le Mercredi 14 mai 2025

Cadien et non cajun, car mettons tout de suite une chose au clair : le mot «cajun» ne devrait pas exister en français. Pour le dire poliment, il s’agit d’un anglicisme. Pour être vrai, c’est une corruption linguistique, une déformation d’une déformation, un illogisme. Bref, c’est pas beau!

L’arrivée des Acadiens en Louisiane, une murale réalisée par Robert Dafford à Saint-Martinville, en Louisiane. 

Photo : Flickr CC BY-NC 2.0 DEED

Les Cadiens (ou Cadjins), quand ils parlent français, ne se décrivent jamais comme des «Cajuns». Pourquoi donc?

Lorsque les Acadiens se sont installés en Louisiane dans les années suivant la Déportation, ils ne s’identifiaient pas à l’oral comme des «Acadiens», mais comme des «Cadjins», soit un diminutif ou une variante d’«Acadiens» (d’ailleurs prononcé autrefois, et encore de nos jours par certains, comme Aca-djins).

Les anglophones ont écrit le gentilé comme ils l’entendaient, d’où le mot «Cajun», prononcé «ké-djeune». Des francophones de l’extérieur de la Louisiane ont par la suite «francisé» le mot anglais «Cajun» en conservant la même graphie, mais en lui donnant la prononciation française «ka-jeun».

Voilà pourquoi «Cajun», en français, est un non-sens et devrait être extirpé des dictionnaires et de nos bouches à la faveur de «Cadiens».

Voilà pour ça.

Dérangés, mais non déportés

Avant d’aller plus loin, déboulonnons un mythe qui a la vie dure, très dure même, voulant que les Acadiens aient été déportés en Louisiane. Faux et archifaux!

Les Acadiens ont été déportés dans les colonies américaines du Massachusetts à la Géorgie, en Angleterre et en France. Aucun n’a été déporté en Louisiane. Nada.

Les Acadiens sont arrivés en Louisiane de leur propre chef.

Détail d’une fresque de Robert Dafford représentant des Acadiens à Nantes, d’où des centaines d’Acadiens sont partis en 1785 pour la Louisiane. 

Photo : Wikimedia Commons, Attribution-Share Alike 3.0 Unported

Le premier groupe y met les pieds en février 1764. Il s’agit de quelques familles déportées en Géorgie qui auraient été attirées en Louisiane par un certain Joseph de Goutin de Ville, né à Port-Royal en Acadie d’une mère acadienne, mais résident de la Nouvelle-Orléans depuis 1747. Il a un lien de parenté (c’est le cousin de son père) avec l’un des membres du groupe.

Une autre vague arrive quelques mois plus tard en Louisiane. Elle compte environ 600 Acadiens, qui étaient détenus en Nouvelle-Écosse avec à leur tête les frères Joseph et Alexandre Broussard dit Beausoleil. Les deux frères ont chacun épousé une parente du nommé de Goutin de Ville.

Et puis, en 1785, arrivent en Louisiane quelque 1600 Acadiens qui avaient été déportés en France et qui ont fini par accepter l’invitation des représentants de l’Espagne en France de s’établir au chaud, parmi leurs compatriotes.

C’est sans compter les nombreux Créoles blancs (Français non acadiens) et noirs (esclaves) qui se trouvent également dans la colonie désormais espagnole de la Louisiane.

L’enracinement en Amérique

Les Acadiens s’adaptent remarquablement à leur nouvel environnement. Plusieurs parviennent rapidement à accumuler un cheptel important. Cette relative aisance en amènera certains à atteindre le statut d’élite, ce qui, dans le Sud des États-Unis de l’époque, rime avec esclavagisme.

La statue d’Évangéline trône, un peu à l’écart, dans un parc de Saint-Martinville, en Louisiane. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Ce phénomène fera son apparition dès la fin des années 1770; en 1785, 10 % des fermiers acadiens auraient au moins un esclave. À certains endroits, leur proportion aurait frisé les 40 %*.

La distance et le peu de communication font en sorte que les Cadiens et leurs frères et sœurs de ce qu’ils appellent «l’Acadie du Nord» (les provinces maritimes) n’auront que très peu de contacts pendant longtemps.

Un phénomène qui survient au milieu du XIXe siècle leur donnera cependant une cause commune : Évangéline.

Le personnage inventé par le poète américain Henry Wadsworth Longfellow dans son livre Evangeline : A Tale of Acadie, séparé de son Gabriel à Grand-Pré au moment de leur déportation, sera un grand succès littéraire et fera connaitre la saga du Grand Dérangement à l’échelle de l’Amérique du Nord et même ailleurs.

À lire aussi : La statue emblématique d’Évangéline au site historique de Grand-Pré a 100 ans

Au début du XXsiècle, les Cadiens vont «s’approprier» l’héroïne mythique qu’est Évangéline avec la publication de The True Story of Evangeline en 1907 par le juge louisianais Félix Voorhies, d’origine cadienne par sa mère, Cidalise Mouton.

Le drapeau des Cadiens de la Louisiane compte des références aux origines françaises (les lis), aux origines acadiennes et à la participation à la Révolution américaine (l’étoile), et à l’Espagne (la tour), pays qui a gouverné la colonie pendant 40 ans. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Selon Voorhies, la «vraie» histoire d’Évangéline – inspirée par des histoires familiales – est celle d’Emmeline Labiche et de Louis Arceneaux, qui ont véritablement existé.

Comme Évangéline et Gabriel, les fiancés sont séparés au moment de leur expulsion. Mais alors qu’Évangéline est réunie avec son amour sur son lit de mort à Philadelphie, Emmeline retrouve Louis sous un chêne, à Saint-Martinville, au bord du bayou Teche, lieu symbolique d’établissement acadien en Louisiane.

L’histoire finit mal : Louis s’est marié et a refait sa vie. Emmeline pleure la sienne et meurt, après avoir perdu la raison.

Un retour aux sources

Cet élan de fierté identitaire frappe cependant un mur au tournant de la Première Guerre mondiale, alors que la Louisiane proscrit l’enseignement du français dans les écoles. On interdit même aux élèves de parler français entre eux. Ceux qui transgressent cette règle sont soumis à des punitions corporelles.

En conséquence, ces jeunes Cadiens, une fois devenus adultes, auront un réflexe d’autoprotection : ils cessent de parler français à leurs enfants. Cette répression linguistique perdure jusque dans les années 1960, provoquant des ravages pour le français en Louisiane.

Le fameux chêne à Saint-Martinville, en Louisiane, où Emmeline Labiche et Louis Arceneaux, les «vrais» Évangéline et Gabriel, se seraient retrouvés après avoir été séparés pendant la Déportation. 

Photo : Wikimedia Commons, 2,0 Generic

Le vent tourne en 1968 avec la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), un organisme gouvernemental. Après avoir tout fait pour faire disparaitre le français, l’État veut maintenant le rétablir et le promouvoir.

La refrancisation des jeunes se fait par le biais d’écoles d’immersion. Le rattrapage à faire est gigantesque et le succès n’est pas garanti. Mais de plus en plus de jeunes Cadiens et Créoles renouent avec la langue de leurs grands-parents et arrière-grands-parents.

Les Cadiens n’ont pas dit leur dernier mot. À l’instar des francophones à l’extérieur du Québec, on les a souvent laissés pour morts. Mais le corps bouge toujours.

Laissons le dernier mort à Zachary Richard qui, avec son âme de poète, a réussi, lors du premier Congrès mondial acadien en 1994, à lancer ce cri du cœur : «On est tombé de la falaise. Mais on n’a pas encore touché terre.»

À lire aussi : Le Congrès mondial acadien a bousculé la vie de Zachary Richard

* Voir Carl A. Brasseaux, The Founding of New Acadia, Bâton -Rouge, Louisiana State University Press, 1987.

Joseph Plamondon, fondateur du village albertain qui porte son nom, vers 1900. 

Photo : Archives provinciales de l’Alberta, domaine public

L’histoire de Plamondonville – qui deviendra «Plamondon» – débute dans le village de Saint-Norbert, au nord-est de Joliette, au Québec. En 1868, la famille Plamondon quitte tout pour s’exiler dans l’État du Michigan, à Provemont plus exactement.

Les Plamondon font partie d’une grande mouvance qui a marqué l’est du Canada à cette époque. De 1850 à 1940, on estime qu’entre 900 000 à 1 000 000 de Canadiens français et d’Acadiens ont quitté le pays en quête d’un meilleur avenir économique aux États-Unis.

Si la très grande majorité avait comme destination la Nouvelle-Angleterre et ses filatures de coton, d’autres se sont dirigés vers le Midwest américain, où vivaient 150 000 Canadiens français en 1874 selon un décompte effectué par l’abbé Gendron. Les Plamondon sont du nombre.

Joseph «Joe» Plamondon est le onzième enfant de la famille. Devenu adulte, il fait l’acquisition de 140 acres de terre près de Provemont. Avec une Canadienne française d’une famille également exilée, Mathilda Gauthier, il fonde une famille.

Joseph n’a pas de scolarité, mais il a beaucoup de talents. C’est un conteur, un chanteur, un musicien. Il sait parler aussi. Et il sait tisser des liens avec ses compatriotes. Joseph prend sa place dans la communauté. Il tient également beaucoup à sa langue maternelle. Joseph n’accepte pas que sa famille parle anglais à la maison.

Bien qu’ils vivaient au Michigan. Joseph Plamondon et Mathilda Gauthier se sont mariés à Montréal. 

Photo : Archives provinciales de l’Alberta, domaine public, 1884

L’attrait de l’Ouest

Qu’est-ce qui a poussé la famille Plamondon – et bien d’autres – à quitter ses terres du Michigan et d’ailleurs dans le Midwest pour aller s’installer dans la jeune province de l’Alberta?

Ce ne sont pas des gestes isolés ou aléatoires. Le tout fait partie d’une vaste campagne orchestrée par le gouvernement canadien, avec l’appui du clergé catholique, pour «peupler» cette partie du pays, qui était pourtant déjà habitée par de nombreux Autochtones et Métis, rappelons-le.

Les premières vagues d’immigrants dans les années 1890 sont surtout anglophones, mais le clergé catholique et certains gens d’affaires canadiens-français ont une vision d’un Ouest canadien où les francophones auraient aussi leur place.

Le rôle des oblats

De nombreux «prêtres-colonisateurs» vont s’affairer à convaincre des Canadiens français installés aux États-Unis de revenir au pays, mais dans l’Ouest.

Ce chant des sirènes atteint le Michigan et la petite ville de Provemont. Même si la vie est bonne pour les Plamondon, la terre commence à être étroite pour les nombreux enfants et les possibilités d’expansion sont limitées.

La famille Plamondon et quelques autres à leur départ de Morinville pour Lac la Biche, près d’où sera fondé Plamondonville. 

Photo : 1908, Archives provinciales de l’Alberta, domaine public

L’un des fils de Joseph, Isidore[1], se rend en Alberta pour travailler dans des fermes. Il revient à la maison rempli de louanges pour cette contrée où les terres sont bon marché et où la sauvegarde du français pourrait être plus propice qu’aux États-Unis.

La décision est donc prise et, en 1908, les membres du clan Plamondon transportent leur vie dans le nord-est de l’Alberta, sauf une fille, Isabel, qui est mariée et décide de rester aux États-Unis.

 

Les Plamondon ne sont pas seuls. Quelques autres familles francophones de Provemont, Gauthier, St. Jean, Cagle et d’autres localités du Midwest font le même choix.

Après un long périple de 2800 kilomètres à travers les Prairies, le groupe gagne Morinville, en Alberta, puis monte jusqu’à Lac la Biche. Près de là, la famille Plamondon et d’autres familles choisissent de s’installer sur des terres à prendre. Ce sera Plamondonville.

La famille Plamondon en 1912 : Joseph et Mathilda sont assis devant, entourés de leurs enfants et certains petits-enfants.

Photo : Archives provinciales de l’Alberta, domaine public

Dellamen Plamondon, pionnière

L’une des filles Plamondon, Dellamen, fréquente bientôt l’école des Filles de Jésus à proximité. Mais le trajet est dangereux en hiver et Joseph craint pour la sécurité des enfants. Une petite école prend donc forme à Plamondonville. Mais il n’y a pas d’enseignante. Qu’à cela ne tienne, Dellamen s’en chargera. Elle a… 12 ans.

La jeune fille puise dans l’expérience qu’elle a eue chez les sœurs et parvient, en se fiant beaucoup à son instinct, à assurer l’enseignement dans son village.

The Stoping House, l’auberge gérée par Dellamen Plamondon (debout, avec des membres de sa famille) et son mari Albert Chevigny. 

Photo : 1912 ou 1913, Archives provinciales de l’Alberta, domaine public.

Ce ne sera pas seulement la carrière qui sera précoce chez Dellamen. L’année suivante, une nouvelle famille arrive à Plamondonville : les Chevigny. Un couple et leur fils de 30 ans, Albert. Celui-ci jette son dévolu sur l’enseignante qu’il croit âgée de 20 ans. Rien n’arrête les amoureux; ils se marient un an plus tard, le jour du 14e anniversaire de Dellamen.

Puisqu’elle n’est plus célibataire, Dellamen doit renoncer à l’enseignement, comme le veut la tradition de l’époque. Une autre occupation l’attend, soit celle de gérer un hôtel, The Stopping Place, que le couple Chevigny vient d’ouvrir.

Albert prend également sous sa responsabilité le magasin général du village. Le couple est prospère. Dellamen devient «femme à tout faire» : fermière, sagefemme, assistante au bureau de poste (fondé par son père), sans oublier mère de famille.

Tous les espoirs sont permis pour l’épanouissement d’une communauté francophone dans la mer d’anglophones qu’est l’Alberta.

Le village de Plamondon, en 1921, soit une douzaine d’années après sa fondation. 

Référence : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de Ressources naturelles Canada/a018797, domaine public

Mais l’opposition aux écoles françaises séparées prend de l’ampleur au début du siècle. Le gouvernement albertain restreint l’enseignement du français, ce qui ne peut mener qu’à l’assimilation.

Dès la génération suivante, les effets se font sentir. Même les enfants de Dellamen perdent la bataille.

Mais d’autres ont trouvé la force de résister. À preuve : la chanteuse Crystal Plamondon, arrière-petite-fille de Joseph, et Léo Piquette, enfant du village, qui a été député de l’Assemblée législative de l’Alberta, où il est passé à l’histoire pour avoir osé s’exprimer en français en Chambre.

L’une des arrière-petites-filles de Dellamen, Krysti MacDonald, profitera du retour des écoles françaises, grâce à la Constitution de 1982, pour se réapproprier la langue de ses ancêtres. Elle découvre les lettres en français écrites par son aïeule à sa sœur demeurée au Michigan.

Krysti a eu la chance de connaitre son arrière-grand-mère Dellamen avant que celle-ci ne meure en 1994, à l’âge de 97 ans. Et de lui parler en français. Elle a étudié à la Faculté Saint-Jean à l’Université de l’Alberta. Elle enseigne aujourd’hui dans les écoles francophones d’Edmonton. Une revanche sur l’Histoire.

Premier hôtel de Plamondon, construit par le fondateur Joseph Plamondon. 

Photo : Archives provinciales de l’Alberta, domaine public, vers 1921

[1] Voir Valérie Lapointe-Gagnon avec la collaboration de Krysti MacDonald, «Plamondonville», dans De racines et de mots, Persistances des langues en Amérique du Nord, Québec, Les éditions du Septentrion, 2021.

Au début de février, une tempête de neige qualifiée «d’historique» a frappé le centre et l’est de la Nouvelle-Écosse. Le Cap-Breton y a particulièrement gouté avec les quelque 150 cm de neige qui ont enseveli Sydney. L’état d’urgence décrété a duré cinq jours.

En mars 1971, la «tempête du siècle» s’abat sur l’est du Canada, particulièrement au Québec, comme ici à Laval, au nord de Montréal. 

Photo : Jean Morel, Wikimedia Commons, domaine public

Historique, peut-être, mais était-ce la tempête du siècle? Comme il reste encore 76 années au siècle présent, il serait de mise de se garder une petite gêne. On verra bien. Mais si vous ajoutez 76 à votre âge, peut-être qu’en fait, on ne verra pas.

Et encore faut-il définir l’espace-temps de «tempête du siècle». Tempête du siècle pour la région? La province? Le pays? La Voie lactée? Parions que la Voie lactée en a vu d’autres. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’elle est blanche. Enfin.

Qu’est-ce qu’un blizzard?

Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur la définition du mot «blizzard». On ne parle pas ici d’un dessert glacé populaire servi dans un gobelet qu’on peut retourner à l’envers sans que la cuillère qui y a été insérée tombe.

À l’instar de beaucoup de choses dans ce bas monde, la réponse n’est pas unilatérale et varie selon à qui l’on pose la question.

La tempête de 2017 a secoué les colonnes du temps de la «tempête du siècle de 1971». 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Pour Environnement Canada, un blizzard est une tempête de neige qui dure au moins quatre heures avec des rafales de 40 km/h et une visibilité réduite de moins d’un kilomètre. La température doit également être sous le point de congélation… ce qui habituellement est nécessaire pour la formation de la neige.

Wikipédia, qui cite également Environnement Canada, souligne qu’il faut seulement un minimum de trois heures de mauvais temps pour qu’une tempête atteigne le stade de blizzard, mais les rafales doivent être plus fortes, soit au moins 50 km/h, et la visibilité réduite de 400 mètres. D’autres sources ont, encore, d’autres réponses. Entendez-vous s.v.p.

Aux États-Unis, le National Weather Service place la barre des rafales plus haute, à 60 km/h pour étamper «blizzard» sur une tempête. À noter qu’aucune de ces sommités météorologiques ne mentionne une quantité minimale de neige. Une définition de blizzard, bizarre…

Bon. On n’en fera pas un blizzard dans un verre d’eau. Ou de cristal de glace.

Le palmarès des blizzards : un terrain glissant

Du point de vue des précipitations seulement, les 150 cm du Cap-Breton au début février mettent la barre haute. Mais…

L’étendue de la «tempête du siècle» de 1993 était impressionnante. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le «grand blizzard de 1888» – c’est son nom – est souvent mentionné dans la liste des tempêtes de neige mémorables en Amérique du Nord. L’étendue du blizzard va du Maryland, près de Washington, jusqu’au Maine et dans l’est du Canada.

Les quantités de neige rapportées diffèrent selon les sources, de près de 60 cm à New York jusqu’à 150 cm au Connecticut.

Pas mal. Disons qu’on pourrait le considérer comme la «tempête du siècle» du XIXe siècle.

Mais qu’en est-il du XXe siècle? La tempête qui est le plus souvent étiquetée comme étant celle «du siècle» est celle de l’hiver 1971. Entre le 3 et le 5 mars, une partie du continent nord-américain, y compris le Québec et les provinces de l’Atlantique, a été balayée par ce blizzard.

Montréal reçoit presque 60 cm de neige, ce qui est loin des 150 cm de cette année au Cap-Breton, mais ce sont les vents de plus de 100 km/h qui vont paralyser la région. Certaines personnes doivent dormir à leur lieu de travail, ce qu’on pourrait qualifier de l’inverse du travail à domicile.

Quatre ans plus tôt, en avril 1967, on a rapporté 175 cm de neige dans le sud de l’Alberta. Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agissait en fait de deux tempêtes au cours du même mois. Bel essai, mais ça ne compte pas.

Deux tempêtes du siècle?

Un autre blizzard vient rivaliser avec celui de 1971, soit celui du 12 au 15 mars 1993. Les Américains vont non seulement lui donner le nom de «tempête du siècle», mais aussi de «superstorm» [supertempête] ou «the great blizzard of 1993» [le grand blizzard de 1993].

Brooklyn enseveli sous la neige après le blizzard de 1888. Près de 60 cm de neige sont tombés sur New York. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Ce mégasystème couvrait un immense territoire allant du Honduras (qui, en passant, n’a pas reçu de neige) jusqu’à l’est du Canada. C’était à la fois un ouragan en Floride et un blizzard dans le nord. Là on jase.

Dans la catégorie «mention spéciale», on peut souligner le blizzard de 1978 qui a laissé 70 cm sur Boston (bof) ou celui de 1939 qui a laissé 131,6 cm (qui a compté?) sur la ville de Québec, mais comme pour le cas du sud de l’Alberta, c’était deux tempêtes distanciées de plusieurs jours. Disqualifié.

Les Américains, qui aiment bien les superlatifs, ont donné à de grosses tempêtes les noms de «Snowzilla» (2016) et même de «Snowmageddon» (2010).

Évidemment, tout le monde veut pouvoir dire qu’il a vécu la «plusse-pire-grosse-tempête du siècle».

Le 14 et 15 mars 2017, le blizzard qui a frappé le sud du Québec a été couronné de «nouvelle tempête du siècle» (quelle était l’ancienne?). On a mesuré 119 cm de neige sur deux jours. On a envie d’y croire.

Mais le gagnant est…

Curieusement, les annales «blizzardiennes» omettent une autre «tempête du siècle» qui pourrait bien ravir le titre : Moncton, 1992. (Note de la rédaction : l’auteur nie tout biais même s’il réside dans cette ville depuis plus de 30 ans et qu’il a vécu ladite tempête.)

En trois jours à l’hiver 1992, Moncton, au Nouveau-Brunswick, a reçu 162 cm de neige. Les raquettes étaient de mise. 

Photo : L’Acadie Nouvelle

Fin janvier, il n’y a presque pas de neige au sol, ce qui est inhabituel. Encore plus inhabituel, il va neiger pendant trois jours, du 31 janvier au 2 février.

Des conditions de blizzard pendant 28 heures avec des rafales à plus de 110 km/h, des bancs de neige de plus de trois mètres cachant les façades des commerces. Des résidents doivent creuser des tunnels pour sortir de chez eux. Et un époustouflant total de 162 cm de neige!

Pour toutes ces raisons, le blizzard qui a frappé Moncton en 1992 peut être qualifié de «plusse-pire-grosse tempête du siècle ever». Le sujet est clos.

Cette blague de la demi-heure de Terre-Neuve trouve son origine dans le fait que les émissions nationales du réseau anglais de Radio-Canada (CBC) débutent partout à la même heure au pays, sauf à Terre-Neuve, où c’est «une demi-heure plus tard».

C’est une taquinerie dont les francophones de Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick ont longtemps été l’objet lorsque le réseau français de Radio-Canada annonçait l’heure de ses émissions nationales en ajoutant «une heure plus tard dans les Maritimes».

Et cette précision sous-entendait que cette même émission, qui était «une heure plus tard» dans les Maritimes, était encore une autre demi-heure «plus tard» à Terre-Neuve.

La capitale de Terre-Neuve-et-Labrador, Saint-Jean, est située sur le méridien séparant les fuseaux horaires UTC-4 et UTC-3. 

Photo : Sébastien Blanchard, Wikimedia Commons, Share-Alike 4.0 International

Vous me suivez?

Sinon, ce n’est pas grave. Là n’est pas notre propos principal. Voici la vraie question : pourquoi Terre-Neuve évolue-t-elle dans le temps avec une demi-heure de différence par rapport aux fuseaux horaires voisins, et non une heure comme (presque) tout le monde?

Avant d’aller plus loin – et pour ajouter encore plus de confusion –, précisons qu’une région du sud-est du Labrador vit à la même heure que l’ile de Terre-Neuve, mais que tout le reste de la partie continentale de la province est dans le même fuseau horaire que les provinces maritimes (et les Iles de la Madeleine), soit l’heure de l’Atlantique.

On verra tout à l’heure que ça se complique encore plus. Reposons la question : pourquoi une demi-heure de plus?

Eh oui, pourquoi?

Parce que faire simple n’est pas terre-neuvien.

Le Canada compte cinq fuseaux horaires différents. 

Photo : Conseil national de recherche du Canada

Plus sérieusement, Terre-Neuve-et-Labrador aurait pu partager la même heure et ne pas être «décalée» de 30 minutes. Géographiquement, la province se trouve dans le même fuseau que les Maritimes, «UTC-4» (heure normale), c’est-à-dire quatre heures de moins que l’heure du méridien 0, soit celui de Greenwich en Angleterre.

La référence qui s’appelait autrefois «temps moyen de Greenwich» (GMT) est maintenant désignée comme le «temps universel coordonné» ou UTC.

Il faut se rappeler que pendant très longtemps, en Europe comme en Amérique du Nord, chaque ville avait une heure totalement différente de ses voisines parce qu’elles utilisaient l’heure solaire..

La pratique est devenue très problématique avec l’arrivée du chemin de fer puisqu’elle pouvait provoquer des collisions entre les trains puisqu’il n’y avait pas encore de référence universelle pour l’heure.

En Grande-Bretagne, les compagnies ferroviaires parviennent à faire adopter une heure commune, celle de Londres, sur tout le territoire.

Si la planète est divisée en 24 fuseaux horaires équivalents à une heure chacune, on le doit beaucoup à l’ingénieur écossais Sandford Fleming, qui a vécu toute sa vie adulte au Canada. 

Photo : Wikimedia Commons

Au Canada et aux États-Unis, l’affaire est plus complexe en raison de l’étendue des deux pays. Là également, les compagnies de chemin de fer vont jouer un rôle déterminant.

Entre en jeu un ingénieur écossais : Sandford Fleming. Pendant plusieurs décennies, Fleming travaillera au sein de différentes compagnies ferroviaires canadiennes en tant qu’ingénieur et arpenteur, jusqu’à devenir ingénieur en chef du Canadien Pacifique.

Il jouera un grand rôle dans l’organisation d’une conférence internationale à Washington, en 1884, qui adoptera un temps universel et la division du monde en 24 fuseaux horaires avec comme référence le méridien de Greenwich.

À lire aussi : Méridien de Greenwich : la bataille pour le point zéro

Terre-Neuve choisit son heure

Les pays définissent alors tour à tour leurs fuseaux horaires.

Or, Terre-Neuve ne fait pas encore partie du Canada à l’époque et est un dominion indépendant. Elle va donc choisir elle-même son heure standard, en 1935. C’est la Commission de gouvernement de Terre-Neuve qui s’en charge.

Comme un peu partout ailleurs, l’ile compte plusieurs différentes heures en usage. Terre-Neuve – le Labrador compris – se trouve, comme mentionné plus haut, dans le fuseau horaire UTC-4.

Les délégués de 25 pays à la conférence internationale de Washington, en 1884, se sont entendus pour uniformiser le monde en 24 fuseaux horaires, avec comme référence le méridien de Greenwich. 

Photo : Commons, domaine public.

Sauf que la capitale, Saint-Jean, où vit la grande majorité de la population, est située à l’extrême est de ce fuseau, presque à cheval sur la ligne démarquant les zones UTC-4 et UTC-3.

Quand on dit presque, c’est vraiment presque. Plus précisément, la ville de Saint-Jean est à 3 heures 33 minutes et 33 secondes de moins que l’heure du méridien 0. C’est donc pour cette raison que la future dernière province canadienne a adopté une heure officielle de 30 minutes de plus que UTC-4 et 30 minutes de moins que UTC-5.

Et le Labrador? Cette région étant située plus à l’ouest que l’ile de Terre-Neuve, elle observe le même fuseau horaire que les provinces maritimes, «l’heure normale de l’Atlantique» (HNA). Sauf… comme on l’a dit, une petite région du sud-est qui, elle, est synchronisée avec l’heure de l’ile de Terre-Neuve.

De multiples espaces-temps

Pour ajouter un peu de piquant à tout ça, il faut rappeler que l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon, près de la côte sud de Terre-Neuve, est quant à lui dans le fuseau UTC-3, soit une demi-heure de plus que l’ile de Terre-Neuve, une heure de plus que les provinces maritimes et la grande partie du Labrador.

L’entente du 18 janvier est historique, non seulement pour le Nunavut, mais aussi pour le Canada. Il s’agit du plus important transfert de terres depuis la création du pays. Deux-millions de kilomètres carrés de terres publiques qui étaient administrées jusqu’ici par Ottawa seront dorénavant gérées par le Nunavut.

Le 18 janvier dernier, signature de l’entente historique de transfert de terres publiques et de responsabilités du gouvernement canadien vers le Nunavut. 

Photo : Adam Scotti – Bureau des Affaires du Nord

Pour ce territoire, c’est l’aboutissement d’une longue épopée. Cette terre habitée depuis des milliers d’années faisait partie des Territoires du Nord-Ouest, une région contrôlée par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui l’a cédée au Canada en 1870, peu après la Confédération.

L’idée de diviser les Territoires du Nord-Ouest en deux remonte à la fin des années 1950. Une première tentative fait son chemin à la Chambre des Communes, en 1963; le projet de loi meurt cependant au feuilleton lors du déclenchement des élections.

Les Inuits, qui forment plus de 80 % de la population de l’est des Territoires du Nord-Ouest, prennent le relai. En avril 1982, un plébiscite sur la division des Territoires du Nord-Ouest recueille 56,5 % d’appui. Dans l’est, à majorité inuite, le oui l’emporte à 80 %.

Il faudra cependant user de patience. Les négociations portant sur la frontière commune s’étirent. Ce n’est que 10 ans plus tard, en 1992, qu’une entente intervient. Un autre référendum a lieu. Cette fois, la proposition récolte près de 85 % des appuis.

On y est presque. Bien que deux lois soient adoptées en 1993 sur la création du Nunavut (qui signifie «notre terre» en inuktitut), ce n’est que le 1er avril 1999 que le nouveau territoire voit formellement le jour avec un premier gouvernement au Canada contrôlé par des Autochtones.

Qui sont les Inuits?

Le Nunavut arrive au cinquième rang dans le monde pour l’étendue de sa division administrative. Le territoire comprend la majorité des iles de l’Arctique canadien, dont l’ile de Baffin (extrême est) et l’ile d’Ellesmere (extrême nord), à proximité du Groenland. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 2,5 Generic

On pourrait penser que les Inuits sont les premiers humains à habiter ces contrées nordiques. Ce n’est pas le cas.

Les ancêtres du peuple inuit («peuple», en inuktitut) auraient atteint l’Alaska vers l’an 1000 apr. J.-C. en traversant la Béringie, ce pont terrestre qui existait entre la Sibérie et le nord-ouest de l’Amérique du Nord, avant d’être submergé et de devenir le détroit de Béring. En moins de trois siècles, ces ancêtres parcourent l’extrême nord du continent nord-américain jusqu’au Groenland.

On les a nommés «gens de Thulé», du nom d’un comptoir danois du Groenland où les archéologues les ont identifiés pour la première fois.

Thulé était le nom donné par le navigateur grec Phytéas, de Marseille, à un archipel situé au nord de l’Écosse qu’il aurait visité, ou du moins dont il aurait entendu parler lors de son voyage dans la région. Thulé devient ensuite un endroit mythique, le point le plus au nord du monde connu.

Peuplements de divers groupes inuits et préinuits dans l’est de l’Arctique canadien et le Groenland. 

Photo : Wikimedia Commons

Résumons : les experts ont donné aux premiers Inuits, venus d’Asie, un nom mythique inventé par un Grec vivant dans le sud de la France actuelle pour nommer une hypothétique ile au nord de la Grande-Bretagne, et repris par les Danois pour nommer un de leurs comptoirs au Groenland. C’est cela, oui.

Toujours est-il que, lorsque les premiers Inuits/gens de Thulé s’aventurent à l’est de l’Alaska et dans les iles de l’Arctique, ils rencontrent un autre peuple arrivé avant eux : les Dorsétiens.

Inuits, gens de Thulé, Dorsétiens, Prédorsétiens

Les Dorsétiens, venus aussi d’Asie, étaient arrivés en Amérique vers 500 av. J.-C., mais ils avaient été précédés par un autre groupe apparenté, mais culturellement distinct appelé Prédorsétiens.

Chasseur inuit avec son harpon, vers 1908-1920. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Les Prédorsétiens disparaissent avec l’arrivée des Dorsétiens. Ces derniers subsistent dans la région de l’extrême nord de l’Amérique du Nord jusqu’à ce qu’ils disparaissent, soudainement, lors de la période correspondant à la venue des premiers Inuits.

Que s’est-il passé? Le débat est ouvert. Les hypothèses vont de l’assimilation au génocide en passant par la transmission de maladies apportées par les nouveaux arrivés. Il est aussi possible que les deux peuples se soient tenus à distance et que les Prédorsétiens soient simplement morts de leur belle mort. Bref, on ne sait trop.

Contact avec les Européens

Les premiers Européens à rencontrer les Inuits sont les Vikings qui, après avoir colonisé la côte sud-ouest du Groenland, se déplacent dans les iles les plus à l’est de l’archipel arctique. Ils auraient même eu des contacts avec des Dorsétiens.

Vue de la ville d’Iqaluit, capitale du Nunavut, à l’hiver 2010. 

Photo : Aaron Einstein, Wikimedia Commons, GNE Free documentation License

Ce sera ensuite le tour des explorateurs britanniques à atteindre ces régions nordiques à la recherche du «passage du Nord-Ouest». D’autres viendront, de plus en plus souvent, et de plus en plus nombreux, et feront la traite des fourrures.

Plusieurs y laisseront leur peau. Ceux qui connaitront du succès le devront bien souvent aux Inuits qui leur servent de guide, leur montrent à se déplacer, à se vêtir et à survivre à même les ressources locales.

L’arrivée des Européens finira par bouleverser le mode de vie des Inuits. Comme pour les autres Autochtones du Canada, les colonisateurs tenteront de leur inculquer, parfois de force, la culture européenne et de les assimiler linguistiquement en envoyant les enfants dans des pensionnats où ils seront victimes de mauvais traitements physiques et sexuels.

Et les francophones?

Dès le XIXe siècle, des équipages canadiens-français chassent la baleine dans la région du Nunavut actuel. La présence francophone débute vraiment au début du XXe siècle avec l’arrivée des missionnaires oblats.

La formation d’une véritable communauté francophone ne survient que dans les années 1970 lorsque des Québécois viennent à Iqaluit, alors nommé Frobisher Bay, pour travailler dans des bureaux du gouvernement fédéral ou encore pour la compagnie Bell Canada.

C’est de ce noyau que naitra l’Association des francophones de Frobisher Bay, qui se transformera plus tard, en 1997, en Association des francophones du Nunavut.

Le nombre de francophones reste cependant minime dans le territoire. Le recensement de 2021 a dénombré 575 résidents de langue maternelle française, soit 1,6 % de la population (qui s’élève à 40 000 habitants), une proportion à la baisse comparée aux 2 % de 1991.

En 2021, le nombre de personnes pouvant converser en français se situait à 1 450, soit 4 % de la population. C’est peut-être peu, mais cela n’a pas empêché le Nunavut, à sa création en 1999, de faire du français l’une de ses langues officielles.

Le français a également le statut de langue officielle dans les deux autres territoires.

La lutte contre la consommation d’alcool et les tentatives pour enrayer son commerce constituent un mouvement qui s’est déroulé en parallèle au Canada et aux États-Unis.

Les saisies d’alcool étaient fréquentes pendant la prohibition. En 1925, au lac Elk, en Ontario, les autorités ont détruit 160 barils d’alcool. 

Photo : Archives de l’Ontario, Wikimedia Commons, domaine public

Les premières «sociétés de tempérance» remontent aux années 1820. Elles ont pour objectif de modérer la consommation de vin et de bière, mais surtout d’éliminer celle des spiritueux, qu’elles jugent être un véritable fléau social et moral.

Ces sociétés apparaissent d’abord à Pictou, en Nouvelle-Écosse, et à Montréal, puis le mouvement se répand à l’échelle du pays. Au cours de la même période, des groupes de tempérance voient également le jour aux États-Unis; certains, comme les «Sons of Temperance», étendent leurs activités au Canada.

C’est le cas au Nouveau-Brunswick, où une première prohibition sera imposée en 1855 avant d’être levée l’année suivante après l’arrivée au pouvoir d’un parti politique qui y était opposé.

La prohibition légiférée

En 1875, les sociétés de tempérance se sont grandement multipliées. Des centaines d’entre elles, y compris des groupes religieux, convergent à Montréal pour former une fédération, la Dominion Prohibitory Council.

Celle-ci adoptera un an plus tard un nom plus percutant : Dominion Alliance for the Total Suppression of the Liquor Traffic [Alliance du Dominion pour l’élimination totale du commerce de l’alcool].

Carte postale non datée montrant des policiers de Moncton, au Nouveau-Brunswick, déversant des barils d’alcool illégal, en application de la Loi de tempérance. 

Photo : Courtoisie du Centre d’études Anselme-Chiasson

Cette fédération, ayant des sections dans toutes les provinces, jouera un rôle majeur dans ce qui mènera à la prohibition. Elle est l’auteure de l’ébauche d’une loi fédérale qui deviendra, en 1878, la Loi de tempérance du Canada.

Cette mesure donnait suite à la loi Dunkin adoptée en 1864, soit avant la Confédération, par la Province du Canada, qui accordait aux municipalités et autres gouvernements locaux l’autorité d’interdire la vente au détail d’alcool.

La loi de 1878 va plus loin en installant un cadre aux mesures locales de prohibition. Mais l’interdiction n’est pas encore généralisée. La prohibition nationale est le prochain pas que les mouvements de tempérance veulent forcer le gouvernement fédéral à franchir.

En 1898, le mouvement parvient à obtenir un plébiscite national sur la question. Il s’agit de la première consultation nationale depuis la fondation du Canada.

À l’instar du plébiscite sur la conscription en 1942, les résultats montrent l’ampleur des «deux solitudes» : le Québec vote contre à 81 %, tandis que le reste du Canada se prononce pour à 73 %.

Manuel de la Dominion Alliance for the Total Suppression of the Liquor Traffic, 1881.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le premier ministre Wilfrid Laurier estime cependant que la majorité nationale, d’environ 13 000 voix pour le oui, est trop faible pour justifier l’adoption d’une loi. Il craint aussi la réaction du Québec si le gouvernement fédéral légiférait sur la question.

Les provinces vont alors prendre les choses en main.

L’Île-du-Prince-Édouard, celle qui avait le plus fortement appuyé le plébiscite (89 %), est la première à imposer la prohibition à l’échelle provinciale au tournant du XXe siècle. Durant la Première Guerre mondiale, elle sera suivie de toutes les autres provinces canadiennes ainsi que du Yukon et de Terre-Neuve (alors toujours une colonie britannique), sauf… le Québec.

En 1919, les Québécois votent massivement (78 %) par référendum en faveur de la vente de vin, de bière et de cidre. Plus encore, en 1921, le gouvernement québécois adopte carrément une loi contre la prohibition.

Ce sera, pour un moment, le seul endroit au Canada – et même aux États-Unis – où l’alcool sera légal. Cependant, plusieurs municipalités de la province imposeront la prohibition.

Le Québec ne restera cependant pas seul longtemps dans son camp. Dès 1920, la Colombie-Britannique et le Yukon votent en faveur de la vente légale d’alcool. Ce sera ensuite le Manitoba (1921), l’Alberta (1923), la Saskatchewan (1925), l’Ontario et le Nouveau-Brunswick (1927) et la Nouvelle-Écosse. (1930). Quant à la championne de la prohibition, l’Île-du-Prince-Édouard, elle tiendra le fort jusqu’en 1948.

Meanwhile, aux États-Unis…

Ironiquement, pour un pays où les États ont davantage de pouvoir que les provinces en ont au Canada, les États-Unis mettront en œuvre la prohibition partout au sein de leurs frontières pendant 13 ans. Pour y arriver, il aura cependant fallu un amendement constitutionnel, obtenu facilement auprès de 46 des 48 États de l’époque.

En mars 1916, des barmans de Toronto ont fait une file d’un demi-mille de long pour protester contre la prohibition. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds John Boyd/a072524

Il faut alors légiférer. Le Congrès américain adopte avec une forte majorité La National Prohibition Act. Mais le président Woodrow Wilson met son véto. En deux jours, le Congrès réussit cependant à contrecarrer le refus du président en votant à plus de deux tiers contre le véto.

L’Amérique est désormais «sèche»…, mais en apparence seulement. Une contrebande massive et efficace s’organise. Elle profite énormément au crime organisé, dont le membre le plus notoire est Al Capone, chef de la pègre de Chicago.

La contrebande au Canada

Le Canada sera l’un des principaux fournisseurs d’alcool aux États-Unis pendant les années de la prohibition. La frontière est longue et les douaniers, peu nombreux… Surtout qu’au Canada, pendant les années de restriction, la vente est interdite, mais non la fabrication.

On ne peut pas parler de prohibition sans évoquer Al Capone, gangster par excellence, qui a fait la loi à Chicago pendant les années 1920. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

À certains endroits, les trafiquants versent des pots-de-vin pour obtenir une heure de passage à la frontière sans problème.

Au Nouveau-Brunswick, les Acadiens sont fortement engagés dans la contrebande vers les États-Unis. En 1930 seulement, 73 % des amendes ou des arrestations impliquent des patronymes acadiens.

Située le long de la frontière américaine, la région du Madawaska dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick comptait huit entrepôts d’alcool destinés à l’exportation illégale dans les années 1920.

Dans cette région, seule une petite rivière sépare les deux pays. La violence fait partie du jeu. Les maisons de deux policiers à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, sont abimées partiellement par des explosions à la dynamite.

La palme de la contrebande d’alcool revient cependant aux iles Saint-Pierre-et-Miquelon, cet archipel français situé à 20 kilomètres des côtes de Terre-Neuve. Des cargos partis de France et d’ailleurs en Europe viennent y décharger l’alcool qui sera acheminé au pays de l’Oncle Sam.

L’âge d’or des contrebandiers se terminera en février 1933, alors que les États-Unis mettent fin à la prohibition et abrogent l’amendement constitutionnel de 1920. Le lendemain de veille sera pénible pour les trafiquants.

1974. Il y a 50 ans, un compositeur français rêve de produire un opéra rock.

Insatisfait de son projet, ce compositeur fait appel à un parolier canadien qu’il ne connait pas. Il le fait venir à Paris et lui fait écouter une mélodie en quête de mots.

Son invité se met à l’œuvre. «J’ai essayé tous les mots d’une syllabe – pars, va, seul, je marche seul», a-t-il raconté plus tard. Puis, viendra le coup de génie, le mot juste : stone.

Michel Berger, compositeur de la musique de Starmania, a recruté Luc Plamondon pour créer l’opéra rock. 

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Ce compositeur, c’était Michel Berger.

Lui-même chanteur, compositeur et producteur, il découvre les spectacles musicaux lors d’un voyage aux États-Unis.

Il est alors en couple avec sa future femme, France Gall, lorsqu’il écrit, en 1974, un album-concept, Angelina Dumas, inspiré de l’enlèvement de Patricia (Patty) Hearst, fille du magnat américain de la presse, Randolph Hearst. Cette dernière finira par épouser la cause de ses ravisseurs et participera à des braquages de banques avec eux.

L’album est enregistré avec France Gall, mais Michel Berger reste sur sa faim. Il part à la recherche d’un auteur qui pourrait mieux traduire la violence qu’il veut exprimer.

Sa complice lui fait écouter un album de la Québécoise Diane Dufresne, des chansons dont elle apprécie les paroles. Michel Berger retourne la pochette pour voir qui est le parolier : Luc Plamondon.

Berger l’appelle. Il est 5 heures du matin. Plamondon a raconté l’épisode : «Il s’était trompé dans le décalage horaire. Il m’a simplement dit “bonjour, je m’appelle Michel Berger. Je voudrais écrire un opéra rock avec toi”.»

Berger fera la musique, Plamondon les textes.

Ce sera la rencontre de deux francophonies que sépare l’Atlantique. Grand amateur de la culture américaine, Michel Berger est séduit par l’écriture de Plamondon, une poésie francophone teintée de l’influence de l’Oncle Sam.

Le parolier Luc Plamondon a écrit les paroles de toutes les chansons de l’opéra rock Starmania.  

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La création prend son temps

Les mois passent, l’évolution du projet nécessite réflexion. Finalement, en 1977, les deux nouveaux complices s’enferment pendant plusieurs mois à Antibes, sur la Côte d’Azur, pour plancher sur les chansons du futur Starmania. Il en ressortira un chef-d’œuvre.

Le monde est stone sera la chanson fétiche de Luc Plamondon. C’est la première et celle qui a donné le ton.

Mais plusieurs autres ont aussi traversé le temps : Le blues du businessman, Complainte de la serveuse automate, Les uns contre les autres, Ziggy, Quand on arrive en ville, Un garçon pas comme les autres, Ce soir on danse à Naziland.

Au départ, l’objectif de Michel Berger était d’améliorer son projet original, Angelina Dumas. Mais au final, on accouchera d’un opéra rock complètement nouveau.

De l’opus original de Berger, il ne restera dans Starmania qu’un personnage d’Angelina Dumas : Cristal. Cristal est l’animatrice d’une émission télé, Starmania, qui permet aux participants de devenir la star d’un soir, un genre de Star Académie instantané.

À l’image de Patty Hearst, Cristal se joint à un groupe violent, les Étoiles noires, et participe à leurs crimes.

L’histoire de Starmania est celle d’un Occident unifié, un État dont la capitale est Monopolis, terrorisée par les Étoiles noires. Un milliardaire veut en devenir le président : Zéro Janvier (celui qui aurait voulu être un artiste). Il vit dans une tour dorée de 121 étages avec, au sommet, une discothèque, le Naziland.

La populace vit surtout sous terre, où les Étoiles noires complotent au Underground café, dont la serveuse, Marie-Jeanne, rêve de cultiver ses tomates au soleil…

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Premier opéra rock en français?

On présente souvent Starmania comme le premier opéra rock francophone. En fait, comme toujours, il faut faire nuance avec les superlatifs.

Autour de 1970, il y avait bien eu quelques adaptations en français d’opéras rocks américains, comme Hair.

Alors, premier opéra rock en français tiré d’une œuvre originale? Encore là La Révolution française, présentée en 1973, revendique le titre.

Mais un an plus tôt, en 1972, un chanteur d’origine italienne, Herbert Pagani, produit un album intitulé Mégalopolis, qui deviendra, trois ans plus tard, un spectacle où l’artiste joue tous les rôles.

Il s’agit d’une fresque musicale futuriste : un président des États d’Europe Unie, dont la capitale est Mégalopolis, enjoint ses électeurs à consommer et consommer. Une bande de jeunes vivent à contrecourant. Les tours en béton ont remplacé la nature.

Mégalopolis, Monopolis…

Outre les noms des deux villes, difficile de ne pas voir les similitudes entre Mégalopolis et Starmania. La complainte du chauffeur de taxi dans Mégalopolis annonce celle de la serveuse automate. Zéro Janvier semble faire écho à Gilbert, l’homme d’affaires de l’œuvre de Pagani qui a des rêves artistiques…

Il y a là carrément inspiration. Luc Plamondon a lui-même déclaré que, sans Mégalopolis, il n’aurait jamais osé créer Starmania.

Mais cela n’enlève rien à la qualité de l’œuvre. Après la sortie de l’album Starmania, en 1978, vient la première mouture du spectacle, en 1979. Les versions, tant sur disque que sur scène, se multiplieront avec le temps.

À l’image de la collaboration Berger-Plamondon, les interprètes proviendront des deux côtés de l’océan. Au départ, ce sont, du Québec, Diane Dufresne, Fabienne Thibault, Claude Dubois, Nanette Workman; de France : Daniel Balavoine, France Gall. Un grand nombre d’autres artistes connaitront la gloire avec Starmania.

Certains voient dans Starmania une œuvre prémonitoire. Zéro Janvier, l’homme d’affaires qui vit dans une haute tour, pourrait évoquer Donald Trump. L’attaque projetée à cette dite tour n’est pas sans faire penser aux évènements du 11 septembre 2001 qui se sont produits aux États-Unis.

Les chansons comme les thèmes semblent traverser le temps sans trop de rides.

Cinquante ans plus tard, le monde est toujours stone. Starmania aussi.

En aout 1908, l’explorateur et médecin français Jean-Baptiste Charcot entame une expédition en Antarctique en compagnie de plusieurs scientifiques. C’est son deuxième séjour hivernal sur le «continent austral». Plusieurs scientifiques font partie de l’équipage de 30 hommes à bord du Pourquoi-Pas? IV.

L’église Santissimo Nome di Gesù (du Très Saint Nom de Jésus) où, pendant plus de 400 ans, a été conservée une prétendue relique du prépuce du Christ. 

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En décembre, le groupe atteint l’ile Petermann, située près de la côte de la pointe nord de l’Antarctique. Charcot décide d’hiverner dans une grotte de cette petite ile, à un endroit qu’il nomme Port Circoncision. Normal, puisque c’était un 1er janvier.

Eh oui, jusqu’en 1974, l’Église catholique (l’Église orthodoxe le fait toujours) célébrait ce jour-là la fête de la circoncision – celle de Jésus entendons-nous –, nom raccourci de la «fête de la circoncision du saint Prépuce de Notre Seigneur».

La circoncision, ça se fête?

Selon la pratique juive de l’époque – et encore aujourd’hui – les enfants mâles sont circoncis au huitième jour de leur naissance. L’Évangile de saint Luc mentionne au passage la circoncision de l’Enfant Jésus, qui était juif, rappelons-le.

Lors de cette cérémonie, on lui a aussi donné son nom, un peu comme le font les chrétiens lors du baptême.

Vers l’an 340, le pape Libère officialise le 25 décembre comme date de célébration de la naissance du Christ, une idée qui circulait depuis quelque temps déjà. Comme le huitième jour qui suit Noël est le 1er janvier, Libère consacre tout normalement ce jour comme la fête de la circoncision de Jésus.

Une pratique qui remonte loin, très loin

L’Ancien Testament nous raconte que Dieu a conclu une alliance avec Abraham et ses descendants (qui formeront le peuple juif).

L’abbaye Saint-Sauveur de Charroux, en France, affirme détenir le vrai saint prépuce. 

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Comme symbole de ce pacte éternel, Dieu prescrit un acte précis : «[…] que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération.»

La pratique se répandra à l’islam aussi, qui continue à la maintenir jusqu’à ce jour, mais elle fait l’objet de débats.

 Quel rapport avec la foi chrétienne?

Les théologiens chrétiens vont donner à la circoncision du Christ plusieurs significations symboliques et spirituelles. Selon eux, il s’agissait donc d’un acte pour effacer les péchés; la circoncision préfigurerait la crucifixion et le baptême, nouveau signe d’alliance avec Dieu.

L’apôtre Jacques le Juste était le chef de l’Église de Jérusalem, qui a tranché la question de la circoncision des non-Juifs. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Mais peu de temps après la mort de Jésus, un débat sur la circoncision fait rage et aurait même pu freiner l’expansion du christianisme.

Alors que des apôtres et des disciples s’aventuraient hors de Jérusalem et de la Judée pour répandre la «Bonne Nouvelle», une réflexion élargie sur la circoncision s’est imposée : fallait-il obliger les nouveaux adeptes non juifs de Jésus à respecter les lois et de la tradition juives – et par conséquent à se faire circoncire –, comme le faisaient les apôtres?

Saint Paul, qui fait le plein de croyants au sein des populations grecques, milite pour exempter ceux-ci des pratiques du judaïsme, alors que bien des apôtres et anciens s’y opposent.

Le Concile de Jérusalem tranche

Il faut régler l’affaire une fois pour toutes. Une assemblée est convoquée dans la Ville sainte. Le contenu de ce qui a été baptisé le «Concile de Jérusalem», qui aurait eu lieu vers l’an 50, est consigné dans le livre des Actes des Apôtres du Nouveau Testament.

La circoncision du Christ. 

Photo : Philippe Quantin, 1635, Musée des Beaux-Arts de Dijon, Wikimedia, Share Alike 4.0 International

La discussion est longue et tourne plutôt en faveur du statuquo. C’est alors que Pierre prend la parole. Il témoigne des conversions qu’il a faites auprès des païens : «Et Dieu, qui connait les cœurs, leur a donné l’Esprit saint tout comme à nous. Et il n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi».

L’assemblée et son chef, l’apôtre Jacques le Juste, se rallient alors aux arguments de Pierre, figure respectée de tous. Saint Paul fera longuement mention dans ses écrits de l’inutilité de la circoncision, une position qui sera maintenue par l’Église de Rome lorsqu’elle se sera solidement structurée.

Cela n’empêchera pas l’Église de célébrer la circoncision du Christ, comme on l’a vu. Plus encore, le culte du prépuce de Jésus comme relique devient tout un phénomène au Moyen-Âge.

La multiplication du prépuce

Plus d’une vingtaine d’églises d’Europe, dont une douzaine en France seulement, affirmaient abriter la fameuse relique du prépuce de Jésus, ce qui bien entendu était physiquement impossible…

Jean-Baptiste Charcot a placé la circoncision dans la toponymie. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

La légende la plus tenace veut que Marie ait conservé le prépuce de son fils pour le confier, après la résurrection, à Marie-Madeleine, disciple (et certains disent épouse) du Christ. Plus de 700 ans plus tard, un ange aurait apporté la relique au roi Charlemagne qui, à son tour, l’aurait remise au pape Léon III qui venait de le couronner à Rome.

Le prépuce aurait alors été placé dans la basilique de Latran, à Rome. Mais il aurait été dérobé en 1527 lors du sac de la ville par les troupes de Charles Quint. Miraculeusement, il aurait été retrouvé, 30 ans plus tard, par une jeune fille de Calcata et installé dans l’église de ce petit village au nord de Rome.

Tous les 1er janvier, une procession défilait dans les rues du village pour vénérer la prétendue relique, jusqu’à ce que celle-ci soit volée en 1973. On ne l’a pas revue depuis.

Retour de popularité de la circoncision au XXe siècle

Au XXe siècle, la circoncision revient en vogue, particulièrement dans les pays anglo-saxons, davantage pour des raisons d’hygiène et de santé, mais aussi pour des motifs religieux.

L’intervention maintient sa popularité jusque dans les années 1960, alors qu’elle se pratique chez la majorité des garçons au Canada. La proportion d’hommes circoncis se situe maintenant à environ 32 %, soit à peu près la même que dans le reste du monde.

Preuve de sa solidité, le navire Imo, qui a provoqué l’explosion du Mont-Blanc, a pu être récupéré et rebâti. Les mots «Belgian Relief» étaient toujours lisibles après la déflagration.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Si les grandes lignes de ce drame sont assez bien connues, les détails entourant la collision elle-même le sont moins, et ils sont dignes d’un scénario de film. Plusieurs hasards et un concours de circonstances feront en sorte que la trajectoire de deux navires se coupera dans les eaux entre Halifax et Dartmouth.

En 1917, Halifax est une ville de taille moyenne, avec ses 50 000 à 60 000 habitants. La Première Guerre mondiale fera d’Halifax une plaque tournante stratégique en raison de sa situation géographique et des eaux profondes de son havre libre de glaces à l’année. Le port, donnant sur l’océan Atlantique, est une escale parfaite pour les navires effectuant le trajet entre New York et l’Europe.

Le 3 décembre, un navire norvégien, le Imo, entre dans le havre d’Halifax, en provenance d’Europe. Il est vide. Le navire doit se rendre à New York chercher du matériel de secours destiné à la Belgique. On peut d’ailleurs voir en grandes lettres les mots «BELGIAN RELIEF» sur l’un de ses flancs.

Il jette l’ancre dans le bassin de Bedford, dans la partie nord du havre, à laquelle on accède en empruntant un petit détroit appelé The Narrows.

En raison de retards d’approvisionnement, le Imo ne peut partir que trois jours plus tard, le 6 décembre.

La veille, le Mont-Blanc, un navire français, arrive à Halifax, en provenance de New York, pour une escale avant d’entreprendre la traversée de l’Atlantique. Il transporte des tonnes de benzène, d’acide picrique très explosif et du TNT. Mais il arrive trop tard pour entrer dans les eaux du port, les filets anti-sous-marins ayant été déployés pour la nuit.

On entre dans la danse

Ce n’est que le matin du 6 décembre, vers 7 h 30, que le Mont-Blanc peut pénétrer dans le havre. À peu près au même moment, le Imo amorce sa sortie du bassin et s’engage dans les Narrows. Pressé de rattraper son retard, le capitaine pousse la note et navigue plus vite que permis.

Selon les règles, la navigation dans le havre doit se faire par la droite. Or, un navire se dirige vers le Imo dans la mauvaise «voie». Pour le contourner, le Imo doit se déplacer à gauche, vers le centre du détroit. Aussitôt fait, voilà qu’un autre navire arrive vers le Imo dans la voie du centre et l’oblige à bifurquer encore plus vers la gauche.

Pendant ce temps, le Mont-Blanc se dirige vers les Narrows, en longeant, comme le veut le règlement, la rive à sa droite, du côté de Dartmouth. Le pilote du navire français aperçoit, à un peu plus d’un kilomètre devant lui, le Imo qui est directement dans sa trajectoire à cause de ses manœuvres imprévues.

Un tango solitaire

Ayant le droit de passage, le Mont-Blanc lance un signal au Imo lui indiquant qu’il doit bifurquer vers sa droite pour le laisser passer. Pour une raison qu’on ignore, le Imo garde le cap.

Le capitaine du Mont-Blanc ordonne alors de stopper les moteurs et s’approche un peu plus de la rive. Encore une fois, il demande au Imo de s’éloigner vers le centre du détroit. Mais rien n’y fait.

Le Imo arrête à son tour ses moteurs, mais c’est trop tard : les deux navires sont sur leur lancée.

Dans un dernier geste désespéré, le capitaine du Mont-Blanc donne un brusque coup de barre à gauche, vers le centre du havre. Le navire passe devant le Imo, qui décide de redémarrer ses moteurs en sens inverse.

La manœuvre n’aidera en rien les choses, bien au contraire. Le mouvement des moteurs fait obliquer le Imo, qui finit par heurter le Mont-Blanc sur son flanc. Il est 8 h 45.

Photo de l’explosion prise depuis le bassin Bedford, environ 20 secondes après la déflagration. La hauteur de la fumée a été estimée à plus de 3 600 mètres. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le Imo réussit à se dégager, laissant une brèche dans le Mont-Blanc. Les dommages sont minimes, mais l’impact et surtout le retrait de l’Imo provoquent des étincelles qui enflamment les vapeurs de benzène ayant coulé sur le pont.

Une grande colonne de fumée noire s’échappe du Imo. Des curieux s’approchent sur la rive, alors que plusieurs personnes regardent la scène spectaculaire de leur fenêtre. Des navires s’approchent pour tenter d’éteindre l’incendie.

La plupart des personnes présentes ne se rendent pas compte du danger. L’équipage du Mont-Blanc, si.

Dès que l’incendie s’est déclenché, le capitaine a ordonné l’évacuation du navire. À bord de canots de sauvetage, les membres d’équipage rament vers la rive, criant vers les bateaux qui s’approchent pour les avertir de l’imminente explosion. Mais dans le bruit et la confusion, c’est un cri dans le désert.

Le Mont-Blanc en feu, sans équipage, dérive de l’autre côté du havre, du côté d’Halifax. Puis, c’est l’explosion.

Il est 9 h 4 min 35 s.

L’apocalypse

L’onde de choc est terrible. Plus de 2,5 km2 du quartier Richmond d’Halifax sont détruits instantanément, de même que tout ce qui se trouvait dans un rayon de 800 mètres du navire.

L’explosion provoque un tsunami d’environ 18 mètres. Le déplacement de l’eau est tel que, par endroits, le fond du havre est brièvement à découvert. Un nuage de fumée blanche s’élève à plus de 3,6 kilomètres dans le ciel.

Vue du quartier de Richmond, à Halifax, peu après l’explosion. Dartmouth est de l’autre côté du havre. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le Mont-Blanc est pulvérisé. Une partie de l’ancre du navire est projetée à presque quatre kilomètres de la déflagration. Plusieurs personnes seront également propulsées, certaines sur une distance d’un kilomètre. Quelques-uns survivront à leur chute.

En tout, environ 1 600 personnes meurent sur le coup. De 300 à 400 autres succomberont de leurs blessures les jours suivants. On comptera jusqu’à 9 000 blessés, dont des centaines ayant perdu la vue en raison des éclats de verre. Le drame a également laissé environ 25 000 personnes sans abri.

Ayant gagné la rive de Dartmouth, l’équipage du Mont-Blanc a survécu, sauf un membre. Quant au Imo, seulement 6 des 39 personnes à bord, étonnamment, ont été tuées. Le navire lui-même, poussé sur la rive opposée, a même pu être reconstruit.

Des allures d’explosion nucléaire à Halifax le 6 décembre 1917.

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada/c017501

Plan large d’Halifax après l’explosion depuis le front de mer.

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada/c006967

Vue des dommages sur la section nord du chemin Campbell, dans la partie nord d’Halifax. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Miscellaneous collection/c003625b

Le secteur le plus touché de la ville d’Halifax est tracé en rouge. Au sud, au milieu du détroit, deux «X» représentent la position des deux navires au moment de la collision.

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds du ministère de la Défense nationale/e000000569

Plusieurs années plus tard, un certain Robert Oppenheimer étudiera l’explosion afin de mieux prédire les effets de la bombe atomique…

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Carte postale de l’Observatoire royal de Greenwich en 1920.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le temps et le méridien sont les revers d’une même médaille. Une médaille britannique, dans le cas de Greenwich, du nom d’une banlieue de Londres et de l’observatoire où la ligne imaginaire allant du pôle Nord au pôle Sud a été tracée, premièrement au XVIIe siècle, puis légèrement modifiée à quelques reprises avant d’être reconnue comme le méridien de référence par la plupart des pays industrialisés en 1884.

Depuis près de 150 ans donc, le méridien de Greenwich constitue la référence internationale, la longitude «zéro», qui sert à calculer la distance est-ouest et le temps.

Cette idée de «méridien zéro» ou de «premier méridien» remonte au monde romain. Au IIe siècle apr. J.-C., le grand savant grec Ptolémée avait fixé le «premier méridien» au point le plus à l’ouest connu à son époque, soit les iles Canaries, à l’ouest du Maroc actuel.

Plusieurs premiers méridiens, un seul l’emportera

Depuis le XVe siècle, chaque puissance maritime de l’Europe s’était choisi son propre méridien comme repère pour la navigation.

Pourquoi différents méridiens? Pour calculer la latitude, il ne peut y avoir qu’une ligne centrale à l’horizontale autour de la Terre, à son point le plus large, c’est-à-dire un «équateur».

Le méridien de Greenwich traversant le globe de nord au sud. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public.

Mais pour ce qui est des longitudes, n’importe quelle ligne verticale peut diviser la Terre en deux. L’établissement d’une longitude – ou d’un méridien – de base doit faire l’objet d’un consensus.

La France est non seulement à l’origine d’un des grands méridiens de base des Temps modernes, mais elle en a offert probablement la définition la plus poétique.

En effet, le cosmographe et pilote hauturier Jacques Devault décrivait ainsi cette ligne en 1583 : «Méridien est une ligne qui se imagine de l’un des polles du monde à l’autre et passe droict par-dessus nostre tête auquel le soleil en y arrivant faict midy à tous ceux qui habittent desoubz icelle ligne.»

En plus d’être beau, c’est tout à fait exact.

En 1634, une ordonnance du roi Louis XIII rend obligatoire le méridien fixé par Ptolémée.

Au cours du même siècle nait ensuite le méridien de Paris, qui aura une très longue vie. Il a été mesuré en 1667 par des mathématiciens de l’Académie royale des sciences fondée un an plus tôt par Jean-Baptiste Colbert, principal ministre de Louis XIV.

Ce nouveau méridien de base français remplacera peu à peu celui fixé en 1634 sous Louis XIII.

Le mètre, un petit, petit bout de méridien…

La création du mètre est survenue au début de la Révolution française. Voulant mettre fin à la confusion des différentes mesures en cours et de se libérer des unités seigneuriales, le nouveau régime a voulu établir une mesure unique. Des scientifiques ont alors défini le mètre comme étant le dix-millionième partie de l’arc du méridien de Paris, entre le pôle Nord et l’Équateur, c’est-à-dire le quart de la circonférence nord-sud de la Terre.

Cette mesure est très similaire à l’unité proposée au XVIIe siècle par l’Anglais John Wilkins, en se basant sur la distance parcourue d’un pendule pendant une seconde, et qui mesurait… 993,7 millimètres. Coïncidence sans doute. Le savant italien Tiato Livio Burattini redéfinit peut après la mesure de Wilkins en la nommant metro cattlico, soit «mesure universelle», et d’où vient le mot mètre.

Le méridien origine, traversant l’Observatoire royal de Greenwich. 

Photo : Daniel Case, Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

L’Observatoire royal de Greenwich a une histoire fascinante. 

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Adieu Paris, welcome Greenwich

Chez le voisin du nord, on avait aussi tracé un méridien, soit en 1676, à l’Observatoire royal de Greenwich, en banlieue de Londres. C’était l’époque où un Stuart portait encore la couronne d’Angleterre, plus précisément Charles II, fils du premier Charles, celui qui avait littéralement perdu la tête pendant la première révolution anglaise.

Carte de 1683 montrant le méridien de Paris traversant la France. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

La longitude, qui passait sur un point situé dans l’institution, a été modifiée à quelques reprises avec l’arrivée de nouveaux instruments plus précis. Pendant le XIXe siècle, le méridien de Greenwich aura la cote parmi les marins, si bien qu’au début des années 1880, les deux-tiers des navires de par le monde, dont ceux des États-Unis, l’utilisent comme référence.

Il devient alors de plus en plus nécessaire de fixer une fois pour toutes le «premier méridien», la longitude 0, afin que tous soient sur la même… longitude, si on peut dire.

En 1884, le président américain de l’époque, Chester A. Arthur, convoque une grande conférence internationale du méridien à Washington. Plus de quarante délégués provenant de 25 pays y convergent.

En plus de sa popularité, le choix de Greenwich s’explique du fait que le système de fuseaux horaires découlant de ce méridien était devenu la norme aux États-Unis pour fixer des heures régulières.

Les participants adopteront à cette même conférence la division du globe en 24 zones ou fuseaux qui avait été proposée cinq ans auparavant par l’Écossais Sandford Fleming, un ingénieur de renom qui s’établira ensuite au Canada où il deviendra l’un des plus grands arpenteurs du chemin de fer.

L’heure de base fixée au méridien de Greenwich fera en sorte que la longitude à ses antipodes, littéralement à l’autre bout du monde, deviendra la ligne du changement de date, et où il est douze heures de plus qu’à Greenwich, ou de moins, selon de quel côté on se situe.

Le méridien de Greenwich tracé sur le terrain de l’Observatoire. 

Photo : Mélanie Tremblay

Un méridien dans la gorge

La France votera contre les propositions de la conférence de Washington, dans une vaine tentative de sauver son méridien, même si la Grande-Bretagne acceptait, en contrepartie, d’adopter le système métrique. Il faudra attendre 1911 et 9 minutes 21 secondes avant que la France ne reconnaisse Greenwich et n’aligne son «heure de Paris» à celle du fuseau horaire 0.