le Lundi 14 juillet 2025

La Cour suprême du Canada refuse de traduire des milliers de jugements.

Elle a rendu près de 6000 jugements dans une seule langue avant 1970, soit avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles. On peut raisonnablement supposer que la très grande majorité de ces documents ont uniquement été rédigés en anglais.

La Loi sur les langues officielles stipule que les tribunaux ainsi que tous les autres organismes judiciaires ou quasi judiciaires créés par le Parlement canadien ont l’obligation de rendre leurs jugements simultanément dans les deux langues officielles.

La seule exception à cette règle est si la production des documents dans les deux langues officielles entrainait des délais préjudiciables à l’intérêt public. Les documents traduits devront cependant être fournis dans des délais raisonnables.

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Donner une excuse que l’on rejette

Ce n’est pourtant pas l’urgence de la situation ni le délai requis (le commissaire aux langues officielles a demandé que ces documents soient traduits en 18 mois) qui sont invoqués par le juge en chef de la Cour suprême pour son refus.

Le juge Richard Wagner affirme plutôt que la Cour ne dispose tout simplement pas des ressources – financières et humaines – nécessaires pour se lancer dans ce long travail de traduction.

Pourtant, l’argument financier a été écarté du revers de la main par la même Cour suprême dans la célèbre cause concernant la constitutionnalité linguistique des lois manitobaines.

Rappelons qu’en 1985, la Cour suprême a déclaré que toutes les lois du Manitoba adoptées entre 1890 et 1979 étaient inconstitutionnelles, car elles avaient été rédigées en anglais seulement. La Cour donnait 18 mois à la province pour faire la traduction de toutes ses lois.

La province y est arrivée et, aujourd’hui, toutes les lois du Manitoba sont dans les deux langues officielles et ont la même valeur juridique.

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Jouer avec les mots

Dans le cas qui concerne la traduction des décisions de la Cour suprême, c’est le commissaire aux langues officielles du Canada qui a statué que la Cour contrevient à la Loi sur les langues officielles en ne publiant pas tous ses jugements en français et en anglais sur son site Internet.

Vous aurez peut-être relevé une subtilité dans les propos du commissaire. Ce dernier n’exige pas que tous les jugements soient traduits, mais bien que tous les documents affichés dans le site Internet de la Cour suprême le soient dans les deux langues officielles.

Si les documents ne sont pas mis à la disposition du public, alors il n’est pas nécessaire de les avoir dans les deux langues officielles.

La Cour a bien saisi cette nuance et a agi en conséquence. Ainsi, depuis le vendredi 8 novembre, les jugements d’avant 1970 ne sont plus affichés dans le site Web de la Cour suprême.

Dans un communiqué, le Bureau du registraire de la Cour suprême du Canada promet cependant de faire la traduction des jugements les plus importants et de les publier dans le site Internet de la Cour. Ce ne sera donc pas tous les jugements qui reviendront en ligne.

La Cour prend aussi bien soin d’indiquer que les versions traduites n’auront pas un «caractère officiel», puisque les juges qui ont rendu ces jugements ne sont plus là pour valider l’exactitude de la traduction.

Plusieurs aspects choquants

Premièrement, on voit bien que le commissaire aux langues officielles a encore des pouvoirs limités. Ainsi, il ne peut pas exiger la production de tous les documents de la Cour suprême dans les deux langues officielles. Il peut seulement viser les documents mis à la disposition du public, par l’entremise d’un site Internet, par exemple.

Il est vrai que la modernisation de la Loi sur les langues officielles, adoptée en 2023, a donné plus de pouvoirs au commissaire, mais on constate que ces pouvoirs sont encore limités dans bien des cas. Ce n’est qu’en invoquant une disposition relative à «l’accès du public aux documents» que le commissaire peut rappeler la Cour à l’ordre.

Pourtant, n’est-il pas dans l’intérêt public que tous les jugements de la Cour soient accessibles dans les deux langues officielles, qu’ils soient ou non affichés en ligne? Les droits d’une communauté linguistique sont-ils moindres que ceux de l’autre? Pensons aussi aux juristes, aux chercheurs, aux étudiants qui doivent travailler avec ces documents.

Deux poids, deux mesures

Deuxièmement, la décision de la Cour de ne pas vouloir entreprendre le travail nécessaire pour que les jugements produits dans les deux langues soient d’égale valeur juridique ne se justifie tout simplement pas.

Encore une fois, rappelons le cas du Manitoba : les versions anglaise et française de toutes ses lois ont la même valeur. Pourquoi cela ne serait-il pas possible pour les jugements fédéraux?

Dans le même ordre d’idée, faut-il encore rappeler que la Constitution canadienne n’a toujours pas de version française officielle? Faut-il donc conclure sur la base des récentes déclarations de la Cour qu’il sera impossible d’en avoir une? Bien sûr que non.

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Un cas qui n’est pas isolé

Troisièmement, l’attitude plus que nonchalante de la Cour suprême à l’égard du français n’est malheureusement pas un cas isolé.

Tant la Commission sur l’ingérence étrangère présidée par la juge Marie-Josée Hogue que la Commission sur l’état d’urgence présidée par le juge Paul Rouleau en 2023 ont été rappelées à l’ordre par le commissaire aux langues officielles pour les mêmes motifs.

Dans les deux cas, la décision de ne pas traduire tous les documents publiés par les commissions a été justifiée par le manque de ressources financières.

Par leur décision, la Cour suprême et les deux commissions d’enquête appuient le sentiment que le bilinguisme coute trop cher. Ce n’est certainement pas avec une telle attitude que l’on peut se présenter comme défenseur des droits linguistiques des groupes minoritaires.

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Un son si particulier

Matt Boudreau est l’une des voix de plus en plus familières de l’Acadie. Membre de la formation Baie, musicien pour plusieurs artistes, l’auteur-compositeur-interprète, natif de Petit-Rocher comme Denis Richard, nous proposait à la fin septembre son 4e disque solo : Yellow Mellow.

Pochette de l’album Yellow Mellow

Photo : legreniermusique.com

Toujours avec ce son pop-rock qui démarque le musicien, l’album nous captive par une fraicheur hors du commun. Les arrangements sont des moments magiques, qui nous séduisent chaque seconde. Le tout compose un mélange fluide de claviers et de guitares qui donne ce son si particulier, propre à l’artiste, dont le timbre de voix reste enveloppant, texte après texte.

Tout au long de l’album, l’Acadien nous parle d’amour, d’évasion et de prendre le temps de vivre. On découvre de vrais petits bijoux. Dès Supernova la séduction opère. Sur les plages Chérie, Tes dents sont belles et Cerf-volant les chœurs de Maude Sonier ajoutent un peu de tendresse.

Parlant de tendresse, Matt Boudreau termine l’album avec une prestation guitare-voix sur la belle petite chanson Lou.

Supernova
Album : Yellow Mellow

Une voix qui traverse le temps 

L’auteur-compositeur-interprète Brian St-Pierre nous présentait à la fin septembre un 7e opus solo, Malgré tout, où l’on retrouve encore toute la magie de l’artiste. Il y a une trentaine d’années, le Franco-Ontarien épatait la galerie avec ses compositions pour le groupe Vice-Versa.

Pochette de l’album Malgré tout

Photo : lecanalauditif.ca

Du pop rock accrocheur à la ballade folk profonde, nous sommes à nouveau séduits par la puissance des mélodies. Chaque texte est accompagné d’un univers musical juste, qui interpelle sur des sujets aussi bien légers que profonds.

Avec toi je vole et Je te vois sont deux superbes textes sur la source de son inspiration. Te souviens-tu de moi et Coule le temps abordent la question du temps et des souvenirs.

Les yeux pleins d’eau est l’une des deux pièces maitresses du disque. Il s’agit d’une ballade aux sonorités des années 1950, qui rend un superbe hommage à une personne chère.

Il y a enfin la pièce-titre Malgré tout, un puissant arrangement piano-voix, supporté par un quatuor à corde qui saura vous soutirer une larme.

Malgré les années, malgré la pop moderne, l’artiste franco-ontarien sort du lot et nous offre de magnifiques mélodies, accompagnées de textes remplis de vérité. Cette voix réconfortante demeure une inspiration pour toute la communauté francophone de l’Ontario.

Beaucoup d’amour
Album : Malgré tout

Un tempo endiablé

Vincent Bishop, natif de Vancouver mais franco-ontarien d’adoption, nous proposait, en 2022, un premier album francophone au tempo endiablé : L’amour serait bienvenu, un bouquet de mélodies accrocheuses aux rythmes folkloriques.

Se basant sur des structures de musiques folkloriques et chansons à répondre, Vincent Bishop propose des trames accrocheuses bien construites, accompagnées d’excellents textes, livrés avec une énergie contagieuse.

Pochette de l’album L’amour serait bienvenu

Photo : vincentbishop.ca

Les thèmes de prédilection de l’auteur sont l’amour, les relations humaines et le courage. Il laisse souvent transparaitre une charmante touche d’humour.

Tout au long de son 3e opus, Vincent Bishop nous offre plusieurs vers d’oreille irrésistibles. Le premier en tête de liste est Dans l’air pur et clair. L’une des versions de cet extrait est presque à capella, avec seulement une petite trame de percussion.

Dansons la corona est un petit velours humoristique qui nous fait du bien, tout comme La vision 20/20. Je dois dire bravo à Vincent Bishop pour une autre version tellement rafraichissante de Mille après mille.

La pièce maitresse de l’album est selon moi Plus que tout. Elle se démarque non seulement par son style musical, mais aussi par la profondeur du texte et de la mélodie.

Il s’agit donc d’un opus francophone rafraichissant fort réussi, livré avec une énergie contagieuse. Vincent Bishop se permet quelques à-côtés qui viennent démontrer une facette plus profonde de l’auteur-compositeur-interprète.

Dans l’air pur et clair
Album : L’amour serait bienvenu

Rappelons que cette élection partielle avait été provoquée par le départ de Carolyn Bennett en décembre 2023. Ministre du gouvernement Trudeau depuis l’élection de 2015, députée de la circonscription depuis 1997, elle avait perdu son portefeuille lors du remaniement ministériel d’aout 2023 après avoir annoncé qu’elle ne se représenterait pas aux prochaines élections.

Carolyn Bennett n’a jamais eu de grandes difficultés à se faire élire dans sa circonscription, obtenant plus de 50 % des voix à chaque élection, sauf en 2021 où elle a récolté… 49 % des voix.

Au lendemain de la surprenante victoire du candidat conservateur dans Toronto–St. Paul’s cet été, plusieurs députés, surtout de la région de Toronto, ont demandé à Justin Trudeau de convoquer une réunion d’urgence.

On venait tout juste d’ajourner les travaux de la Chambre des communes pour l’été et tous les députés s’en retournaient dans leur circonscription pour plusieurs semaines.

Pour bon nombre de députés libéraux, il était néanmoins important d’analyser cette défaite, voire de préparer une nouvelle stratégie pour convaincre les électeurs d’appuyer le Parti libéral.

Une lettre signée par neuf députés sera même envoyée à Justin Trudeau demandant une telle rencontre. Mais le premier ministre jugera plus utile de discuter de la défaite dans Toronto–St. Paul’s avec ses ministres plutôt qu’avec ses députés.

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Une surprise pourtant annoncée

Les résultats dans Toronto–St. Paul’s étaient-ils vraiment une surprise?

Depuis des mois, les sondages indiquaient, les uns après les autres, que le gouvernement libéral était en chute libre dans les intentions de vote. Mais on ne pensait pas vraiment, du moins chez les libéraux, que cette baisse pourrait toucher des circonscriptions facilement gagnées par les candidats libéraux dans le passé.

Les résultats de l’élection partielle de Toronto–St. Paul’s en ont donc surpris plusieurs : les comtés jugés impossibles à perdre pour les libéraux, notamment dans les milieux urbains, ne le sont plus.

Ce n’est pas la première fois que les libéraux sont surpris. Ils l’ont été lors de l’élection générale de 2019, lorsqu’ils n’ont pas réussi à conserver leur majorité au Parlement. Ils avaient alors fortement sous-estimé la capacité du Bloc à séduire les Québécois.

Ils ont encore été surpris avec les résultats électoraux de 2021, malgré leur gestion de la crise sanitaire qu’avait approuvée une majorité de Canadiens. Mais les électeurs leur ont reproché d’avoir déclenché hâtivement des élections dont personne ne voulait.

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Une apparente déconnexion

Devant autant d’étonnement de leur part, on peut se demander si les instances du Parti libéral saisissent bien ce qui se passe sur le terrain.

Pour tout parti politique, il existe une tension inévitable entre le premier ministre et les députés.

Dans notre système politique, les gouvernements sont formés sur la base du nombre de députés qu’un parti peut faire élire. Ce sont aussi les députés qui font fonctionner nos institutions démocratiques, qui adoptent les projets de loi, qui posent des questions à la Chambre et qui représentent les intérêts de leur électorat.

Dans les faits cependant, le réel pouvoir se concentre autour du chef de parti. C’est la personnalité de ce chef, ses idées, ses ressources qui mènent ou non à la victoire aux élections.

On le comprend vite, chacun a besoin de l’autre : le premier ministre a besoin de l’appui de ses députés et surtout de leur connaissance du terrain alors que les députés tirent avantage des ressources et de la notoriété de leur chef.

On peut se demander si Justin Trudeau a bien compris l’aide que peuvent lui apporter ses députés.

Une question d’écoute

Et si Justin Trudeau avait accepté de rencontrer ses députés à la fin juin, tout juste après la défaite dans Toronto–St. Paul’s?

S’il avait rencontré son caucus plus tôt, les choses se seraient fort probablement passées autrement. Il n’y aurait pas eu d’appel formel à sa démission quelques mois plus tard, car Justin Trudeau aurait pu rassurer ses députés à propos de la stratégie envisagée par ses conseillers pour remonter dans les sondages.

Le chef libéral aurait pu aussi unir davantage ses troupes en démontrant qu’il partage le même objectif qu’eux, c’est-à-dire gagner les prochaines élections fédérales.

Et il n’aurait certainement pas donné des munitions au chef conservateur Pierre Poilievre, qui clame maintenant haut et fort que les gens ne font plus confiance à Justin Trudeau, même chez ses propres députés.

En examinant comment le premier ministre a géré la défaite dans Toronto–St. Paul’s – qui, au passage, laissait présager la défaite dans LaSalle–Émard–Verdun, au Québec, quelques semaines plus tard –, on ne peut s’empêcher de penser que Justin Trudeau est l’artisan de son propre malheur.

Il aurait dû manifester une plus grande écoute envers les préoccupations légitimes de ses députés.

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Aucun signe que la leçon a été apprise

La semaine dernière, plusieurs sources indiquaient l’existence d’une lettre signée par 24 députés libéraux qui demandait que le premier ministre prenne quelques jours pour réfléchir sérieusement à son avenir au sein du parti. Des discussions franches ont aussi eu lieu lors de la réunion du caucus.

En moins de 24 heures, le premier ministre a répondu qu’il entendait rester à la tête de son parti.

Plusieurs députés seront très certainement déçus de cette réponse. Pas forcément parce qu’ils espéraient qu’il démissionne, mais parce que le premier ministre n’a même pas daigné prendre les quelques jours qu’on lui offrait pour réfléchir à son avenir et à celui de son parti.

Encore une fois, le premier ministre n’a pas jugé bon de tenir compte des préoccupations de ces députés. Il pourrait éventuellement le regretter, car le temps qu’il doit passer à gérer les crises internes de son parti l’éloigne d’autres dossiers qui sont tous aussi importants et urgents.

Supposons qu’un politicien fasse une déclaration qui, disons, étire la vérité. Une partie de la population se demandera pourquoi personne ne dénonce ce mensonge flagrant. L’autre partie, elle, défendra le politicien.

Cette généralisation est un exemple parfait d’un biais de confirmation. Il s’agit de la tendance qu’a notre cerveau à chercher, à interpréter et à se rappeler les informations qui confirment – et confortent – notre vision du monde tout en rejetant celles qui la contredisent.

Ainsi, un mensonge a beau être irrationnel pour une partie de la population, s’il permet à une autre partie de dire «Ah ah! Je le savais», il sera accepté comme étant une vérité par cette dernière.

Le biais de confirmation n’est pas le seul des biais cognitifs qui nous empêche de naviguer objectivement l’océan d’informations dans lequel baigne le monde moderne. Il est cependant la source de beaucoup de tensions dans les publications sur les réseaux sociaux.

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Le monde depuis notre fenêtre

Pour fonctionner et survivre, l’être humain a dû développer la capacité de prendre des décisions rapidement. Les expériences antérieures et les connaissances acquises sont devenues essentielles à une prise de décision efficace.

Dans un monde stable et cohérent, il n’est pas nécessaire de tout remettre en question lorsque vient le temps de prendre une décision. D’où l’utilité du biais de confirmation. Il permet aussi de garder une certaine cohésion sociale dans des petits groupes.

Par contre, ce monde stable et cohérent n’existe (presque) plus. La vie dans une société composée de millions de personnes n’a rien à voir avec la vie des groupes nomades ou des petites cités-États. Les relations et les interactions entre tous les citoyens sont vertigineusement plus complexes.

Mais le biais de confirmation reste bien implanté. Notre subconscient a pris l’habitude de seulement prendre en compte notre point de vue, nos besoins, notre façon de voir le monde afin de pouvoir réagir rapidement.

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Votre biais et vos réseaux sociaux

Les réseaux sociaux exploitent majestueusement bien notre biais de confirmation. Les algorithmes sont programmés pour nous présenter des informations de même nature que les précédentes dans le but de nous rendre accros et d’agir sur notre dopamine.

Très rapidement, l’internaute crée une bulle qui laisse entrer très peu ou pas de points de vue divergents au sien.

Celles et ceux qui ne prennent pas l’habitude d’aller voir ailleurs, de mettre leurs croyances à l’épreuve, se creusent une tranchée de plus en plus profonde d’où il peut être difficile de sortir.

Plus nos convictions sont fortes, plus il est ardu d’accepter les faits qui les contredisent.

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Contourner le biais grâce… aux médias

Les médias font en ce moment les frais des biais de confirmation.

Les données du Digital News Report 2024 soulignent que seulement 46 % des francophones – et à peine 39 % de l’ensemble de la population canadienne – font encore confiance aux médias. Une baisse importante en quelques années seulement, puisque le taux de confiance général s’élevait à 55 % en 2016.

La lecture des médias traditionnels a été remplacée chez certaines personnes par la consultation de sites Web et de vidéos qui présentent plus d’opinions que de faits. Les bulles se sont souvent construites autour de préjugés, de demi-vérités et de mensonges.

Il faut donc mener une lutte consciente contre notre biais de confirmation. Pour y arriver, il faut commencer par consulter des médias variés qui permettent d’obtenir plusieurs points de vue crédibles sur un enjeu.

Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi garder un degré de scepticisme équivalent pour toutes les informations que l’on reçoit.

Le scepticisme à géométrie variable est très présent dans les cercles conspirationnistes. Les adeptes remettent en question toutes les déclarations des sources officielles, sans nécessairement chercher à analyser la véracité ou les intentions des sources qui confortent leurs croyances ou des messages à l’origine des théories du complot.

Si vous pensez avoir une intelligence supérieure à la moyenne et ainsi être à l’abri du biais de confirmation, détrompez-vous.

Une recherche a montré que les personnes qui ont une plus grande capacité de raisonnement s’en servent souvent pour dénicher les informations étayant leur conception du monde et pour rationaliser le rejet de tout ce qui ne fonctionne pas à leur avantage.

À vous de montrer que vous n’êtes pas à la merci de vos instincts.

Pour tous les jeunes trentenaires qui ont découvert le tennis au milieu des années 2000 – je fais partie de ce groupe –, c’est tout un chapitre de leur enfance qui s’est refermé la semaine dernière.

Roger Federer était un joueur de tennis extrêmement populaire auprès des spectateurs. 

Photo : Peter Meyer –  Wikimedia Commons

Deux ans après Roger Federer, Rafael Nadal a annoncé le jeudi 10 octobre qu’il prenait sa retraite en fin d’année. La veille, c’est le Français Richard Gasquet qui avait déclaré qu’il allait mettre un terme à sa carrière, après le tournoi de Roland-Garros 2025.

Il est toujours difficile de voir les idoles de son enfance quitter le devant de la scène. Immédiatement, une vague de nostalgie vous submerge. C’est ce qui m’est arrivé jeudi dernier. Et pourtant : je n’ai jamais considéré Nadal comme une idole, bien au contraire.

Pour moi, le Majorquin était un briseur de rêve, qui a trop souvent battu le joueur que j’admirais par-dessus tout, Roger Federer. Je peux même dire que, dans ma jeunesse, je le haïssais. Peut-être aussi parce que c’était le joueur préféré de mon petit frère.

Alors, pourquoi ce petit pincement au cœur au moment de l’annonce de sa retraite? Je me suis rendu compte que la perception de mes héros et de mes antagonistes de jeunesse a grandement évolué. Ce qui m’a conduit à m’interroger sur l’importance donnée à ces idoles pendant notre l’adolescence.

Plus jeune, j’ai pratiqué le tennis pendant une petite dizaine d’années. Mon niveau très modeste ne m’empêchait pas de rêver. Je me rappelle que, quand j’avais 11 ans, lors d’une rentrée scolaire, nous devions mettre sur une fiche quel métier nous voulions faire plus tard. J’avais alors répondu : «joueur de tennis».

L’influence de mes idoles expliquait forcément cette réponse fantasmée. J’étais admiratif de la classe de Federer, de l’impression de facilité qu’il dégageait. Le tennis paraissait si simple quand il jouait.

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De simples mortels

Je me disais qu’il y avait un certain mérite à ce que ce joueur soit si bon. Ce n’était pas simplement le talent qui était récompensé, mais aussi une forme de perfection morale. Toute sa vie semblait parfaitement orchestrée autour de sa passion et elle paraissait être celle dont on devait tous rêver.

Et puis les années ont passé. Au fur et à mesure que notre esprit critique s’affine, notre regard change.

Ce qui nous intéresse n’est plus seulement ce qui se passe entre les lignes d’un court de tennis, mais aussi l’homme ou la femme derrière l’athlète. Quelles valeurs renvoie-t-il? Utilise-t-elle sa notoriété à bon escient? Et, surtout, son image publique est-elle conforme à ses actions?

Je me souviens encore de ce moment où nous avons appris qu’Oscar Pistorius était accusé du meurtre de sa compagne. Le coureur sud-africain était un modèle à suivre pour ceux qui repoussent les limites imposées aux personnes ayant un handicap. Lui, l’amputé des deux jambes, rivalisait avec les meilleurs valides sur le tour de piste. Un modèle d’abnégation, de refus d’accepter la différence.

Depuis la funeste nuit du 13 au 14 février 2013, la figure du héros a laissé place à celle du paria.

Rafael Nadal a fait le cheminement inverse dans mon esprit. De «l’ennemi» dont on souhaite la défaite, il est devenu un exemple. Non pas pour son jeu – bien qu’on ne puisse pas nier sa bravoure et sa pugnacité – mais pour le respect qu’il témoigne à ceux qu’il côtoie. Les témoignages sont multiples, du chauffeur de taxi à l’hôtesse d’accueil, en passant par le ramasseur de balles.

Bottes aux pieds et balai à la main, il n’avait pas non plus hésité à donner de sa personne pour aider des sinistrés après d’importantes inondations sur l’ile de Majorque, dans la Méditerranée, où il est né et où il réside toujours.

Statue indéboulonnable

Qu’elles le veuillent ou non, les vedettes ont une responsabilité morale envers leurs admirateurs et le public. C’est bien ainsi, étant donné que leur influence ne cesse de grandir avec l’avènement des réseaux sociaux.

Après des mois à tenter de retrouver son meilleur niveau, Rafael Nadal a finalement annoncé mettre un terme à sa carrière à la fin de la saison. 

Photo : Mikelokok – Wikimedia Commons

Le documentaire du youtubeur français Inoxtag sur sa récente ascension de l’Everest, intitulé Kaizen et vu des millions de fois, en est l’illustration parfaite.

Si la performance du jeune influenceur a été saluée par beaucoup, à juste titre, d’autres n’ont pas manqué de faire des critiques, pour la plupart constructives, de son initiative : cout financier et environnemental, participation à un tourisme de masse, placements de produits peu évidents…

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«Il faut savoir séparer l’homme de l’artiste.» Cette affirmation n’a jamais semblé aussi anachronique qu’aujourd’hui.

À l’heure où les statues d’illustres personnages historiques sont retirées de leur piédestal et où le mouvement #MoiAussi rappelle à l’ordre certaines vedettes masculines qui se croyaient intouchables, les célébrités ne peuvent plus mystifier leurs admirateurs par leur simple talent.

Gageons néanmoins qu’en raison des accomplissements de l’homme qu’elle représente, la statue de Rafael Nadal, inaugurée en 2021 à Roland-Garros, ne devrait pas, elle, être déboulonnée de sitôt.

Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.