En mettant de l’avant un choix entre des leadeurs qu’ils présentent comme forts, les partis politiques font oublier à l’électorat canadien qu’il ne vote pas pour un premier ministre, mais bien pour une représentation locale qui participe à un parti diversifié.
L’image du chef devient alors celle du parti et efface celle des candidats et candidates de chaque circonscription.
Comme cela a d’ailleurs été la norme au fil de l’histoire canadienne, les partis présentent également l’image d’un gouvernement qui tourne autour du premier ministre. Ce dernier est celui qui décide des personnes qui l’appuieront à titre de ministres ou de cadres de son équipe rapprochée.
Un tel fonctionnement tend à limiter la possibilité d’exiger des comptes de la part du premier ministre et à renforcer un gouvernement plus hiérarchique, fondé sur l’autorité. Il devient plus aisé de se défaire de ministres qui remettraient en cause l’orientation du gouvernement.
On passe dès lors de l’idée de solidarité ministérielle liée à des décisions prises en groupe, à l’obéissance de chaque personne à un patron qui peut les ignorer ou les remplacer selon son bon plaisir.
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Nous sommes témoins des effets de la personnalisation du leadeurship depuis plusieurs années.
Elle a permis à Justin Trudeau de cultiver un grand espoir, qui l’a mené à la tête du Parti libéral, puis du pays avant de faire place à un mouvement spécifiquement anti-Trudeau qui n’a cessé de croitre et finalement à une mobilisation interne contre le chef au sein de son parti.
Le même effet initial s’est produit avec Mark Carney, quand son nom a commencé à circuler comme successeur de Justin Trudeau : le Parti libéral a rebondi dans les sondages.
Le Parti conservateur aussi a employé cette stratégie. Il a cherché à faire voir son chef autant que possible, tout en changeant son image. Il a accusé Justin Trudeau à répétition d’être la source des problèmes du Canada, et il s’en prend désormais au Parti libéral par le biais de son association avec l’ancien chef.
On voit aussi l’affrontement entre les chefs des partis libéral et conservateur tourner autour du choix de la personne qui sera la mieux placée pour négocier avec le président américain – ou de façon plus réaliste, pour lui tenir tête.
Homme fort contre homme fort, métaphores guerrières, hausse de ton, manifestations d’agressivité contre ses adversaires des deux côtés de la frontière… Chacun cherche à se faire voir.
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L’emploi du masculin ici est voulu. Mis à part le Parti vert qui est dirigé conjointement par un homme et une femme et qui demeure fortement associé à la figure d’Elizabeth May, non seulement les autres partis ont-ils choisi des hommes pour les mener, mais ils ont aussi déployé une stratégie qui s’appuie sur des traits traditionnellement masculins.
Autant de traits qui s’opposent au style que Trudeau avait adopté – plus rassembleur et collaboratif, ouvert à la diversité (fut-elle de surface) – mais aussi au parcours réel des deux chefs les plus susceptibles de remporter l’élection fédérale.
Ni Pierre Poilievre, le politicien de carrière, ni Mark Carney, l’économiste, n’ont encore pu gagner leurs lettres de noblesse à la tête d’un parti au pouvoir qui a une autorité politique et qui doit prendre des décisions. Ni l’un ni l’autre n’a manifesté l’ensemble des qualités que les deux croient être requises pour le poste de premier ministre.
L’un a choisi une approche populiste et doit faire croire à une proximité avec la population canadienne moyenne, tandis que l’autre doit se détacher de son expertise pour faire croire à sa capacité de maitriser les codes de la politique. Chacun semble chercher les avantages de l’autre à travers cette figure de l’homme fort.
On sent ici un refroidissement de la politique, un resserrement des rangs, un serrement des poings. Finie la représentation substantielle des groupes qui sont marginalisés en politique et dans la société : la diversité, l’inclusion, les personnes en situation de handicap, les femmes et l’égalité des genres n’ont plus de ministre dédié uniquement à ces dossiers.
Autant de questions qui ne sont pas à l’avant-plan dans la campagne électorale, du moins jusqu’à présent… et dont l’absence risque de se faire sentir après les élections.
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Or, c’est justement cette tentative de s’ouvrir à la diversité et de maintenir des services publics d’envergure qui distingue le Canada des États-Unis dans bien des esprits.
Tandis qu’il serait possible de rassembler l’électorat canadien autour de ces valeurs, tant le Parti libéral que le Parti conservateur préfèrent contribuer au patriotisme et à l’antiaméricanisme des boycottages de bonne conscience. De ce fait, l’image de pugilat persiste et il devient très difficile d’entendre ce que les autres partis ont à suggérer.
Surtout, il existe un risque que les moyens mis en œuvre pour obtenir la victoire électorale ne deviennent la norme après celle-ci. Nous continuons de faire face à la montée de l’autoritarisme et du fascisme.
Il est encore temps de le combattre pour ceux et celles qui sont membres des partis, pour les journalistes qui décident des thèmes de leur couverture et qui ont la chance de poser des questions aux chefs… et pour chaque personne qui déposera son bulletin de vote dans l’urne le 28 avril prochain.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
Selon le recensement de 2021, il y avait 6 275 journalistes au Canada en 2020. En comparaison, le pays comptait 83 420 professionnels et professionnelles en publicité, en markéting et en relations publiques. Soit un ratio de 13 spécialistes en communication pour 1 journaliste.
Il est normal qu’il y ait plus de gens qui travaillent en communication qu’en journalisme. La catégorie inclut une bien plus grande variété d’emplois et représente un plus grand éventail d’entreprises et d’agences.
Cependant, pendant que les médias d’information perdent des joueurs, les relations publiques grossissent à vue d’œil. Depuis le recensement de 2016, le nombre de journalistes a diminué de quelques centaines, alors que les effectifs en publicité, en markéting et en relations publiques ont bondi de près de 30 000 personnes.
Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le ratio était de 2 pour 1 en 1990 au Québec.
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Le déséquilibre s’accentue très rapidement, non seulement dans le nombre d’employés, mais aussi dans la nature du travail.
Comme le rappellent les chercheurs de l’IRIS : «Alors que les [journalistes] cherchent à rapporter les faits de la manière la plus objective et la plus équilibrée possible, les [relationnistes] diffusent de l’information formatée par des intérêts politiques ou économiques.»
Une équipe en communication peut avoir besoin de quelques heures pour développer un message.
Les journalistes, qu’ils soient seuls ou en équipe, auront besoin de bien plus de temps – et parfois plus d’un article – pour déterminer si le message est valide, s’il n’omet pas une partie de la réalité.
Ce déséquilibre a un nom : la loi de Brandolini, ou asymétrie du baratin. Celle-ci s’applique surtout aux fausses nouvelles, mais le principe fonctionne pour les demi-vérités : beaucoup plus de temps et d’énergie sont nécessaires pour corriger une mauvaise information que pour la produire.
Si 83 000 agents de communication produisent chacun une minute d’informations biaisées, combien de temps auront besoin 6 000 journalistes pour présenter tous les faits? Après cet exercice, qui a le plus de contrôle sur l’information?
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Il faut garder ce concept en tête quand on parcourt les réseaux sociaux. Surtout en campagne électorale. Derrière chaque parti politique, derrière chaque message, il y a une équipe de communication qui a pour mandat de vendre des idées et des slogans.
Pour cette raison, le travail journalistique pendant cette période est doublement important. Les annonces vont extrêmement vite, elles fusent de tous les côtés et elles sont présentées dans leur plus bel emballage.
Les journalistes les déballent, les démontent et décrivent la partie du message qui ne cadre pas entièrement avec la réalité, ou le morceau de casse-tête qui manque.
Pour un électeur, suivre une campagne électorale uniquement à partir des médias sociaux d’un parti politique ou de leurs communications officielles ouvre une porte vers un univers parallèle.
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Malheureusement, au Canada, il faut faire un plus grand effort pour garder les deux pieds dans la réalité et accéder à du contenu non biaisé, puisque les médias sont absents de Facebook et Instagram. Sans oublier Twitter qui fait un X sur la vérité.
Pour l’élection fédérale de 2025, les journalistes ne sont pas admis à bord de l’avion de campagne du Parti conservateur du Canada. Les conférences de presse et les évènements seront accessibles aux journalistes, mais les médias nationaux auront plus de difficulté à être sur le terrain pour poser des questions.
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Les médias régionaux – incluant les journaux francophones en milieu minoritaire – joueront donc un rôle de premier plan dans la couverture électorale et dans le «déballage» des promesses. Ils seront mieux placés pour comparer les messages bien écrits de tous les partis politiques aux réalités sur le terrain.
Gardez donc un œil sur leurs pages.
Pierre Poilievre avait été élu à la tête du Parti conservateur du Canada avec l’appui de 68 % des membres. Justin Trudeau, lui, avait obtenu 80 % des votes de son parti. Dans les deux cas, il s’agissait de résultats plus qu’honorables.
Dès le début de la course à la chefferie libérale, plusieurs signes montraient que Mark Carney était le favori. Certains sondages auprès des membres du Parti libéral laissaient entendre qu’il était en avance sur ses adversaires. Cependant, la marge d’erreur de ces sondages est généralement élevée, il faut donc les analyser avec prudence.
D’autres sondages menés, eux, auprès de l’ensemble de la population, montraient une augmentation des appuis au Parti libéral si Mark Carney était à sa tête. De quoi faire très certainement réfléchir plus d’un militant libéral.
Puis il y a eu les contributions financières. Chaque candidat et candidate devait verser 350 000 $ au Parti pour s’inscrire dans la course.
Après un mois de campagne, Mark Carney avait déjà récolté 1,9 million de dollars auprès de plus de 11 000 donateurs et donatrices. Il devançait ainsi largement ses adversaires. Karina Gould, Chrystia Freeland et Frank Baylis. Les trois avaient récolté moins de 700 000 $ auprès d’environ 1900 personnes à la même date.
Il y a donc eu un effet Carney dès les débuts de la campagne.
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Il existe au moins deux raisons qui peuvent expliquer le succès obtenu par Mark Carney. La première est qu’il n’a pas fait partie du gouvernement Trudeau.
Si le premier ministre Justin Trudeau a été forcé de démissionner, c’est en raison de son impopularité grandissante, tant dans la population qu’au sein des troupes libérales.
Mark Carney est synonyme de nouveauté, de changement. C’est ce que la base libérale, et aussi une partie de l’électorat canadien, recherche.
La seconde raison est bien entendu le retour de Donald Trump à la présidence américaine. Un retour accompagné par des relations commerciales sous très haute tension entre le Canada et les États-Unis.
Mark Carney est vite devenu la personne que l’on considère comme ayant le meilleur savoir-faire pour gérer cette crise que plusieurs jugent existentielle pour le Canada.
En fait, les menaces constantes de guerre commerciale canado-américaine ont provoqué une situation exceptionnelle. Rarement a-t-on vu un élan de patriotisme aussi fort dans toutes les régions du pays. On sent que pour beaucoup de personnes dans la population canadienne, il y a urgence d’agir. Il faut se montrer ferme face aux États-Unis.
Mark Carney profite ainsi de circonstances inédites. Il arrive en politique avec une expertise et des réalisations passées qui semblent rassurer la population canadienne au moment où une crise sans précédent survient.
Il n’est pas certain qu’il aurait eu de tels appuis sans la présence de Donald Trump et de ses menaces de tarifs douaniers.
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Est-ce que les circonstances exceptionnelles actuelles lui permettront de remporter la prochaine élection fédérale? Plusieurs estiment que la partie ne sera pas facile à gagner. Mark Carney n’a aucune expérience politique.
Pour être plus précis, il a l’habitude de travailler avec des figures politiques, une expérience qu’il a notamment acquise lorsqu’il a dirigé la Banque du Canada puis la Banque d’Angleterre, mais pas celle d’agir comme un politicien. La différence est importante.
Mark Carney n’est pas non plus très charismatique. On l’a bien vu dimanche lors de son élection à Ottawa. Prenant la parole après Justin Trudeau et Jean Chrétien, il a été facile de constater qu’il n’a pas la même aisance, le même charme, ni même une petite pointe d’arrogance qu’on aime bien voir chez nos politiciens.
Même s’il possède un certain sens de l’humour, Mark Carney se présente avant tout comme une personne posée, réfléchie, qui tente d’expliquer les choses plutôt que de convaincre les gens de la justesse de ses arguments.
Il n’a pas eu le temps non plus d’élaborer une véritable plateforme électorale. Il a certainement des idées. On sait qu’il veut mieux gérer les finances publiques, aider l’économie canadienne, maintenir les programmes sociaux et, surtout, diminuer notre dépendance à l’égard des États-Unis. Toutefois, les propositions concrètes pour y arriver manquent encore.
Mark Carney pourra cependant compter sur l’aide d’un parti politique qui a de l’expérience et des ressources.
Par contre, il lui reste beaucoup de travail à accomplir avant de se lancer en campagne électorale : s’assurer d’avoir des candidats et des candidates dans toutes les circonscriptions, mettre en place une équipe de terrain, recruter des bénévoles, poursuivre les activités de financement, etc. Le temps pourrait bien manquer.
Pour toutes ces raisons, plusieurs pourraient croire qu’il sera très difficile pour le nouveau chef libéral de remporter la prochaine élection fédérale.
Toutefois, sans vouloir minimiser l’importance des facteurs énumérés ci-dessus, il faut aussi prendre en considération un autre élément. Au risque de se répéter, nous vivons une période exceptionnelle. La population pourrait donc vouloir obtenir des réponses elles aussi exceptionnelles.
Est-il nécessaire d’avoir un premier ministre charismatique, issu de la classe politique, qui a un plan détaillé et des ressources?
La réponse pourrait bien être non.
C’est une des leçons qu’il faudrait sans doute tirer de l’écrasante victoire de Mark Carney. L’incertitude actuelle provoquée par Donald Trump a mené les membres du Parti libéral à s’unir derrière un seul homme et à lui donner un très large appui.
Il se pourrait bien que cette volonté d’unité existe aussi pour l’ensemble de la population canadienne. Pour le moment, seul Mark Carney semble avoir la réponse pour rassurer l’électorat et pour l’unifier.
C’est à cet aspect que devraient réfléchir les autres chefs de parti en vue de la prochaine élection… qui viendra certainement plus tôt que tard.
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Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
Pendant 160 ans, le gouvernement canadien et plusieurs églises chrétiennes ont mené un projet d’assimilation culturelle et linguistique à l’endroit des peuples autochtones. Ils ont forcé environ 150 000 enfants à vivre, étudier et travailler en anglais ou en français.
Des conditions similaires existaient dans les externats (ou écoles de jour), où régnaient les mêmes enseignements racistes et dégradants et les mêmes interdictions de parler les langues autochtones.
Hors du Québec, là où des francophones géraient les écoles ou enseignaient aux enfants en anglais, les adultes pouvaient parler français et continuer de vivre en français. Une énorme masse de documents atteste que les catholiques francophones travaillaient la plupart du temps en français.
Les enfants les entendaient donc se parler en français et pouvaient apprendre quelques mots de la langue… surtout ceux qui les dénigraient (on m’a ainsi souvent parlé de l’impact négatif du mot «sauvage»).
Au-delà des pensionnats, les autorités politiques, religieuses et sociales ont également mené une attaque en règle contre les langues et les cultures autochtones.
Les économies autochtones ont été décimées, notamment par l’occupation et l’exploitation des terres par les Européens, par la mise en place du système de laissez-passer et par la pratique systématique de destruction des efforts de développement économique au niveau communautaire. Sans oublier les épidémies.
Pour avoir la possibilité de participer à la société dominante, là où il n’y avait pas de pensionnats ou d’externats, les enfants autochtones devaient aller à l’école hors des réserves. Il leur était donc impossible de recevoir une éducation dans leur langue qui serait reconnue par la société dominante. Cette possibilité est en fait très récente.
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Ceci dit, le terme «assimilation» ne suffit pas pour parler de ces politiques d’éducation. Il serait trop facile de mettre côte à côte les politiques à l’endroit des peuples autochtones et celles à l’endroit des communautés issues de l’immigration européenne – canadienne-française, françaises, belges, certes, mais également d’Europe centrale et de l’Est, visées par la même politique d’éducation en anglais.
Il est question ici de génocide. La Commission de vérité et réconciliation du Canada a parlé de «génocide culturel» pour nommer la logique des pensionnats et leurs conséquences sur les peuples autochtones.
Toutefois, nous devons voir les pensionnats comme une seule institution aux côtés des autres : les externats, les écoles mixtes, le système de laissez-passer, la Loi sur les Indiens, l’interdiction des pratiques spirituelles et culturelles, la destruction des économies, l’emprisonnement et la criminalisation, les déplacements forcés…
Dans les pensionnats autochtones anglophones, pendant que les jeunes ne pouvaient pas utiliser leur langue, les francophones qui leur enseignaient pouvaient parler français.
L’assimilation linguistique est ainsi l’une des composantes du génocide des peuples autochtones qui continue aujourd’hui, bien au-delà de la culture. Les langues autochtones ne sont pas «en danger», elles ne «disparaissent» pas : elles ont été longtemps attaquées directement, suivant l’objectif de les faire disparaitre avec les peuples autochtones.
Aujourd’hui, le manque d’un appui sérieux à leur développement limite les moyens pour contrer leur destruction et solidifier leur transmission.
Un déséquilibre important existe entre l’appui au français en situation minoritaire, et l’appui aux langues autochtones. Si les sommes d’argent peuvent paraitre comparables, il faut se rappeler que le soutien à l’éducation en français s’ajoute aux budgets provinciaux, tandis que le gouvernement fédéral finance entièrement les écoles dans les réserves.
Plus grave encore, ces écoles sont sous-financées et plusieurs ont besoin de rénovations importantes, et les gouvernements dépensent moins pour les enfants autochtones que pour les enfants qui vivent hors des réserves.
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Nous avons certes appris à reconnaitre «la présence et l’apport millénaire des peuples autochtones sur le continent nord-américain». Après tout, les langues autochtones font partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, mais surtout des peuples autochtones eux-mêmes. Par la manière dont elles nomment, décrivent et présentent l’environnement non humain, elles permettent de sortir des relations coloniales avec les territoires occupés par le Canada.
Toutefois, entre une reconnaissance, un rappel symbolique et un appui, voire une véritable solidarité, assez de pas ont été faits : il est plutôt temps de se mettre en marche et de commencer le travail.
Un véritable soutien aux langues autochtones commence évidemment par la création de relations, de liens plus serrés et de solidarités entre les groupes minorisés au niveau linguistique.
Ce soutien doit servir les objectifs déjà décidés et partagés par les peuples autochtones, et avoir lieu dans le respect de leur souveraineté en tant que peuples.
Après tout, de nombreuses initiatives existent déjà : rassemblements de gardiens et gardiennes des langues, forums en milieu urbain, sommets internationaux, écoles d’immersion et maints projets de revitalisation au niveau des communautés, dont les programmes de mentorat ainsi que la Décennie internationale des langues autochtones.
Ainsi, la création de politiques linguistiques communautaires qui incluent explicitement une solidarité avec les peuples autochtones du territoire de chaque communauté francophone permettrait de contribuer à la défense des droits des peuples autochtones, qui incluent les droits linguistiques. Aussi d’envisager ce que pourraient signifier des réparations de la part des francophones.
Bref, nous devons repenser les langues officielles. Celles-ci ont été, et demeurent, des langues de colonisation. Les penser en isolement des langues autochtones, c’est continuer les aspects linguistiques du colonialisme.
À lire : La francophonie veut aider les peuples autochtones à faire reconnaitre leurs langues (Le Nunavoix)
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
Après une absence de huit ans, voilà que l’auteur-compositeur-interprète franco-ontarien Damien Robitaille est de retour. Il offre Ultraviolet, un opus des plus intéressants à la hauteur de son talent lancé le 14 février.
Pochette de l’album Ultraviolet.
Ce nouvel album aux allures dance-pop renferme de belles orchestrations qui rendent chaque pièce extrêmement puissante. Il débute avec un dance-pop bilingue, (She’s Got That) Je ne sais quoi, dont la musicalité des mots en fait un ver d’oreille irrésistible.
Dans la même veine, Kaléidoscope vous fera danser dès les premiers accords. Tout au long du disque, mélodie après mélodie, le charme opère. Des pièces comme Limousine ou Désynchronisé témoignent de la plume unique de Robitaille.
Paruline, Paruline est un folk acoustique savoureux, alors que Point de non-retour est une autre belle trame dance-pop et que la pièce titre, Ultraviolet, nous transporte dans un univers reggae.
Mon coup de cœur est Aurores boréales, une courte ballade piano-voix qui crée un moment de tendresse avec l’artiste. L’album se termine avec Superhéroïne, autre belle ballade, anglophone cette fois-ci.
Huit ans se sont écoulés depuis l’album Univers parallèles de Damien Robitaille. Ultraviolet démontre encore une fois toute la richesse de la plume de l’artiste. Il offre un 6e album où la force des arrangements donne vie à de superbes mélodies. Damien Robitaille est plus que jamais en contrôle de son univers.
Pour suivre leur excellent album éponyme, La légende de Calamity Jane revient avec le remarquable Avant l’aurore. Ce trio fransaskois, composé d’Annette et Michelle Campagne (du groupe Hart-Rouge) et d’André Lavergne (du groupe Dans l’Shed), captive dès les premiers accords avec un son country folk aux essences de blues qui les démarque.
Pochette de l’album Avant l’aurore.
Dès la pièce titre, Avant l’aurore, nous sommes témoins de l’intensité des orchestrations. Nous sommes éblouis par cette force organique que nous livrent les guitares et le banjo. À cela s’ajoute des harmonies vocales d’une richesse hors du commun.
Quelques extraits irrésistibles sont entre autres 300 pieds, un hymne contre l’oppression et un désir de liberté. Je t’appartiens est une déclaration de fidélité alors qu’avec Dans la montagne, Annette Campagne et André Lavergne livrent une des grandes chansons du disque.
J’aimerais faire une mention spéciale pour la pièce instrumentale, Vent et poussière. Elle nous berce au plus profond de notre âme.
Grâce à l’intensité des arrangements, grâce aux guitares folk et country auxquelles s’ajoute un soupçon de blues, le trio nous captive une nouvelle fois.
En souvenir je vous présente Yao. Ce mois-ci, le slameur d’Ottawa fera pour la deuxième fois la première partie du rappeur Grand Corps Malade. Il y a quelques années, Yao, artiste né en Côte d’Ivoire, déposait sa plume sur une toile de fond pop aux teintes afrobeat, électro et jazz, qui nous transportaient dans une gamme d’émotions.
Pochette de l’album Kintsugi.
Chaque pièces de l’album Kintsugi était très bien construite afin de créer un univers sonore absolu. De Funambule à Comme il est là, un esprit de compassion, de vérité et de fragilité emporte l’auditeur. On est témoin d’une plume d’intériorité profonde. Les naufragés est l’un des meilleurs textes de l’album.
La plume de Yao est poétique et engagée. Sa musique pop aux multiples teintes nous berce et nous accompagne comme une brise sonore envoûtante. Le propos de chaque plage de l’album Kintsugi est un délice pour notre ouïe.
En ligne et dans la culture populaire, l’effet Dunning-Kruger est utilisé pour expliquer pourquoi les personnes qui ont peu de connaissances dans un domaine donné se croient plus compétentes qu’elles ne le sont vraiment, parfois même plus que les spécialistes du domaine en question.
Après avoir vu quelques vidéos au fil des ans, le sujet était déjà en partie maitrisé. Cet éditorial devait présenter cet effet afin que vous y soyez sensibles et que vous puissiez éviter d’en être victimes.
Sauf que cette définition de l’effet Dunning-Kruger est erronée.
Tout ce que l’étude des sociologues David Dunning et Justin Kruger a pu montrer en 1999, c’est que le commun des mortels se croit aussi bon sinon meilleur que la moyenne des gens. Inversement, les personnes plus compétentes sous-estiment leurs habiletés.
Les chercheurs ont demandé à des étudiants et étudiantes de répondre à des tests écrits, puis de donner d’abord leur avis sur leur propre niveau de réussite et ensuite sur leur niveau de réussite par rapport aux autres.
Les données de l’étude semblaient montrer que plus le résultat obtenu était mauvais, plus l’écart entre la perception de la réussite et la réalité était grand.
En plus d’avoir été mal interprétés par certaines personnes, les résultats de cette première étude dans le domaine sont contestés.
Même si elle a pu être reproduite par d’autres équipes de recherche, elle a mené à des résultats différents quand le niveau de difficulté des tests variait.
Aussi, selon d’autres scientifiques, les résultats s’expliqueraient au moins en partie par un effet statistique.
À lire : Notre cerveau primitif : pourquoi croit-on toujours avoir raison? (éditorial)
Sans recherche supplémentaire, ou avec une recherche limitée à des vidéos sur YouTube présentant une version inexacte des conclusions de Dunning et Kruger, le présent texte aurait perpétué une mauvaise information.
Heureusement, puisque même un éditorial, ou tout bon texte d’opinion, doit reposer sur des faits vérifiables, il fallait creuser le sujet.
Après la consultation de sources de plus en plus variées sur l’étude et les résultats, il est devenu évident que la véritable définition de l’effet Dunning-Kruger n’était pas la même que celle qui est la plus couramment diffusée.
Seul un approfondissement du sujet a permis aussi d’apprendre qu’il ne bénéficie pas d’une reconnaissance unanime dans le milieu scientifique et qu’il est remis en question par d’autres recherches.
Cette conclusion vaut pour tout sujet d’actualité. Pour bien comprendre une nouvelle, il est préférable de ne pas lire la version d’une seule source. Il faut consulter des médias variés et des médias aux points de vue différents.
Cela ne veut pas dire qu’il faut visiter des sites de nouvelles spécialisées dans la désinformation, mais plutôt qu’il faut lire sur un même sujet un texte écrit par un média de droite, un média de gauche et un média reconnu comme étant plus neutre pour arriver à faire plus facilement la part des choses. À se former une opinion plus éclairée.
David Dunning le dit lui-même : pour sortir de l’effet, il faut toujours chercher à en apprendre plus, à demander l’avis d’autres personnes et à remettre en question ce que l’on sait.
Que l’effet soit réel ou non, ce sont de bons conseils.
À lire : Une «tempête parfaite» pour la désinformation électorale