«Je sais que Frank et toi avez l’intention de me déconnecter. C’est quelque chose que je ne peux vous laisser faire.» Cette réplique de HAL 9000, l’ordinateur central du vaisseau spatial Discovery, dans 2001 : l’Odyssée de l’espace, avait de quoi donner des frissons dans le dos.
Dans son film culte de 1968, le réalisateur Stanley Kubrick laisse entrevoir les dangers de l’intelligence artificielle.
HAL contrôle tout. Il pense à tout. Il voit tout. Et lorsqu’il se rend compte qu’on veut le détruire, il se protège. Et tue. (Divulgâchons : HAL finit bel et bien par se faire neutraliser.)
Entrons dans le rétroviseur pour découvrir que l’idée de créer des machines ou des objets pouvant se mouvoir d’eux-mêmes et imiter des êtres vivants remonte aux Grecs (toujours eux), plus précisément à leur riche mythologie.
Des Grecs visionnaires
Dans l’Iliade – œuvre qui précède l’Odyssée – le poète Homère raconte l’histoire d’Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et de quelques autres trucs. Héphaïstos (Vulcain, chez les Romains), fils de Zeus, est moins célèbre que certains de ses six frères et sœurs, comme Apollon et Athéna. Mais il gagne à être connu.
C’est qu’Héphaïstos a un don particulier : il construit des trépieds capables de se placer eux-mêmes où ils doivent être. Il crée des chiens gardiens pour un palais qui sont «à jamais exempts de vieillesse» et d’autres figures animales du genre.
Mais le chef-d’œuvre d’Héphaïstos, ce sont les automates (du mot grec automatos, signifiant «qui agit de soi-même»).
Ces automates, faites en or, sont ses servants. On ne les a pas vues cultiver des tomates au soleil, mais certaines peuvent penser et avoir des sentiments humains. Selon Homère, elles «incarnent parfaitement la richesse, la beauté, la force, la vitalité».
Plus tard, au IVe siècle av. J.-C., le philosophe Aristote (un autre Grec, bien sûr), précepteur d’Alexandre le Grand (ça parait bien dans un CV), s’inspirera de ces automatos imaginaires pour décrire un monde où les machines remplaceraient les esclaves.
Tout un visionnaire!
Les débuts de l’IA, son évolution
Ce n’est qu’au XXe siècle qu’on peut entrevoir l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA). Les impératifs de la Seconde Guerre mondiale donneront lieu à des avancées dans ce domaine.
En 1950, le mathématicien et cryptologue Alan Turing (dont les exploits ont fait l’objet du film Le jeu de l’imitation, ou Imitation Game en anglais), fait figure de pionnier de l’IA.
L’invention des microprocesseurs, en 1971, donne des ailes à cette quête. En 1997, un superordinateur nommé Deep Blue réussit à battre le champion russe des échecs, Garry Kasparov. Début des années 2010, les assistants virtuels, Siri, Alexa et compagnie, s’immiscent dans nos vies.
Enfin la dernière vogue : les ChatGPT de ce monde, des agents conversationnels qui peuvent répondre — pas toujours de façon exacte — à toutes nos questions, rédiger des textes complexes en un tournemain, et s’occuper de bien d’autres tâches.
ChatGPT a une grande qualité : il s’améliore rapidement, ayant par exemple appris en quelques mois à écrire un haïku correctement.
Malgré ces avancées, nous ne sommes pas encore arrivés à la «vraie» intelligence artificielle, celle qui rendra un objet, un robot — ou autre entité inventée — autonome, avec une conscience propre, avec des émotions, des rêves. Bref, une copie conforme de l’humain, mais encore plus performante.
À soir, on fait peur au monde
Et la fiction, pendant ce temps?
Le mot robot n’est pas issu du monde scientifique, mais de celui de la fiction. Il est dérivé de robota, un terme tiré du mot slave rob, signifiant «esclave», ou «corvée», utilisé pour la première fois dans la pièce R.U.R. du dramaturge tchèque Karel Capek pour nommer des machines à l’apparence humaine.
La pièce de théâtre R.U.R. (pour Rossum’s Universal Robots), présentée pour la première fois en 1921, connait un énorme succès. Mais c’est une histoire qui finit mal : on dote les robots d’une certaine intelligence et d’une sensibilité limitée. Ce qui devait arriver, arriva : dix ans après leur création, ils se révoltent et anéantissent l’humanité. Désolé pour cet autre divulgâchage!
Les producteurs de films sauront exploiter le filon de l’apocalypse robotique ou informatique. Parmi les plus connus, outre l’Odyssée de l’espace, les franchises Terminator et La Matrice nous ont présenté un monde où les machines créées par l’humain ont pris le contrôle de la planète.
Mais il n’y a pas qu’au cinéma où l’on craint que l’humanité crée ses futurs bourreaux et provoque ainsi son autodestruction.
Quelques années avant sa mort, l’astrophysicien britannique Stephen Hawking a mis en garde le monde par rapport au développement de «l’intelligence artificielle complète» qui, selon lui, «pourrait mettre fin à l’humanité». Rien de moins.
L’auteur de la théorie du tout a prédit que lorsque l’IA sera complètement développée, «celle-ci décollerait seule, et se redéfinirait de plus en plus vite. […] Les humains, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés.»
Ces prophéties de malheur ont cependant été qualifiées de trop alarmistes par certains.
Bref, on peut choisir notre anéantissement : le réchauffement de la planète ou la suprématie des machines intelligentes. Un jeu de pile ou face où on est assurés de perdre.
Dans un texte paru sur le site Web des Nations unies, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), jette un regard moins déprimant sur la situation.
Selon elle, «l’IA est la nouvelle frontière de l’humanité. Une fois que celle-ci sera franchie, une nouvelle forme de civilisation humaine verra le jour. […] Nous faisons face à une question cruciale, à savoir quel type de société nous voulons pour demain».
«L’intelligence artificielle n’existe pas»
Luc Julia, comme d’autres spécialistes de l’IA, affirme que l’IA «n’existe pas» et «ne peut exister tant que l’intelligence humaine comportera du mystère». En d’autres mots, la psyché humaine est tellement complexe qu’aucune machine ne pourra l’imiter, encore moins la dépasser.
Qui croire?
Les premiers automates imaginés pouvaient penser et avoir des émotions. Plus de 3 000 ans plus tard, la réalité n’a pas dépassé la fiction. Pas encore.