le Lundi 14 juillet 2025

Mais avant de nous plonger dans Le vol de l’ange, Cherche rouquine, coupe garçonne et L’Obomsawin, parlons un peu de l’auteur. 

Daniel Poliquin est originaire d’Ottawa, où il a fait carrière en tant que traducteur et interprète au Parlement canadien. Même avec cet emploi, il a eu le temps de se consacrer à l’écriture. Il a écrit 10 romans et a signé la traduction de nombreuses œuvres d’essayistes et romanciers canadiens-anglais connus. 

Il a reçu de nombreux prix ainsi qu’un doctorat honorifique de l’Université Carleton et un autre de l’Université d’Ottawa. Il est chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française, chevalier de l’Ordre de la Pléiade et officier de l’Ordre du Canada. 

Son œuvre a fait l’objet de plusieurs dizaines d’études, de commentaires d’universitaires et de chroniques.

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Le vol de l’ange, paru aux Éditions Boréal en 2014, a mérité le prix France-Acadie en 2017 et a été défendu par l’écrivain et juriste Blaise Ndala lors du Combat national des livres 2022 de Radio-Canada.

Ce roman se déroule en Acadie, où l’auteur s’est installé en 2009. Il raconte l’histoire d’un enfant qui, à la suite d’un encan paroissial, se retrouve engagé dans une famille. La paroisse paye cette famille pour accueillir l’enfant.

On dit «encan» parce que c’est la famille qui mise le montant le plus bas qui accueille l’enfant. Cette pratique était aussi utilisée pour placer des ainés sans moyens de subsistance dans des familles de la paroisse.

Nous rencontrons le personnage-narrateur alors qu’il est âgé et qu’il doit faire l’objet de son troisième encan. Il raconte sa vie, une vie dorée selon lui, durant laquelle il n’a subi aucuns sévices dans sa jeunesse et qui lui a permis de jouir d’une grande liberté à l’âge adulte.

Daniel Poliquin est un merveilleux conteur. Par la bouche de son narrateur, il raconte la vie des villages, des familles, des personnages qu’il a croisés. En parlant d’une histoire d’amour entre deux de ses personnages, Poliquin note : «On aurait dit que leur histoire avait été écrite par un romancier bienveillant.»

C’est exactement ce que l’on ressent en lisant Le vol de l’ange.

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Ce romancier bienveillant est d’ailleurs de retour dans Cherche rouquine, coupe garçonne, paru chez Boréal en 2017. 

Dès le premier chapitre, nous assistons à la pendaison de William Blewett pour le meurtre de deux Américains en Gaspésie. Or, la plupart des témoins de cette pendaison sont convaincus de l’innocence de Blewett. 

Surtout le jeune prêtre, Jean-Jacques Bouffard, chargé d’assister le condamné. Il sera tellement secoué par cet évènement qu’il quittera la prêtrise. 

L’affaire Blewett, c’est la trame qui soutient tout le récit.

Lui-même originaire de la Gaspésie, Jean-Jacques Bouffard retournera vivre dans la maison de son enfance après le décès de ses parents. Il épousera une fille du coin, une espèce d’enfant gâtée qui lui pourrira l’existence jusqu’à ce qu’elle le quitte. Elle aura cependant eu le temps de lui donner une enfant, la rouquine du titre. C’est elle la narratrice du roman. 

Le livre est truffé de personnages truculents, et Daniel Poliquin nous les présente avec toute la verve narrative qui le caractérise. 

Il y a d’abord, Odette, jeune fille d’Ottawa qui quitte sa famille dysfonctionnelle pour s’installer à Montréal dès qu’elle atteint la majorité. Elle passera d’un emploi et d’un amant à l’autre avant de devenir la maitresse de Blewett. C’est d’ailleurs dans son appartement à elle qu’il sera arrêté. 

Il y a aussi le chef de police qui a procédé à l’arrestation de Blewett, mais qui n’a jamais cru à la culpabilité de ce dernier. Et à ces personnages s’ajoute le défilé d’amoureux et d’amoureuses de la rouquine. 

Et dans tout ça, une grande question demeure : Blewett était-il coupable?

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Reculons au début de sa carrière. Le roman L’Obomsawin, publié chez Prise de parole en 1987, est un des premiers de Daniel Poliquin. C’est l’histoire d’un vieux peintre Métis, l’Obomsawin, qui subit un procès parce qu’il est accusé d’avoir incendié sa maison dans la ville déchue de Sioux Junction dans le Nord de l’Ontario. Mais le roman raconte surtout l’histoire de ce lieu emblématique de plusieurs localités du Nouvel-Ontario.

Avec des œuvres autochtones exposées dans plusieurs grandes villes du monde, Thomas Obomsawin a déjà connu la gloire, tout comme Sioux Junction a déjà été une ville florissante. 

Ses deux fondateurs, un prêtre québécois défroqué et un anglophone ancien officier de la Police montée du Nord-Ouest, ont su faire prospérer la communauté. À une époque, l’un des fondateurs possédait le moulin à scie et l’autre la mine, qui attiraient des travailleurs de partout avec leur famille.

Maintenant, Sioux Junction ne compte plus que quelques habitants, ce qui crée des situations assez cocasses. Ainsi, l’un des derniers résidents, Jo Constant, «fait tout ce que l’autorité fait normalement». Il est maire, chef de police, juge de paix, hôtelier et seul épicier de la ville. C’est lui qui a arrêté l’Obomsawin et qui l’a logé dans son hôtel. 

Mais le procès de l’artiste connu chambardera la ville en attirant – en plus d’un vrai juge et des avocats – toute une flopée de journalistes, d’artistes et d’autres personnalités médiatiques. Quant à l’Obomsawin, il n’a soumis aucun plaidoyer et semble indifférent à son sort.

Comme dans tous ses romans, Daniel Poliquin utilise son talent de conteur pour nous présenter ses personnages et la vie locale. Et, dans ce livre, il le fait avec un petit sourire en coin qui nous charme.

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Réjean Grenier a travaillé dans les médias pendant 47 ans, comme journaliste, rédacteur principal à Radio-Canada/CBC, éditeur et propriétaire d’un journal et d’un magazine, et éditorialiste. Il a présenté une chronique littéraire sur les ondes de Radio-Canada pendant cinq saisons. Il est un avide lecteur depuis l’âge de 12 ans. Il a grandi dans un petit village du Nord de l’Ontario où il n’y avait pas de librairie, mais il a rapidement appris où commander des livres. Son type d’ouvrage préféré est le roman puisqu’«on ne trouve la vérité que dans l’imaginaire».

Jusqu’à la semaine dernière, Pierre Poilievre aurait peut-être pu espérer reproduire l’exploit de l’ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney, qui avait remporté 50,0 % des suffrages lors de l’élection fédérale de 1984. Du jamais vu depuis l’élection de John Diefenbaker en 1958 (celui-ci avait alors obtenu 53,7 % des votes).

Mais les choses viennent de prendre une nouvelle tournure. Non pas un, mais deux évènements majeurs se sont produits : la démission de Justin Trudeau, puis les déclarations fracassantes de Donald Trump se disant prêt à recourir à la «force économique» pour faire plier le Canada en matière d’échanges commerciaux.

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La démission indésirée

Certes, la victoire conservatrice est encore très probable, mais le raz-de-marée bleu pourrait déferler moins fort qu’initialement prédit par les sondages. Les conservateurs vont devoir redoubler d’ardeur.

Il est indéniable que la démission de Justin Trudeau vient changer la donne pour les conservateurs. Jusqu’à présent, leurs attaques ciblaient presque exclusivement la personnalité et les politiques du premier ministre actuel, et cela semblait donner d’excellents résultats. 

En quittant la scène politique, Justin Trudeau force donc le Parti conservateur à revoir sa stratégie. C’est d’ailleurs ce qu’espéraient les libéraux qui réclamaient le départ de M. Trudeau. 

Le départ annoncé de Justin Trudeau force déjà les conservateurs à réorienter leur message. 

Photo : Mélanie Tremblay – Francopresse

Toutefois, les conservateurs étaient prêts. On a d’ailleurs pu constater que leurs messages ont rapidement été ajustés : ce n’est plus Justin Trudeau qu’ils ciblent, mais bien ses ministres (les Chrystia Freeland, François-Philippe Champagne et autres) ou ses proches conseillers (Mark Carney). Les candidats pressentis sont ainsi coupables par association.

Cette stratégie est de bonne guerre. Un gouvernement sortant, peu importe qui le dirige, doit être capable de défendre son bilan. Et les partis d’opposition sont en droit d’attaquer ce bilan. 

Par contre, on sent que les conservateurs ont été pris par surprise par les déclarations de Donald Trump, et c’est là l’élément central de ce qui a changé. Pourtant, ils auraient dû y être préparés. 

À lire : Feuilleton de la Colline : démission de Justin Trudeau et menaces internationales

Qu’est-ce qui fait l’étoffe d’un premier ministre?

Un aspirant premier ministre doit avoir comme principale préoccupation la défense des intérêts du pays.

C’est ici que Pierre Poilievre a malheureusement échoué. On l’a peu entendu si ce n’est que pour se rallier finalement aux propos des autres chefs politiques, Justin Trudeau en tête, qui ont unanimement dénoncé la suggestion du prochain président américain. Non, le Canada ne sera pas le 51e État américain.

En fait, ce que l’on peut reprocher à Pierre Poilievre, c’est à la fois sa lenteur d’action et sa propension à réagir plutôt qu’à agir comme meneur.

En ce qui concerne la lenteur, Pierre Poilievre agit exactement comme l’a fait Justin Trudeau lors de situations de crise majeure. Pourtant, Justin Trudeau n’est certainement pas l’exemple à suivre.

Notre premier ministre a toujours eu beaucoup de difficultés à prendre rapidement des décisions, ce qui nous a régulièrement menés à des drames politiques inutiles ou tout près de catastrophes nationales.

Pensez à l’affaire SNC-Lavalin, au blocage des chemins de fer par des communautés autochtones en appui aux revendications des Wet’suwet’en, à l’instauration de l’État d’urgence face au convoi des camionneurs, à la controverse liée à l’organisme caritatif UNIS (WE Charity), à la grève dans les ports de la côte ouest, etc.

Un premier ministre doit être capable d’agir dans le feu de l’action et savoir prendre des décisions difficiles qui servent les intérêts du pays. Pierre Poilievre pourra-t-il faire mieux? Il ne l’a pas encore montré alors qu’il aurait dû le faire.

Pierre Poilievre a-t-il les qualités d’un premier ministre?

S’il a finalement fait les mêmes déclarations que ses adversaires politiques («Le Canada ne sera jamais le 51e État. Point à la ligne», «Je me battrai pour le Canada», «Nous mettrons le Canada d’abord»), Pierre Poilievre n’a cependant présenté aucun plan pour la suite des choses.

Donald Trump a multiplié les menaces contre le Canada depuis l’annonce de la démission de Justin Trudeau. L’imposition possible de tarifs douaniers de 25 % occupe tout l’espace en ce moment. 

Photo : Ali Shaker - VOA - CCA

En fait, il est étonnant que l’on ait plus entendu des chefs de gouvernements provinciaux ou d’anciens politiciens que le chef conservateur – et que le premier ministre – proposer des stratégies de négociation pour tenir tête aux Américains. 

Pensez à Doug Ford de l’Ontario, que l’on surnomme maintenant «Capitaine Canada», ou à Danielle Smith de l’Alberta, qui a rencontré Donald Trump à Mar-a-Lago les 11 et 12 janvier en plus de réussir à se faire inviter à la cérémonie d’assermentation à Washington le 20 janvier, ou encore à Jean Chrétien qui vient de signer une lettre ouverte combattive dans les médias. 

Pourtant, les déclarations de Donald Trump auraient dû inciter Pierre Poilievre à présenter davantage sa stratégie. Selon le président américain élu, si Pierre Poilievre est élu premier ministre, ça ne changera rien à son désir d’imposer des sanctions au Canada.

Pierre Poilievre a ainsi raté une belle occasion de dire à la population canadienne que oui, cela changerait les choses et expliquer pourquoi.

De la taxe carbone aux tarifs douaniers

Depuis des mois, Pierre Poilievre demande que des élections soient déclenchées sur le thème de la taxe carbone. Toute sa stratégie de communication ciblait ce thème, à commencer par son slogan, qu’il martèle sur toutes les tribunes («Axe the Tax», soit «abolissons la taxe carbone»). 

On le voyait encore au début de janvier alors qu’il commentait l’état des relations canado-américaines. Malheureusement, ce ne sera plus l’enjeu électoral, mais cette réalité, il ne semble pas encore vouloir l’accepter.

 À lire aussi : Pierre Poilievre inspiré par le plan de communication républicain (Éditorial)

Si vous aviez déjà la tête dans votre sapin de Noël le 16 décembre, vous avez peut-être manqué la démission pourtant fracassante de la ministre des Finances, Chrystia Freeland. Sa lettre, qui ne cachait pas qu’elle avait perdu confiance en son chef, a provoqué une tourmente qui a mené à la démission de Justin Trudeau, le 6 janvier.

Après cette nouvelle retentissante, le premier ministre a annulé toutes les entrevues de fin d’année à son horaire. Seul Mark Critch de l’émission humoristique de la CBC This Hour Has 22 Minutes a eu le temps d’en enregistrer une avant la lettre fatidique.

De son côté, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a donné trois entrevues : avec le Winnipeg Jewish Review, La Presse et le commentateur controversé Jordan Peterson. Cette dernière entrevue est de loin la plus longue, mais aussi celle qui en dit le plus sur la stratégie de communication conservatrice.

À lire : Économie : un déficit de 62 milliards et silence sur les langues officielles

Jordan Peterson s’élève contre le Marxisme et le postmodernisme, mais sa compréhension des deux concepts est très «grossière», avance un rédacteur du Historical Materialism, Harrison Fluss. 

Photo : Adam Jacobs – CCA2.0

Parallèles

Jordan Peterson est un psychologue ontarien qui a perdu son permis d’exercice. Le Collège des psychologues de l’Ontario a jugé qu’il «avait fait des commentaires dégradants, dénigrants et non professionnels» à travers des messages sur Internet qui visaient entre autres la transition de genre et les changements climatiques. Il fraie dans les mêmes eaux que Joe Rogan, animateur du balado le plus écouté de la planète, sans cependant atteindre le même niveau de popularité que ce dernier.

Les deux animateurs abordent des sujets relativement diversifiés, parlent à des experts, mais ne se gênent pas pour ouvrir leur micro à des gens qui ont des points de vue divergents, parfois un peu détachés de la réalité.

Leur public a aussi beaucoup de similitudes. Peterson était d’ailleurs l’invité de Rogan en juillet dernier.

Or, quelle entrevue a le plus marqué les esprits lors de la campagne électorale américaine? Donald Trump au micro de Joe Rogan.

Il n’est pas question ici de comparer les deux hommes politiques. Pierre Poilievre n’est pas une version canadienne de Donald Trump. Le parallèle entre les deux animateurs montre plutôt que l’équipe conservatrice s’inspire du plan de communication républicain.

Courtiser le vote des jeunes

Quand Justin Trudeau a remporté l’élection fédérale de 2015, il avait l’appui d’une grande partie des jeunes. Il avait trouvé la façon de leur parler. Après presque 10 ans au pouvoir, il a perdu de son attrait auprès de cette tranche de la population ou ne sait plus comment la séduire.

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Les conservateurs ont rapidement repris le flambeau. Ils ont maintenant la recette secrète… en partie copiée sur le pupitre du voisin.

Des observateurs de la politique des États-Unis rapportent que le camp démocrate a vécu la même chose que les libéraux fédéraux canadiens, ce qui a entrainé leur défaite lors des élections de novembre 2024.

Les démocrates étaient déconnectés de l’électorat et ne parlaient pas aux jeunes, surtout aux jeunes hommes. Donald Trump a fait des entrevues à des balados qui s’adressent principalement aux jeunes hommes. Y compris celui de Joe Rogan.

Jordan Peterson parle principalement aux jeunes hommes qui sentent que la société s’est retournée contre eux.

Pour sauver les meubles, les libéraux ont besoin de bien plus qu’un nouveau chef. Ils ont besoin de réviser entièrement leur message et leur plan de communication.

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Ce que nous nommons «intelligence artificielle» (ou IA) est en fait une nébuleuse de technologies informatiques. Les grands modèles de langage (GML, ou LLM en anglais), dont ChatGPT est sans doute le plus connu, semblent permettre à une espèce de robot de répondre à nos questions à partir de connaissances trouvées un peu partout sur Internet.

On parle ainsi à tort et à travers d’«apprentissage», de «génération de connaissances», d’«intelligence» et d’«hallucination» ainsi que de création originale. Tout est mis en œuvre pour donner des apparences de processus cognitifs à ces logiciels.

Toutefois, les algorithmes qui sous-tendent cette production assistée par machine ne ressemblent à ces phénomènes humains que par analogie.

La réalité est tout autre.

Les GML sont «entrainés» à partir d’énormes banques de textes, comme leur nom le suggère. Ils divisent les requêtes selon les mots et les signes de ponctuation, puis ils compilent la réponse la plus probable en trouvant, un à un, les mots qui sont le plus souvent utilisés ensemble – sans égard à la signification.

Les GML n’ont donc aucun critère de vérité et ne peuvent qu’agencer d’une nouvelle manière ce qui a déjà été écrit. Ils ne peuvent pas chercher de sources, trouver de l’information selon sa pertinence, ni l’interpréter. Ils alignent des mots qui tendent à aller ensemble, c’est tout.

Cela signifie également que le racisme, le sexisme, la transphobie, le capacitisme et toutes les formes de suprémacisme qui règnent dans la plus grande partie des créations textuelles humaines se trouvent répétés et souvent amplifiés par l’IA.

Cette production de texte par probabilité statistique explique les résultats souvent décevants de l’IA : des bibliographies où le nom d’un auteur·rice renvoie à des articles et des livres qui n’existent pas, mais dont les titres sont plausibles; du texte truffé de formulations vagues et dépourvu quasi complètement de contenu concret.

À lire : L’intelligence artificielle, une odyssée vers l’inconnu

À qui profite l’IA?

Dans nos ordinateurs, nos logiciels de traitement de texte, nos outils de recherche en ligne et nos téléphones, l’IA nous est constamment imposée. Puisque le nombre de personnes qui l’adoptent fréquemment demeure limité et ne répond pas aux attentes du marché, les entreprises comme Meta, Microsoft, ou OpenAI tentent de la rendre inévitable.

La bulle de l’IA pourrait être sur le point d’éclater : les divers modèles exigent des investissements énormes, mais n’amènent pas encore de profits. Les revenus augmentent certes, mais plus lentement que les dépenses pour le développement et l’offre de service.

Et les dangers financiers de l’adoption de l’IA dans un contexte entrepreneurial, universitaire ou gouvernemental sont par ailleurs importants.

Pour toutes ces raisons, l’IA nous est imposée de plus en plus souvent, même à notre insu. Elle crée ses propres besoins, mais n’arrive pas à répondre aux véritables besoins actuels de l’humanité. La logique économique demande de recouvrer à tout prix les investissements.

Nous recevons ainsi une avalanche de messages et de discours qui nous détournent de la réalité et cherchent à nous rassurer sur les incidences de l’IA, à nous la faire voir comme une forme d’intelligence, mais aussi à nous faire croire que son adoption est inévitable, une étape de la marche libératrice du progrès. La répétition l’emporte sur les raisons.

À lire : L’IA ou la prochaine «merdification» (Éditorial)

Les entreprises technologiques sont de plus en plus nombreuses à imposer des outils inspirés des IA génératives dans leurs produits, ne donnant pas toujours de choix quant à leur utilisation. 

Photo : Mikael Blomkvist – Pexels

L’apprentissage nécessaire… et impossible

Nous entendons sans cesse que l’IA est là pour rester et que nous y opposer serait futile. Une tendance importante consiste dès lors à croire (ou à se faire croire) qu’il suffit d’apprendre à nous en servir.

Dès que les discussions tournent autour de cette question, nous supposons que nous pouvons nous servir de l’IA pour atteindre nos buts sans les transformer.

Nous supposons que nous pouvons même en faire un usage éthique, alors que les corpus des GML sont bâtis sur la violation du droit d’auteur et que leur utilisation des ressources en énergie et en eau pour leur fonctionnement n’est pas écoresponsable.

À lire : Climat : l’IA sous un ciel variable

Or, le problème essentiel du recours à l’IA est qu’avant d’être en mesure d’évaluer les résultats qu’elle produit, nous devons d’abord être capables de les comprendre et de les produire nous-mêmes.

L’utilisation de l’IA pour remplacer l’écoute, l’enseignement, la lecture, la discussion et les autres méthodes classiques d’apprentissage nous empêche de développer les compétences essentielles à la pensée critique et aux multiples formes de la littératie, qui permettent ensuite d’évaluer l’exactitude de l’IA.

Il en va de même pour l’écriture : les logiciels de révision – comme Antidote, Grammarly ou ceux inclus dans Microsoft Word et Google Docs – ne fonctionnent que si la personne qui s’en sert est en mesure d’accepter ou non les suggestions, puisque ces outils ne font que ramener l’écriture à une norme abstraite. Ils aplanissent l’écriture et enlèvent tout ce qui relève du style… qui n’est pas commun statistiquement.

Il faut donc apprendre à écrire avant de les utiliser; apprendre à traduire avant d’utiliser la traduction automatisée. Sans cet apprentissage, nous écrivons comme des machines, nous répétons par cœur ce que nous mémorisons sans comprendre. Nous répétons donc les mots et les formulations des autres.

Aller directement à l’IA, sans le processus d’essai et d’erreur central à l’apprentissage, c’est se voir comme une courroie pour l’information et non comme une personne ayant besoin d’apprendre pour atteindre ses buts et améliorer sa situation.

Tandis que certains types d’IA peuvent être fort utiles dans certains contextes, les technologies génératives demeurent pour l’instant des investissements en quête d’usagers et de nouveaux investissements.

Ne pas les utiliser, c’est refuser la destruction environnementale qu’ils amènent et ce qu’ils font de nous.

Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).

Pour 2024, la présidence d’honneur du jury du Palmarès a été confiée à la directrice générale de la Société acadienne de Clare, Natalie Robichaud, qui est l’une des personnalités inscrites au Palmarès de 2023.

«Participer au jury de sélection et présider le comité a été un véritable privilège. Le processus rigoureux reflète non seulement le talent des personnes retenues, mais aussi l’engagement envers la vitalité de la francophonie canadienne. Ce Palmarès est une célébration de notre héritage culturel et de ceux et celles qui le portent avec passion», souligne la présidente d’honneur.

Le jury, composé de représentants de Francopresse et de personnalités des éditions antérieures du Palmarès, a étudié plus d’une trentaine de candidatures soumises par les journaux membres de Réseau.Presse à l’échelle du pays pour sélectionner les dix personnalités à se hisser au Palmarès de 2024.

Photo : Courtoisie

Marjorie Beaucage

L’«art-iviste» manitobaine Marjorie Beaucage a débuté l’année en devenant lauréate de l’un des Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques. Depuis novembre, le Musée des beaux-arts du Canada projette trois de ses films. Après plusieurs années en éducation, Marjorie Beaucage s’est lancée dans la production vidéo, avec pour objectif de mettre en lumière des enjeux souvent ignorés des communautés métisses et autochtones. Il y a deux ans, elle a collaboré avec le Conseil culturel fransaskois pour produire La moisson, un outil de médiation culturel pour les écoles.

Photo : Courtoisie

Cyr Couturier

Chercheur en économie rurale, Cyr Couturier est un acteur clé de la promotion de la francophonie à Terre-Neuve-et-Labrador qui a commencé à aider les entreprises acadiennes dans les années 1980. Il en est à son cinquième mandat à la présidence d’Horizon TNL, un organisme à but non lucratif voué au développement économique des francophones de la province. Il continue de siéger au conseil d’administration du Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE) Canada en plus d’agir comme président du Gaboteur, le journal francophone de Terre-Neuve-et-Labrador. Il a déjà siégé à la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador.

Photo : Comité paralympique canadien

Kamylle Frenette

Originaire de Dieppe, au Nouveau-Brunswick, Kamylle Frenette a inspiré toute la communauté acadienne et au-delà en se classant 4e à la compétition de paratriathlon des Jeux paralympiques de Paris de 2024, après avoir terminé au même rang aux Jeux de Tokyo en 2021. En juin, elle avait remporté sa première épreuve de la Série mondiale de paratriathlon, à Montréal. Kamylle Frenette est l’Acadienne qui a connu le plus de succès dans le sport paralympique. Pendant l’entrainement qui l’a menée aux Olympiques, elle a aussi obtenu son diplôme en pharmacologie.

Photo : Courtoisie

Claudette Gleeson

En février, lorsque la localité de Greenstone a décidé de retirer le drapeau franco-ontarien qui flottait depuis 2015 devant l’hôtel de ville, Claudette Gleeson a multiplié les efforts pour renverser la vapeur : pétition, députation devant le conseil municipal, campagne pour couvrir la ville des couleurs de la francophonie ontarienne… En mars, elle a été nommée à l’Ordre de la Pléiade de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Elle est actuellement présidente de l’Association des francophones du Nord-Ouest de l’Ontario, du Conseil scolaire de district catholique des Aurores boréales, de l’Accueil francophone de Thunder Bay et du Centre francophone de Thunder Bay. Elle a aussi fondé le Franco-Festival.

Photo : Sacha Cohen

P’tit Belliveau 

Jonah Richard Guimond, alias P’tit Belliveau, de Baie-Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, fait rayonner l’Acadie. Par sa musique, il met à l’honneur la langue française, sa culture, son identité et sa fierté acadiennes. En 2024, sa carrière a véritablement atteint un nouveau sommet. Il a notamment lancé un nouvel album, participé au spectacle d’ouverture du Congrès mondial acadien et au festival Francos de Montréal, et a rempli la salle MTelus à Montréal. Il a également remporté des prix lors du Gala alternatif de musique indépendante du Québec et reçu le Prix Acadie-Québec 2024.

Photo : Courtoisie Université de Moncton

Louise Imbeault

En novembre 2024, Louise Imbeault a été nommée lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick. Elle est chancelière de l’Université de Moncton depuis 2018 et propriétaire-éditrice des Éditions Bouton d’or Acadie depuis 2012. Journaliste réputée, elle a été directrice de Radio-Canada Atlantique, où elle a aussi été la première femme chef des nouvelles et la première femme directrice de la radio, de la télévision et d’Internet. Au cours de sa longue carrière durant laquelle elle a toujours mis de l’avant la langue française, elle a reçu plusieurs distinctions, dont celle de membre de l’Ordre du Canada en 2023.

Photo : Courtoisie

Anne Leis

La médecin Anne Leis ne ménage pas ses efforts pour que la population fransaskoise ait accès à des services de santé de qualité en français. En 2024, elle a coordonné une nouvelle recherche sur les effets de la pandémie de COVID-19 sur les familles francophones dans les Prairies. Il s’agit de la deuxième apparition au Palmarès de Francopresse pour la directrice du Département de la santé communautaire et de l’épidémiologie de l’Université de la Saskatchewan et l’ancienne présidente de la Société Santé en français et du Réseau Santé en français de la Saskatchewan.

Photo : Courtoisie

Isabelle Salesse

Depuis plus de 25 ans, Isabelle Salesse s’investit largement – et souvent dans l’ombre – pour que les francophones de tous les horizons aient une place au Yukon. En 2024, la directrice générale de l’Association franco-yukonnaise a lancé une initiative d’inclusion et de solidarité à l’égard des communautés 2ELGBTQI+ francophones. Au cours de la même année, elle a aussi contribué à la révision de la Loi sur l’office de la santé du Yukon pour garantir la protection des droits linguistiques de la communauté francophone. Par ailleurs, depuis trois ans, elle participe au défi Great Cycle Challenge pour la Fondation SickKids.

Photo : Isak Vaillancourt

Alex Tétreault

L’année 2024 n’a rien eu d’ordinaire pour le Franco-Ontarien Alex Tétreault. Dès janvier, le jeune dramaturge a remporté deux prix pour sa pièce Nickel City Fifs : le prix Audace Réseau Ontario et le Prix Alliance Acadie. En juin, il est devenu poète officiel du Grand Sudbury, en Ontario. En septembre, les Éditions Prise de parole ont publié le texte de sa pièce, qui raconte une «épopée queer sudburoise». Il est aussi actuellement président de l’organisme ontarien Théâtre Action et n’hésite pas à donner généreusement à sa communauté, notamment en siégeant à de nombreux conseils d’administration.

Photo : Archives Francopresse

Hommage : Ethel Côté

Pionnière de l’innovation sociale, championne de l’économie solidaire et figure de proue de l’autonomisation économique des femmes, Ethel Côté s’est éteinte à l’âge de 66 ans en octobre. Elle a consacré sa vie à l’épanouissement de la francophonie et à l’action locale. Elle a fondé plusieurs organismes, dont mécènESS, et a dirigé l’entreprise sociale ImpactON. Elle a aussi été présidente fondatrice de La Nouvelle Scène à Ottawa. Elle a été reçue à l’Ordre des caisses populaires de l’Ontario, à l’Ordre de l’Ontario et à l’Ordre du Canada. En 2015, l’ONU l’a nommée championne de l’autonomisation économique des femmes.

Photo : Colin Peters

Mention spéciale : Elle Peters

Le jury du Palmarès accorde une mention spéciale à Elle Peters. Engagée dans la défense des intérêts des jeunes francophones, Elle Peters est présidente du Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse et lauréate de 2024 du Prix d’excellence du lieutenant-gouverneur pour l’Acadie et la Francophonie de la Nouvelle-Écosse. La lutte qu’elle mène contre le racisme et toute autre forme de discrimination lui ont valu le Prix du civisme et du respect du lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse en 2022, alors qu’elle n’était qu’en 8e année. Continuons de suivre cette jeune francophone promise à un brillant avenir.

Blaise Ndala est originaire du Congo et a fait des études de droit en Belgique avant de s’installer à Ottawa pour y travailler comme juriste dans la fonction publique fédérale.

J’irai danser sur la tombe de Senghor

Il publie son premier roman, J’irai danser sur la tombe de Senghor, en 2014 aux Éditions L’Interligne d’Ottawa. L’ouvrage connait un succès immédiat auprès de la critique et gagne le Prix du livre d’Ottawa, catégorie fiction, en 2015 en plus d’être traduit… en russe.

L’histoire se passe en 1974 au Congo, alors appelé le Zaïre. Les vedettes du roman sont la rumba congolaise qui déferle alors sur le monde et le fameux combat du siècle entre Mohamed Ali et George Foreman.

Le titre est d’ailleurs attribué, dans le livre, au président congolais Joseph-Désiré Mobutu, qui gouverne le plus grand pays d’Afrique et qui est jaloux du président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor.

Senghor est un écrivain reconnu et premier Africain à siéger à l’Académie française. Le monde francophone n’en a que pour lui, ce qui attise le ressentiment de Mobutu. Ce dernier imagine alors qu’en dépensant des millions de dollars américains pour la tenue du combat du siècle à Kinshasa, il allait surclasser la réputation internationale de Senghor.

Le protagoniste du roman est Modéro, un jeune musicien du nord du Congo qui a acquis une belle réputation dans son coin de pays et qui décide de descendre à Kin la belle pour tenter sa chance auprès des grands groupes de rumba.

Il découvre une capitale où l’arnaque est reine et où l’intégration dans le monde musical n’est pas aussi évidente qu’il l’espérait. Grâce à quelques contacts, Modéro réussira à se rapprocher des musiciens qu’il adule et, surtout, à obtenir un billet pour le fameux combat qui fait trépider Kinshasa et le monde entier.

Le roman est en fait une description de l’Afrique après la décolonisation. Blaise Ndala nous y fait voir la vie quotidienne à Kinshasa, sa musique, ses magouilles et sa magie.

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Sans capote ni kalachnikov

Avec son deuxième roman, Sans capote ni kalachnikov, publié chez Mémoire d’encrier en 2017, Ndala poursuit sa montée fulgurante dans le monde littéraire francophone. Gagnant du Combat des livres de Radio-Canada en 2019, le roman sera traduit en 2024 sous le titre The War You Don’t Hate.

La trame touche deux domaines : les guerres intestines dans certains pays africains et l’exploitation de ces tragédies par les bienpensants du secteur humanitaire.

On y rencontre d’abord une cinéaste canadienne, Véronique Quesnel, qui gagne un oscar à Hollywood pour son documentaire sur le viol en tant qu’arme de guerre dans ces conflits qui perdurent en Afrique et ailleurs.

Quand la lauréate invite la vedette de son film à monter sur scène – la jeune Sona, 14 ans, qui a été réduite au rôle d’esclave sexuelle pendant un de ces conflits –, l’adolescente éclate en sanglots. C’est l’euphorie au Kodak Center.

Du faste de la soirée des oscars, l’auteur nous emmène dans un camp de réhabilitation où sont parqués des centaines d’anciens combattants révolutionnaires à la suite d’un accord entre leur mouvement et le dictateur.

Le camp est géré par d’autres bienpensants européens, des médecins et des thérapeutes qui tentent de «guérir» ces soldats de fortune.

On y rencontre l’ancien enfant-soldat, le caporal-chef Fourmi Rouge – titre qu’il portait avant, nous dit-il – qui a été convaincu d’écrire son parcoursrévolutionnaire dans un calepin. Ses écrits révèlent les magouilles et l’horreur de ses guerres.

C’est là que l’on sent tout le ressentiment de Blaise Ndala pour ces guerres fratricides et pour la marchandisation qu’en fait l’Occident. On ne peut lire ce roman sans ressentir un sentiment d’injustice.

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Dans le ventre du Congo

Les préjudices de la colonisation sont aussi omniprésents dans le troisième roman de Blaise Ndala, Dans le ventre du Congo, publié en 2021 chez Mémoire d’encrier pour le Canada, aux Éditions du Seuil pour l’Europe et à la maison Vallesse Éditions Abidjan pour l’Afrique.

Le roman a remporté plusieurs prix, dont le Prix international de littérature Cheikn Hamidou Kane, le Prix Ivoire pour la littérature africaine d’expression francophone et le Prix Ahmadou-Kourouma.

Selon l’auteur, ce roman se veut une «pacification des mémoires pour celles et ceux qui, de Bruxelles à Kinshasa, espèrent sans y croire que le passé puisse passer un jour».

Ce roman raconte l’histoire de la princesse Tshala Nyota Moelo, issue d’une prestigieuse monarchie Bakuba. Prise dans une jeunesse encarcanée dans les rituels liés à la royauté précoloniale, elle réussit tout de même à se libérer de sa famille et s’éprend d’un jeune colon belge avec qui elle vivra quelques années avant d’être abandonnée.

Elle tentera alors de faire jouer ses relations pour se rebâtir sa vie, mais sera dupée et se retrouvera marionnette dans la reconstitution d’un village congolais – certains disent un zoo – présenté aux visiteurs à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Elle disparaitra ensuite sans laisser de traces.

Saut en 2004, une nièce de la princesse disparue débarque à Bruxelles et croise un homme qui a connu Tshala et, ensemble, ils finissent par comprendre le destin tragique de la princesse. Je ne vous en dis pas plus. À lire.

Petite note pour les irréductibles de Blaise Ndala : il vient de terminer le manuscrit final d’un quatrième roman, qui est maintenant entre les mains de son agent littéraire. Le livre pourrait paraitre d’ici un an.

Réjean Grenier a travaillé dans les médias pendant 47 ans, comme journaliste, rédacteur principal à Radio-Canada/CBC, éditeur et propriétaire d’un journal et d’un magazine, et éditorialiste. Il a présenté une chronique littéraire sur les ondes de Radio-Canada pendant cinq saisons. Il est un avide lecteur depuis l’âge de 12 ans. Il a grandi dans un petit village du Nord de l’Ontario où il n’y avait pas de librairie, mais il a rapidement appris où commander des livres. Son type d’ouvrage préféré est le roman puisqu’«on ne trouve la vérité que dans l’imaginaire».

La grande rencontre : Paris réussit

Qui dit 2024, dit année olympique. Impossible, donc, de passer sous silence l’évènement qui a éclipsé tous les autres.

Paris aura offert des lieux de compétition hyper-télégéniques pour les Olympiques, mais pas seulement. 

Photo : Luca Dugaro – Unsplash

J’avais, comme beaucoup de Français, des craintes quant au succès des Jeux olympiques. Pour une fois, je suis bien content de m’être trompé. L’évènement a été un succès populaire indéniable, se fondant à merveille dans le décor de la Ville lumière.

La cérémonie d’ouverture, la première de l’histoire hors d’un stade, a donné le ton. Le reste a suivi une trajectoire similaire.

Des lieux de compétition hypertélégéniques, une ambiance folle dans les tribunes, des vedettes au rendez-vous (Summer McIntosh, Teddy Riner, Léon Marchand, Simone Biles, Armand Duplantis, Novak Djokovic…) et aucun pépin majeur. La mayonnaise a pris. Un de mes collègues présent sur place me l’a confirmé : «Ça va être difficile pour Los Angeles de faire mieux.»

Même le bilan financier et environnemental est plutôt positif. L’organisation présente un excédent budgétaire de 27 millions d’euros, et les émissions de gaz à effet de serre ont été divisées par deux par rapport à Tokyo en 2021.

Le scandale : Soccer Canada dans la tempête

Si les Jeux resteront un bon souvenir pour la grande majorité des athlètes, il y a fort à parier que Soccer Canada souhaite les oublier au plus vite.

Rembobinons. Le 22 juillet, un membre du personnel entourant l’équipe féminine canadienne de soccer, Joey Lombardi, est interpelé par la police française pour avoir filmé avec un drone l’entrainement de l’équipe la Nouvelle-Zélande.

L’équipe canadienne a été pénalisée de 6 points de classement. L’entraineuse-chef de l’équipe canadienne, Beverly Priestman, a été sans trop tarder suspendue de ses fonctions.

Mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là. Soccer Canada a rapidement laissé entendre que ces pratiques d’espionnage n’étaient pas nouvelles. Une enquête de Radio-Canada a, depuis, mis en lumière l’existence d’un système bien huilé, connu de (presque) tous. Voici quelques extraits édifiants de ce qui a été relevé :

Le scandale de l’équipe de soccer canadienne aura été l’une des rares déceptions canadiennes aux Olympiques de Paris. 

Photo : Peter Glaser – Unsplash

Cette triste affaire d’espionnage en rappelle une autre. En seconde division anglaise, l’ancien entraineur de l’équipe de soccer de la ville anglaise de Leeds, Marcelo Bielsa, avait envoyé des membres de son encadrement scruter les entrainements de ses adversaires.

Le célèbre technicien argentin avait fini par se confesser au cours d’une conférence de presse en 2019, aussi lunaire qu’interminable.

Avec une présentation visuelle à l’appui, il avait justifié ses actes : «Je me sens coupable si nous ne travaillons pas assez. Espionner nous permet d’être moins anxieux et, dans mon cas, je suis assez stupide pour autoriser ce genre de comportements.»

Ainsi donc, sous le couvert du «professionnalisme» pour la préparation d’un match de soccer, tous les moyens semblent bons pour gagner, même les plus litigieux. À méditer…

Un chapitre important de l’affaire Soccer Canada s’est, lui, refermé le 12 novembre, avec le limogeage de Beverly Priestman.

L’athlète : le soleil McIntosh

Si la France a vibré au rythme des exploits de Léon Marchand cet été, le Canada a, lui, été ébloui par le talent de Summer McIntosh.

La France et le Canada auront eu des héros en natation lors des Olympiques. 

Photo  : Gregory Gallegos – Unsplash

La nageuse ontarienne a remporté, à seulement 17 ans, trois titres olympiques (200 m papillon, 200 m quatre nages et 400 m quatre nages) et une médaille d’argent (400 m nage libre). Une performance historique, puisqu’aucun athlète de l’unifolié n’avait jamais remporté trois médailles d’or au cours d’une seule édition des Jeux.

Loin d’être rassasiée, Summer McIntosh, désormais majeure, a fait une véritable razzia lors des Mondiaux de natation en petit bassin, qui se sont déroulés à Budapest du 10 au 15 décembre dernier. Trois premières places, une deuxième place, exactement comme à Paris, avec cette fois trois records du monde.

Discrète et bosseuse, la Torontoise fait preuve d’un professionnalisme remarquable pour son jeune âge. Peut-elle devenir la Michael Phelps canadienne? Difficile à dire tant la natation est un sport ingrat qui use les athlètes, soumis à une charge d’entrainement colossale. Mais elle en a assurément le talent.

Le coup de cœur : le succès de la LPHF

Pour conclure cette riche année 2024, je voulais terminer par un coup de cœur. En janvier, j’avais dédié une chronique à la toute nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), faisant part de mon optimisme quant à son développement.

Depuis, plus de 21 000 partisans et partisanes se sont massés dans les tribunes du Centre Bell, à Montréal, pour assister à la rencontre entre Montréal et Toronto, établissant un nouveau record d’audience pour un match de hockey féminin.

Le succès de la Ligue professionnelle de hockey féminin donne envie de célébrer. 

Photo : Tima Miroshnichenko – Pexels

Depuis, les six équipes de la Ligue se sont dotées d’une identité visuelle, avec un nom et un logo.

Depuis, l’organisation a dit évaluer les candidatures de plus de 25 villes souhaitant les rejoindre. Deux d’entre elles sont attendues pour la saison 2025-2026.

Bref, en un an, l’expansion de la LPHF a été fulgurante, et la ligue semble déjà solidement installée dans le paysage du sport professionnel.

J’ai moi-même été témoin de ce franc succès. J’étais présent le 30 novembre dernier pour le premier match de la saison de la Victoire de Montréal face à la Charge d’Ottawa. Avec plus de 10 000 spectateurs, la Place Bell de Laval, au Québec, était pleine à craquer.

Les partisans – ou plutôt les partisanes, tant les femmes étaient nombreuses dans les gradins – en ont eu pour leur argent : une présentation émouvante, une ambiance de folie – la meilleure que j’ai vue lors d’un évènement sportif en Amérique du Nord – et un match plein de rebondissements.

L’émotion des joueuses était palpable. On sentait leur reconnaissance pour ce public qui les a poussées jusqu’au bout. J’ai retrouvé là ce que j’aime dans le sport : la communion entre le public et son équipe. Orphelin de mon équipe française de soccer, je suis désormais un partisan de la Victoire.

Vivement 2025!

Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.