Tous les pays engagés dans ce terrible conflit avaient une conviction commune : le conflit serait de courte durée. Certains évoquaient même une fin des hostilités avant Noël. Mais en décembre 1914, il devient évident que ce ne serait pas le cas. On ne pouvait pas encore se douter des horreurs et des carnages qui allaient venir.
Rapidement, en Europe de l’Ouest, les camps ennemis font pratiquement du surplace. De la Suisse à la Manche, des centaines de kilomètres de tranchées sont creusées. Des fragments de terrain acquis au prix d’énormes pertes humaines se perdent en peu de temps.
C’est une guerre de tranchées implacable qui durera pendant presque tout le conflit.
Des soldats qui s’affrontaient par les armes la veille fraternisent entre leurs tranchées le 25 décembre 1914.
En décembre 1914, les soldats canadiens n’ont pas encore pris pied en France; le premier contingent du Corps expéditionnaire canadien (nom donné aux troupes du Canada) arrivera en janvier 1915. Quant aux États-Unis, ils n’y seront pas avant l’été 1917.
Différents corps armés – français, britanniques et belges – font face aux divisions allemandes. La fraternisation spontanée du 25 décembre prend place à deux endroits sur cette longue ligne de front : dans la région d’Artois, dans le nord-est de la France, et près d’Ypres, en Belgique.
Même si l’épisode a fait l’objet de multitudes écrits, pièces de théâtre et films, il était largement méconnu jusque dans les années 1960. Après une guerre qui avait fait plus de 20 millions de morts du côté militaire et civil et un nombre tout aussi grand de blessés, le temps n’était peut-être pas propice pour rappeler cet instant de camaraderie entre ennemis.
Il y a une dizaine d’années, une lettre d’un soldat britannique écrite à sa mère depuis les tranchées relatant les évènements a été rendue publique. «Je crois que j’ai vu aujourd’hui [le jour de Noël] l’un des spectacles les plus extraordinaires que quiconque ait jamais vus», témoigne le lieutenant Alfred Dougan Chater.
En regardant par-delà un muret, vers 10 h, Chater raconte avoir vu un soldat allemand agiter ses bras. Deux autres combattants sortent de leur tranchée et marchent vers le camp britannique.
«On allait tirer sur eux quand on a vu qu’ils n’avaient pas d’armes. L’un de nos hommes est allé les rencontrer et, en deux minutes, la zone entre nos deux lignes de tranchées s’est remplie de soldats et d’officiers des deux côtés, se serrant les mains et se souhaitant Joyeux Noël», peut-on lire dans la lettre.
Rencontre surréaliste entre soldats allemands et britanniques le jour de Noël 1914.
«On a échangé des cigarettes. On a pris des photos. D’autres en ont profité pour simplement s’étirer sans avoir peur des tirs de mitraillettes pour la première fois depuis des mois. C’était le miracle de Noël, en pleine horreur.»
Chater ajoute qu’il est lui-même sorti de sa tranchée et qu’il a serré la main de plusieurs officiers allemands. Les deux côtés ont profité du répit pour récupérer les cadavres de leurs camarades et les enterrer. Puis, surgit un ballon de soccer.
Un autre soldat britannique qui était sur place, Ernie William, a raconté que le ballon est venu de nulle part, mais il est convaincu qu’il provenait du camp allemand. «Des buts de fortune ont été installés. Un des gars s’est placé devant le but et tout le monde s’est mis à frapper le ballon. Je crois qu’il devait y en avoir environ 200 qui ont participé.»
Ernie William précise que ce n’était pas un vrai match, mais plutôt une mêlée. Il n’y avait pas d’arbitre et on ne comptait pas les points.
D’autres soldats britanniques ont raconté une histoire un peu différente, certains précisant qu’après une heure de jeu, le commandant du bataillon britannique s’est rendu compte de ce qui se passait et a ordonné à ses hommes de revenir dans les tranchées.
Les Allemands auraient gagné la partie, 3 à 2. Le même score a été rapporté par un soldat allemand, Kurt Zehmisch, dans ses carnets.
L’histoire est devenue légendaire et a frappé l’imaginaire de bien des gens. Cent ans plus tard, en 2014, une reconstitution du match a eu lieu à Ploegsteert, en Belgique, où le tout se serait déroulé.
Il faut utiliser le conditionnel, car malgré les témoignages parvenus jusqu’à nous, le doute subsiste dans l’esprit de certains historiens. L’un de ceux-ci va jusqu’à dire qu’il n’y a «absolument aucune preuve ferme et vérifiable d’un match [de soccer]». Alors que des photos ont témoigné de la fraternisation, aucun cliché de la partie n’est parvenu jusqu’à nous. .
Les spécialistes soulèvent le fait, par exemple, que le sol de ce no man’s land était jonché de cadavres et trop abimé par les obus pour qu’un tel match puisse avoir lieu. Au mieux, selon l’un des historiens, des soldats auraient botté un ballon ici et là, mais sans qu’un vrai match se soit déroulé.
Reconstitution, parue le 9 janvier 1915 dans The Illustrated London News, de la rencontre des officiers britanniques et allemands se faisant face sur le front, le 25 décembre 1914.
Pour ces historiens, l’idée d’une partie de soccer ce jour de Noël entre soldats de pays ennemis a été largement exagérée et idéalisée. L’important, souligne un autre historien, c’est le moment de fraternité, et non de savoir s’il y a eu quelques bottés ou un réel match de soccer.
Comme il a été mentionné, cette brève pause dans les hostilités n’est survenue qu’à deux endroits. Ailleurs sur le front, les combats se sont poursuivis le 25 décembre, et 80 soldats britanniques sont morts ce jour-là.
Aucune trêve similaire n’a eu lieu là où les troupes françaises et belges affrontaient les forces allemandes. Leur contexte était bien différent de celui des troupes britanniques.
En effet, l’Allemagne occupait des parties de la France et de la Belgique, et les soldats de ces deux derniers pays entretenaient une grande méfiance, sinon de la haine, envers l’ennemi.
Dès le lendemain de Noël, la guerre a repris son cours. Les commandants militaires étaient complètement en désaccord avec ce qui s’était passé. Au cours des trois autres Noëls pendant la guerre, on interdira formellement aux troupes de répéter ce comportement.
Mais le simple fait de penser que des soldats avec mission de tuer l’ennemi aient pu faire taire les fusils pendant quelques heures donne espoir au genre humain.
Raconter l’histoire de William Stephenson n’est pas chose facile. Non seulement parce que l’homme était un espion – un métier où le mensonge, le flou et la duperie se mêlent –, mais aussi parce que plusieurs des biographies les plus populaires à son sujet avancent des affirmations qui ont été contredites, mises en doute ou réfutées. Mission impossible?
Allons-y avec ce que l’on sait.
Photo de passeport de l’espion canadien William Stephenson, en 1942. Sa discrétion lui a valu le surnom de «Canadien tranquille».
Ce singulier personnage nait en 1897 à Winnipeg, au Manitoba. Signe prémonitoire de la vie d’espion qui l’attend, Stephenson change de nom alors qu’il est tout jeune enfant.
Né William Samuel Clouston Stanger, fils de William et Sarah Stanger, il perd son père à l’âge de 4 ans. Sa mère, se sentant incapable de s’occuper de lui, le donne en adoption à un couple du nom de Stephenson.
Selon certaines sources, le jeune William n’atteindra pas le secondaire; il abandonne l’école et enchaine les petits boulots, comme celui de livreur de télégrammes.
Puis survient la Première Guerre mondiale. En 1916, William part pour l’Angleterre et devient pilote de l’armée britannique. Il a du talent et se distingue en multipliant les exploits.
À l’hiver 2018, son avion est cependant touché et s’écrase derrière les lignes allemandes. Mais, pour Stephenson, mourir peut attendre. Fait prisonnier, il ne sera relâché qu’en décembre de la même année, soit après la fin du conflit.
William Stephenson reçoit une première distinction, la Croix du service distingué dans l’aviation (Distinguish Flying Cross) de l’Aviation royale britannique.
Après la guerre, il rentre chez lui, au Manitoba, où il mettra sur pied une entreprise d’ouvre-boites qui ne fera pas long feu. Stephenson quitte alors le Canada pour les États-Unis, peut-être pour fuir ses créanciers.
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Quelques années plus tard, il réapparait à Londres, où sa vie prendra un virage inattendu. Le pilote de guerre devient un homme d’affaires très prospère. Avec un partenaire, il met au point et fait breveter, en 1924, un dispositif pouvant transmettre des photographies sans fil aux journaux.
Ce succès lui rapporte des redevances de 100 000 livres par année. Stephenson ne s’assoit pas sur ses lauriers pour autant. Il se lance dans de multiples autres entreprises, dans l’acier, la fabrication de postes de radio et même les studios de cinéma.
William Stephenson est millionnaire avant d’atteindre ses 30 ans.
Statue de William Stephenson en costume d’aviateur militaire érigé près d’un boulevard à Winnipeg, son lieu de naissance.
Entretemps, il a épousé Mary French Simmons, issue d’une famille aisée du Tennessee œuvrant dans le secteur du tabac. Le couple fréquente les milieux de la haute société londonienne. C’est ainsi que William rencontre un député qui deviendra l’une des plus grandes figures politiques du XXe siècle : Winston Churchill.
Parce qu’il a un pied dans l’industrie de l’acier, William Stephenson a vent des quantités anormales de ce métal qui prennent la direction de l’Allemagne, devenue nazie.
En effet, Hitler s’affaire à réarmer l’Allemagne en cachant d’énormes dépenses militaires, le tout en violation des conditions du Traité de Versailles, qui a mis fin à la Première Guerre mondiale.
Stephenson transmet cette information privilégiée à Churchill et gagne ainsi la confiance du politicien.
Une fois la guerre déclenchée, Churchill, devenu premier ministre, lui confie la direction d’un nouveau bureau britannique à New York : la British Security Coordination (BSC).
Officiellement, ce bureau est un simple service de vérification des passeports. Dans les faits, ce sera une vaste opération de contrespionnage et de propagande.
En 1999, Postes Canada a mis en circulation un timbre avec le visage de William Stephenson.
À cette époque, les États-Unis ne sont pas encore en guerre, mais le gouvernement britannique veut tout faire pour convaincre l’Oncle Sam de s’engager.
Le bureau est situé dans le célèbre centre Rockefeller, en plein cœur de Manhattan. Son adresse télégraphique est INTREPID, qui deviendra l’un des surnoms de l’espion canadien.
La BSC, avec à sa tête William Stephenson, s’occupera de transmettre des informations secrètes entre le président américain Franklin Roosevelt et le premier ministre britannique Churchill, et vice-versa.
Les agents de la BSC mèneront des activités de propagande auprès de l’opinion publique afin qu’elle incite Washington à entrer en guerre et à venir en aide au Royaume-Uni et à l’Europe.
De plus, la BSC sera impliquée dans une gigantesque opération de surveillance et de censure du courrier acheminé des États-Unis vers l’Europe. Tout le courrier et les télégrammes sont détournés aux Bermudes, territoire du Royaume-Uni, où une armada de 1200 employés britanniques d’une filiale de la BSC scrute les communications à destination de l’Europe et même du Proche-Orient.
Cette démarche, jugée maintenant illégale, a cependant permis de découvrir et d’arrêter des espions opérant aux États-Unis.
Stephenson et son organisation érigeront aussi une installation près d’Oshawa, en Ontario – le Camp X –, où seront formés des agents de pays alliés qui auront pour mission d’infiltrer les pays d’Europe occupés par l’Allemagne nazie.
Plusieurs personnes ont affirmé que le créateur du personnage de James Bond, Ian Fleming, s’était inspiré du Canadien William Stephenson. L’auteur des romans d’espionnage ne l’a jamais confirmé.
Cependant, on sait que Fleming a côtoyé Stephenson et qu’il l’admirait. L’auteur a signé la préface d’une des biographies de Stephenson, le qualifiant de héros et de «l’un des grands agents secrets de la Seconde Guerre mondiale».
Une autre biographie a donné à Stephenson le surnom de «Canadien tranquille» (The Quiet Canadian).
Qui sait si le personnage de James Bond, aujourd’hui incarné par Daniel Craig (sur la photo), aurait été inspiré de William Stephenson?
Cependant, des historiens et experts ont mis en doute le rôle joué par William Stephenson comme espion et comme dirigeant des opérations britanniques aux États-Unis pendant le conflit. Certains ont même avancé qu’il avait exagéré ses exploits auprès de ses biographes, qui vont consacrer sa légende.
Toutefois, les dirigeants de l’époque, avant même que les biographies soient écrites, ont cru bon de rendre hommage au Canadien. En 1945, il a été fait chevalier par la Grande-Bretagne sous la recommandation de Churchill lui-même, qui affirmait que Stephenson était «cher à son cœur».
L’année suivante, c’est au tour des États-Unis de lui rendre hommage en lui remettant la Médaille du mérite, la plus haute distinction civile du pays à l’époque. Stephenson devenait ainsi le premier non-Américain à recevoir cet honneur.
Plus tard, en 1979, il sera fait compagnon de l’Ordre du Canada. Postes Canada émettra un timbre à son effigie en 1999.
Quelques années après la guerre, William Stephenson et son épouse vivront des jours tranquilles aux Bermudes, où l’espion mourra en 1989 à l’âge avancé de 92 ans, dix ans après sa femme Mary. Il a sans doute emporté quelques secrets dans sa tombe…
La démarche était plus que symbolique : elle a donné lieu à une entente par laquelle la France allait apporter une aide tangible à la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Ces «retrouvailles» jetteront les balises des relations entre la France et l’Acadie, qui se poursuivent jusqu’à nos jours.
Ce genre de situation est rarement le fruit du hasard. La visite de ceux qu’on allait qualifier de «quatre mousquetaires» a été le résultat de nombreuses tractations de coulisse et du travail de fins stratèges, avec l’apport direct du président de Gaulle lui-même.
Tout se joue en juillet 1967 lors de la visite officielle du président de Gaulle au Canada au cours de laquelle il déclare «Vive le Québec libre!». Avant de prononcer cette phrase à Montréal, qui devient instantanément le symbole de la montée nationaliste du Québec, le général était arrivé à Québec par bateau.
En 1967, le président Charles de Gaulle a visité le Québec (ici à Sainte-Anne-de-la-Pérade), où il a prononcé sa célèbre phrase «Vive le Québec libre».
Dans son discours à Québec, le président fait état de son souhait de renforcer la coopération entre son pays et les «Français de ce côté-ci de l’Atlantique». Dans la foule se trouve l’Acadien Gilbert Finn, qui est à Québec par affaires.
De Gaulle adressait alors ses propos aux Québécois uniquement, mais il est bien conscient de la réalité francophone pancanadienne, et même acadienne.
Il en donne d’ailleurs la preuve lors d’une conférence de presse à Paris quelques mois plus tard. Il évoque alors les liens qu’il souhaite renforcer avec «tous les Français du Canada qui ne résident pas au Québec et qui sont un million et demi», tout en soulignant, en particulier, «ces deux-cent-cinquante-mille Acadiens, implantés au Nouveau-Brunswick et qui ont, eux aussi, gardé à la France, à sa langue, à son âme une très émouvante fidélité.»
À ce moment, la visite des «quatre mousquetaires» est déjà en préparation. C’est un haut fonctionnaire français, Philippe Rossillon, qui avait posé les pièces du casse-tête pour que quatre de ces Acadiens du Nouveau-Brunswick soient invités à Paris.
Plusieurs informations de cet épisode proviennent de l’ouvrage de Robert Pichette, L’amour retrouvé de la France pour les Acadiens : De Gaulle et l’Acadie. L’auteur était aux premières loges de ce qui se passait parce qu’il était à l’époque chef de cabinet du premier ministre néobrunswickois, Louis J. Robichaud.
Philippe Rossillon était l’un des organisateurs de la visite du président français au Québec. Sept semaines plus tard, soit en septembre 1967, il fait partie d’une mission menée par le ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, qui vient au Québec concrétiser les engagements pris par la France lors de la visite du général de Gaulle.
Or, Rossillon veut absolument que l’Acadie tire parti de cette nouvelle collaboration. Il se rend à Moncton en septembre et cible personnellement les quatre éminents Acadiens qui rencontreront de Gaulle.
En plus de Gilbert Finn, il s’agit d’Adélard Savoie, recteur de l’Université de Moncton, d’Euclide Daigle, ancien rédacteur en chef du journal L’Évangéline et vice-président de l’Association acadienne d’éducation, et du docteur Léon Richard, président de la Société nationale de l’Acadie. Ce dernier agira comme président de la mission en France.
Même si ces quatre hommes font partie de l’élite acadienne, ils ne font pas l’unanimité, particulièrement dans le nord du Nouveau-Brunswick, qui déplore qu’une seule région acadienne (celle de Moncton) soit représentée.
Rossillon réunit les quatre porte-paroles pour les informer que de Gaulle veut conclure un accord franco-acadien. Il se présente comme l’émissaire du président.
Les hommes discutent des besoins les plus pressants de la communauté acadienne. Rossillon leur propose ensuite d’adresser une lettre (à laquelle il contribuera) à de Gaulle pour lui demander une rencontre et lui exposer leurs demandes.
À la fin d’octobre, de Gaulle leur répond et les invite formellement en France. La rencontre est prévue pour décembre, ce qui fait que la logistique doit s’organiser à un rythme accéléré.
En fin de compte, les quatre Acadiens arrivent en France le 7 janvier 1968. À l’aéroport, de hauts fonctionnaires français les accueillent avec du champagne. Ensuite, ils montent dans les limousines qui les attendent et profitent d’une escorte motorisée.
Leur séjour de deux semaines sera chargé, avec des visites de musées (ils rencontrent André Malraux), de grandes entreprises, d’instituts. La France veut leur montrer ce qu’elle fait de mieux et toute sa modernité.
Certains se rendent même à Toulouse pour y voir la construction du Concorde, le célèbre avion supersonique à la fine pointe de la technologie aéronautique.
Le samedi 20 janvier, c’est le point culminant de la mission : la rencontre avec le président de Gaulle, au palais de l’Élysée. Les porte-paroles acadiens posent pour la photo officielle devant ce prestigieux site. C’est un traitement habituellement réservé aux chefs d’État que reçoivent ces représentants d’un peuple sans pays.
Les quatre hommes ont un entretien privé de 45 minutes avec le président avant de prendre part au déjeuner officiel. Le président débute son toast en disant : «Après plus de deux siècles et demi où nous fûmes séparés, voici que nous nous retrouvons entre Acadiens et Français de France.»
Il le termine en levant son verre «en l’honneur des Acadiens, rameau très cher et, par bonheur, retrouvé».
La France se montre généreuse dans cette première entente avec les descendants de son ancienne colonie. Le journal L’Évangéline reçoit 400 000 dollars. L’Université de Moncton recevra 10 000 livres pour sa bibliothèque et une vingtaine de coopérants-professeurs.
Dans son livre, l’auteur Robert Pichette relate en détail les prémices de la célèbre visite de la délégation acadienne en France, en janvier 1968.
D’autres coopérants seront envoyés dans les hôpitaux francophones et à L’Évangéline. Un don d’environ 22 000 dollars est versé à la Société nationale de l’Acadie. Une commission est également créée afin de distribuer des bourses France-Acadie. Enfin, un service culturel au consulat de France à Moncton est créé.
Au lendemain du retour des envoyés acadiens, L’Évangéline titre en grosses lettres : «L’Acadie renait». C’est l’euphorie du moment. Cette rencontre historique marquera le début d’une collaboration continue entre les deux partenaires.
La visite permet également à la communauté acadienne de faire ses premiers pas sur la scène internationale.
Neuf ans plus tard, les Acadiens font leur entrée dans l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) lorsque le Nouveau-Brunswick, en même temps que le Québec, y est accepté comme membre à part entière.
Grâce à la descendance du Grand Dérangement, la Louisiane adhère à l’OIF en 2018 et la Nouvelle-Écosse en 2024, toutes deux avec le statut d’observateur.
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Il y a 50 ans, un restaurant destiné à connaitre une grande renommée ouvrait ses portes dans l’hôtel Mayfair, sur Park Avenue à New York, au cœur de Manhattan : Le Cirque.
Il s’agit du projet de deux partenaires, l’Italien Sirio Maccioni et le Français Jean Vergnes. Les deux s’étaient rencontrés alors qu’ils travaillaient dans un autre hôtel de New York, le Colony, qui a fermé en 1971.
Sirio Maccioni allait passer à l’histoire du secteur de la restauration à New York et même au-delà.
Né en Toscane, il avait appris les rudiments du métier au célèbre restaurant parisien Maxim’s, grâce à un certain Yves Montand, lui aussi d’origine italienne (né Ivo Livi), plus précisément d’une commune tout près de celle de Maccioni.
Sirio Maccioni en 1982 dans son restaurant célèbre Le Cirque.
Quant à Jean Vergnes, il était originaire de Rives, une petite ville d’Isère, dans le sud-est de la France. Après des études en cuisine, lui aussi fait ses premières armes à Paris, dans son cas au restaurant de l’hôtel Raphaël. Capturé par les nazis, il avait réussi à s’échapper en se déguisant en officier allemand, puis il s’était joint à la Résistance.
Un an après l’ouverture du Cirque, les deux partenaires, accompagnés de la femme de Maccioni, Egidiana, ainsi que de deux autres personnes, sont invités en Nouvelle-Écosse par Carlo Amato, un ami de Maccioni.
Ils séjournent dans son immense villa sur l’ile Roberts, non loin de Yarmouth, dans la région acadienne du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse.
Les anciens Acadiens du coin appelaient cette ile «La Tour». Selon l’auteur de l’Histoire du Cap-Sable, Clarence-J. d’Entremont, elle tire son nom de Charles de Saint-Étienne de La Tour, un Français qui y avait établi un poste de traite lorsqu’il était commerçant, avant de devenir gouverneur de l’Acadie en 1632.
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Carlo Amato est tout un personnage. Italien lui aussi, il est fils d’un baron (Giuseppe Amato Chiaramonte Bordonaro) et d’une comtesse (Fernanda Gianni Paolini). Son grand-père est sicilien et sénateur.
C’est dans la maison d’été en Nouvelle-Écosse du riche Italien Carlo Amato qu’ont été inventées les fameuses pâtes primavera, en 1975.
Il émigre aux États-Unis en 1959 et fait fortune dans l’industrie de l’amiante. Il deviendra plus tard ambassadeur de l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte (connu sous l’Ordre de Malte), une organisation caritative internationale qui se consacre notamment aux personnes démunies.
En 1965, il achète un vaste terrain sur l’ile Roberts et y fait construire une immense villa, qu’il baptise Shangri-La (paradis), du nom d’un lieu de l’Himalaya tibétain imaginé par l’auteur britannique James Hilton dans son livre Les Horizons perdus.
Le vaste domaine de Carlo Amato comprend également un labyrinthe de lavande, et plusieurs pavillons pour invités. Sur son domaine, il introduit des sangliers provenant de la Forêt-Noire allemande pour s’adonner à la chasse récréative. Il en vend la viande à des restaurants de Montréal et de New York.
Amato accueille dans son domaine des personnalités internationales, dont les actrices italiennes Sophia Loren et Gina Lollobrigida. Il invite aussi des chefs de renom pour expérimenter des plats à base de viande de sanglier.
C’est dans ce contexte que les deux propriétaires du Cirque et les personnes qui les accompagnent arrivent en Nouvelle-Écosse.
Un après-midi, Egidiana décide de préparer un petit plat de pâtes avec ce qu’elle a sous la main : tomates, haricots verts, pois surgelés, brocoli et noix de pin. Elle y ajoute une crème épaisse afin de lier le tout. Ainsi naissent les pâtes primavera!
Comme tout bon plat classique, les pâtes primavera ont plusieurs variantes.
Sirio Maccioni aime le résultat. De retour à New York, il retravaille la recette quelque peu et décide de servir le plat à son restaurant. Les clients en redemandent!
Sauf que Jean Vergnes, qui est responsable de la cuisine, refuse d’inscrire les pâtes primavera – ou tout autre plat de pâtes – au menu du Cirque.
Pour satisfaire sa clientèle, Maccioni fait préparer les pâtes – en l’occurrence des spaghettis – dans un grand chaudron dans un couloir à côté de la cuisine. L’assemblage et le dressage des assiettes ont ensuite lieu en salle à manger.
Le plat connait une telle popularité qu’il devient la signature du restaurant, tout en ne figurant jamais sur le menu…
C’est dans la maison d’été en Nouvelle-Écosse du riche Italien Carlo Amato qu’ont été inventées les fameuses pâtes primavera, en 1975.
Or, voilà que Mimi Sheraton, une des plus grandes critiques gastronomiques des États-Unis, publie un article élogieux sur le restaurant Le Cirque et son plat «officieux». Une autre critique renommée, Gael Greene, fait de même et décrit le plat comme étant «aussi croustillant et de toute beauté que Matisse».
Jean Vergnes doit déposer les armes; il accepte finalement d’offrir officiellement au Cirque les pâtes primavera, dont la réputation se répandra comme une trainée de poudre… Primavera bien qui rira le dernier.
Elles font leur apparition dans les restaurants italo-américains de la ville, puis un peu partout aux États-Unis. Sirio Maccioni dira que le plat surpassera l’emblématique fettucine Alfredo dans la faveur des gourmets.
Comme c’est souvent le cas, la paternité – ou la maternité dans ce cas-ci – des pâtes primavera sera contestée.
Un chef amateur, Edward Giobbi, soutient qu’il avait montré un plat similaire à Maccioni et à Jean Vergnes et que Vergnes l’avait légèrement modifié. Cette version des origines des pâtes primavera est plus ou moins probable vu qu’on sait avec certitude que Vergnes ne voulait rien entendre des pâtes.
Un autre chef, Franco Brigandi, clame aussi les avoir inventées alors qu’il était maitre d’hôtel au Il Gatto Pardo Ristorante à New York.
Ces affirmations sont vouées à mal passer l’épreuve du temps. De façon générale, on admet que les pâtes primavera ont été conçues et préparées un certain été avec ce qu’il y avait dans le frigo sur une ile néoécossaise, dans un coin d’Acadie.
Charlene Richard à l’âge de 9 ans. L’enfant qui voulait être une sainte.
En Louisiane, elle est surnommée la «Little Cajun Saint» (la sainte petite Cadienne). Charlene Richard pourrait devenir la première personne d’ascendance acadienne à être déclarée sainte par l’Église catholique. Son dossier est à l’étude à Rome depuis l’hiver dernier.
Or, ne devient pas saint qui veut; le procès de canonisation n’est pas de tout repos.
L’histoire de Charlene Richard est loin d’être anodine. Elle est née le 13 janvier 1947 à Pointe-à-l’Église (Church Point), un établissement fondé sur les rives du bayou Plaquemine Brûlé par les descendants des familles acadiennes arrivées en Louisiane au XVIIIe siècle.
Plus qu’une famille acadienne du nom de Richard a trouvé une nouvelle vie en Louisiane; Charlene et le chanteur Zachary Richard descendent du même couple pionnier, Pierre Richard et Marguerite Dugas. Zachary Richard est le cousin au sixième degré du père de Charlene, Elvin Richard.
Charlene était la deuxième de dix enfants de Joseph Elvin Richard et de Mary Alice Matt Bourgeois. Alors qu’elle est en 2e année, elle et sa famille déménagent à Richard, petite localité nommée en l’honneur de cette famille acadienne et qui est située à quelques kilomètres au nord-ouest de Pointe-à-l’Église.
Pointe-à-l’Église est entourée de communautés aux noms évocateurs, comme Arceneaux, Mouton, Vatican, Evangeline…
Charlene faisait partie de cette génération de Cadiens et de Cadiennes à qui on interdisait – souvent par la force – de parler français à l’école. Mais Charlene le parlait à la maison. Son père ne comprenait pas l’anglais.
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La religion prend beaucoup de place dans la vie de Charlene dès son jeune âge. Elle connaissait son rosaire par cœur à l’âge de 7 ans et le récitait tous les soirs près d’un petit autel qu’elle avait aménagé dans sa chambre. Sur la table à côté reposaient une bible et un crucifix.
Un jour, son enseignante lui donne une photo de sainte Thérèse de Lisieux, religieuse française morte de la tuberculose à l’âge de 24 ans à la fin du XIXe siècle. À compter de ce moment, Charlene déclare vouloir devenir sainte.
Sainte Thérèse de Lisieux a été l’inspiration de la jeune Charlene Richard.
À 12 ans, elle a une vision d’une femme, ou d’une silhouette ressemblant à une femme, près d’un chêne, toute de noir vêtue. Un bonnet noir couvrait son visage. Ses yeux, même couverts, brulaient la peau de Charlene.
Cette dernière lui a demandé en criant : «Au nom de Dieu, que voulez-vous?» La mystérieuse femme s’est alors volatilisée. Charlene dira l’avoir revue le lendemain.
Peu après cette «rencontre», des bleus commencent à apparaitre sur le corps de Charlene. Elle a mal à une hanche et a des saignements de l’intestin, au point de s’évanouir à quelques reprises.
On lui fait subir des tests. Les médecins informent ses parents qu’elle souffre de leucémie avancée. Elle n’a qu’environ deux semaines à vivre. On l’hospitalise à Lafayette.
Les derniers moments de la vie de la jeune fille seront une véritable agonie. Mais on dit qu’elle ne s’est jamais plainte et acceptait son sort avec sérénité.
L’aumônier de l’hôpital, le père Joseph Brennan, l’accompagne quotidiennement dans son pénible parcours. Il lui apprend la doctrine de la «souffrance rédemptrice». En gros, c’est la croyance selon laquelle l’acceptation de la souffrance peut servir à guérir ou à sauver d’autres personnes.
Chaque jour, le prêtre et Charlene choisissent une personne souffrante pour faire l’objet des prières de la jeune Cadienne.
Un autre prêtre, Floyd Calais, ami du père Brennan, dira plus tard que certaines personnes pour lesquelles Charlene avait prié lorsqu’elle était mourante ont été guéries ou se sont converties au catholicisme. Une religieuse également présente à l’hôpital, sœur Theresita Crowley, a fait le même témoignage.
Chaque année, environ 10 000 personnes viennent se recueillir sur la tombe de Charlene Richard près de l’église Saint Edward, située en bordure de la route Charlene.
Charlene meurt le 11 aout 1959 et est enterrée dans sa localité de Richard.
De plus en plus de gens affluent vers sa tombe. En 1975, une publication du diocèse de Lafayette faisant état des faveurs obtenues par la dévotion envers la défunte contribue à étendre sa renommée à l’extérieur de la région.
Quelques années plus tard, des centaines de personnes par semaine visitent sa tombe, qui est illuminée le soir afin d’y accueillir aisément les fidèles.
En 1989, une messe organisée par les pères Brennan et Calais y est célébrée pour souligner le 30e anniversaire de la mort de Charlene Richard. Environ 4000 personnes assistent à la cérémonie, qui est diffusée par la télévision locale. Des articles sont publiés dans plusieurs journaux.
L’histoire de Charlene Richard se propage à l’extérieur de la Louisiane. Les demandes pour sa canonisation se multiplient.
Une fondation – «Friends of Charlene» – se forme pour piloter le projet. Celle-ci reçoit et compile les dizaines de lettres de témoignage des guérisons inexpliquées et des faveurs rendues attribuées à l’intercession de Charlene.
Les efforts de canonisation exigent aussi beaucoup d’argent. En 2002, Michael Mouton, un homme d’affaires de Lafayette, offre un million de dollars pour la cause. Il dit avoir eu une vision de Charlene se tenant debout au pied de son lit alors qu’il était sous anesthésie lors de son opération à cœur ouvert.
En 2007, l’évêque de Lafayette, Mgr Jarrell, accepte d’ouvrir une enquête de canonisation pour Charlene Richard, mais elle n’aboutit pas.
Il faudra attendre 2019 et un nouvel évêque, en la personne de Mgr Douglas Deshotel, pour raviver la démarche. Deux ans plus tard, il décide d’entamer officiellement le processus en désignant Charlene Richard «servante de Dieu».
Quatre autres années seront nécessaires pour mener à terme l’enquête du diocèse et passer à la prochaine étape. Celle-ci a été franchie en janvier 2024, alors que Mgr Deshotel a «clos» le processus diocésain par une cérémonie religieuse lors de laquelle les documents devant servir à prouver la sainteté de Charlene ont été bénis.
Plus tard ce mois-là, les documents – plus de 1000 – prennent le chemin de Rome pour être remis au «Dicastère pour la cause des Saints». C’est cette instance qui décidera si la candidature à la sainteté sera soumise au pape.
Mais ce n’est pas la fin, loin de là. Le pape, s’il accepte la recommandation, déclarera Charlene Richard «vénérable». La reconnaissance d’un miracle est alors nécessaire pour qu’elle soit déclarée «bienheureuse». Un deuxième miracle conduira finalement à la sainteté.
On en est là. Difficile de dire combien de temps prendront les prochaines étapes. Mais pour bien des Cadiens et Cadiennes de la Louisiane, Charlene est sainte depuis déjà longtemps.
«Travailler c’est trop dur, et voler c’est pas beau», chantait Zachary Richard. Au XIXe siècle, alors que l’industrialisation entrait à pleines portes dans les sociétés occidentales, les travailleurs étaient du même avis que le chanteur cadien.
À l’époque, on se battait, non pas pour la semaine de quatre jours, pour le travail à distance ou pour la conciliation travail-vie personnelle. On revendiquait plutôt la journée de travail de moins de 10 heures. Travailler 10 heures par jour était la norme. Pour certains, c’était même 12 heures. Six jours par semaine.
En 1872, le syndicat des typographes de Toronto (Toronto Typographical Union) revendique la journée de neuf heures auprès des éditeurs des grands journaux de la ville. Ces derniers, en particulier George Brown, propriétaire du journal le Globe, s’opposent à la demande qualifiée de «sotte», «absurde» et «abusive».
La «première fête du Travail» a eu lieu en 1882, à New York.
En riposte, le syndicat déclenche la grève le 25 mars. Les éditeurs engagent du personnel de remplacement afin de continuer à imprimer leurs journaux. Les typographes gagnent cependant l’appui de la population.
En avril, environ 2000 travailleurs défilent dans les rues de Toronto. Lorsqu’ils arrivent à Queen’s Park, 10 000 sympathisants se joignent à eux.
Mais les activités syndicales sont illégales à l’époque en Ontario. Le lendemain de la manifestation, la police arrête et emprisonne 24 membres du comité de grève.
Les évènements prennent une tournure inattendue. Le premier ministre canadien, John A. Macdonald s’en mêle. Il prend le parti des travailleurs et fait adopter la Loi sur les syndicats ouvriers, qui légalise et protège l’action syndicale.
Ce n’est pas seulement par conviction ou par souci de justice que le premier ministre agit ainsi. George Brown, considéré comme l’un des «Pères de la Confédération», est l’un des grands adversaires libéraux de John A. Macdonald. De plus, l’adoption de cette loi lui vaudra le vote de nombreux travailleurs.
Mais la bataille pour la journée de travail de neuf heures n’est pas gagnée pour autant. Au cours des années suivantes, les syndicats organisent des rassemblements annuels à divers endroits au Canada afin de réitérer leur demande.
En 1882, Peter J. McGuire, figure emblématique du syndicalisme aux États-Unis et cofondateur de la Fédération américaine du travail, assiste à un de ces rassemblements ouvriers à Toronto.
Inspiré, il organise, le premier lundi de septembre, un immense défilé «festif» dans les rues de New York. Certaines sources rapportent une foule d’entre 10 000 et 20 000 personnes; d’autres jusqu’à 30 000.
Même les régions loin des grands centres soulignaient déjà la fête du Travail au début du XXe siècle, comme Dawson City, au Yukon, le 3 septembre 1906.
Le Canada prend acte. Une Commission royale sur les relations du travail et du capital (menée entre 1886 et 1889) recommande d’établir par une loi un jour de repos, «appelé Jour ou Fête du travail».
En juillet 1894, cinq ans après les rapports de cette Commission, le gouvernement de John Thompson adopte une loi officialisant la fête du Travail, une décision qui arrive la même année qu’aux États-Unis. Comme deux frères…
La première fête du Travail «officielle» cette année-là donne lieu à d’immenses défilés, notamment à Winnipeg – il s’étale sur cinq kilomètres – et à Montréal, qui avait déjà célébré cette fête une première fois en 1886 (et en avait fait un jour civique en 1889).
Alors que la fête du Travail s’installe dans les deux pays le premier lundi de septembre, un autre jour prend forme pour faire l’éloge des travailleurs : le 1er mai. Et cette date aura une portée internationale.
Ironiquement, la fête du 1er mai tire ses origines aux États-Unis.
En 1884, deux ans après la première fête du Travail à New York, le mouvement syndical américain multiplie les efforts pour obtenir la journée de huit heures. On organise un coup de force partout au pays le 1er mai 1886.
Manifestation du 1er mai à Paris, en 2023.
On rapporte que 340 000 ouvriers auraient suivi le mouvement de grève ce jour-là. À Chicago, ils sont 40 000. Les manifestations se poursuivent dans cette ville les jours suivants.
Le 3 mai, les syndiqués des usines McCormick affrontent des briseurs de grève. Les forces de l’ordre interviennent et tirent sur les manifestants. Entre un et trois ouvriers perdent la vie (les sources ne s’entendent pas).
Le lendemain, une autre manifestation a lieu au Haymarket Square de Chicago pour protester contre les évènements de la veille. C’est un face-à-face : 200 manifestants d’un côté, 200 policiers de l’autre.
Soudainement, une bombe éclate devant les forces de l’ordre. Un policier est tué sur le coup. Puis, c’est le chaos. Les balles fusent, les coups aussi. Dans la mêlée, six autres policiers meurent. Entre quatre et huit manifestants trouvent la mort. Il y a des dizaines de blessés dans les deux camps.
Huit «anarchistes» sont accusés. Cinq seront condamnés à mort. Quatre d’entre eux seront pendus; le cinquième se suicidera avant de se rendre à l’échafaud. Les trois autres accusés écopent d’une peine de prison à vie.
Après ce drame, plusieurs États adoptent des lois pour établir un jour du Travail férié. L’Oregon est le premier à le faire en 1887 et choisit le premier samedi de juin. Quatre autres États font de même, mais fixent le congé au premier lundi de septembre.
La fête du Travail jouit d’une longue tradition à Cochrane, près de Calgary, autour de laquelle a lieu un rodéo.
En 1894, la démarche s’était étendue à 23 États. Cette année-là, le Congrès américain en fait une fête nationale. À ce moment, la date du congé n’avait pas été fixée.
On dit que le président américain Grover Cleveland a rejeté le 1er mai, ne voulant pas que cette date serve à commémorer les manifestations sanglantes de Chicago.
C’est pourtant ce qu’avaient déjà fait bon nombre d’autres pays. En 1889, la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris, choisit le 1er mai comme journée de grève et de manifestations ouvrières, afin de perpétuer la mémoire des émeutes de Chicago.
Cette date porte aujourd’hui le nom de «Journée internationale des travailleuses et travailleurs». Elle est soulignée au Canada depuis 1906 (Montréal) par des rassemblements, mais ce n’est pas un jour férié, contrairement à ailleurs dans le monde.
Toutefois, peu importe la date, un congé pour les travailleurs et travailleuses fait bien des heureux, parce que, souvent, «travailler c’est trop dur».
Lorsque le camionneur A.D. Booth a franchi le col Rogers, en Colombie-Britannique, avec son véhicule à l’été 1962, il ne se rendait peut-être pas compte qu’il passait à l’histoire.
Thomas Wilby déverse dans le Pacifique la bouteille contenant de l’eau de l’océan Atlantique.
Avec sa cargaison de 264 caisses de fraises, destinées à des acheteurs de Calgary, il a été l’un des premiers à emprunter le dernier tronçon de la route Transcanadienne. Auparavant, les fraises auraient mis trois jours en train pour faire le même trajet.
Et c’est bien là l’une des grandes motivations derrière ce projet de route nationale d’un océan à l’autre : le commerce. Le même motif avait mené au développement des réseaux ferroviaire et maritime au pays.
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L’idée d’une route traversant le pays a commencé à poindre peu avant la Première Guerre mondiale.
En 1912, la Canadian Highway Association, un groupe de la Colombie-Britannique, exerce de plus en plus de pression sur le gouvernement canadien afin qu’une route traversant le pays voit le jour.
Le 27 aout 1912, le journaliste britannique Thomas Wilby, ainsi que son chauffeur et mécanicien Jack Haney, partent d’Halifax à bord d’une voiture de la Reo Motor Car Company. Ils prennent avec eux une bouteille remplie d’eau de l’océan Atlantique.
Cinquante-deux jours plus tard, soit le 17 octobre, les deux hommes arrivent sur l’ile de Vancouver. Il faut dire qu’à l’époque, seulement 16 kilomètres de route étaient asphaltés dans tout le Canada.
À destination, Thomas Wilby vide symboliquement sa bouteille dans l’océan Pacifique.
Thomas Wilby (à gauche) et Jack Haney à la fin de leur périple à travers le Canada.
Lors de leur expédition, les voyageurs ont eu à faire face à toutes sortes d’intempéries et à des pannes multiples. Les deux hommes ne s’entendaient pas du tout. Wilby était condescendant envers son compagnon mécanicien. Il le laissait seul à réparer les crevaisons ou à pousser la voiture enlisée dans la boue.
Dans le livre qu’il écrira sur ce périple, Wilby fera très peu mention de son chauffeur et il ne dira jamais son nom.
Ce n’est que par son livre qu’on apprendra plus tard que la traversée ne s’était pas faite uniquement sur la route. Dans le nord de l’Ontario, il n’y avait tout simplement pas de route. La voiture a effectué environ 1 500 kilomètres de Sault Ste. Marie à Winnipeg sur des wagons de train ou des traversiers.
En 1919, le gouvernement d’union de Robert Borden adopte la Loi des grandes routes du Canada. Son but n’est cependant pas de construire une autoroute traversant le pays. Puisque les routes sont de juridiction provinciale et territoriale, le fédéral hésite à s’engager. La loi se limite essentiellement à établir des normes routières.
Travaux sur la route Transcanadienne à Algoma, en Ontario, en aout 1952.
La crise économique des années 1939 pousse cependant Ottawa à investir plus directement dans le réseau routier. On évoque alors le rêve d’une autoroute qui permettrait aux Canadiens de se rendre d’un bout à l’autre du pays sans avoir à passer par les États-Unis.
Il faudra néanmoins attendre encore dix ans avant que le projet soit relancé.
En 1949, le gouvernement de Louis Saint-Laurent adopte la Loi sur la route Transcanadienne et conclut une entente avec neuf des dix provinces (y compris la nouvelle venue, Terre-Neuve).
Le Québec, dirigé par Maurice Duplessis, refuse de signer l’entente. Il ne s’oppose pas au projet comme tel, mais reste contre l’idée que ce soit le fédéral qui établisse les normes.
Le Québec comptait déjà une route asphaltée, de la frontière ontarienne jusqu’à la frontière néobrunswickoise. La province n’adhèrera officiellement au projet qu’en 1960, après l’avènement du gouvernement de Jean Lesage. L’accord donne lieu à la construction du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, entre Montréal et la Rive-Sud.
L’entente de 1949 prévoit que le gouvernement fédéral verse aux provinces 150 millions de dollars sur une période de sept ans, soit l’équivalent de la moitié des couts. Cette proportion grimpera à 90 % avant la fin des travaux.
Les travaux ne seront entrepris que plus tard, dans les années 1950. Comme l’avait montré la traversée de 1912, le nord de l’Ontario pose un défi de taille. Il faut construire 25 ponts et y transporter des tonnes de gravier pour établir une base solide pour la route.
L’autre grand défi se situe au col Rogers, en Colombie-Britannique. Cette région des Rocheuses reçoit en moyenne plus de huit mètres de neige, et les avalanches sont fréquentes.
Section de la route Transcanadienne, près de Calgary.
Pour que ce tronçon voie le jour, il faut construire des «paravalanches», soit des structures semblables à des tunnels qui font passer la neige provenant d’avalanches par-dessus l’autoroute. Parcs Canada et les Forces canadiennes sont appelés à collaborer afin de provoquer des avalanches de façon préventive, ce qui se fait d’ailleurs encore aujourd’hui.
C’est au col Rogers que le premier ministre canadien de l’époque, John Diefenbaker, choisit d’inaugurer la Transcanadienne, le 3 septembre 1962.
Sauf que… l’autoroute est loin d’être terminée. Certains tronçons ne sont toujours pas construits. Il reste 3 000 kilomètres à asphalter. La portion terre-neuvienne ne sera achevée qu’en 1965.
Ce n’est qu’en 1971 que les travaux prennent officiellement fin, 22 ans après l’adoption de la loi prévoyant la construction de cette route.
La Transcanadienne, dans son tracé principal, fait 7 821 km très exactement. Elle est la plus longue route nationale après celle de l’Australie, et elle se classe au quatrième rang des autoroutes les plus longues du monde.
Le pont de la Confédération, inauguré en 1997, est l’un des derniers ajouts à la route Transcanadienne.
D’autres grands axes se sont ajoutés au fil des ans, comme l’autoroute Yellowhead, qui traverse l’Ouest canadien en reliant Winnipeg à l’archipel Haïda Gwaii en Colombie-Britannique.
En Ontario, une Transcanadienne «alternative» traverse presque complètement la province et se prolonge au Québec pour rejoindre le tronçon principal à Montréal.
Puis, avec la construction du pont de la Confédération qui a relié le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard en 1997, la route Transcanadienne s’étend maintenant sur un total de 12 800 kilomètres.
La grande majorité de ce réseau est à deux voies seulement. En 2000, le gouvernement de Jean Chrétien avait étudié la possibilité d’élargir à quatre voies tous les tronçons de la Transcanadienne, mais la volonté de certaines provinces de prioriser des autoroutes vers les États-Unis a tué dans l’œuf ce projet.
Comme quoi ce ne sont pas tous les rêves qui se réalisent…
Le Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer est un feu roulant de conférences, de discussions et de rencontres. Trouver le meilleur moment pour un échange entre deux journalistes demande une gestion du temps serrée. J’ai quand même pu organiser une rencontre avec un journaliste d’expérience dans l’espoir de partager quelques idées et bonnes pratiques pour nos milieux respectifs.
Devant moi se trouve Gilles Gagné, qui compte 35 ans de carrière en journalisme et qui connait la vie en milieu minoritaire dans ses deux principales formes au Canada.
Après ses études à l’Université d’Ottawa, il fait ses premiers pas au Nouveau-Brunswick, à L’Acadie Nouvelle, de 1989 à 1993. Il traverse ensuite la Baie-des-Chaleurs pour travailler en Gaspésie, au Québec. Il y travaille en français et en anglais depuis la fin des années 1990, entre autres à l’hebdomadaire anglophone Gaspé Spec, mais aussi avec les publications Graffici, Pêche Impact et le quotidien Le Soleil.
De mon côté, mes 24 ans de travail en français dans le Nord de l’Ontario, dont 19 ans à l’hebdomadaire français de Sudbury, Le Voyageur, et mes quelques mois chez Francopresse m’ont donné une perspective de première ligne sur le journalisme en milieu minoritaire français.
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Gilles Gagné a travaillé à L’Acadie Nouvelle avant de s’installer en Gaspésie dans les années 1990.
Notre conversation nous amène rapidement à aborder les difficultés de financement des médias, qui sont particulièrement une menace pour ceux de langue minoritaire. Mais les médias régionaux n’y échappent pas.
Gilles Gagné explique que si les radios privées francophones s’en sortent relativement bien en Gaspésie, «dans l’écrit, c’est vraiment, vraiment difficile». Les publicités un peu plus régulières pendant la COVID 19 avaient permis au Gaspé Spec de se créer un «coussin» financier, mais ce dernier est maintenant presque disparu. «Il faut réviser un peu notre modèle d’affaires.»
Bien avant la pandémie, en 2016, le journal Graffici est passé d’un mensuel à un bimensuel, dit-il pour illustrer que les défis ne sont pas récents.
Les journaux francophones du Canada cherchent aussi de nouvelles sources de revenus pour survivre. Malgré tous leurs efforts, ils sont trop souvent contraints de faire des choix difficiles, comme le journal albertain Le Franco qui a annoncé la fin de son édition papier en juin.
D’autres journaux cherchent encore la façon de joindre efficacement leur lectorat depuis le blocage des médias canadiens par Meta. Tout ça souvent sans appui supplémentaire ou aide extérieure.
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La rareté des annonceurs ne reflète cependant pas la multitude de sujets et d’évènements à couvrir, insiste Gilles Gagné. Mais les équipes étant petites, la couverture de l’actualité gaspésienne devient difficile à gérer, surtout lorsque l’on porte plus d’un chapeau, comme lui.
Beaucoup de journalistes en francophonie minoritaire se trouvent dans la même situation. Ils doivent s’occuper de tâches qui dépassent souvent leur poste ou ils ont le sentiment de devoir être partout à la fois.
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Un autre problème en ce moment, ajoute Gilles Gagné, c’est d’obtenir des réponses des gouvernements. «On a de la difficulté à avoir des convocations [aux conférences de presse], nous les médias régionaux, même quand ça se passe sur notre territoire.»
Il explique que les grands médias ont toujours la priorité. Ils sont prévenus des conférences de presse et, souvent, posent leurs questions en premier. Gilles Gagné raconte avoir dû faire des pieds et des mains pour obtenir le lien pour la vidéoconférence d’une annonce qui se déroulait de l’autre côté de la Gaspésie, à plus de deux heures de route.
On dirait quasiment qu’ils ne veulent pas qu’on soit là.
Pourtant, les journalistes locaux connaissent souvent mieux les dossiers de leur région que leurs collègues nationaux. En fait, c’est peut-être ce qui fait peur.
Les communautés francophones du Canada changent rapidement. L’immigration francophone reste essentielle au maintien de leur poids démographique, entre autres pour contrer l’exode des jeunes vers les grandes villes.
Les communautés anglophones de la Gaspésie sont aussi en transformation, rapporte Gilles Gagné, mais pas de la même façon.
«La minorité anglophone de la Gaspésie est composée de deux éléments», indique-t-il. Selon lui, il y a les anglophones «de souche, si je peux m’exprimer ainsi», composés des familles établies depuis longtemps, et les membres des Premières Nations.
Ces derniers occupent une place de plus en plus grande. «Ils composent une communauté très jeune; l’âge médian est de 25 ans. Puis c’est une population qui est en croissance.»
De l’autre côté, les communautés traditionnellement anglophones rétrécissent, en bonne partie en raison de l’exode des jeunes. «Ils partent beaucoup, ils s’en vont ailleurs, ils s’en vont en Alberta… ils ont tout le reste du continent pour aller s’épivarder.» Un exode plus fort que pour les Québécois francophones, note le journaliste aguerri.
Comme beaucoup de communautés canadiennes où le poids des francophones diminue, les municipalités gaspésiennes, qui ont été pendant longtemps surtout peuplées d’anglophones, voient leur profil démographique changer.
Gilles Gagné donne l’exemple de New Carlisle, où le nombre d’anglophones diminue beaucoup plus rapidement que le nombre de francophones.
Le phénomène de l’exode des jeunes inquiète aussi plusieurs régions francophones du Canada. Elle est cependant parfois reléguée au second plan par rapport à la question de l’assimilation, ou même de l’insécurité linguistique, pour expliquer la diminution du nombre de locuteurs francophones ou de la diminution de leur poids démographique.
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Il y a des variations selon les régions, mais les anglophones s’intègrent de plus en plus à la vie francophone, note Gilles Gagné. Il connait des parents anglophones qui «envoient leurs enfants à l’école française pour être certain qu’ils n’auront pas les mêmes difficultés qu’eux».
Les unions exogames – des parents ayant chacun une langue maternelle différente – sont monnaie courante en Gaspésie, comme chez les francophones d’ailleurs au Canada. L’effet sur l’assimilation à une langue ou à l’autre est cependant plus difficile à déterminer.
Du côté culturel, «il y a des anglophones qui sont très curieux par rapport à ce qui se passe de l’autre côté», remarque Gilles Gagné, sans pouvoir déterminer s’il s’agit d’une minorité ou non.
À Gaspé, par exemple, plusieurs anglophones sont bénévoles au Festival de musique du bout du monde.
«Il y a quelques évènements qui sont fédérateurs. Il y a une foire agricole qui est doublée depuis 2009 d’un festival de musique à Shigawake, qui est un petit village entre Paspébiac et Chandler. Là, tu as vraiment une rencontre des deux communautés, c’est clair. C’est le meilleur exemple de participation commune à un évènement.»
À ses débuts, et pendant longtemps, la langue française trônait seule sur la première marche du podium olympique. Le fondateur des Jeux olympiques modernes, le Français Pierre de Coubertin, l’avait inscrite clairement dans sa «constitution» originelle.
Le logo des Jeux de 2024 a la couleur de la médaille d’or. Elle prend la forme d’un visage de femme, représentant Marianne, symbole de la République française.
En 1896 avaient lieu les premières olympiades de notre époque. La ville d’Athènes avait été choisie pour faire le lien avec les Jeux olympiques de l’Antiquité en Grèce (de 776 av. J.-C. jusque vers 400 apr. J.-C.).
Deux ans plus tard, Coubertin rédigeait ce qui s’appelle maintenant la Charte olympique, qui allait être adoptée officiellement en 1908 et qui régit le Comité international olympique (CIO), et donc les Jeux comme tels.
Dès les premières versions de la Charte, l’article 12 indique que la «langue française est la langue officielle du Comité». Le même article précise : «En cas de divergence entre les textes, le texte français fait loi.»
Un mot sur Pierre de Coubertin, célébré pour avoir faire revivre les Jeux olympiques, un rassemblement sans pareil dans le monde.
Il a fait de l’expression latine Citius, Altius, Fortius (plus vite, plus haut, plus fort) – qu’il a emprunté à un père dominicain – la devise des Jeux. En 2021, le CIO y a ajouté Communiter (ensemble).
Malgré tout ce qu’il a fait pour l’olympisme, Coubertin a cependant un côté plus sombre. Si le mouvement olympique le met peu de l’avant aujourd’hui, c’est qu’il a autrefois été accusé de misogynie, de racisme et même d’avoir entretenu certains liens avec le régime nazi allemand.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’anglais s’est imposé sur la scène internationale; elle est la langue des affaires et, de plus en plus, la langue du sport.
Le baron Pierre de Coubertin a fondé les Jeux olympiques modernes; la place prépondérante qu’il a donnée au français laisse maintenant à désirer.
En 1972, alors que plusieurs disciplines provenant des pays anglo-saxons s’ajoutent au programme olympique, l’anglais devient la deuxième langue officielle et prend une place plus grande avec le temps, de pair avec son usage grandissant sur la planète.
Bien que le français ne soit plus seul sur le podium des Jeux, l’article 23 de la Charte – qui a remplacé l’article 12 – souligne qu’en cas de divergence entre les versions de textes du CIO, la version française prévaut.
En principe, les documents, la signalétique, l’affichage doivent être dans les deux langues officielles. Aussi, les annonces pendant les cérémonies officielles et lors des compétitions doivent se faire en français et en anglais avant de se faire dans la langue du pays hôte.
Mais l’application de ces règles a varié d’une olympiade à l’autre.
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À Atlanta en 1996, alors qu’on célébrait le centenaire de la réalisation du rêve de Coubertin, on constate une véritable dérive du français.
Cérémonie traditionnelle d’allumage de la flamme des Jeux à Olympe, en Grèce.
C’est aussi l’année où la France avait commencé à dépêcher une personnalité aux Jeux afin d’y faire état de la présence du français.
Après avoir répété l’exercice pendant quelques éditions, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a pris le relai afin de donner une dimension internationale à la démarche française.
C’est alors qu’est née la fonction de «grand témoin», qui sert à observer le respect – ou le non-respect – de l’article 23 de la Charte olympique.
Le premier grand témoin a été Hervé Bourges, journaliste de profession et directeur de grands médias. Dans son rapport sur les Jeux d’Athènes de 2004, on retient que «la place du français a été constamment reconnue» dans les discours officiels et en bonne partie dans l’organisation des épreuves.
Toutefois, le rapport souligne que cette langue, bien qu’officielle, est considérée par l’organisation des Jeux «comme une contrainte traditionnelle, non comme une nécessité pratique».
Le grand témoin suivant – à l’occasion des Jeux de Turin en 2006 – a été la Québécoise Lise Bissonnette, autrefois directrice du journal Le Devoir, qui était alors directrice de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Selon elle, la lente érosion du français dans le mouvement olympique est attribuable au CIO, car celui-ci «ne demande pas aux pays hôte des Jeux de s’engager fermement sur le français».
Parfois, le mauvais exemple trouve racine en haut lieu. Ainsi, lors des Jeux de Beijing en 2008 (où, en général, le français a cependant fait bonne figure), le président du CIO du moment, Jacques Rogge, pourtant belge, donnera raison à Lise Bissonnette en ne prononçant qu’une seule phrase en français dans son discours.
En 2014, 20 ans après les premières démarches de la France et 10 ans après celles de l’OIF, cette dernière conclut dans un rapport que les efforts ont permis une certaine «stabilisation» de la place du français, mais que celle de l’anglais est bien plus grande.
Les Jeux de Rio en 2016 ne font rien pour redonner espoir à la langue de Coubertin.
Heureusement, certaines olympiades font bonne figure. En 2018, la Corée du Sud, nouvellement admise comme membre observateur de l’OIF, redonne du galon au français.
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Tout rebascule lors des derniers Jeux d’été, en 2021, à Tokyo. Pendant les préparatifs, le français a été presque invisible. Les conférences de presse se déroulaient en anglais et en japonais, le français était absent des affiches.
Le français était presque invisible aux Jeux de Tokyo de 2020 (reportés en 2021 en raison de la pandémie).
Déjà, en 2020, le vice-président de l’Association francophone des académies olympiques (AFAO), Yvan Coste-Manière, livrait un sombre diagnostic. À son avis, les «grands témoins» servent «plus souvent de l’alibi que de la volonté de changer les mentalités».
Il disait même craindre que la disparition de la place du français aux Jeux soit «inéluctable», à moins d’un grand coup de barre.
Cette dernière chance pourrait bien être celle des Jeux d’été de cette année qui, pour la troisième fois, auront lieu à Paris, dans la patrie du «créateur».
Personne ne pense que le français peut reprendre une place prépondérante dans l’univers sportif et planétaire dominé par l’anglais. Mais il y a peut-être une chance de sauver les meubles. Et peut-être continuer de jouer dans la langue de chez nous.
Cette ville située entre Toronto et Détroit a pourtant un autre surnom, bien plus invitant, soit «Forest City» (la ville-forêt), en raison de la grande quantité d’arbres verdoyants qui s’y trouvent.
C’est aussi le lieu de naissance de l’acteur Ryan Gosling, du chanteur Justin Bieber, de l’actrice Rachel McAdams et du violoniste et chef d’orchestre Guy Lombardo.
Malheureusement, en marge des sphères de ces talentueux artistes, de sombres personnages seraient également issus de London. De tous les meurtres de la région, 13 perpétrés entre 1969 et 1977 ont été attribués à trois tueurs en série.
Le premier de ces meurtriers est Gerald Thomas Archer. Toutes ses victimes étaient des femmes de chambre, d’où son surnom de «Chamber Maid Slayer» (tueur de femmes de chambre).
Autopatrouille de la police de London.
En 1969, 1970 et 1971, il a tué trois femmes – deux âgées de 57 ans l’autre âgée de 62 ans – en s’introduisant dans leur domicile. Dans chaque cas, Archer les avait agressées sexuellement ou avait tenté de le faire.
Arrêté peu après le troisième meurtre, il a été reconnu coupable et libéré sur parole en 1985.
Après la mort d’Archer, en 1995, sa femme (qui ne vivait plus avec lui) et sa famille ont raconté qu’il leur avait confié, alors qu’il était en état d’ébriété, avoir tué deux autres femmes. La police a pu confirmer par la suite qu’il était bien l’auteur de ces deux autres meurtres.
Le deuxième tueur en série est Russell Maurice Johnson. Il a eu deux surnoms : le «Balcony Strangler» (étrangleur au balcon) ou le «Bedroom Strangler» (étrangleur de la chambre à coucher), car il grimpait les murs extérieurs des immeubles où logeaient ses victimes, attendait jusqu’à ce qu’il les croit endormies, puis s’introduisait dans leur chambre pour les violer et les étrangler.
Il a été jugé pour le viol et le meurtre d’une femme à London en 1974 et deux autres femmes à Guelph, aussi en Ontario, en 1977. Le tribunal a rendu un verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux.
En 1969, Johnson s’était lui-même admis dans un hôpital psychiatrique où il avait reçu un diagnostic de déviance sexuelle.
Pendant son procès, il a admis avoir tué quatre autres femmes et en avoir agressé onze autres qui ont survécu. Il est toujours détenu dans une institution psychiatrique.
Enfin le troisième de cette «série» est Christan Magee. Il a tué trois femmes entre 1974 et 1976. Comme les deux autres meurtriers, il avait un modus opérandi particulier, qui lui a valu le surnom de «Mad Slasher» (tueur fou).
Vue aérienne de la ville de London, Ontario.
Dans une affaire, il a attaqué une jeune femme de 19 ans qui marchait pour rentrer chez elle, l’a jetée par terre et l’a égorgée.
Sa deuxième victime, il la connaissait. Il a cogné à sa porte et elle l’a laissé entrer. Peu après, il l’a étranglée et égorgée alors que son bébé dormait dans une autre pièce. Son mari l’a trouvée morte en revenant à la maison quelques heures plus tard. L’enfant était sain et sauf.
La troisième victime avait 15 ans. Elle faisait de l’autostop et Magee l’a fait monter dans son véhicule. Le lendemain, un fermier a retrouvé son corps violemment agressé sexuellement et poignardé à la gorge et à la poitrine.
Magee a également agressé deux autres femmes qui ont survécu.
À l’issue de son procès en 1977, il a été lui aussi déclaré non responsable en raison de troubles mentaux. Il est toujours incarcéré dans une institution psychiatrique.
Pendant toute cette période, un policier menait une enquête personnelle sur d’autres meurtres perpétrés dans la région. Dennis Aslop était détective à London pour la police de l’Ontario de 1950 à 1979. Il a continué d’enquêter à son compte sur ces affaires après son départ de la police.
Il a accumulé une importante quantité de documents sur des affaires non résolues, des informations qu’il conservait chez lui. Dans certains cas, les autorités avaient refusé de porter des accusations, faute de preuves suffisantes.
Michael Arntfield a écrit un livre sur l’histoire des meurtres en série à London.
À la mort d’Aslop en 2012, son fils a remis la montagne de documents à un détective de police devenu professeur de criminologie à l’Université Western Ontario, Mike Arntfield. Ce dernier est un expert des crimes non résolus. Il a animé et produit une série télévisée baptisée To Catch a Killer (Épingler un tueur) en 2014.
Arntfield a poursuivi l’enquête amorcée par Aslop et a analysé les 32 meurtres perpétrés entre 1959 et 1984 afin d’élucider ceux qui ne l’avaient pas encore été. Selon les enquêtes menées par ces deux policiers, trois ou quatre autres tueurs en série pourraient être responsables des crimes.
Ces tueurs auraient quitté London pour Toronto. Après leur arrivée dans la Ville Reine, des meurtres ayant des similitudes avec certains perpétrés auparavant à London ont été rapportés.
Selon Arntfield, l’un des tueurs de London aurait enlevé la vie à quatre enfants à Toronto. Aslop était convaincu de l’avoir identifié, mais les preuves manquaient pour l’arrêter. Arntfield ne l’a pas nommé dans son livre.
Qu’il s’agisse de quatre, cinq ou six tueurs en série, Arntfield affirme que London remporte – malheureusement – la palme de la plus grande concentration au monde de ces criminels, en proportion de sa population, pour une période donnée. En comparaison, c’est comme si New York avait compté en même temps entre 80 à 90 tueurs en série.
Pourquoi London? Plusieurs facteurs ont été avancés.
D’abord, il s’agit d’une ville où de grandes compagnies testent de nouveaux produits parce que sa population est un microcosme de celle du Canada.
D’autres villes «tests» aux États-Unis, comme Richmond, en Virginie, Rochester, New York et Muncie, en Indiana, affichent des taux disproportionnés de violence sexuelle.
Aussi, la proximité de London à une grande autoroute, en l’occurrence la 401 qui relie Toronto à Détroit, facilite les déplacements. En 2024, une étude du FBI a montré un lien entre les agissements des tueurs en série et l’accès à de grandes autoroutes.
London a donc peut-être été victime de sa «normalité» et de sa position géographique.