil des gouverneurs de l’Université de Nipissing, ce modèle oblige les établissements à dépenser l’argent dans un projet spécifique et les empêche de l’investir dans les cours et les programmes.

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Une promesse non tenue

La francophonie canadienne attend de voir si le gouvernement libéral tiendra un jour sa promesse de financement de 80 millions de dollars annuels pour les établissements dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, une promesse faite lors de la campagne électorale de 2021.

Une loi fédérale comme argument

Lucie Moncion espère qu’une stratégie sur les modes de financement se pencherait spécifiquement sur le rôle du fédéral dans l’appui au postsecondaire francophone.

Elle cite l’article 23 de la Charte des droits et libertés relatif au droit à l’instruction dans la langue de la minorité et la partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui rappelle que le fédéral doit aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones.

Yalla Sangaré espère un système postsecondaire plus accessible, avec des frais de scolarité moins élevés. Cela demande selon lui un appui financier supplémentaire aux établissements. 

Photo : Courtoisie

La sénatrice n’est pas seule à penser que ces deux éléments juridiques puissent servir de base au financement fédéral du postsecondaire francophone.

D’après Yalla Sangaré, trésorier de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), «​​le gouvernement fédéral a le droit, en vertu de la Loi sur les langues officielles, de financer les communautés en contexte minoritaire».

«Le financement, c’est le nerf de la guerre, donc pour avoir une stratégie nationale c’est sûr qu’il faut un financement», poursuit-il.

Il souhaite notamment voir plus d’argent à destination des conseils subventionnaires qui financent la recherche, «pour qu’ils puissent distribuer plus d’argent aux chercheurs pour empêcher l’exode des cerveaux, parce qu’il y a beaucoup de chercheurs et de profs qui quittent, particulièrement pour les États-Unis».

Les champs de compétences

Si Yalla Sangaré reste en faveur d’une telle stratégie, il reconnait la complexité de la chose, l’éducation étant une compétence provinciale.

«On ne rentre pas dans les guerres de juridiction entre le provincial et le fédéral, mais on peut dire quand même qu’il y a un sous-financement chronique des institutions postsecondaires à travers le pays, donc les gouvernements provinciaux exigent plus de transferts, mais il faut qu’eux aussi fassent leur part.»

Normand Labrie, professeur à l’Université de Toronto, propose quelques pistes d’action que pourrait entreprendre le fédéral sans empiéter sur les compétences provinciales.

Normand Labrie a été recteur par intérim de l’Université de l’Ontario français, à Toronto, jusqu’en juin 2019. 

Photo : Archives – Le Voyageur

La première concerne la mobilité étudiante : «Depuis très longtemps, il est question d’établir des réseaux d’institutions bilingues et de langue française pour mettre en partage des cours, par exemple. Quand les étudiants prennent des cours dans d’autres institutions, le principal obstacle, c’est de savoir qui assume les couts et qui obtient les revenus.» À son avis, une stratégie nationale permettrait d’étudier cet obstacle.

Le professeur voit aussi une possibilité d’investir dans les résidences scolaires, les activités parascolaires, la recherche et la formation.

«Sur la formation académique, ce sont vraiment les provinces qui sont responsables, explique-t-il. Mais le fédéral est axé dans le domaine des compétences, les skills, préparer la main-d’œuvre pour l’avenir.»

Ce développement des compétences passe d’après lui par l’éducation postsecondaire : «Le fédéral a une mission de préparer la population canadienne pour l’avenir dans une économie mondialisée avec les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, etc. Notre monde change et on a intérêt comme pays à avoir une population qui est prête et formée pour ça. C’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral peut s’engager.»

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Depuis des siècles, les communautés francophones en situation minoritaire défendent ardemment le français. La survie de la langue représente pour elles une quête tenace et obsessionnelle, une lutte incessante contre une société qui tend vers l’anglicisation.

La défense du français n’est pas la priorité de certains immigrants africains à leur arrivée au Canada, selon Alphonse Ndem Ahola. 

Photo : Courtoisie

Ces dernières décennies, les organismes de défense affirment que sa survie passe par l’immigration francophone, principalement originaire d’Afrique. Mais pour les nouveaux arrivants venus du Cameroun, du Maroc ou d’Algérie, le français est aussi un héritage colonial.

«Ces immigrants entretiennent un rapport paradoxal, même schizophrénique avec le français, dans la mesure où c’est aussi la langue du colonisateur», analyse Alphonse Ndem Ahola, directeur général de Francophonie albertaine plurielle (FRAP).

Le responsable communautaire assure que certains refusent carrément de s’associer à la francophonie, «car ils ne veulent pas avoir affaire à tout ce qui est lié au colonisateur».

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Culture versus travail

«Le français ne fait pas partie de leur identité profonde, car ce n’est pas leur langue maternelle. Il s’agit de leur deuxième ou troisième langue, apprise à l’école de façon utilitariste», observe Leyla Sall, sociologue à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Lea Muhigi appelle les communautés d’accueil à prendre conscience des rapports complexes qu’entretiennent les nouveaux arrivants avec le français. 

Photo : Courtoisie

«Avec la volonté de sortir du néocolonialisme, de plus en plus de jeunes veulent que leur langue maternelle, comme le peul ou le wolof, soit sur un pied d’égalité avec le français», ajoute l’universitaire.

Lea Muhigi, vice-présidente de l’Association Initiatives Afro-Canadiennes du Nouveau-Brunswick (AIAC-NB), évoque de la même manière les «sentiments complexes» de nombreux immigrants.

D’un côté, ils sont conscients qu’il s’agit d’un «outil essentiel d’intégration économique, sociale et culturelle reconnu officiellement par les institutions politiques» canadiennes, de l’autre le français reste associé à des «expériences coloniales de domination, voire d’oppression».

En Saskatchewan, le directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Ronald Labrecque, reconnait également que l’attachement au français peut différer entre les Fransaskois et certains nouveaux arrivants venus d’Afrique. Il parle pour les premiers d’«une langue plus culturelle», pour les seconds d’«une langue de travail».

Déception et risque d’anglicisation

Malgré ce rapport ambivalent, la plupart des nouveaux arrivants acceptent de vivre dans la deuxième langue officielle du Canada.

Pour Ronald Labrecque, l’attachement au français peut différer entre les Fransaskois et certains nouveaux arrivants d’Afrique. 

Photo : Courtoisie

«Ils ont l’habitude, ils viennent de pays où c’est l’une des langues majoritaires. Leur premier réflexe quand ils sont ici est de demander des services en français», affirme Ronald Labrecque.

Mais c’est la douche froide pour nombre d’entre eux. Que ce soit à Regina, Edmonton, Toronto ou Halifax, ils découvrent la fragilité du français en milieu minoritaire, la difficulté d’obtenir les services dont ils ont besoin.

«C’est une révélation. On leur a vendu un Canada bilingue et ils réalisent que le français est réduit à de petites gouttes dans l’Ouest», regrette Ronald Labrecque.

«Ils se rendent compte qu’ils doivent maitriser l’anglais pour avoir des emplois de qualité, ça ajoute à leur déception», renchérit Leyla Sall.

Résultat, aux yeux du sociologue, ces nouveaux arrivants ont tendance à s’angliciser : «On leur dit de maitriser le français, mais qu’est-ce qu’ils y gagnent? La défense du français n’est pas un automatisme, ils ne veulent pas se ranger du côté du plus faible.»

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Faire évoluer les luttes historiques

À leur arrivée au pays, la priorité des immigrants qui parlent français n’est pas de se battre pour le fait français : «C’est d’abord d’améliorer leurs conditions d’existence, de se nourrir, d’avoir un toit sur la tête, de trouver un travail», estime Alphonse Ndem Ahola.

Pour Nicole Arseneau Sluyter, le français «aide tout le monde à se sentir accepté, quel que soit son vécu, ses identités». 

Photo : Courtoisie

Après quelques années, certains s’engagent néanmoins dans le combat. En Saskatchewan, Jean de Dieu Ndayahundwa, originaire du Burundi, multiplie les engagements communautaires depuis son installation en 2009.

«Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour garder la langue vivante, surtout pour l’éducation de ma fille», témoigne celui qui est employé du Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉSC).

Jean de Dieu Ndayahundwa, qui a appris le français dans les salles de classe burundaises, se dit «très fier francophone». «Ma langue maternelle est le kirundi, mais le français m’a permis de faire des études, de devenir ce que je suis. Ça façonne mon comportement, ma réflexion, mes rêves», confie-t-il.

Le Canado-Burundais est loin d’être le seul immigrant à s’impliquer dans des organismes communautaires. De plus en plus de bénévoles, gestionnaires, présidents et membres de conseils d’administration originaires du continent africain s’imposent.

En Alberta, Alphonse Ndem Ahola insiste cependant sur la nécessité d’adapter les luttes historiques aux besoins «inédits» et à l’«identité culturelle multiple» des nouveaux arrivants, afin qu’«ils s’investissent durablement».

Fédérer autour du français

Le Franco-Albertain appelle à laisser plus de place aux leadeurs issus de l’immigration : «Les francophones blancs ont parfois l’impression que c’est eux qui doivent avoir le leadeurship sur tout ce qui se fait, ils peuvent voir les immigrants d’Afrique comme une menace pour leur position.»

Fabien Hébert assure tout mettre en œuvre pour que tous les nouveaux arrivants se sentent Franco-Ontariens. 

Photo : Courtoisie

Un avis que partage Leyla Sall : «Il faut mettre fin à la hiérarchie ethnoraciale. Les nouveaux venus doivent se sentir membres à part entière des communautés d’accueil et partager les mêmes espaces sociaux.»

De leur côté, les organismes représentant les francophones en milieu minoritaire assurent tout faire pour favoriser l’intégration et promouvoir la diversité culturelle.

«Notre objectif est qu’ils se sentent chez eux chez nous», insiste Nicole Arseneau Sluyter, présidente par intérim de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). «Le français aide tout le monde à se sentir accepté, quel que soit son vécu, ses identités.»

«Quel que soit notre pays d’origine, quelle que soit la diversité des langues parlées à la maison, nous sommes tous des francophones en milieu minoritaire», corrobore Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

Face aux conflits linguistiques au sein de la grande famille francophone, tous les Franco-Canadiens interrogés aspirent à faire du français un bien commun : une langue fédératrice qui jette des ponts vers d’autres mondes.

Parti de France pour m’installer au Canada il y a maintenant un an et demi, j’étais loin de me douter que l’insécurité linguistique était un aussi grand enjeu ici. Parler français au Canada relève de l’acte politique. On ne rigole pas avec les droits linguistiques et chaque transgression suscite de vives réactions.

Un évènement récent dans le monde du sport a justement éveillé les passions des défenseurs de la langue française.

Le 23 mars dernier, l’équipe masculine de soccer du Canada a battu celle de Trinité-et-Tobago en série éliminatoire de la Copa America. Un succès important, puisqu’il a permis aux Canadiens de se qualifier pour la phase finale de la prestigieuse compétition, qui se déroulera cet été aux États-Unis.

Pourtant, plus que le résultat, c’est l’entrevue d’après-match qui a fait jaser sur les réseaux sociaux.

En conférence de presse, le journaliste de RDS, Nicolas Landry, a posé une question en français à l’entraineur de l’équipe canadienne, Mauro Biello. Ce dernier a commencé à répondre dans la langue de Molière avant d’être interrompu par un officiel de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) qui lui a demandé de parler en anglais : «In English please» («En anglais s’il vous plait»).

Excuses et problème d’identification

Immédiatement, plusieurs internautes se sont indignés. Précisons que Soccer Canada n’a rien à voir dans cette maladresse et que la CONCACAF s’est rapidement excusée.

Ce qui pourrait être une simple anecdote classée et sans suite semble pourtant révélateur d’une chose : hors de ses frontières, le Canada est difficilement identifié comme un pays officiellement bilingue.

Dans d’autres cas, s’exprimer en français en conférence de presse pose beaucoup moins de problèmes.

Prenez par exemple Victor Wembanyama, le basketteur français des Spurs de San Antonio, appelé à régner sur la NBA ces prochaines années avec ses 2,22 mètres (7,3 pieds).

Des journalistes français font le voyage jusqu’au Texas pour s’entretenir avec la fierté de France. Ils posent leurs questions en français, «Wemby» leur répond en français. Fin de l’histoire.

La différence? Wembanyama est clairement identifié comme un joueur français. Il est venu jouer avec une équipe parisienne aux États-Unis il y a deux ans.

Les débats linguistiques pénètrent donc toutes les strates de la société, jusque dans celles qui pourraient sembler plus secondaires, comme le sport. Cette polémique fait écho à un autre évènement qui a eu lieu en fin d’année dernière, au Québec.

«Gardez-le votre anglais»

Le 19 novembre dernier, juste après la victoire de l’équipe de football des Alouettes de Montréal en finale de la Coupe Grey contre les Blue Bombers de Winnipeg, le joueur québécois Marc-Antoine Dequoy, vexé du manque de considération des pronostiqueurs, s’est écrié : «Gardez-le votre anglais parce qu’on a gagné ces coupes puis on va [les] ramener à Montréal, au Québec!»

L’affaire avait fait grand bruit et avait même été reprise par la presse française, pourtant peu friande de football canadien.

En entrevue au Devoir, Marc-Antoine Dequoy avait ensuite développé sa pensée : «C’est intéressant de voir comment une injustice que je ressentais a été ressentie par plusieurs milliers de Québécois. Ce n’est pas la même injustice, mais des injustices similaires : le parler dans leur compagnie, ou dans leur sport à eux. Tout le monde s’est approprié la situation.»

Marc-Antoine Dequoy est également revenu sur l’importance du français au sein de l’équipe. En début de saison 2023, l’entraineur des Alouettes avait forcé tous ses athlètes à apprendre les mots de base du français, comme «bonjour», «merci», «en forme».

«Ça avait toute l’importance du monde. Ce n’est pas ça qui a fait le touché gagnant, mais c’est une chose qui fait que moi, je sens que je fais partie de l’équipe», a déclaré Dequoy.

Que les joueurs étrangers qui font partie d’un club dans une ville francophone fassent l’effort de dire quelques mots en français n’est pas seulement important pour la cohésion d’équipe : ça a aussi de la valeur pour les amateurs.

J’en ai moi-même fait l’expérience. Inconsciemment ou non, on s’attache davantage à un joueur qui vous fait sentir qu’il veut s’intégrer à votre culture et qu’il n’est pas seulement de passage, tel un mercenaire.

J’ai par exemple toujours été admiratif de l’effort que faisait le Serbe Novak Djokovic, polyglotte reconnu, pour s’adresser en français aux spectateurs venus le voir jouer à Roland-Garros. «C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup», chantait France Gall.

C’est admirable qu’il ait pris du temps d’acquérir une compétence qui lui servira peu dans la vie – soyons honnêtes –, juste pour le plaisir de ses fans francophones. Et ce doit être apprécié à sa juste valeur.

Terminons sur une bonne nouvelle concernant l’équipe masculine de soccer du Canada. Pour la deuxième fois de son histoire, après 1986, elle devrait affronter la France cet été. En toute logique, Mauro Biello devrait avoir toute la liberté de répondre en français aux questions des journalistes.

Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.