le Mardi 13 mai 2025

Il y a 50 ans, un restaurant destiné à connaitre une grande renommée ouvrait ses portes dans l’hôtel Mayfair, sur Park Avenue à New York, au cœur de Manhattan : Le Cirque.

Il s’agit du projet de deux partenaires, l’Italien Sirio Maccioni et le Français Jean Vergnes. Les deux s’étaient rencontrés alors qu’ils travaillaient dans un autre hôtel de New York, le Colony, qui a fermé en 1971.

Sirio Maccioni allait passer à l’histoire du secteur de la restauration à New York et même au-delà.

Invitation en Nouvelle-Écosse

Né en Toscane, il avait appris les rudiments du métier au célèbre restaurant parisien Maxim’s, grâce à un certain Yves Montand, lui aussi d’origine italienne (né Ivo Livi), plus précisément d’une commune tout près de celle de Maccioni.

Sirio Maccioni en 1982 dans son restaurant célèbre Le Cirque. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 2.0 générique

Quant à Jean Vergnes, il était originaire de Rives, une petite ville d’Isère, dans le sud-est de la France. Après des études en cuisine, lui aussi fait ses premières armes à Paris, dans son cas au restaurant de l’hôtel Raphaël. Capturé par les nazis, il avait réussi à s’échapper en se déguisant en officier allemand, puis il s’était joint à la Résistance.

Un an après l’ouverture du Cirque, les deux partenaires, accompagnés de la femme de Maccioni, Egidiana, ainsi que de deux autres personnes, sont invités en Nouvelle-Écosse par Carlo Amato, un ami de Maccioni.

Ils séjournent dans son immense villa sur l’ile Roberts, non loin de Yarmouth, dans la région acadienne du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse.

Les anciens Acadiens du coin appelaient cette ile «La Tour». Selon l’auteur de l’Histoire du Cap-Sable, Clarence-J. d’Entremont, elle tire son nom de Charles de Saint-Étienne de La Tour, un Français qui y avait établi un poste de traite lorsqu’il était commerçant, avant de devenir gouverneur de l’Acadie en 1632.

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Carlo Amato, homme hors du commun

Carlo Amato est tout un personnage. Italien lui aussi, il est fils d’un baron (Giuseppe Amato Chiaramonte Bordonaro) et d’une comtesse (Fernanda Gianni Paolini). Son grand-père est sicilien et sénateur.

C’est dans la maison d’été en Nouvelle-Écosse du riche Italien Carlo Amato qu’ont été inventées les fameuses pâtes primavera, en 1975. 

Photo : OnellaJappy, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4.0 international

Il émigre aux États-Unis en 1959 et fait fortune dans l’industrie de l’amiante. Il deviendra plus tard ambassadeur de l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte (connu sous l’Ordre de Malte), une organisation caritative internationale qui se consacre notamment aux personnes démunies.

En 1965, il achète un vaste terrain sur l’ile Roberts et y fait construire une immense villa, qu’il baptise Shangri-La (paradis), du nom d’un lieu de l’Himalaya tibétain imaginé par l’auteur britannique James Hilton dans son livre Les Horizons perdus.

Le vaste domaine de Carlo Amato comprend également un labyrinthe de lavande, et plusieurs pavillons pour invités. Sur son domaine, il introduit des sangliers provenant de la Forêt-Noire allemande pour s’adonner à la chasse récréative. Il en vend la viande à des restaurants de Montréal et de New York.

Amato accueille dans son domaine des personnalités internationales, dont les actrices italiennes Sophia Loren et Gina Lollobrigida. Il invite aussi des chefs de renom pour expérimenter des plats à base de viande de sanglier.

La naissance d’un classique

C’est dans ce contexte que les deux propriétaires du Cirque et les personnes qui les accompagnent arrivent en Nouvelle-Écosse.

Un après-midi, Egidiana décide de préparer un petit plat de pâtes avec ce qu’elle a sous la main : tomates, haricots verts, pois surgelés, brocoli et noix de pin. Elle y ajoute une crème épaisse afin de lier le tout. Ainsi naissent les pâtes primavera!

Comme tout bon plat classique, les pâtes primavera ont plusieurs variantes. 

Photo : Stacy Spensley, Wikimedia Commons, attribution 2.0 générique

Sirio Maccioni aime le résultat. De retour à New York, il retravaille la recette quelque peu et décide de servir le plat à son restaurant. Les clients en redemandent!

Sauf que Jean Vergnes, qui est responsable de la cuisine, refuse d’inscrire les pâtes primavera – ou tout autre plat de pâtes – au menu du Cirque.

Pour satisfaire sa clientèle, Maccioni fait préparer les pâtes – en l’occurrence des spaghettis – dans un grand chaudron dans un couloir à côté de la cuisine. L’assemblage et le dressage des assiettes ont ensuite lieu en salle à manger.

Le plat connait une telle popularité qu’il devient la signature du restaurant, tout en ne figurant jamais sur le menu…

C’est dans la maison d’été en Nouvelle-Écosse du riche Italien Carlo Amato qu’ont été inventées les fameuses pâtes primavera, en 1975. 

Photo : OnellaJappy, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4.0 international

Or, voilà que Mimi Sheraton, une des plus grandes critiques gastronomiques des États-Unis, publie un article élogieux sur le restaurant Le Cirque et son plat «officieux». Une autre critique renommée, Gael Greene, fait de même et décrit le plat comme étant «aussi croustillant et de toute beauté que Matisse».

Jean Vergnes doit déposer les armes; il accepte finalement d’offrir officiellement au Cirque les pâtes primavera, dont la réputation se répandra comme une trainée de poudre… Primavera bien qui rira le dernier.

Elles font leur apparition dans les restaurants italo-américains de la ville, puis un peu partout aux États-Unis. Sirio Maccioni dira que le plat surpassera l’emblématique fettucine Alfredo dans la faveur des gourmets.

Paternité contestée

Comme c’est souvent le cas, la paternité – ou la maternité dans ce cas-ci – des pâtes primavera sera contestée.

Un chef amateur, Edward Giobbi, soutient qu’il avait montré un plat similaire à Maccioni et à Jean Vergnes et que Vergnes l’avait légèrement modifié. Cette version des origines des pâtes primavera est plus ou moins probable vu qu’on sait avec certitude que Vergnes ne voulait rien entendre des pâtes.

Un autre chef, Franco Brigandi, clame aussi les avoir inventées alors qu’il était maitre d’hôtel au Il Gatto Pardo Ristorante à New York.

Ces affirmations sont vouées à mal passer l’épreuve du temps. De façon générale, on admet que les pâtes primavera ont été conçues et préparées un certain été avec ce qu’il y avait dans le frigo sur une ile néoécossaise, dans un coin d’Acadie.

Charlene Richard à l’âge de 9 ans. L’enfant qui voulait être une sainte. 

Photo : Courtoisie Warren Perrin

En Louisiane, elle est surnommée la «Little Cajun Saint» (la sainte petite Cadienne). Charlene Richard pourrait devenir la première personne d’ascendance acadienne à être déclarée sainte par l’Église catholique. Son dossier est à l’étude à Rome depuis l’hiver dernier.

Or, ne devient pas saint qui veut; le procès de canonisation n’est pas de tout repos.

L’histoire de Charlene Richard est loin d’être anodine. Elle est née le 13 janvier 1947 à Pointe-à-l’Église (Church Point), un établissement fondé sur les rives du bayou Plaquemine Brûlé par les descendants des familles acadiennes arrivées en Louisiane au XVIIIe siècle.

Plus qu’une famille acadienne du nom de Richard a trouvé une nouvelle vie en Louisiane; Charlene et le chanteur Zachary Richard descendent du même couple pionnier, Pierre Richard et Marguerite Dugas. Zachary Richard est le cousin au sixième degré du père de Charlene, Elvin Richard.

Charlene était la deuxième de dix enfants de Joseph Elvin Richard et de Mary Alice Matt Bourgeois. Alors qu’elle est en 2e année, elle et sa famille déménagent à Richard, petite localité nommée en l’honneur de cette famille acadienne et qui est située à quelques kilomètres au nord-ouest de Pointe-à-l’Église.

Pointe-à-l’Église est entourée de communautés aux noms évocateurs, comme Arceneaux, Mouton, Vatican, Evangeline… 

Image : Google Map

Charlene faisait partie de cette génération de Cadiens et de Cadiennes à qui on interdisait – souvent par la force – de parler français à l’école. Mais Charlene le parlait à la maison. Son père ne comprenait pas l’anglais.

À lire aussi : Il y a 100 ans, le français subissait l’omerta en Louisiane

La religion prend beaucoup de place dans la vie de Charlene dès son jeune âge. Elle connaissait son rosaire par cœur à l’âge de 7 ans et le récitait tous les soirs près d’un petit autel qu’elle avait aménagé dans sa chambre. Sur la table à côté reposaient une bible et un crucifix.

Inspirée par une sainte

Un jour, son enseignante lui donne une photo de sainte Thérèse de Lisieux, religieuse française morte de la tuberculose à l’âge de 24 ans à la fin du XIXe siècle. À compter de ce moment, Charlene déclare vouloir devenir sainte.

Sainte Thérèse de Lisieux a été l’inspiration de la jeune Charlene Richard. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

À 12 ans, elle a une vision d’une femme, ou d’une silhouette ressemblant à une femme, près d’un chêne, toute de noir vêtue. Un bonnet noir couvrait son visage. Ses yeux, même couverts, brulaient la peau de Charlene.

Cette dernière lui a demandé en criant : «Au nom de Dieu, que voulez-vous?» La mystérieuse femme s’est alors volatilisée. Charlene dira l’avoir revue le lendemain.

Peu après cette «rencontre», des bleus commencent à apparaitre sur le corps de Charlene. Elle a mal à une hanche et a des saignements de l’intestin, au point de s’évanouir à quelques reprises.

On lui fait subir des tests. Les médecins informent ses parents qu’elle souffre de leucémie avancée. Elle n’a qu’environ deux semaines à vivre. On l’hospitalise à Lafayette.

Les derniers moments de la vie de la jeune fille seront une véritable agonie. Mais on dit qu’elle ne s’est jamais plainte et acceptait son sort avec sérénité.

L’aumônier de l’hôpital, le père Joseph Brennan, l’accompagne quotidiennement dans son pénible parcours. Il lui apprend la doctrine de la «souffrance rédemptrice». En gros, c’est la croyance selon laquelle l’acceptation de la souffrance peut servir à guérir ou à sauver d’autres personnes.

Chaque jour, le prêtre et Charlene choisissent une personne souffrante pour faire l’objet des prières de la jeune Cadienne.

Guérisons et prières répondues

Un autre prêtre, Floyd Calais, ami du père Brennan, dira plus tard que certaines personnes pour lesquelles Charlene avait prié lorsqu’elle était mourante ont été guéries ou se sont converties au catholicisme. Une religieuse également présente à l’hôpital, sœur Theresita Crowley, a fait le même témoignage.

Chaque année, environ 10 000 personnes viennent se recueillir sur la tombe de Charlene Richard près de l’église Saint Edward, située en bordure de la route Charlene. 

Photo : Courtoisie Warren Perrin

Charlene meurt le 11 aout 1959 et est enterrée dans sa localité de Richard.

De plus en plus de gens affluent vers sa tombe. En 1975, une publication du diocèse de Lafayette faisant état des faveurs obtenues par la dévotion envers la défunte contribue à étendre sa renommée à l’extérieur de la région.

Quelques années plus tard, des centaines de personnes par semaine visitent sa tombe, qui est illuminée le soir afin d’y accueillir aisément les fidèles.

En 1989, une messe organisée par les pères Brennan et Calais y est célébrée pour souligner le 30e anniversaire de la mort de Charlene Richard. Environ 4000 personnes assistent à la cérémonie, qui est diffusée par la télévision locale. Des articles sont publiés dans plusieurs journaux.

L’histoire de Charlene Richard se propage à l’extérieur de la Louisiane. Les demandes pour sa canonisation se multiplient.

Une fondation – «Friends of Charlene» – se forme pour piloter le projet. Celle-ci reçoit et compile les dizaines de lettres de témoignage des guérisons inexpliquées et des faveurs rendues attribuées à l’intercession de Charlene.

Les efforts de canonisation exigent aussi beaucoup d’argent. En 2002, Michael Mouton, un homme d’affaires de Lafayette, offre un million de dollars pour la cause. Il dit avoir eu une vision de Charlene se tenant debout au pied de son lit alors qu’il était sous anesthésie lors de son opération à cœur ouvert.

Le diocèse de Lafayette se lance

En 2007, l’évêque de Lafayette, Mgr Jarrell, accepte d’ouvrir une enquête de canonisation pour Charlene Richard, mais elle n’aboutit pas.

Il faudra attendre 2019 et un nouvel évêque, en la personne de Mgr Douglas Deshotel, pour raviver la démarche. Deux ans plus tard, il décide d’entamer officiellement le processus en désignant Charlene Richard «servante de Dieu».

Quatre autres années seront nécessaires pour mener à terme l’enquête du diocèse et  passer à la prochaine étape. Celle-ci a été franchie en janvier 2024, alors que Mgr Deshotel a «clos» le processus diocésain par une cérémonie religieuse lors de laquelle les documents devant servir à prouver la sainteté de Charlene ont été bénis.

Plus tard ce mois-là, les documents – plus de 1000 – prennent le chemin de Rome pour être remis au «Dicastère pour la cause des Saints». C’est cette instance qui décidera si la candidature à la sainteté sera soumise au pape.

Mais ce n’est pas la fin, loin de là. Le pape, s’il accepte la recommandation, déclarera Charlene Richard «vénérable». La reconnaissance d’un miracle est alors nécessaire pour qu’elle soit déclarée «bienheureuse». Un deuxième miracle conduira finalement à la sainteté.

On en est là. Difficile de dire combien de temps prendront les prochaines étapes. Mais pour bien des Cadiens et Cadiennes de la Louisiane, Charlene est sainte depuis déjà longtemps.

«Travailler c’est trop dur, et voler c’est pas beau», chantait Zachary Richard. Au XIXe siècle, alors que l’industrialisation entrait à pleines portes dans les sociétés occidentales, les travailleurs étaient du même avis que le chanteur cadien.

À l’époque, on se battait, non pas pour la semaine de quatre jours, pour le travail à distance ou pour la conciliation travail-vie personnelle. On revendiquait plutôt la journée de travail de moins de 10 heures. Travailler 10 heures par jour était la norme. Pour certains, c’était même 12 heures. Six jours par semaine.

En 1872, le syndicat des typographes de Toronto (Toronto Typographical Union) revendique la journée de neuf heures auprès des éditeurs des grands journaux de la ville. Ces derniers, en particulier George Brown, propriétaire du journal le Globe, s’opposent à la demande qualifiée de «sotte», «absurde» et «abusive».

La «première fête du Travail» a eu lieu en 1882, à New York. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

En riposte, le syndicat déclenche la grève le 25 mars. Les éditeurs engagent du personnel de remplacement afin de continuer à imprimer leurs journaux. Les typographes gagnent cependant l’appui de la population.

En avril, environ 2000 travailleurs défilent dans les rues de Toronto. Lorsqu’ils arrivent à Queen’s Park, 10 000 sympathisants se joignent à eux.

Mais les activités syndicales sont illégales à l’époque en Ontario. Le lendemain de la manifestation, la police arrête et emprisonne 24 membres du comité de grève.

Les évènements prennent une tournure inattendue. Le premier ministre canadien, John A. Macdonald s’en mêle. Il prend le parti des travailleurs et fait adopter la Loi sur les syndicats ouvriers, qui légalise et protège l’action syndicale.

Ce n’est pas seulement par conviction ou par souci de justice que le premier ministre agit ainsi. George Brown, considéré comme l’un des «Pères de la Confédération», est l’un des grands adversaires libéraux de John A. Macdonald. De plus, l’adoption de cette loi lui vaudra le vote de nombreux travailleurs.

Solidarité pour une journée de travail allégée

Mais la bataille pour la journée de travail de neuf heures n’est pas gagnée pour autant. Au cours des années suivantes, les syndicats organisent des rassemblements annuels à divers endroits au Canada afin de réitérer leur demande.

En 1882, Peter J. McGuire, figure emblématique du syndicalisme aux États-Unis et cofondateur de la Fédération américaine du travail, assiste à un de ces rassemblements ouvriers à Toronto.

Inspiré, il organise, le premier lundi de septembre, un immense défilé «festif» dans les rues de New York. Certaines sources rapportent une foule d’entre 10 000 et 20 000 personnes; d’autres jusqu’à 30 000.

Même les régions loin des grands centres soulignaient déjà la fête du Travail au début du XXe siècle, comme Dawson City, au Yukon, le 3 septembre 1906. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/George G. Murdoch Collection/a022493

Le Canada prend acte. Une Commission royale sur les relations du travail et du capital (menée entre 1886 et 1889) recommande d’établir par une loi un jour de repos, «appelé Jour ou Fête du travail».

En juillet 1894, cinq ans après les rapports de cette Commission, le gouvernement de John Thompson adopte une loi officialisant la fête du Travail, une décision qui arrive la même année qu’aux États-Unis. Comme deux frères…

La première fête du Travail «officielle» cette année-là donne lieu à d’immenses défilés, notamment à Winnipeg – il s’étale sur cinq kilomètres – et à Montréal, qui avait déjà célébré cette fête une première fois en 1886 (et en avait fait un jour civique en 1889).

L’autre fête du Travail

Alors que la fête du Travail s’installe dans les deux pays le premier lundi de septembre, un autre jour prend forme pour faire l’éloge des travailleurs : le 1er mai. Et cette date aura une portée internationale.

Ironiquement, la fête du 1er mai tire ses origines aux États-Unis.

En 1884, deux ans après la première fête du Travail à New York, le mouvement syndical américain multiplie les efforts pour obtenir la journée de huit heures. On organise un coup de force partout au pays le 1er mai 1886.

Manifestation du 1er mai à Paris, en 2023. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

On rapporte que 340 000 ouvriers auraient suivi le mouvement de grève ce jour-là. À  Chicago, ils sont 40 000. Les manifestations se poursuivent dans cette ville les jours suivants.

Le 3 mai, les syndiqués des usines McCormick affrontent des briseurs de grève. Les forces de l’ordre interviennent et tirent sur les manifestants. Entre un et trois ouvriers perdent la vie (les sources ne s’entendent pas).

Le lendemain, une autre manifestation a lieu au Haymarket Square de Chicago pour protester contre les évènements de la veille. C’est un face-à-face : 200 manifestants d’un côté, 200 policiers de l’autre.

Soudainement, une bombe éclate devant les forces de l’ordre. Un policier est tué sur le coup. Puis, c’est le chaos. Les balles fusent, les coups aussi. Dans la mêlée, six autres policiers meurent. Entre quatre et huit manifestants trouvent la mort. Il y a des dizaines de blessés dans les deux camps.

Huit «anarchistes» sont accusés. Cinq seront condamnés à mort. Quatre d’entre eux seront pendus; le cinquième se suicidera avant de se rendre à l’échafaud. Les trois autres accusés écopent d’une peine de prison à vie.

Après ce drame, plusieurs États adoptent des lois pour établir un jour du Travail férié. L’Oregon est le premier à le faire en 1887 et choisit le premier samedi de juin. Quatre autres États font de même, mais fixent le congé au premier lundi de septembre.

La fête du Travail jouit d’une longue tradition à Cochrane, près de Calgary, autour de laquelle a lieu un rodéo. 

Photo : Wikimedia Commons, attribution 2.0 générique

En 1894, la démarche s’était étendue à 23 États. Cette année-là, le Congrès américain en fait une fête nationale. À ce moment, la date du congé n’avait pas été fixée.

On dit que le président américain Grover Cleveland a rejeté le 1er mai, ne voulant pas que cette date serve à commémorer les manifestations sanglantes de Chicago.

C’est pourtant ce qu’avaient déjà fait bon nombre d’autres pays. En 1889, la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris, choisit le 1er mai comme journée de grève et de manifestations ouvrières, afin de perpétuer la mémoire des émeutes de Chicago.

Cette date porte aujourd’hui le nom de «Journée internationale des travailleuses et travailleurs». Elle est soulignée au Canada depuis 1906 (Montréal) par des rassemblements, mais ce n’est pas un jour férié, contrairement à ailleurs dans le monde.

Toutefois, peu importe la date, un congé pour les travailleurs et travailleuses fait bien des heureux, parce que, souvent, «travailler c’est trop dur».

Lorsque le camionneur A.D. Booth a franchi le col Rogers, en Colombie-Britannique, avec son véhicule à l’été 1962, il ne se rendait peut-être pas compte qu’il passait à l’histoire.

Thomas Wilby déverse dans le Pacifique la bouteille contenant de l’eau de l’océan Atlantique. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada/a029908

Avec sa cargaison de 264 caisses de fraises, destinées à des acheteurs de Calgary, il a été l’un des premiers à emprunter le dernier tronçon de la route Transcanadienne. Auparavant, les fraises auraient mis trois jours en train pour faire le même trajet.

Et c’est bien là l’une des grandes motivations derrière ce projet de route nationale d’un océan à l’autre : le commerce. Le même motif avait mené au développement des réseaux ferroviaire et maritime au pays.

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Le chemin a été long

L’idée d’une route traversant le pays a commencé à poindre peu avant la Première Guerre mondiale.

En 1912, la Canadian Highway Association, un groupe de la Colombie-Britannique, exerce de plus en plus de pression sur le gouvernement canadien afin qu’une route traversant le pays voit le jour.

Le 27 aout 1912, le journaliste britannique Thomas Wilby, ainsi que son chauffeur et mécanicien Jack Haney, partent d’Halifax à bord d’une voiture de la Reo Motor Car Company. Ils prennent avec eux une bouteille remplie d’eau de l’océan Atlantique.

Cinquante-deux jours plus tard, soit le 17 octobre, les deux hommes arrivent sur l’ile de Vancouver. Il faut dire qu’à l’époque, seulement 16 kilomètres de route étaient asphaltés dans tout le Canada.

À destination, Thomas Wilby vide symboliquement sa bouteille dans l’océan Pacifique.

Thomas Wilby (à gauche) et Jack Haney à la fin de leur périple à travers le Canada. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada/a029919

Lors de leur expédition, les voyageurs ont eu à faire face à toutes sortes d’intempéries et à des pannes multiples. Les deux hommes ne s’entendaient pas du tout. Wilby était condescendant envers son compagnon mécanicien. Il le laissait seul à réparer les crevaisons ou à pousser la voiture enlisée dans la boue.

Dans le livre qu’il écrira sur ce périple, Wilby fera très peu mention de son chauffeur et il ne dira jamais son nom.

Ce n’est que par son livre qu’on apprendra plus tard que la traversée ne s’était pas faite uniquement sur la route. Dans le nord de l’Ontario, il n’y avait tout simplement pas de route. La voiture a effectué environ 1 500 kilomètres de Sault Ste. Marie à Winnipeg sur des wagons de train ou des traversiers.

Les pas hésitants du gouvernement fédéral

En 1919, le gouvernement d’union de Robert Borden adopte la Loi des grandes routes du Canada. Son but n’est cependant pas de construire une autoroute traversant le pays. Puisque les routes sont de juridiction provinciale et territoriale, le fédéral hésite à s’engager. La loi se limite essentiellement à établir des normes routières.

Travaux sur la route Transcanadienne à Algoma, en Ontario, en aout 1952. 

Photo : Bibliothèque et Archives Canada/Fonds de l’Office national du film/a133211

La crise économique des années 1939 pousse cependant Ottawa à investir plus directement dans le réseau routier. On évoque alors le rêve d’une autoroute qui permettrait aux Canadiens de se rendre d’un bout à l’autre du pays sans avoir à passer par les États-Unis.

Il faudra néanmoins attendre encore dix ans avant que le projet soit relancé.

En 1949, le gouvernement de Louis Saint-Laurent adopte la Loi sur la route Transcanadienne et conclut une entente avec neuf des dix provinces (y compris la nouvelle venue, Terre-Neuve).

Le Québec, dirigé par Maurice Duplessis, refuse de signer l’entente. Il ne s’oppose pas au projet comme tel, mais reste contre l’idée que ce soit le fédéral qui établisse les normes.

Le Québec comptait déjà une route asphaltée, de la frontière ontarienne jusqu’à la frontière néobrunswickoise. La province n’adhèrera officiellement au projet qu’en 1960, après l’avènement du gouvernement de Jean Lesage. L’accord donne lieu à la construction du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, entre Montréal et la Rive-Sud.

L’entente de 1949 prévoit que le gouvernement fédéral verse aux provinces 150 millions de dollars sur une période de sept ans, soit l’équivalent de la moitié des couts. Cette proportion grimpera à 90 % avant la fin des travaux.

Un projet titanesque

Les travaux ne seront entrepris que plus tard, dans les années 1950. Comme l’avait montré la traversée de 1912, le nord de l’Ontario pose un défi de taille. Il faut construire 25 ponts et y transporter des tonnes de gravier pour établir une base solide pour la route.

L’autre grand défi se situe au col Rogers, en Colombie-Britannique. Cette région des Rocheuses reçoit en moyenne plus de huit mètres de neige, et les avalanches sont fréquentes.

Section de la route Transcanadienne, près de Calgary. 

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2,0 générique

Pour que ce tronçon voie le jour, il faut construire des «paravalanches», soit des structures semblables à des tunnels qui font passer la neige provenant d’avalanches par-dessus l’autoroute. Parcs Canada et les Forces canadiennes sont appelés à collaborer afin de provoquer des avalanches de façon préventive, ce qui se fait d’ailleurs encore aujourd’hui.

C’est au col Rogers que le premier ministre canadien de l’époque, John Diefenbaker, choisit d’inaugurer la Transcanadienne, le 3 septembre 1962.

Sauf que… l’autoroute est loin d’être terminée. Certains tronçons ne sont toujours pas construits. Il reste 3 000 kilomètres à asphalter. La portion terre-neuvienne ne sera achevée qu’en 1965.

Ce n’est qu’en 1971 que les travaux prennent officiellement fin, 22 ans après l’adoption de la loi prévoyant la construction de cette route.

Quatrième plus longue autoroute du monde

La Transcanadienne, dans son tracé principal, fait 7 821 km très exactement. Elle est la plus longue route nationale après celle de l’Australie, et elle se classe au quatrième rang des autoroutes les plus longues du monde.

Le pont de la Confédération, inauguré en 1997, est l’un des derniers ajouts à la route Transcanadienne. 

Photo : Wladyslaw, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 3,0 (non transposé)

D’autres grands axes se sont ajoutés au fil des ans, comme l’autoroute Yellowhead, qui traverse l’Ouest canadien en reliant Winnipeg à l’archipel Haïda Gwaii en Colombie-Britannique.

En Ontario, une Transcanadienne «alternative» traverse presque complètement la province et se prolonge au Québec pour rejoindre le tronçon principal à Montréal.

Puis, avec la construction du pont de la Confédération qui a relié le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard en 1997, la route Transcanadienne s’étend maintenant sur un total de 12 800 kilomètres.

La grande majorité de ce réseau est à deux voies seulement. En 2000, le gouvernement de Jean Chrétien avait étudié la possibilité d’élargir à quatre voies tous les tronçons de la Transcanadienne, mais la volonté de certaines provinces de prioriser des autoroutes vers les États-Unis a tué dans l’œuf ce projet.

Comme quoi ce ne sont pas tous les rêves qui se réalisent…

Le Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer est un feu roulant de conférences, de discussions et de rencontres. Trouver le meilleur moment pour un échange entre deux journalistes demande une gestion du temps serrée. J’ai quand même pu organiser une rencontre avec un journaliste d’expérience dans l’espoir de partager quelques idées et bonnes pratiques pour nos milieux respectifs.

Devant moi se trouve Gilles Gagné, qui compte 35 ans de carrière en journalisme et qui connait la vie en milieu minoritaire dans ses deux principales formes au Canada.

Après ses études à l’Université d’Ottawa, il fait ses premiers pas au Nouveau-Brunswick, à L’Acadie Nouvelle, de 1989 à 1993. Il traverse ensuite la Baie-des-Chaleurs pour travailler en Gaspésie, au Québec. Il y travaille en français et en anglais depuis la fin des années 1990, entre autres à l’hebdomadaire anglophone Gaspé Spec, mais aussi avec les publications Graffici, Pêche Impact et le quotidien Le Soleil.

De mon côté, mes 24 ans de travail en français dans le Nord de l’Ontario, dont 19 ans à l’hebdomadaire français de Sudbury, Le Voyageur, et mes quelques mois chez Francopresse m’ont donné une perspective de première ligne sur le journalisme en milieu minoritaire français.

À lire aussi : Les Québécois et les francophones en situation minoritaire se serrent les coudes

Gilles Gagné a travaillé à L’Acadie Nouvelle avant de s’installer en Gaspésie dans les années 1990. 

Photo : Mélanie Tremblay

«Vraiment difficile»

Notre conversation nous amène rapidement à aborder les difficultés de financement des médias, qui sont particulièrement une menace pour ceux de langue minoritaire. Mais les médias régionaux n’y échappent pas.

Gilles Gagné explique que si les radios privées francophones s’en sortent relativement bien en Gaspésie, «dans l’écrit, c’est vraiment, vraiment difficile». Les publicités un peu plus régulières pendant la COVID 19 avaient permis au Gaspé Spec de se créer un «coussin» financier, mais ce dernier est maintenant presque disparu. «Il faut réviser un peu notre modèle d’affaires.»

Bien avant la pandémie, en 2016, le journal Graffici est passé d’un mensuel à un bimensuel, dit-il pour illustrer que les défis ne sont pas récents.

Les journaux francophones du Canada cherchent aussi de nouvelles sources de revenus pour survivre. Malgré tous leurs efforts, ils sont trop souvent contraints de faire des choix difficiles, comme le journal albertain Le Franco qui a annoncé la fin de son édition papier en juin. 

D’autres journaux cherchent encore la façon de joindre efficacement leur lectorat depuis le blocage des médias canadiens par Meta. Tout ça souvent sans appui supplémentaire ou aide extérieure.

À lire : Faut-il remercier Google d’avoir demandé une exemption?

Pas le travail qui manque

La rareté des annonceurs ne reflète cependant pas la multitude de sujets et d’évènements à couvrir, insiste Gilles Gagné. Mais les équipes étant petites, la couverture de l’actualité gaspésienne devient difficile à gérer, surtout lorsque l’on porte plus d’un chapeau, comme lui.

Beaucoup de journalistes en francophonie minoritaire se trouvent dans la même situation. Ils doivent s’occuper de tâches qui dépassent souvent leur poste ou ils ont le sentiment de devoir être partout à la fois.

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Un autre problème en ce moment, ajoute Gilles Gagné, c’est d’obtenir des réponses des gouvernements. «On a de la difficulté à avoir des convocations [aux conférences de presse], nous les médias régionaux, même quand ça se passe sur notre territoire.»

Il explique que les grands médias ont toujours la priorité. Ils sont prévenus des conférences de presse et, souvent, posent leurs questions en premier. Gilles Gagné raconte avoir dû faire des pieds et des mains pour obtenir le lien pour la vidéoconférence d’une annonce qui se déroulait de l’autre côté de la Gaspésie, à plus de deux heures de route.

On dirait quasiment qu’ils ne veulent pas qu’on soit là.

— Gilles Gagné

Pourtant, les journalistes locaux connaissent souvent mieux les dossiers de leur région que leurs collègues nationaux. En fait, c’est peut-être ce qui fait peur.

Des communautés en transformation

Les communautés francophones du Canada changent rapidement. L’immigration francophone reste essentielle au maintien de leur poids démographique, entre autres pour contrer l’exode des jeunes vers les grandes villes.

Les communautés anglophones de la Gaspésie sont aussi en transformation, rapporte Gilles Gagné, mais pas de la même façon. 

«La minorité anglophone de la Gaspésie est composée de deux éléments», indique-t-il. Selon lui, il y a les anglophones «de souche, si je peux m’exprimer ainsi», composés des familles établies depuis longtemps, et les membres des Premières Nations.

Ces derniers occupent une place de plus en plus grande. «Ils composent une communauté très jeune; l’âge médian est de 25 ans. Puis c’est une population qui est en croissance.»

De l’autre côté, les communautés traditionnellement anglophones rétrécissent, en bonne partie en raison de l’exode des jeunes. «Ils partent beaucoup, ils s’en vont ailleurs, ils s’en vont en Alberta… ils ont tout le reste du continent pour aller s’épivarder.» Un exode plus fort que pour les Québécois francophones, note le journaliste aguerri.

Comme beaucoup de communautés canadiennes où le poids des francophones diminue, les municipalités gaspésiennes, qui ont été pendant longtemps surtout peuplées d’anglophones, voient leur profil démographique changer.

Gilles Gagné donne l’exemple de New Carlisle, où le nombre d’anglophones diminue beaucoup plus rapidement que le nombre de francophones.

Le phénomène de l’exode des jeunes inquiète aussi plusieurs régions francophones du Canada. Elle est cependant parfois reléguée au second plan par rapport à la question de l’assimilation, ou même de l’insécurité linguistique, pour expliquer la diminution du nombre de locuteurs francophones ou de la diminution de leur poids démographique.

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Une vie métissée

Il y a des variations selon les régions, mais les anglophones s’intègrent de plus en plus à la vie francophone, note Gilles Gagné. Il connait des parents anglophones qui «envoient leurs enfants à l’école française pour être certain qu’ils n’auront pas les mêmes difficultés qu’eux».

Les unions exogames – des parents ayant chacun une langue maternelle différente – sont monnaie courante en Gaspésie, comme chez les francophones d’ailleurs au Canada. L’effet sur l’assimilation à une langue ou à l’autre est cependant plus difficile à déterminer.

Du côté culturel, «il y a des anglophones qui sont très curieux par rapport à ce qui se passe de l’autre côté», remarque Gilles Gagné, sans pouvoir déterminer s’il s’agit d’une minorité ou non. 

À Gaspé, par exemple, plusieurs anglophones sont bénévoles au Festival de musique du bout du monde.

«Il y a quelques évènements qui sont fédérateurs. Il y a une foire agricole qui est doublée depuis 2009 d’un festival de musique à Shigawake, qui est un petit village entre Paspébiac et Chandler. Là, tu as vraiment une rencontre des deux communautés, c’est clair. C’est le meilleur exemple de participation commune à un évènement.»

À ses débuts, et pendant longtemps, la langue française trônait seule sur la première marche du podium olympique. Le fondateur des Jeux olympiques modernes, le Français Pierre de Coubertin, l’avait inscrite clairement dans sa «constitution» originelle.

Le logo des Jeux de 2024 a la couleur de la médaille d’or. Elle prend la forme d’un visage de femme, représentant Marianne, symbole de la République française. 

Photo : Wikimedia Commons

En 1896 avaient lieu les premières olympiades de notre époque. La ville d’Athènes avait été choisie pour faire le lien avec les Jeux olympiques de l’Antiquité en Grèce (de 776 av. J.-C. jusque vers 400 apr. J.-C.).

Deux ans plus tard, Coubertin rédigeait ce qui s’appelle maintenant la Charte olympique, qui allait être adoptée officiellement en 1908 et qui régit le Comité international olympique (CIO), et donc les Jeux comme tels.

Dès les premières versions de la Charte, l’article 12 indique que la «langue française est la langue officielle du Comité». Le même article précise : «En cas de divergence entre les textes, le texte français fait loi.»

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Pierre de Coubertin, un parcours controversé

Un mot sur Pierre de Coubertin, célébré pour avoir faire revivre les Jeux olympiques, un rassemblement sans pareil dans le monde.

Il a fait de l’expression latine Citius, Altius, Fortius (plus vite, plus haut, plus fort) – qu’il a emprunté à un père dominicain – la devise des Jeux. En 2021, le CIO y a ajouté Communiter (ensemble).

Malgré tout ce qu’il a fait pour l’olympisme, Coubertin a cependant un côté plus sombre. Si le mouvement olympique le met peu de l’avant aujourd’hui, c’est qu’il a autrefois été accusé de misogynie, de racisme et même d’avoir entretenu certains liens avec le régime nazi allemand.

L’anglais rattrape le français

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’anglais s’est imposé sur la scène internationale; elle est la langue des affaires et, de plus en plus, la langue du sport.

Le baron Pierre de Coubertin a fondé les Jeux olympiques modernes; la place prépondérante qu’il a donnée au français laisse maintenant à désirer. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

En 1972, alors que plusieurs disciplines provenant des pays anglo-saxons s’ajoutent au programme olympique, l’anglais devient la deuxième langue officielle et prend une place plus grande avec le temps, de pair avec son usage grandissant sur la planète.

Bien que le français ne soit plus seul sur le podium des Jeux, l’article 23 de la Charte – qui a remplacé l’article 12 – souligne qu’en cas de divergence entre les versions de textes du CIO, la version française prévaut.

En principe, les documents, la signalétique, l’affichage doivent être dans les deux langues officielles. Aussi, les annonces pendant les cérémonies officielles et lors des compétitions doivent se faire en français et en anglais avant de se faire dans la langue du pays hôte.

Mais l’application de ces règles a varié d’une olympiade à l’autre.

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Atlanta, point de rupture

À Atlanta en 1996, alors qu’on célébrait le centenaire de la réalisation du rêve de Coubertin, on constate une véritable dérive du français.

Cérémonie traditionnelle d’allumage de la flamme des Jeux à Olympe, en Grèce. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

C’est aussi l’année où la France avait commencé à dépêcher une personnalité aux Jeux afin d’y faire état de la présence du français.

Après avoir répété l’exercice pendant quelques éditions, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a pris le relai afin de donner une dimension internationale à la démarche française.

C’est alors qu’est née la fonction de «grand témoin», qui sert à observer le respect – ou le non-respect – de l’article 23 de la Charte olympique.

Le premier grand témoin a été Hervé Bourges, journaliste de profession et directeur de grands médias. Dans son rapport sur les Jeux d’Athènes de 2004, on retient que «la place du français a été constamment reconnue» dans les discours officiels et en bonne partie dans l’organisation des épreuves.

Toutefois, le rapport souligne que cette langue, bien qu’officielle, est considérée par l’organisation des Jeux «comme une contrainte traditionnelle, non comme une nécessité pratique».

Le grand témoin suivant – à l’occasion des Jeux de Turin en 2006 – a été la Québécoise Lise Bissonnette, autrefois directrice du journal Le Devoir, qui était alors directrice de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Selon elle, la lente érosion du français dans le mouvement olympique est attribuable au CIO, car celui-ci «ne demande pas aux pays hôte des Jeux de s’engager fermement sur le français».

Parfois, le mauvais exemple trouve racine en haut lieu. Ainsi, lors des Jeux de Beijing en 2008 (où, en général, le français a cependant fait bonne figure), le président du CIO du moment, Jacques Rogge, pourtant belge, donnera raison à Lise Bissonnette en ne prononçant qu’une seule phrase en français dans son discours.

En 2014, 20 ans après les premières démarches de la France et 10 ans après celles de l’OIF, cette dernière conclut dans un rapport que les efforts ont permis une certaine «stabilisation» de la place du français, mais que celle de l’anglais est bien plus grande.

Les Jeux de Rio en 2016 ne font rien pour redonner espoir à la langue de Coubertin.

Heureusement, certaines olympiades font bonne figure. En 2018, la Corée du Sud, nouvellement admise comme membre observateur de l’OIF, redonne du galon au français.

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Citius, Altius, mais plus tellement francius

Tout rebascule lors des derniers Jeux d’été, en 2021, à Tokyo. Pendant les préparatifs, le français a été presque invisible. Les conférences de presse se déroulaient en anglais et en japonais, le français était absent des affiches.

Le français était presque invisible aux Jeux de Tokyo de 2020 (reportés en 2021 en raison de la pandémie). 

Photo : Wikimedia Commons, attribution 2,0 générique

Déjà, en 2020, le vice-président de l’Association francophone des académies olympiques (AFAO), Yvan Coste-Manière, livrait un sombre diagnostic. À son avis, les «grands témoins» servent «plus souvent de l’alibi que de la volonté de changer les mentalités».

Il disait même craindre que la disparition de la place du français aux Jeux soit «inéluctable», à moins d’un grand coup de barre.

Cette dernière chance pourrait bien être celle des Jeux d’été de cette année qui, pour la troisième fois, auront lieu à Paris, dans la patrie du «créateur».

Personne ne pense que le français peut reprendre une place prépondérante dans l’univers sportif et planétaire dominé par l’anglais. Mais il y a peut-être une chance de sauver les meubles. Et peut-être continuer de jouer dans la langue de chez nous.

Cette ville située entre Toronto et Détroit a pourtant un autre surnom, bien plus invitant, soit «Forest City» (la ville-forêt), en raison de la grande quantité d’arbres verdoyants qui s’y trouvent.

C’est aussi le lieu de naissance de l’acteur Ryan Gosling, du chanteur Justin Bieber, de l’actrice Rachel McAdams et du violoniste et chef d’orchestre Guy Lombardo.

Malheureusement, en marge des sphères de ces talentueux artistes, de sombres personnages seraient également issus de London. De tous les meurtres de la région, 13 perpétrés entre 1969 et 1977 ont été attribués à trois tueurs en série.

Des cibles bien particulières

Le premier de ces meurtriers est Gerald Thomas Archer. Toutes ses victimes étaient des femmes de chambre, d’où son surnom de «Chamber Maid Slayer» (tueur de femmes de chambre).

Autopatrouille de la police de London. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

En 1969, 1970 et 1971, il a tué trois femmes – deux âgées de 57 ans l’autre âgée de 62 ans – en s’introduisant dans leur domicile. Dans chaque cas, Archer les avait agressées sexuellement ou avait tenté de le faire.

Arrêté peu après le troisième meurtre, il a été reconnu coupable et libéré sur parole en 1985.

Après la mort d’Archer, en 1995, sa femme (qui ne vivait plus avec lui) et sa famille ont raconté qu’il leur avait confié, alors qu’il était en état d’ébriété, avoir tué deux autres femmes. La police a pu confirmer par la suite qu’il était bien l’auteur de ces deux autres meurtres.

Attention aux balcons

Le deuxième tueur en série est Russell Maurice Johnson. Il a eu deux surnoms : le «Balcony Strangler» (étrangleur au balcon) ou le «Bedroom Strangler» (étrangleur de la chambre à coucher), car il grimpait les murs extérieurs des immeubles où logeaient ses victimes, attendait jusqu’à ce qu’il les croit endormies, puis s’introduisait dans leur chambre pour les violer et les étrangler.

Il a été jugé pour le viol et le meurtre d’une femme à London en 1974 et deux autres femmes à Guelph, aussi en Ontario, en 1977. Le tribunal a rendu un verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux.

En 1969, Johnson s’était lui-même admis dans un hôpital psychiatrique où il avait reçu un diagnostic de déviance sexuelle.

Pendant son procès, il a admis avoir tué quatre autres femmes et en avoir agressé onze autres qui ont survécu. Il est toujours détenu dans une institution psychiatrique.

Le tueur fou

Enfin le troisième de cette «série» est Christan Magee. Il a tué trois femmes entre 1974 et 1976. Comme les deux autres meurtriers, il avait un modus opérandi particulier, qui lui a valu le surnom de «Mad Slasher» (tueur fou).

Vue aérienne de la ville de London, Ontario. 

Photo : Adam Colvin, Licence Art Libre, Wikimedia Commons

Dans une affaire, il a attaqué une jeune femme de 19 ans qui marchait pour rentrer chez elle, l’a jetée par terre et l’a égorgée.

Sa deuxième victime, il la connaissait. Il a cogné à sa porte et elle l’a laissé entrer. Peu après, il l’a étranglée et égorgée alors que son bébé dormait dans une autre pièce. Son mari l’a trouvée morte en revenant à la maison quelques heures plus tard. L’enfant était sain et sauf.

La troisième victime avait 15 ans. Elle faisait de l’autostop et Magee l’a fait monter dans son véhicule. Le lendemain, un fermier a retrouvé son corps violemment agressé sexuellement et poignardé à la gorge et à la poitrine.

Magee a également agressé deux autres femmes qui ont survécu.

À l’issue de son procès en 1977, il a été lui aussi déclaré non responsable en raison de troubles mentaux. Il est toujours incarcéré dans une institution psychiatrique.

Enquête clandestine

Pendant toute cette période, un policier menait une enquête personnelle sur d’autres meurtres perpétrés dans la région. Dennis Aslop était détective à London pour la police de l’Ontario de 1950 à 1979. Il a continué d’enquêter à son compte sur ces affaires après son départ de la police.

Il a accumulé une importante quantité de documents sur des affaires non résolues, des informations qu’il conservait chez lui. Dans certains cas, les autorités avaient refusé de porter des accusations, faute de preuves suffisantes.

Michael Arntfield a écrit un livre sur l’histoire des meurtres en série à London.

À la mort d’Aslop en 2012, son fils a remis la montagne de documents à un détective de police devenu professeur de criminologie à l’Université Western Ontario, Mike Arntfield. Ce dernier est un expert des crimes non résolus. Il a animé et produit une série télévisée baptisée To Catch a Killer (Épingler un tueur) en 2014.

Arntfield a poursuivi l’enquête amorcée par Aslop et a analysé les 32 meurtres perpétrés entre 1959 et 1984 afin d’élucider ceux qui ne l’avaient pas encore été. Selon les enquêtes menées par ces deux policiers, trois ou quatre autres tueurs en série pourraient être responsables des crimes.

Ces tueurs auraient quitté London pour Toronto. Après leur arrivée dans la Ville Reine, des meurtres ayant des similitudes avec certains perpétrés auparavant à London ont été rapportés.

Selon Arntfield, l’un des tueurs de London aurait enlevé la vie à quatre enfants à Toronto. Aslop était convaincu de l’avoir identifié, mais les preuves manquaient pour l’arrêter. Arntfield ne l’a pas nommé dans son livre.

Qu’il s’agisse de quatre, cinq ou six tueurs en série, Arntfield affirme que London remporte – malheureusement – la palme de la plus grande concentration au monde de ces criminels, en proportion de sa population, pour une période donnée. En comparaison, c’est comme si New York avait compté en même temps entre 80 à 90 tueurs en série.

Une conjoncture particulière

Pourquoi London? Plusieurs facteurs ont été avancés.

D’abord, il s’agit d’une ville où de grandes compagnies testent de nouveaux produits parce que sa population est un microcosme de celle du Canada.

D’autres villes «tests» aux États-Unis, comme Richmond, en Virginie, Rochester, New York et Muncie, en Indiana, affichent des taux disproportionnés de violence sexuelle.

Aussi, la proximité de London à une grande autoroute, en l’occurrence la 401 qui relie Toronto à Détroit, facilite les déplacements. En 2024, une étude du FBI a montré un lien entre les agissements des tueurs en série et l’accès à de grandes autoroutes.

London a donc peut-être été victime de sa «normalité» et de sa position géographique.

Giovanni da Verrazzano a été parmi les premiers grands explorateurs à s’aventurer près du (ou sur) le continent américain, ce «Nouveau Monde» que les Européens découvraient. Étrangement, ces navigateurs étaient tous Italiens, mais ils ont tous mené des expéditions pour le compte d’une autre puissance européenne que leur mère patrie.

Carte dessinée par le frère de Verrazzano, Girolamo, sur laquelle apparait pour la première fois le nom «Nova Gallia» : Nouvelle-France. 

Photo : Musée du Vatican, 1529, Wikimedia Commons, Partage dans les mêmes conditions 3.0

En effet, Christophe Colomb (son «statut» d’Italien est toujours en suspens cependant) naviguait pour l’Espagne, son compagnon Amerigo Vespucci pour l’Espagne puis le Portugal, Jean Cabot (Giovanni Caboto) pour l’Angleterre, et Verrazzano pour la France.

La France d’ailleurs, bien qu’elle soit le pays le plus peuplé d’Europe au tournant du XVe siècle, traine de la patte par rapport à ses voisins dans cette quête pour atteindre l’Asie et ses riches épices tant convoitées.

Pourquoi donc ce retard? À la fin du XVe siècle, les terres au-delà de l’océan Atlantique sont «réservées» à l’Espagne et au Portugal, du moins selon ce qu’en a décidé le pape par le traité de Tordesillas.

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Le roi français du moment, Charles VIII, s’intéresse davantage au royaume de Naples, dont il s’empare en 1492 avant d’en être chassé deux ans plus tard. Les choses en restent là jusqu’à ce qu’aux débuts des années 1520, arrivent en France les échos de l’exploit de Ferdinand Magellan, qui a trouvé le moyen de contourner l’Amérique pour atteindre l’Asie.

S’il a pu se rendre en Asie par le sud du continent américain, pourquoi ne serait-ce pas possible par le nord? Surtout que le nouveau roi de France, François 1er, se réserve le droit de revendiquer les terres américaines «non connues» par l’Espagne et le Portugal, ce qu’un autre pape finira par lui accorder.

Lyon, la filière italienne

La France doit alors trouver un navigateur pour découvrir cette voie nordique vers «les Indes». C’est là où la ville de Lyon jouera un grand rôle. En pleine période de la Renaissance, Lyon était devenue un important carrefour financier où s’étaient installées de nombreuses familles de banquiers et de commerçants italiens.

Giovanni da Verrazzano, dix ans avant le voyage de Jacques Cartier. 

Photo : Estampe de 1767, Wikimedia Commons, domaine public

Ceux-ci rêvaient d’une route commerciale moins longue que celle de Magellan qui pourrait ainsi leur assurer le monopole des richesses de l’Asie. Les intérêts privés et ceux de la Couronne française convergent.

Verrazzano, justement issu d’une famille de marchands et de banquiers de Florence, habitait un domaine de Greve in Chianti, à proximité de la capitale de la Toscane. C’est aussi un marin aguerri, ayant vécu quelques années à Dieppe, en France.

Les raisons ayant motivé François 1er à choisir Verrazzano pour ce périple restent confuses encore aujourd’hui. Certains croient que l’explorateur aurait été recruté par l’entremise des banquiers italiens de Lyon, qui étaient au fait de sa réputation de navigateur. D’autres avancent que Verrazzano a lui-même sollicité le roi pour mener cette expédition.

Début de voyage ardu

Chose certaine, à la fin de 1523, Verrazzano part de Dieppe avec quatre navires. Il doit s’arrêter en Bretagne, en raison d’une tempête, avec deux bateaux en moins. Il décide de faire la traversée à partir d’un point plus au sud et se rend à Madère. Il part pour de bon en janvier 1524, mais avec un seul navire, la Dauphine, et 50 hommes.

Carte de 1666 sur laquelle on peut voir le nom «Lacardia» qui, dans les cartes subséquentes, deviendra Arcadia, puis Acadie. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Après avoir navigué pendant 25 jours, il aperçoit le Nouveau Continent, probablement la future Caroline du Nord. Il longe la côte vers le nord et s’arrête, en avril, dans un grand havre, une petite baie où se jettent trois cours d’eau (dont le fleuve Hudson).

Il baptise l’endroit Terre d’Angoulême (ou Nouvelle-Angoulême), du nom de la maison royale de François 1er. Les Hollandais la nommeront Nouvelle-Amsterdam, et ensuite les Anglais… New York.

Pendant son périple, Verrazzano et ses hommes descendent à terre à plusieurs endroits. Ils capturent un Autochtone qu’ils emmèneront à Paris; comme c’est la coutume lors des expéditions européennes dans le Nouveau Monde, question de fournir une preuve tangible d’avoir atteint leur destination.

Verrazzano continue à longer la côte vers le nord, frôlant la Nouvelle-Écosse actuelle, incluant le Cap-Breton et ensuite Terre-Neuve. Il n’est pas le premier explorateur européen à parcourir cette région. Le Portugais Corte-Real (1501), Cabot (1497) et, bien avant, les Vikings (vers 986) s’y étaient déjà rendus.

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Manquant de provisions, le Florentin met le cap vers l’Est. La Dauphine arrive à Dieppe le 8 juillet 1524. Verrazzano envoie une lettre à François 1er pour lui faire un compte rendu de son expédition. Il lui dit entre autres qu’il a appelé les territoires visités du nom de Francesca, en son honneur.

Une lettre, c’est bien, mais l’Histoire a démontré que ce qui est inscrit sur les cartes ont tendance à avoir une plus grande influence. Celle de 1529 de Girolamo Verrazzano, qui avait accompagné son frère, porte la mention «Nova Gallia» – Nouvelle-France. C’est ce nom qui s’imposera pour désigner l’empire nord-américain de la France.

Et l’Acadie?

Dans cette même lettre, Giovanni da Verrazzano décrit ainsi une terre située, croit-on, aux environs de la Virginie et du Maryland : «quale batezamo Archadia per la belleza de li arbori», c’est-à-dire «que nous avons baptisée Archadie en raison de la beauté de ses arbres».

Voyage de Verrazzano au Nouveau Monde en 1524. 

Photo : Wikimedia Commons, Partage dans les mêmes conditions, 3.0

Il semble assez évident ici que l’explorateur faisait référence à l’antique «Arcadie» grecque et à sa beauté mythique.

Dans les nombreuses cartes successives qui seront dessinées pour représenter cette région du monde, Archadia deviendra Lacardia, Arcadia, Lacadie, Cadie et sera localisée curieusement de plus en plus vers le nord pour finalement aboutir tout près du territoire où la France érigera une colonie appelée Acadie. Un nom qui vient de loin!

Verrazzano connaitra une fin tragique; à son troisième voyage dans le Nouveau Monde, il est capturé et tué par des Autochtones d’une ile des Caraïbes.

Que reste-t-il de Verrazzano dans les Amériques? Très peu. En 1964, un immense pont traversant l’entrée du havre de New York était baptisé du nom de Verrazzano-Narrows.

Mais pour l’histoire de la découverte européenne du Nouveau Monde, le passage de Verrazzano aura ouvert la voie à d’autres explorateurs envoyés par la France, en commençant par Jacques Cartier, qui s’aventurera une dizaine d’années plus tard dans le fleuve Saint-Laurent. Certains historiens sont convaincus que Cartier faisait même partie de l’expédition de Verrazzano.

Mais comme bien des évènements de l’histoire, rien n’est moins sûr…

Le destin de John Ware est tout à fait remarquable. Les faits entourant sa jeunesse sont incertains. Il ne savait ni lire ni écrire, et n’aurait que dévoilé très peu de détails sur sa vie. Certaines sources le font naitre en situation d’esclavage, soit au Tennessee, soit dans une plantation en Caroline du Sud.

En février 2012, Postes Canada a émis un timbre à l’effigie de John Ware. 

Photo : © Postes Canada, 2012. Reproduit avec autorisation

Après la guerre civile américaine, il se serait rendu au Texas, où il apprend le métier d’éleveur de vaches. Il devient cowboy.

En 1879, il est embauché pour mener un troupeau d’environ 2400 bovins jusqu’au Montana, soit une distance de 3000 kilomètres. Il reste quelques années dans cet État à la frontière de l’Ouest canadien d’aujourd’hui.

La North West Cattle Company l’approche pour conduire un troupeau de plus de 3000 bêtes au nord de la frontière, dans ce qui deviendra l’Alberta. Cette compagnie était considérée comme l’un des plus puissants propriétaires de ranchs du sud de ce qui était alors les Territoires du Nord-Ouest.

Elle agissait avec l’aval du gouvernement fédéral de John A. Macdonald, qui souhaitait assoir l’autorité du nouveau pays qu’était le Canada dans ce territoire et attirer des colons.

John Ware traverse la frontière en 1882 pendant une terrible tempête de neige et réussit à livrer le bétail à l’un des ranchs de la compagnie, dans les environs de Calgary, une ville naissante.

Cette nouvelle vaste région d’exploitation bovine de la North West Cattle Company deviendra connue sous la marque de bétail «Bar U» et son cheptel atteindra 10 000 bêtes.

De ranch à ranch

John Ware travaille pour la compagnie pendant deux ans, avant de se joindre à un autre ranch, le Quorn, où il s’occupe de chevaux.

John Ware entouré d’autres ranchers de Millarville et Priddis, en Alberta. 

Photo : Collection Glenbow, Université de Calgary, domaine public

Puis, en 1888, il établit son propre petit ranch de bovins à Sheep Creek, non loin du ranch Quorn, au sud de Calgary. En peu d’années, son troupeau compte des centaines de têtes. Il continue en même temps de travailler à forfait dans des ranchs voisins.

Il commence alors à jouir d’une réputation dans le maniement des chevaux. On disait qu’aucun cheval sauvage qu’il avait monté n’avait réussi à le désarçonner.

Il était aussi connu pour sa force physique, son courage et son esprit novateur. John Ware a été l’un des premiers ranchers de la région à prendre l’eau d’une rivière voisine pour irriguer ses terres qui étaient verdoyantes. Il ne manquait jamais de foin pour son élevage.

Racisme et discrimination

Bien qu’il ait été respecté par ses employeurs et ses confrères cowboys, John Ware a dû faire face, comme les autres personnes noires, à du racisme et de la discrimination. Certains politiciens de la région s’opposaient à l’immigration de personnes noires provenant des États-Unis.

Plusieurs histoires ont circulé à ce sujet. On lui aurait souvent refusé l’entrée dans des commerces et autres établissements. Un barman aurait refusé de lui servir à boire et – surtout – l’aurait insulté en le traitant de noms désobligeants; poussé à bout, John Ware l’aurait rué au sol.

Certains disent qu’il a dû acquérir des terres à deux fois le prix des ranchers blancs.

Rencontre de sa femme

Quelques années plus tard, il rencontre Mildred Lewis, fille d’un colon et ébéniste noir arrivé de l’Ontario. Ils se marient en 1892.

John Ware, son épouse Mildred Lewis, en 1896, avec deux de leurs enfants : Nettie et John. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le couple poursuit l’exploitation du ranch de Sheep Creek pendant une dizaine d’années. Mais de plus en plus de nouveaux colons s’établissent dans la région et clôturent les pâturages.

John Ware commence à se sentir étouffé. La famille, qui compte maintenant cinq enfants, se déplace et établit, en 1902, un nouveau ranch sur le bord de la rivière Red Deer, près du village de Duchess, environ à mi-chemin entre Calgary et la frontière de la Saskatchewan.

Très habile au lasso, il voit sa célébrité monter d’un cran, en 1893, lorsqu’il remporte sa première compétition de terrassement du bouvillon lors de la foire d’été de Calgary. Cette foire allait plus tard fusionner avec un rodéo pour devenir le célèbre Stampede de Calgary.

Le malheur frappe cependant en 1905. Mildred meurt d’une pneumonie; quelques mois plus tard, ironie du sort, John meurt lorsque le cheval qu’il montait trébuche dans un terrier de blaireau.

Les enfants sont recueillis par les parents de Mildred. Aucun de ceux-ci n’aura d’enfant. Les deux derniers sont morts en 1989.

Une renommée posthume

Connu presque seulement de la communauté de cowboys de l’Alberta, John Ware verra sa renommée grandir au fil des ans, ainsi que sa reconnaissance.

Depuis 1968, une école de Calgary accueillant des élèves de la 7e à la 9e année porte son nom. En 2012, Postes Canada a lancé un timbre à son effigie. Deux ruisseaux ont également été nommés en son honneur. En 2022, son nom est inscrit à la liste de «personnages historiques nationaux» du Canada.

Plaque commémorative de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. 

Photo : Parcs Canada

La plaque érigée en son honneur au Lieu historique national du Ranch-Bar U, aux pieds des Rocheuses en Alberta, souligne que «Ware excelle dans une industrie dominée par des hommes blancs et de grandes sociétés d’élevage bien financées. Sa générosité et ses compétences supérieures lui valent une renommée durable et une place dans la mythologie de l’Ouest canadien».

Un livre, John Ware’s Cow Country, a été rédigé par Grant McEwan, ancien maire de Calgary et ancien lieutenant-gouverneur de l’Alberta. Deux livres jeunesse ont également été écrits à son sujet, soit John Ware (1845-1905), Le Cowboy noir de l’Ouest canadien, d’Amadou Ba, et Howdy, I’m John Ware, d’Ayesha Clough.

L’Office national du film a même produit un documentaire sur lui, Sur les traces de John Ware, réalisé par Cheryl Foggo.

Comme le dirait le regretté Serge Bouchard, qui présentait au micro d’une émission de Radio-Canada les portraits de personnages surprenants mais maltraités par l’histoire, John Ware est un remarquable oublié, dont on se souvient de plus en plus.

David Kouakou Kouadio souhaite que le nouchi soit reconnu plus officiellement. 

Photo : Roger Clavet

«Nous, les Ivoiriens, on se reconnait partout, facilement. Même au Pôle Nord, avec deux ou trois mots en nouchi, on devine chap chap (vite, vite) si tu es un des nôtres», soutient David Kouakou Kouadio, diplômé de l’École de communication de la Radio-Télévision ivoirienne, communicateur publicitaire depuis une douzaine d’années.

«En Afrique de l’Ouest, confie-t-il, les mots sont importants, compte tenu du métissage des langues et des populations. Ils nous permettent de nous intégrer dans le milieu où nous vivons. Juste en Côte d’Ivoire, par exemple, où le français demeure la langue officielle, nous cohabitons avec une soixantaine d’ethnies. Le parler nouchi, qui emprunte aux langues ivoiriennes, mais aussi aux dialectes burkinabés, maliens, sénégalais et guinéens, rejoint pas mal de monde, sans distinction d’origine ou de classe.»

Du Pôle Nord à la Coupe d’Afrique des nations

Anderson Fidèle Azokou ne dit pas le contraire. Ce courtier en assurances, grand amateur de Scrabble rencontré dans un maquis (buvette) d’Abidjan, n’a que de bons mots pour le nouchi.

Le nouchi, c’est un cocktail de mots qui emprunte avant tout aux langues d’ici, en Côte d’Ivoire, pour mieux traduire nos réalités. Et ce n’est certainement pas parce qu’il manque de mots dans la langue française

— Anderson Fidèle Azoko

Anderson Fidèle Azokou, scrabbleur, n’a que de bons mots pour le nouchi. 

Photo : Roger Clavet

Le courtier a recours à un vieux truc de son métier pour illustrer pourquoi le nouchi apporte une plus-value à son pays.

«Lors de la Coupe africaine des nations, en février 2024, pour laquelle la Côte d’Ivoire a été le pays hôte et grand champion, les joueurs des Éléphants, notre équipe nationale de foot, auraient dû échanger entre eux en nouchi plutôt qu’en français. Si on l’avait fait, les Sénégalais n’auraient rien su de notre plan de match. Mais qu’importe. Nous avons gagné», observe triomphalement le scrabbleur invétéré. 

Nouchitionnaire

À mon arrivée à l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny, le mot «Akwaba», qui veut dire «Bienvenue» ou «Bonne arrivée» en langue akan, résonnait partout dans l’aérogare. Mais ce n’était pas encore du nouchi.

Puis, peu à peu, à mesure que mon oreille s’habituait à l’environnement ambiant, j’ai réussi à capter, sans les comprendre, des expressions que s’échangeaient, avec de larges sourires complices, beaucoup de voyageurs ivoiriens. C’était du nouchi. 

J’ai noté pêlemêle quelques mots nouchi dont j’ai trouvé le sens grâce au Nouchitionnaire, un outil en ligne qui recense les mots et expressions de cette langue créole devenue partie intégrante de la culture populaire ivoirienne.

Par exemple, le plus connu des mots en nouchi est sans doute «enjailler», décliné sous différentes formes et qui signifie «aimer, apprécier, savourer». À ses origines, je soupçonne l’apport de l’anglais «enjoy».

À la sortie des classes d’un lycée de Grand-Bassam, ville balnéaire de la côte est ivoirienne, un groupe d’élèves me donne leur avis sur le nouchi. Une demi-douzaine d’entre eux m’encerclent. Ils ne cachent pas leur engouement pour cette langue.

«Je suis gbra», clame une jeune fille qui signifie par là qu’elle vient tout juste de «flusher» son petit copain. 

Un groupe d’élèves ivoiriens de la Haute École Galilée, à Grand-Bassam, utilisent couramment le nouchi pour échanger entre eux. 

Photo : Roger Clavet, collection personnelle

À ses côtés, un jeune étudiant m’interpelle en nouchi, presque menaçant : «Je vais te babière». J’aimerais croire qu’il me veut du bien, mais il m’explique que cela veut dire : «Je vais te frapper». Heureusement, il ne s’agit que d’un exercice linguistique!

Une chose et son contraire 

Parfois, un même mot nouchi peut avoir plus d’un sens. On emploiera indifféremment, par exemple, le mot «daba» pour signifier le verbe «manger» ou «frapper». Même double signification pour «dédja» qui peut vouloir dire «ouvert» ou «blessé». On trouve également le terme polysémique «dendjô» selon qu’on veuille «comprendre» ou «se déshabiller». D’où l’importance du bon choix de mot!

«Le mot nouchi “lallé” a plusieurs sens. Par exemple, si je dis “Passe-moi ton lallé”, il veut alors dire “Passe-moi ton téléphone”. Mais si je dis “Je vais te laller”, cela veut dire “Je vais te frapper”», confie Fidèle Azokou, un peu étonné de me voir tout d’un coup reculer d’un pas.

Mais ça ne s’arrête pas là. Le mot «lallé» a encore plusieurs autres significations. Cette fois, l’expert en communication commerciale en rajoute une couche.

«C’est le contexte qui fait foi de tout. “Lallé” peut aussi vouloir dire “surprise” ou “dérober”. Même ambigüité avec le mot “modia”, qui vient de maudit et qui peut aussi bien être un compliment qu’une injure», dit David Kouadio.

L’album Ambiance nouchi de la rapeuse ivoirienne Nash est «essentiellement écrit en nouchi».

Photo : Courtoisie

Des loubards à l’origine du parler nouchi

Félix Houphouët-Boigny, qui présidera le pays pendant 33 ans, est crédité du «miracle ivoirien», une période de forte croissance économique frisant les 7 % dans les décennies 1960 et 1970. 

Le régime politique hérité des Indépendances africaines en est un de parti unique. Au moment où le nouchi prend son envol, à la fin des années 1970, un certain mécontentement à l’égard du pouvoir tente de se faire entendre, en particulier chez un groupe de jeunes peu scolarisés. Ce sont les «ziguies», synonyme de «loubards».

«C’est à ces jeunes contestataires de la rue que l’on doit l’émergence du parler nouchi. Ils se sont inventé un langage pour se faire comprendre entre eux. Éventuellement, leur cri de colère s’est propagé aux masses surtout par le biais des conducteurs de taxi. Peu à peu, la population a repris à son compte ce vocabulaire qu’elle a, à son tour, enrichi de mots empruntés aux langues de la soixantaine d’ethnies qui composent la Côte d’Ivoire», explique, non sans fierté, David Kouadio. 

Le nouchi est tellement prédominant que quelques mots ont déjà fait leur entrée dans les grands dictionnaires de langue française. «C’est le cas du mot tchip, que Wikipédia définit comme “un élément de communication non verbale courant en Afrique”. Il s’agit d’une onomatopée, un genre de bruit que fait la langue comme si on «suçait ses dents». 

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Le nouchi n’est pas admis au Scrabble, mais on peut s’amuser. 

Photo: Charles Bernier Clavet

Enseigner le nouchi?

Quand il est question de phénomène de langue propre à des communautés distinctes, la même question se pose. Que ce soit pour le chiac acadien, le joual québécois ou le créole haïtien, doit-on consigner ou codifier ces inventions linguistiques que d’aucuns désapprouvent et que d’autres accueillent à bras ouverts?

En Côte d’Ivoire, les avis semblent partagés. 

«Normaliser le nouchi? Bien sûr que oui», tranche David Kouadio, bien conscient malgré tout des difficultés à standardiser une langue pour laquelle il n’existe pas de transposition phonétique universelle.

«Assurément qu’il faudrait enseigner le nouchi», opine à son tour Fidèle Azokou, un converti des nouveaux mots.

Laissons le dernier mot aux élèves de la Haute École Galilée.

«Je suis absolument en faveur d’un dictionnaire de nouchi», s’exclame Chris, un jeune lycéen qui s’amuse à enrichir son parler d’expressions colorées farcies de mots nouchi pas toujours académiques…

Sa camarade de classe, Ruth, elle aussi, est d’accord avec l’idée de créer un authentique lexique consigné du nouchi. 

Mais l’un comme l’autre s’opposent fortement à ce que le nouchi soit enseigné à l’école. 

«À force de le régulariser, avance Ruth, le nouchi deviendrait à son tour un langage banalisé.» Et Chris d’ajouter : «Un langage conformiste et ennuyeux, comme le devient tout contenu officiel enseigné à l’école».

À l’unisson, Chris et Ruth, flanqués d’autres camarades de classe, lancent un même cri du cœur, cette fois en nouchi : «Jahin. Jahin!» Ou, en français, si vous préférez : «Jamais au grand jamais!»

Parfois, pas besoin de parler nouchi pour le comprendre.

Roger Clavet est journaliste, auteur, consultant en communication, globetrotteur, observateur électoral et formateur en journalisme à l’international. En plus d’un séjour en Côte d’Ivoire, Roger Clavet a travaillé et vécu dans une douzaine d’autres pays d’Afrique, en Haïti et en République populaire de Chine.