Le chercheur Daniel Bourgeois insiste sur l’importance pour les conseils scolaires minoritaires d’élaborer leurs curriculums, afin de respecter leur mandat culturel et communautaire.
«Les provinces et les territoires ne sont jamais ouverts à accorder plus de pouvoirs aux conseils scolaires en situation minoritaire sans y être forcés», regrette Daniel Bourgeois, chercheur associé de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), auteur d’un récent rapport qui porte sur le sujet.
Pour «gérer pleinement» l’admission des élèves, les infrastructures, le financement, les programmes ou les ressources humaines, ce sont des allers-retours fréquents devant les tribunaux, déplore de son côté le président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), Simon Cloutier.
Il évoque des contentieux qui peuvent aller jusqu’en Cour suprême, durer plus de 20 ans et couter des «sommes astronomiques» en frais juridiques.
La jurisprudence relative à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit pourtant la pleine gestion des conseils scolaires en situation minoritaire.
En vertu des arrêts Mahé (1990) et Cameron-Arsenault (2000) de la Cour suprême, les conseils scolaires doivent exercer huit pouvoirs exclusifs, sans interférences des autorités provinciales ou territoriales.
Ils doivent déterminer eux-mêmes les besoins scolaires de la communauté, l’emplacement des écoles, gérer le transport scolaire, dépenser à leur guise les fonds prévus pour l’instruction, recruter et affecter le personnel enseignant, nommer et diriger le personnel administratif, établir les programmes d’études, conclure les accords pour l’enseignement et les services.
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Bilan en demi-teinte à l’Île-du-Prince-Édouard
Dans un rapport publié fin mai, Daniel Bourgeois a conclu que la Commission scolaire de langue française (CSLF) de l’Île-du-Prince-Édouard n’a pas la pleine gestion des huit pouvoirs exclusifs.
Selon l’étude, elle ne contrôle pas le pouvoir le plus important : l’élaboration des programmes d’études. Elle exerce de surcroit un contrôle limité en ce qui concerne l’emplacement des écoles, la conclusion d’accords pour l’enseignement et les services.
Daniel Bourgeois note néanmoins d’«énormes progrès» depuis l’élection des progressistes-conservateurs en 2019 : «Ils ont reconnu les particularités de la CSLF et bonifié ses ressources humaines et financières.»
Entre 2021 et 2023, 42 nouveaux postes ont ainsi été créés sur les 53 réclamés par la CSLF.
«Chaque conseil scolaire doit juger de la pertinence d’intenter une action en cour, car l’argent utilisé pour les poursuites, c’est autant d’argent qui ne va plus dans les salles de classe», observe Simon Cloutier.
Bataille constante du financement
Simon Cloutier explique que la situation est contrastée aux quatre coins du pays. D’une manière générale, les gouvernements «ont tendance à appliquer la Charte dans un esprit restrictif», affirme-t-il.
En Ontario, le président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), Denis Labelle, confirme que «plusieurs conseils scolaires éprouvent des difficultés à faire respecter leur droit à la pleine gestion».
Il pointe le manque d’écoles et de ressources financières, dénonce la volonté du gouvernement ontarien d’imposer un nouveau code de conduite et de nouvelles évaluations des directeurs d’éducation.
«Pourquoi vouloir s’impliquer dans notre organisation interne? Cela va à l’encontre de la gestion par et pour les francophones», s’agace-t-il.
L’ACÉPO aimerait par ailleurs jouir d’une plus grande liberté lorsqu’elle négocie des ententes collectives avec les syndicats d’enseignants.
«Nous ne sommes pas encore rendus là où on aimerait, mais depuis 30 ans, notre gestion scolaire est de plus en plus solide et complète», estime Anne-Marie Boucher en Alberta.
À l’Ouest, la directrice générale de la Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta (FCSFA), Anne-Marie Boucher, signale également la bataille constante du financement pour obtenir des équipements et des infrastructures.
«De la maternelle à la sixième année, ça va assez bien, mais au secondaire, c’est là où le bât blesse. On a besoin de plus d’argent pour moderniser les écoles existantes et en construire de nouvelles.»
Droit de regard sur les curriculums
Aux yeux de Daniel Bourgeois, au-delà du financement, l’élaboration des programmes d’instruction constitue le «nerf de la guerre». «Ça permet aux conseils de répondre à leur mandat culturel et communautaire, de valoriser l’histoire francophone, de contribuer à l’épanouissement de l’identité.»
Et le chercheur de lancer un pavé dans la marre : «S’il s’agit juste de traduire des programmes de l’anglais, d’enseigner des maths en français, c’est de l’immersion.»
D’après Marc Deveau, en Nouvelle-Écosse, le Conseil scolaire acadien provincial a choisi d’élaborer ses programmes scolaires pour contribuer à l’épanouissement de la culture et de la langue française.
Pour l’heure, seul le Conseil scolaire acadien provincial (CSAP), en Nouvelle-Écosse, a osé s’emparer de la question. Depuis 2001, grâce à des fonds provinciaux, six professionnels élaborent des curriculums, «adaptés à la réalité des francophones en situation minoritaire, ouverts à la francophonie canadienne et internationale», d’après le directeur du secteur de l’apprentissage, Marc Deveau.
Ailleurs au pays, les conseils scolaires doivent négocier les contenus des curriculums avec les ministères de l’Éducation.
Dans certaines provinces, comme en Ontario ou à l’Île-du-Prince-Édouard, ils ont un droit de regard et sont systématiquement consultés. Des enseignants francophones font partie des équipes ministérielles qui conçoivent et révisent les programmes.
La Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) a aussi un droit de regard pour intégrer l’identité et la culture franco-ténoises, «mais de façon simplifiée», précise sa directrice générale, Yvonne Careen, qui aimerait «que ce soit beaucoup plus étendu».
En revanche, depuis trois ans, les conseils scolaires franco-albertains ont maille à partir avec le gouvernement provincial, en pleine révision des curriculums.
Ils ont dû monter au créneau pour faire modifier les programmes de français, de littérature et d’études sociales, «qui ne comportaient pas assez de perspectives francophones», explique Anne-Marie Boucher.
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Travail de longue haleine
Il faut toujours revenir pour insister, car la première version ne répond jamais à nos besoins. Mais le ministère a fini par être à l’écoute, ils ont procédé à des changements positifs.
Selon elle, la FCSFA a déjà songé à prendre en main les curriculums. Cependant, face à l’ampleur de la tâche et à la pénurie d’enseignants capables de mener à bien un tel ouvrage, l’organisme a vite renoncé.
L’universitaire Louise Bourgeois s’inquiète de l’écart qui perdure dans «l’expérience éducative» entre les élèves ontariens scolarisés dans le système francophone et ceux scolarisés côté anglophone.
Même son de cloche du côté des Territoires du Nord-Ouest. «Avec une toute petite équipe, nous n’avons ni la capacité ni les moyens de le faire, il faudrait sortir des enseignants des salles de classe», relève Yvonne Careen.
«Il y a une certaine peur à travers le pays, car c’est un gros fardeau, qui demande beaucoup de ressources humaines et financières», confirme Daniel Bourgeois.
«Il y a aussi un défi d’accès à des ressources pédagogiques en français, beaucoup moins nombreuses qu’en anglais», complète Louise Bourgeois, professeure d’éducation à l’Université Laurentienne, en Ontario.
Quel que soit leur degré de gestion, les conseils scolaires témoignent d’un travail de longue haleine pour conscientiser les autorités.
En Ontario, selon Denis Labelle, sensibiliser les gouvernements aux spécificités de l’enseignement francophone en situation minoritaire est un travail continu.
«Nous échangeons de manière constructive avec le ministre de l’Éducation toutes les deux semaines, partage Denis Labelle. Mais nous devons constamment rappeler le besoin de garantir une expérience éducative équivalente entre les systèmes francophones et anglophones.»
«Ici, le gouvernement comprend ses responsabilités jusqu’à un certain point, la décision de la Cour suprême sur la Colombie-Britannique a quand même aidé à faire saisir aux plus hauts échelons du gouvernement leurs obligations constitutionnelles», poursuit Anne-Marie Boucher en Alberta.
Ce jugement a réaffirmé, en 2020, que les financements des systèmes anglophone et francophone doivent permettre une éducation de qualité équivalente. Reste à faire suffisamment confiance aux conseils scolaires pour dépenser cet argent comme ils le souhaitent.
On savait depuis quelque temps déjà que des pays étrangers tentaient d’influencer les résultats électoraux au Canada, mais ce n’était pas un sujet fréquemment abordé. On avait surtout l’impression que la menace venait des médias sociaux.
Des «puissances étrangères» essayaient, pensait-on, de s’immiscer dans les campagnes électorales en faisant circuler de fausses informations à propos des candidats et des partis sur diverses plateformes numériques.
Mais à l’automne 2022, des fuites dans les médias commencent à alerter l’opinion publique. Des tentatives d’ingérence étrangère se seraient produites lors des élections fédérales de 2019 et de 2021. Le problème serait donc plus sérieux qu’on le pensait.
Dans la foulée de ces allégations, une série d’enquêtes ont été lancées. Certaines par le premier ministre canadien et d’autres par les parlementaires.
Le premier rapport a été préparé par l’ancien gouverneur général du Canada, David Johnston, nommé rapporteur spécial indépendant par le premier ministre. M. Johnston devait examiner si une enquête publique sur l’ingérence électorale étrangère était nécessaire. Son rapport, paru en mai 2023, ne recommandait pas la tenue d’une telle enquête.
Le second rapport a été publié par la commissaire Marie-Josée Hogue, qui préside la Commission sur l’ingérence étrangère mise sur pied par le gouvernement fédéral, malgré l’avis contraire de son rapporteur spécial.
Déposé début mai 2024, ce rapport initial de la commissaire conclut qu’il y a bel et bien eu de l’ingérence étrangère durant les élections de 2019 et de 2021. Toutefois, cette influence n’aurait pas eu d’effet sur les résultats des deux élections.
Enfin, le troisième rapport a été déposé par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Contrairement à ce que son nom laisse sous-entendre, ce comité a été mis sur pied par le premier ministre et non par les parlementaires eux-mêmes. Il se compose néanmoins de sénateurs et de députés de tous les partis à la Chambre des communes.
Ce rapport d’abord déposé en mars 2024 a été rendu public au début de juin 2024. Il révèle qu’un nombre indéterminé de parlementaires auraient fourni des renseignements confidentiels à des puissances étrangères, notamment la Chine et l’Inde et dans une moindre mesure la Russie, le Pakistan, l’Iran ainsi que d’autres pays qui ne sont pas nommés.
Dans certains cas, des parlementaires ont sciemment fourni des informations confidentielles. Dans d’autres cas, ils l’auraient fait par aveuglement plus ou moins volontaire. Et cela ne se serait pas simplement produit lors des deux dernières élections générales.
Des trois rapports, c’est certainement le dernier qui est le plus intéressant. Il est le plus complet, le plus détaillé et aussi le plus inquiétant.
Il existe bel et bien de l’ingérence électorale étrangère. Elle prend de multiples formes et elle s’observe à tous les paliers de gouvernement, durant et en dehors des campagnes électorales. Les deux rapports précédents n’avaient pas réussi à bien saisir l’ampleur de la menace.
Depuis la publication de ce rapport, plusieurs aimeraient savoir qui sont les parlementaires ciblés par les allégations de collaboration avec des pays étrangers. Faut-il publier les noms? La version non caviardée du rapport les fournit.
Le hic est qu’il y a très peu de personnes qui peuvent lire et ont lu cette version. De plus, une fois que ces personnes sont habilitées à lire le rapport, elles ne peuvent pas en divulguer le contenu.
Pour certains, la présomption d’innocence et la protection des sources de renseignements doivent prévaloir. Pour d’autres, la reddition de compte et la transparence doivent être la priorité, car le public doit être informé.
Les deux arguments sont valables. Nous sommes ainsi confrontés à une situation complexe pour laquelle il n’existe pas de solutions simples.
Par contre, nous constatons que le processus utilisé actuellement pour gérer les allégations d’ingérence étrangère ciblant des parlementaires mène à une impasse. Tout est centralisé entre les mains du premier ministre.
Seuls lui et quelques-uns de ses ministres possèdent des informations importantes concernant les agissements de certains parlementaires. Mais les autres parlementaires n’ont pas accès à ces informations.
Le premier ministre dispose donc de renseignements privilégiés qui concernent soit des députés de son propre parti, soit des députés de l’opposition.
Par ailleurs, c’est le premier ministre qui a l’autorité de décider ce qui peut ou ne peut pas être dévoilé publiquement.
Le premier ministre est donc à la fois juge et partie.
Ce système ne peut pas bien fonctionner. D’ailleurs, nous le voyons déjà. Au lieu de voir les parlementaires débattre d’un réel problème de sécurité nationale, nous assistons actuellement à une joute hautement partisane, qui tourne autour du refus du premier ministre de divulguer des noms.
Il est plus que temps de réformer les procédures concernant la surveillance de l’ingérence électorale étrangère. Il s’agit d’un enjeu qui concerne au premier chef les parlementaires. C’est donc à eux d’agir.
Pour y parvenir, ils peuvent déjà compter sur plusieurs ressources. Le directeur général des élections, responsable de la bonne conduite des élections fédérales, et la commissaire aux élections, qui veille à l’application de la Loi électorale canadienne, sont deux agents du Parlement qui travaillent au nom des parlementaires et ne sont redevables qu’à ces derniers.
L’une ou l’autre de ces personnes ou les deux pourraient très certainement assumer la responsabilité de la surveillance de l’ingérence électorale étrangère.
Par ailleurs, la préparation du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a montré que les parlementaires peuvent travailler ensemble, avoir accès à des renseignements classifiés et produire des analyses de qualité.
Rien donc n’empêche les parlementaires de mettre en place leurs propres règles et procédures pour remplacer celles actuellement utilisées par le gouvernement qui donnent un avantage indu au parti au pouvoir.
Les parlementaires possèdent toute l’autorité, les ressources et les structures nécessaires pour procéder à ces changements. Espérons qu’ils auront aussi la volonté de le faire.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
«La décision du CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes] change la donne pour les producteurs francophones en situation minoritaire», félicite le président de Productions du Milieu à Moncton, au Nouveau-Brunswick, René Savoie.
«On a obtenu ce qu’on demandait, maintenant on verra bien s’il y a des problèmes sur la manière dont on doit aller chercher l’argent», déclare le producteur acadien René Savoie.
«Nos revenus sont en baisse depuis des années, nous avons grandement besoin de cet argent supplémentaire qui sera injecté dans l’industrie», ajoute-t-il.
À partir du 1er septembre prochain, les plateformes de diffusion audio et audiovisuelle en ligne – qui ne sont pas liées à des radiodiffuseurs canadiens – devront verser 5 % de leurs revenus annuels au Canada au financement des nouvelles locales radios et télévisuelles, aux contenus de langue française, aux contenus autochtones, ainsi qu’aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Autrement dit, selon les premiers calculs d’Ottawa, elles devront remettre chaque année 200 millions de dollars.
C’est ce qui ressort de la nouvelle politique règlementaire dévoilée par le CRTC mardi 4 juin. Il s’agit de la première étape dans la mise en œuvre de la Loi sur la diffusion continue en ligne, qui oblige les plateformes numériques à promouvoir le contenu canadien et à y contribuer.
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Tous les organismes culturels franco-canadiens se disent satisfaits. La directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin, salue le «courage» du CRTC et évoque une décision qui «réaffirme la souveraineté culturelle canadienne».
Dans un communiqué, l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC) applaudit de son côté «un premier geste significatif et prometteur, particulièrement pour les groupes en quête d’équité».
La directrice générale de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), Clotilde Heibing, aurait néanmoins préféré que le CRTC alloue une somme d’argent précise à l’industrie culturelle, plutôt qu’un pourcentage de chiffre d’affaires.
Clotilde Heibing se dit extrêmement satisfaite de la nouvelle règlementation du CRTC.
«Avec le système choisi, on ne sait pas exactement combien d’argent on touchera et on peut compter sur la créativité des plateformes pour minorer leur participation financière», observe-t-elle.
En outre, seules les entreprises qui empochent plus de 25 millions de dollars par an au Canada sont obligées de contribuer. Pour le moment, le CRTC n’a pas précisé quelles compagnies devraient mettre la main au portefeuille.
Là encore, Clotilde Heibing aurait souhaité que le conseil impose cette obligation à tous les joueurs étrangers, quel que soit leur niveau de revenus.
«C’est tronqué, car la grande majorité des activités sur les plateformes musicales sont gratuites et ne rentrent pas dans leur chiffre d’affaires alors qu’elles en profitent pour vendre les données de leurs utilisateurs», considère-t-elle.
Pour Marie-Christine Morin, il s’agit toutefois d’un «premier pas» : «Nous avions demandé un plancher de 1 million, mais c’est quand même de l’accès à de l’argent nouveau, ça fera une différence significative.»
Les mécanismes de redistribution de l’argent inquiètent davantage la responsable de la FCCF. Avant d’atterrir dans les poches des producteurs de contenus franco-canadiens, l’argent transitera par différents fonds.
Par exemple, sur les 5 % de contribution prévue pour les services audiovisuels, 2 % passeront par les caisses du Fonds des médias du Canada et 0,5 % sera versé à des fonds de production indépendants certifiés, soutenant la production télévisuelle de langue officielle en situation minoritaire.
Ce sont ces derniers qui préoccupent Marie-Christine Morin. Selon elle, les mécaniques derrière ces fonds ne sont pas assez transparentes : «Le CRTC doit être plus explicite et nous donner des garanties supplémentaires que l’argent rejoigne effectivement les producteurs francophones en milieu minoritaire.»
«L’objectif des plateformes est de faire des profits, à cet égard, le marché canadien est intéressant pour elles, j’espère donc qu’elles se conformeront à la nouvelle règlementation», partage Marie-Christine Morin.
Un avis que ne partage pas René Savoie : «Il y a peut-être moins de transparence qu’ailleurs, mais ce sont tout de même des fonds régis par le CRTC qui font l’objet de rapports réguliers.»
Aux yeux du professionnel, ces fonds sont essentiels à l’économie du secteur audiovisuel, car ils permettent de diversifier les sources de revenus.
Le CRTC a également décidé que le contenu de langue française produit dans le pays touchera 40 % des fonds, les 60 % restant iront à celui de langue anglaise.
«C’est déjà la répartition actuelle, c’est proportionnel aux efforts pour faire découvrir le français», félicite Clotilde Heibing.
En revanche, Marie-Christine Morin aurait voulu qu’un pourcentage explicite soit réservé à la production audiovisuelle en milieu minoritaire.
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Quelles que soient leurs divergences, les acteurs interrogés se posent tous la même question : les géants de la diffusion numérique vont-ils jouer le jeu ou augmenter le prix des abonnements, voire boycotter la nouvelle règlementation?
Clotilde Heibing est prudente : «Il peut se passer beaucoup de choses entre le moment où c’est décidé et où c’est mis en œuvre.»
Dans un communiqué, Wendy Noss, la présidente de la Motion Picture Association Canada, qui représente les intérêts des grands producteurs et distributeurs internationaux comme Netflix, a d’ores et déjà qualifié la décision du CRTC de «discriminatoire».
La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, ne semble pas craindre que la décision du CRTC entraine les Netflix et Spotify de ce monde à organiser un boycottage.
«Les plateformes ont participé aux audiences au CRTC. [Elles] ont eu l’occasion de faire entendre leurs prérogatives. […] Je m’attends à ce qu’elles se conforment aux législations canadiennes», a-t-elle affirmé le mardi 4 juin en mêlée de presse.
Néanmoins, le dossier est loin d’être clos. Le CRTC doit élaborer deux autres règlementations pour définir ce qui constitue du contenu canadien et améliorer sa découvrabilité. Car il ne suffit pas de produire des films et de la musique; il faut aussi que la population canadienne y ait accès.
À quelques semaines de la fin de la session parlementaire, le porte-parole du Bloc québécois en matière de Patrimoine, Martin Champoux, doute que le Comité, dont il est membre, complète ses activités prévues.
«Un comité, c’est fait pour travailler, c’est fait pour avancer des travaux parlementaires, des projets de loi, des études», dit Martin Champoux.
Il est particulièrement inquiet qu’ils ne terminent pas l’étude sur la pratique sécuritaire du sport au Canada, entamée en 2022.
«Le rapport sur le sport sécuritaire, on passe notre temps à le repousser dans l’agenda […]. Il y a d’autres études qu’on aurait dû faire au mois de mars et qu’on ne fera probablement pas parce qu’encore une fois, on s’attarde ou on débat de manière infinie sur des sous-amendements ou sur des questions qu’on pourrait très bien régler en une minute.»
Le comité étudie actuellement le projet de loi C-316, sur le Programme de contestation judiciaire. Mais de longs conflits sur d’autres sujets, tels que l’extrême droite et l’antisémitisme, ont utilisé le temps accordé à son étude.
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Un manque de professionnalisme
On semble être incapable de mener à bien des travaux de façon professionnelle et responsable et respectueuse
La situation n’est pas exclusive à ce comité, reconnait-il, et le retard peut survenir lorsqu’un projet de loi est soumis à plusieurs modifications.
«Mais là, ce qu’on remarque au Comité du patrimoine, c’est des digressions carrément, des façons de ne pas travailler sur les études ou sur les projets de loi en cours.» Il cite des motions et des débats qui n’ont «aucun rapport avec le projet de loi» étudié ni avec l’actualité du jour.
«C’est souvent simplement des motions plus idéologiques, par exemple, pour faire des déclarations politiques fortes, des prises de position. Mais pendant ce temps-là, il y a un projet de loi qui est à l’horaire et qui doit être retourné à la Chambre des communes qui n’aboutit pas.»
Longues interventions qu’il juge non nécessaires, questions posées à répétition, interminables débats sur les décisions procédurales de la présidence et obstruction parlementaire; Martin Champoux observe plusieurs «manœuvres politiques» qui retardent les travaux.
«J’ai l’impression qu’il y a certains membres de ce comité-là qui ne prennent pas au sérieux le travail qu’on a à faire. […] Peut-être que j’étais naïf de croire que [ces gens] arrivaient avec la volonté de faire avancer les choses, mais clairement j’ai l’impression que ce n’est pas le cas de tout le monde.»
«C’est sérieux ce qu’on fait, insiste le député. Il faut arrêter de voir ça pour faire des clips pour les médias sociaux, on est supposé travailler.»
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Geneviève Tellier voit une frontière entre jeu politique et manque de professionnalisme.
Le «fameux clip»
En comité, «les députés ont l’occasion d’écouter des gens […] et d’arriver avec des solutions pour régler des problèmes», explique Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et chroniqueuse pour Francopresse.
Mais, selon elle, deux éléments peuvent limiter ce travail : la ligne de parti et les caméras.
Les députés sont souvent contraints par les directives de leur leadeur parlementaire qui dictent parfois ce qu’ils doivent dire, explique-t-elle. Ils sont aussi tentés par la présence de caméras.
Selon Geneviève Tellier, en général, les travaux de comités devraient se faire «loin des caméras». «Ça sert à quoi de se lancer dans des attaques partisanes si finalement il n’y a personne qui les entend?», questionne-t-elle.
«Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il doit y avoir la recherche du fameux clip.»
Contactés pour une entrevue, des députés conservateurs et libéraux, ainsi que la néodémocrate Niki Ashton, qui siègent au Comité permanent du patrimoine canadien, n’ont pas répondu à nos demandes.
À la suite d’échanges houleux entre députés conservateurs et libéraux, cette dernière avait pourtant exprimé son mécontentement lors d’une réunion : «Ce comité est vraiment quelque chose.»
L’obstruction
Geneviève Tellier rappelle qu’il est normal que le jeu politique soit présent, mais il devrait y avoir des limites.
Pour tracer la frontière entre ligne partisane et manque de professionnalisme, elle suggère le critère de l’acharnement : «C’est-à-dire la répétition. Ça me fait penser à toutes les tactiques de filibustering [obstruction parlementaire], quand on essaye de retarder l’adoption d’une loi.»
À un moment donné, ça devient contreproductif, poursuit-elle. On fait perdre le temps en répétant tout le temps le même message et là, ça n’avance pas.
Selon Taleeb Noormohammed, les conservateurs empêchent de faire avancer les travaux du comité.
Questionné sur la situation en mêlée de presse le 22 mai, le député libéral Taleeb Noormohamed, membre du comité, a accusé les conservateurs de faire de l’obstruction : «Nous avons du travail important à faire dans ce comité. On voit des conservateurs qui tentent de bloquer tout ce qui arrive. Ça devient incroyablement frustrant.»
Il a dit toutefois garder espoir que les travaux sur le sport sécuritaire avanceront. «Il y a des victimes à travers le pays qui méritent de voir ce rapport, a-t-il dit. Et je ne comprends pas pourquoi les conservateurs, qui disent se soucier de la sécurité des Canadiens, tentent de bloquer ce rapport, c’est inacceptable.»
«Plus important encore, je crois que c’est irrespectueux par rapport au travail que nous faisons pour les Canadiens», a-t-il ajouté.
Lors de réunions de comité, les libéraux ont aussi été accusés (notamment par les conservateurs) de retarder les travaux.
L’argent des contribuables
«Il y a une place pour les jeux politiques, une place pour le travail sérieux. Je pense que présentement on n’est pas en train de démontrer aux citoyens québécois et canadiens que leur argent est dépensé intelligemment et que leurs taxes et impôts sont utilisés de façon productive», regrette Martin Champoux.
«Plusieurs ressources sont mises à contribution pour l’organisation de comité, rappelle-t-il. Ça va de la préparation de la salle avant que le comité arrive jusqu’au démontage et tout ce qu’il y a entre les deux. Il y a le personnel des députés aussi, on a des équipes qui travaillent avec nous pour la préparation des comités.»
Les dépenses du Comité permanent du patrimoine canadien s’élevaient à 42 491 dollars pour la période du 1er avril au 31 décembre 2023. Pour l’étude du projet de loi C-316, un budget de 19 200 dollars a été adopté.
La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a rappelé que le CRTC rendra prochainement des décisions sur la définition du contenu canadien et sur la découvrabilité.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a annoncé mardi qu’il exigera des géants de la diffusion en ligne une contribution équivalente à 5 % de leurs revenus au Canada afin de soutenir le système de radiodiffusion canadien.
Les services de diffusion en continue en ligne tels que Netflix et Spotify seront visés par ces obligations, qui «entreront en vigueur au début de l’année de radiodiffusion 2024-2025 et fourniront un nouveau financement estimé à 200 millions de dollars par an», estime le CRTC dans un communiqué.
Selon l’organisme, cet investissement sera consacré aux domaines ayant des besoins immédiats, comme les nouvelles locales, le contenu en langue française et les communautés de langues officielles en situation minoritaire.
Cette exigence est formulée dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi sur la radiodiffusion (C-11), adoptée en avril 2023.
Questionnée mardi sur la possibilité que les géants du numérique refusent de contribuer – comme l’a fait Meta dans le cadre de C-18 –, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, s’est montrée confiante : «On verra leur réaction. […] Le Canada est un pays qui est lucratif aussi pour ces entreprises-là.»
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Les rapports déposés mardi à la Chambre des communes par la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, ont eu exactement cet effet pour le gouvernement.
Le rapport attendu concernant les 97 contrats octroyés à la société McKinsey & Company entre 2011 et 2023 expose un non-respect fréquent des politiques et directives fédérales pour l’attribution de contrats. La valeur de ces contrats s’élève à 209 millions de dollars, dont 200 millions dépensés.
Parmi les irrégularités, Mme Hogan cite des processus concurrentiels insuffisants pour évaluer les soumissions afin d’appuyer le choix de McKinsey & Company comme fournisseur. C’était le cas pour 10 des 28 contrats octroyés dans ce type de processus.
«Le gouvernement fédéral n’a ni la capacité ni les outils requis pour lutter efficacement contre la cybercriminalité, avec des cyberattaques qui deviennent de plus en plus fréquentes et sophistiquées», dit la vérificatrice générale dans son troisième rapport.
Sur l’ingérence étrangère, elle estime que le gouvernement est «déconnecté» et évoque une pénurie de main-d’œuvre en cybersécurité au Canada.
Les membres du Comité sur l’ingérence étrangère sont soumis au secret à perpétuité en vertu de la Loi sur la protection de l’information, a rappelé David McGuinty, en mêlée de presse mercredi.
Lundi, un rapport du Comité sur l’ingérence étrangère nous apprenait que des parlementaires ont contribué sciemment à des manœuvres d’ingérence d’États étrangers, fournissant par exemple des informations confidentielles à des responsables indiens.
Ce rapport ne nomme pas les députés et sénateurs impliqués. Mercredi, les conservateurs ont demandé au gouvernement de divulguer ces noms, mais les libéraux se disent contraints par la nature de cette information.
«Le leadeur de l’opposition officielle sait très bien qu’aucun gouvernement […] ne discute publiquement des renseignements de sécurité», a répliqué le ministre des Institutions démocratiques, Dominic LeBlanc, en Chambre des communes.
Ce dernier avait d’ailleurs exprimé dans un communiqué son désaccord avec certains aspects du rapport du Comité sur l’ingérence étrangère, notamment la façon dont les renseignements avaient été interprétés.
Le rapport est désormais entre les mains de la Gendarmerie royale du Canada, a insisté le président du Comité, David McGuinty, mercredi en mêlée de presse. Ils décideront de la suite des choses.
Dans un autre rapport, la vérificatrice générale conclut qu’«il y a eu des défaillances importantes de la gouvernance et de la gestion des fonds publics assurées par Technologies du développement durable Canada».
Selon elle, cette fondation fédérale, qui appuie des entreprises dans le développement de solutions de technologie durable, a enfreint ses politiques en matière de conflits d’intérêts 90 fois.
Les programmes de Technologies du développement durable Canada seront transférés au CNRC au cours des prochains mois, a annoncé le ministre François-Philippe Champagne.
L’organisme fédéral a aussi attribué 59 millions de dollars à 10 projets inadmissibles et a fréquemment surévalué les bénéfices environnementaux de ses projets.
En réaction à ces conclusions, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a annoncé dans un communiqué de presse le transfert des programmes de la fondation au Conseil national de recherches Canada (CNRC).
«Le gouvernement a nommé au conseil d’administration de TDDC un nouveau président ainsi que deux nouveaux membres qui superviseront le transfert des programmes de TDDC au CNRC […]. Les employés de TDDC se verront offrir des postes au sein du CNRC», a-t-il ajouté.
La Banque du Canada a annoncé mercredi qu’elle abaisse son taux directeur de 25 points de base, pour le faire passer de 5 % à 4,75 %.
«Au Canada, l’expansion économique a repris au premier trimestre de 2024, après avoir stagné dans la deuxième moitié de 2023», lit-on dans un communiqué.
L’institution fait valoir que l’indice des prix à la consommation a reculé de nouveau en avril pour atteindre 2,7 %. «Les données récentes ont renforcé notre confiance que l’inflation va continuer de se diriger vers la cible de 2 %.»
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Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guibeault, a annoncé du financement pour que les municipalités se préparent aux changements climatiques.
Le ministre d’Environnement et Changement climatique Canada, Steven Guilbeault, a annoncé lundi que 530 millions de dollars seront disponibles pour les municipalités au cours des huit prochaines années pour les aider à s’adapter aux changements climatiques.
«Dans la lutte contre les changements climatiques, les municipalités sont sur la ligne de front, et elles sont les mieux placées pour connaitre les défis locaux et leurs solutions touchant les quartiers, le transport et les entreprises», déclare le ministre dans un communiqué de presse.
Cet argent servira notamment à construire des infrastructures résilientes au climat changeant.
Mais en 2020, un rapport de la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et du Bureau d’assurance du Canada (BAC) estimait que «le cout pour éviter les pires effets des changements climatiques à l’échelle municipale est estimé à 5,3 milliards de dollars par an».
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Pour Geneviève Gagnon, l’art peut créer des occasions de connexion et de dialogue, et ainsi briser des sentiments d’isolement reliés à l’écoanxiété.
«Le geste créatif possède des qualités apaisantes. Ça peut vraiment nous aider à calmer notre système nerveux. C’est une activité qui engage tous nos sens et qui peut vraiment nous aider à connecter au moment présent», témoigne Geneviève Gagnon, conseillère généraliste à la division yukonaise de l’Association canadienne pour la santé mentale.
«C’est une manière de prendre action, parfois d’avoir un sentiment de contrôle ou d’efficacité […] par rapport à nos émotions et par rapport à l’immensité de ce problème qu’est la crise climatique.»
Selon elle, les gens ont raison d’éprouver de l’anxiété. Elle est d’avis que, ce qu’il faut faire, c’est utiliser cette émotion de manière constructive. «On ne peut pas seulement “penser” au changement climatique, on doit “ressentir” ces effets afin de réagir.»
Au Yukon, Geneviève Gagnon propose des séances d’art-thérapie pour essayer de comprendre le poids des changements climatiques sur la santé mentale des Yukonais.
Dans un de ses programmes, la spécialiste se rend dans la nature pour offrir «des opportunités de self-reflection pour apprendre par rapport à nous-mêmes». Certaines personnes se confient alors parfois sur leurs inquiétudes liées aux changements climatiques.
Notamment «les jeunes, les gens qui passent beaucoup de temps dehors, qui ont une connexion à la nature – et on s’entend qu’il y a beaucoup de gens au Yukon qui ont cette connexion –, les peuples autochtones […], les pompiers pour les feux de forêt», énumère-t-elle.
«Il y a une ouverture d’esprit au fait que ça a un impact et que ça va continuer à avoir un impact sur notre santé mentale.» Il reste donc important pour elle de bien s’outiller pour répondre à ces préoccupations.
Pour Lisa Theriault, l’art peut également avoir une incidence communautaire, notamment s’il se traduit par des évènements pour le public.
«L’écoanxiété, c’est l’ensemble des émotions qui sont liées à notre peur du changement climatique et de la transformation. Ça peut être la peur, la colère, la tristesse, la culpabilité, mais aussi des émotions comme la joie et l’espoir», rappelle Caroline Malczuk, éducatrice à l’environnement à EcoNova, reprenant la définition de la pédopsychiatre Laelia Benoit.
«Ce n’est pas une maladie mentale, ce n’est pas quelque chose qu’il faut soigner, contre lequel il faut lutter, insiste-t-elle. C’est plutôt quelque chose qu’il faut constater.»
«C’est une conscience du monde qui est justifiée, parce qu’il y a un danger. C’est normal de ressentir des émotions par rapport à une menace qui est réelle.»
Découvrez comment des gens transforment leur inquiétude en actions positives.
À l’Île-du-Prince-Édouard, l’artiste visuelle Lisa Theriault a profondément été marquée par le passage de l’ouragan Fiona, en 2022. «Quand je vois les paysages autour de moi, on voit que les forêts sont vraiment impactées par cet ouragan et les arbres ont tremblé partout.»
L’artiste visuelle Lisa Theriault croit que l’écoanxiété peut amener à penser un avenir meilleur.
Dans ses dessins, elle fait référence à ces arbres, à l’érosion et aux plages malmenées par les aléas du climat.
Selon elle, l’art est une façon «d’imaginer un avenir différent, où on peut peut-être changer les impacts de la crise climatique».
«C’est une façon de lutter contre ça et aussi de commencer une conversation avec le public sur un sujet qui est vraiment difficile ou peut-être triste, mais d’une façon plus positive. Si on dessine un avenir ensemble, c’est une façon positive de penser à l’avenir.»
L’art permet ainsi d’envisager la crise climatique sous une autre perspective et d’imaginer l’avenir autrement. «On peut créer de nouvelles réalités, ce qui est fondamental pour résoudre ces problèmes globaux», complète Geneviève Gagnon.
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En Colombie-Britannique, EcoNova propose des ateliers, notamment dans les écoles, autour des questions environnementales.
En créant des concours artistiques à destination des jeunes, qui misent autant sur la chanson que la bande dessinée, l’organisme veut créer un espace pour que ceux-ci puissent mettre des mots sur leur écoanxiété.
«Il y a plusieurs activités, comme le dessin, la musique, la chanson, qui vont être des soupapes pour les jeunes, pour les adultes, pour libérer certaines de ces émotions», décrit Caroline Malczuk, éducatrice à l’environnement au sein de l’organisme.
Pour certains, ça va être l’art, pour d’autres, le sport, la randonnée, aller marcher dans la nature. En fait, le tout c’est de trouver des espaces où on peut laisser nos émotions sortir ou apprendre à les gérer pour ne pas qu’elles se retournent contre nous et qu’elles nous fassent du mal.
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Aux yeux de Caroline Malczuk, la communauté francophone peut représenter une force : «Il y a une certaine solidarité, une certaine écoute, qui fait qu’il y a certains messages qu’on fait passer et qui sont peut-être plus entendus par des personnes qui parlent notre langue.»
«Parce que quand on écrit une chanson, on est dans l’action. Quand on fait une BD, on est dans l’action. Et à travers ces actions-là, on fait passer des messages, on crée de nouveaux imaginaires qui vont après nourrir une pensée collective […] Ça vient créer une culture environnementale dans laquelle on peut aller chercher des valeurs, des idées d’action», poursuit Caroline Malczuk.
Malheureusement, selon elle, «quand on parle d’écologie, on parle de punition, de restrictions de liberté, alors qu’en fait, ça peut être une façon de vivre qui soit très positive, très agréable».
«Mais combien de récits, d’histoires, de films, de poésie nous permettent d’imaginer ce monde-là? Pas forcément beaucoup, regrette-t-elle. Pour nous, la création artistique est importante dans le sens où c’est une première chose qui nous permettrait de construire un monde un peu plus écologique et durable, parce qu’on ne peut créer un monde que si déjà on l’imagine.»
Le progrès est en quelque sorte une matrice pour les autres idées qui encadrent notre vie politique. Il sert à comparer les politiques et les idées, à comprendre les transformations des droits de la personne en termes d’avancées ou de reculs, ou encore à rêver à ce que l’innovation technologique pourrait amener…
Le progrès sert aussi à justifier des inventions qui ont au moins autant de conséquences néfastes que positives.
L’influence de l’idée de progrès est telle que nous pouvons aisément nous réconforter en y faisant appel. Nous pouvons ainsi nous dire qu’«au moins, les choses avancent» ou encore : «Mais quand même, les choses se sont améliorées!»
Le progrès sert donc à pacifier, à relativiser la situation : tant que les choses vont mieux, pourquoi nous efforcerions-nous de les transformer?
Il reste toutefois à penser ce «mieux» et tout ce qu’il sous-entend. Car le «mieux» et le «plus» qu’amènerait le progrès demeurent indéterminés, jusqu’à ce que l’on attache un sens plus précis au progrès.
Dans la sphère économique, le recours à l’idée de progrès tend à confondre deux réalités pourtant fort différentes. La première est l’augmentation du bienêtre (devenu «mieux-être», peut-être parce que nous serions déjà si bien?).
La seconde est l’augmentation de la productivité et donc du profit.
On tend à croire que la croissance économique amènerait automatiquement un progrès dans le reste de la vie humaine. L’augmentation des profits serait simplement une récompense pour les personnes qui prennent le risque d’investir leur argent.
On peut toutefois aisément voir que le progrès se mesure malgré tout par les profits. Lorsque les profits augmentent, mais plus lentement ou de manière insuffisante, on voit des compressions et des mises à pied (comme dans le domaine des médias actuellement).
Et tandis que les efforts de développement international pourraient permettre d’éliminer la pauvreté, les sommes déployées sous la forme d’une aide, et souvent de prêts, bénéficient davantage aux pays qui fournissent des investissements qu’aux pays qui les reçoivent.
Ici, il n’en résulte ni mieux-être ni bienêtre pour les personnes et pays qui en ont le plus grand besoin.
Et il n’est pas clair que la situation de la grande majorité de la population du monde s’améliore, malgré une croissance du PIB mondial qui continue d’année en année.
La faute n’en est pas qu’à la croissance qui ralentit : le développement visé n’est toujours pas durable, parce qu’il n’est ni mené par les groupes dont la vie économique a été restreinte par le colonialisme, ni orienté par leurs besoins, mais l’est toujours par le poids de la dette nationale.
Au vu de l’incidence des nouvelles technologies, on voudrait presque déplorer qu’«on n’arrête pas le progrès».
Les innovations technologiques présentées comme des progrès ont un poids énorme au-delà des profits et des autres bénéfices visés. Nos téléphones nous rendent la vie plus facile et divertissante. Les panneaux solaires permettent de capter une énergie renouvelable.
Mais ces deux technologies dépendent au moins en partie de minéraux que des enfants extraient, et ce, dans des conditions dangereuses pour leur santé, souvent dans des zones de conflit.
Il en va de même des voitures électriques, dont la fabrication pollue davantage que celle des voitures à carburant.
Le fait que ces voitures demeurent préférables puisqu’elles ne produisent presque pas d’émissions n’empêche pas que le problème essentiel se trouve dans l’utilisation à outrance de la voiture comme mode de transport et principe d’aménagement urbain.
Au bout de nos doigts, ce qu’on appelle l’intelligence artificielle requiert une quantité étourdissante d’énergie pour fonctionner et d’eau pour refroidir les complexes. Ses conséquences climatiques et environnementales sont déjà énormes.
Et elle nuit à la créativité humaine en détournant les utilisateurs et utilisatrices des sites où se trouvent les textes ou œuvres d’art imitées pour produire une approximation de réponse à la question posée, permettant aux entreprises qui développent ces modèles d’encaisser les revenus à la place des auteurs·trices originaux.
Cette innovation est encore loin de fournir quelque résultat intellectuel ou créatif fiable… mais a déjà des conséquences lourdes sur l’environnement et entraine un gaspillage d’eau dans des régions touchées par la sècheresse.
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Le problème n’est pas seulement que le progrès ne peut pas être infini et que des limites se dressent contre son avancée; c’est aussi que tout progrès ne peut être mesuré qu’en relation à une valeur qui est choisie d’avance.
Le progrès compris comme croissance économique et technologique s’oppose dans ses conséquences matérielles et réelles à un progrès des conditions de vie, qui n’est que supposé ou promis. Tandis qu’on associe la croissance à un effet de retour sur le bienêtre matériel de la population, rien ne permet d’établir un tel lien.
Certes, le progrès technologique peut avoir des effets positifs d’une grande valeur, et la croissance de la productivité peut éliminer la misère et apporter un plus grand confort. Tout dépend de la fin à laquelle il est appliqué et de notre capacité à surmonter l’imaginaire du progrès.
La compréhension du progrès comme croissance n’est pas viable et la croissance n’amène souvent pas de progrès. Un virage vers la notion de durabilité semble donc suggérer l’abandon du progrès.
À partir de ce constat, une série de questions émergent. Quels modes de vie sont durables? Quels modes de vie sont justes et permettraient de réduire, voire d’éliminer les grandes inégalités? Quels modes de vie pourraient être étendus à l’ensemble de la planète? Quel rapport aux ressources, à l’environnement et à la terre pourrait les sous-tendre?
Et d’abord et avant tout, puisque l’initiative individuelle ne pourra pas renverser la tendance et les décisions prises à l’échelle de pays et de corporations multinationales en concurrence, quelle distribution des ressources et quelles structures décisionnelles pourraient assurer la création de tels modes de vie?
Depuis quelques semaines, les députés conservateurs du Comité permanent des langues officielles reprochent à la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, de refuser de venir témoigner.
Le député conservateur Joël Godin a publicisé ce reproche sur X le 18 mars. Il a statué que «le public mérite de savoir que la ministre se défile de ses obligations».
«Qu’est-ce qu’elle cache?», s’est-il interrogé.
Le 28 mai, la ministre a rétorqué sur le même réseau social : «Vous savez très bien que le ministre responsable des langues officielles est Randy Boissonnault et qu’il vient régulièrement répondre à vos questions. Vous pouvez arrêter d’induire les Canadiens en erreur.»
Vous savez très bien que le ministre responsable des langues officielles est Randy Boissonnault et qu'il vient régulièrement répondre à vos questions.
— Pascale St-Onge (@PascaleStOnge_) May 28, 2024
Vous pouvez arrêter d’induire les Canadiens en erreur. https://t.co/Z7B0DxVJ24
Questionnée par Francopresse sur la situation, la ministre réitère ces mêmes propos.
Le ministre Boissonnault a quant à lui été invité ce mois-ci à revenir témoigner devant le Comité, dans le cadre de l’étude sur le financement fédéral des établissements postsecondaires. Il a refusé.
Il était déjà venu le 9 mai, mais il n’a jamais pu témoigner en raison des débats sur les propos de Francis Drouin, qui ont fait parler pendant près de trois semaines.
Le bureau du ministre Boissonnault n’a pas répondu à nos demandes d’entrevues.
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Selon le député conservateur Joël Godin, la ministre St-Onge «ne connait pas son dossier».
«Nous avons demandé que la ministre de Patrimoine canadien témoigne en Comité parce que c’est l’une des deux ministres responsables qui est mentionnée en termes de responsabilité dans la Loi sur les langues officielles», explique Joël Godin en entrevue avec Francopresse.
«Elle s’en lave les mains en déléguant la responsabilité au ministre des Langues officielles […] Elle ne connait pas son dossier», ajoute-t-il.
Le député souhaitait poser des questions à la ministre St-Onge pour «s’assurer de la reddition de comptes, s’assurer que tout est respecté dans l’application de la loi» : «Est-ce qu’il y a des résultats concrets? Qu’est-ce qu’elle va mettre en place pour améliorer les résultats?»
«Il y a urgence d’agir, il y a un déclin du français partout au Canada et il n’y a pas de réaction. Il n’y a pas de proactivité de ce gouvernement-là.»
Selon lui, étant donné que la ministre du Patrimoine canadien exerce des responsabilités en vertu de la Loi sur les langues officielles, il est logique qu’elle vienne témoigner.
Le titre de ministre du Patrimoine canadien est cité une dizaine de fois dans la nouvelle Loi sur les langues officielles. À certains endroits, il est indiqué que ce ministère est impliqué dans la mise en œuvre de la partie VII de la Loi et qu’il doit être consulté par le Secrétariat du Conseil du Trésor à certains moments.
Cependant, un document particulier permet à la ministre St-Onge de refuser de témoigner devant le Comité permanent des langues officielles.
François Larocque explique que, par le moyen de décrets, le gouvernement peut agencer les différents portefeuilles ministériels à sa guise.
«Par décret, les fonctions et responsabilités qui relèvent dans la Loi sur les langues officielles à la ministre du Patrimoine ont été transférées au ministre des Langues officielles», explique le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque.
Dit simplement, quand on veut parler de langues officielles, on s’adresse au ministre des Langues officielles. Et quand on veut parler de patrimoine, on s’adresse au ministre du Patrimoine canadien, détaille-t-il.
Le décret a été émis en vertu d’«une loi que le Parlement a passée il y a des décennies» et qui porte le nom de Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique.
«[Le gouvernement] rattache essentiellement toutes les compétences et responsabilités qui sont prévues dans une loi [au] ministre qui occupe la fonction», précise François Larocque.
«C’est vraiment très technique, admet-il. C’est vraiment quelque chose qui passe au-dessus de la tête de bien des gens.»
En ce moment, «les responsabilités dans la loi qui sont prévues pour Patrimoine canadien sont celles de Randy Boissonnault», ministre des Langues officielles, confirme le professeur.
Il rappelle que la Loi sur les langues officielles responsabilise d’autres ministères, tels que le ministre de la Justice et le ministre de l’Immigration. «Mais pour l’instant, c’est la responsabilité de Randy Boissonnault.»
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Le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, a refusé de témoigner une seconde fois au comité permanent des langues officielles.
Cette confusion fait écho à l’état actuel de la Loi sur les langues officielles (LLO), qui attend d’être règlementée.
Pour conseiller le gouvernement dans ce processus, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) a dévoilé un mémoire, le 28 mai.
«La loi demeure floue sur certaines responsabilités qui incombent au Conseil du Trésor et sur le partage des responsabilités avec le ministère du Patrimoine canadien», peut-on lire.
L’organisme espère que la règlementation permettra de clarifier les responsabilités de chacun. Il propose aussi «que ce soit une agence centrale, soit le Conseil du Trésor, qui se voit pleinement confier le mandat de la mise en œuvre de la LLO».
Joël Godin rappelle que dans le livre blanc sur les langues officielles du gouvernement libéral, il était proposé d’accorder «au Secrétariat du Conseil du Trésor les ressources nécessaires pour assumer le rôle d’organisme central chargé de veiller à la conformité des institutions fédérales».
Le député conservateur avait d’ailleurs proposé un amendement qui allait en ce sens lors de l’étude du projet de loi C-13, qui a modernisé la Loi sur langues officielles.
«On aurait dû prendre plus de temps pour bien faire les choses, mais les libéraux ont précipité et on a accouché», regrette-t-il.
Arif Virani et Marc Miller, respectivement ministre de la Justice et ministre de l’Immigration, ont aussi des responsabilités en vertu de la Loi sur les langues officielles.
À l’heure actuelle, le Conseil du Trésor doit veiller sur la mise en œuvre de la LLO au sein de l’appareil fédéral. La FCFA note néanmoins dans son mémoire que «le ministère du Patrimoine canadien, à qui revenait une large partie de ces tâches jusqu’à maintenant, n’est pas complètement délesté de ses responsabilités en vertu de la nouvelle Loi».
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En 2019, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) publiait son rapport final. Il contenait 231 appels à la justice distincts visant les gouvernements, des institutions, des fournisseurs de services sociaux et les Canadiens.
Cindy Woodhouse est déçue du peu de progrès réalisé en cinq ans.
«Quand le rapport final a été publié, il y avait beaucoup d’espoir pour du changement», a rappelé la cheffe régionale de l’APN pour le Nouveau-Brunswick, Joanna Bernard, en conférence de presse le 3 juin.
«Alors que nous réfléchissons aux cinq dernières années, il est clair que la prévention de la violence contre les femmes, les filles et les personnes de divers genres des Premières Nations demeure urgente. Notre bilan montre un mélange d’avancées et de reculs. […] Dans de nombreux domaines, aucun progrès n’a été enregistré.»
La cheffe nationale de l’APN, Cindy Woodhouse Nepinak, demande au gouvernement de redoubler d’efforts. «Nous appelons à la solidarité des Canadiens, a-t-elle déclaré lors de la même conférence de presse. Ce n’est pas une bonne journée, c’est une journée où on se souvient de l’horreur.»
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Volonté politique, racisme et engagement
«Je crois que c’est une question de volonté politique», a répondu Cindy Woodhouse, questionnée sur les raisons pour lesquelles si peu d’avancées ont été accomplies en cinq ans. «On a écrit [ce rapport] et c’est comme s’il tombe un peu à plat.
Le gouvernement semble avoir cette tendance de financer des rapports, mais l’engagement n’est pas là après leur publication. Alors, on pourrait même dire qu’il gaspille de l’argent
Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, a assuré qu’il se penchera sur le nombre d’appels à la justice mis en œuvre.
Le chef régional par intérim de l’APN au Manitoba, Sheldon Kent, a dénoncé le racisme persistant au Canada. «Nous sommes tous des êtres humains, nous tous. On veut tous une belle vie, a-t-il dit. Mais il faut que les politiques et les cœurs des gens changent. Nous devons agir collectivement.»
Une petite robe rouge accrochée à son veston, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, a assuré que le gouvernement poursuit son travail. «Ultimement, nous allons mettre fin à cette crise», promet-il en mêlée de presse, le 3 juin.
«Il y a du travail à faire qui prendra, dans certains cas, des générations.»
Selon lui, parmi les 215 appels à la justice qui concernent le gouvernement fédéral, des avancés ont été réalisées pour 107 d’entre eux, 53 autres ont été mis en action. Le ministre n’a toutefois pas précisé à quel stade ces 107 appels sont rendus.
Il a aussi dit qu’avec tout le respect qu’il doit à la cheffe nationale de l’APN, il devra examiner le nombre d’appels mis en œuvre. D’après lui, plus que deux des 231 sont déjà mis en place.
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Selon Joanna Bernard, le gouvernement gaspille de l’argent en faisant des rapports sans s’engager à agir par la suite.
D’autres enjeux à affronter
Joanna Bernard a profité de cette journée pour parler de l’incarcération des femmes autochtones.
«En plus de la crise des filles et femmes disparues et assassinées, il existe un autre problème troublant : la surincarcération de [celles-ci]. Cette surreprésentation dans les établissements correctionnels est liée aux mêmes problèmes que ceux qui ont conduit à l’augmentation de la violence à leur égard, ce qui les expose également à un risque de “surpolicage“ et de surincarcération.»
D’après le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC), 50 % des femmes incarcérées au Canada sont autochtones, alors qu’elles ne représentent que 5 % de la population de femmes au Canada. Cette surreprésentation a atteint ce niveau pour la première fois en 2022.
Selon Joanna Bernard, mettre en œuvre les appels à la justice permettrait en partie de s’attaquer à ce problème.
C’est une question de vie ou de mort pour les filles, femmes et bispirituels autochtones.
Au sujet des services correctionnels, le ministre Gary Anandasangaree explique que «ces institutions ne sont pas facilement transformées. Ce qui a pris 154 ans à construire, d’une perspective coloniale, ne sera pas transformé en cinq ans».
Duane Aucoin rappelle que les personnes bispirituelles sont aussi concernées par des appels à la justice.
Juin, mois thématique
Duane Aucoin représente la région du Yukon au Conseil 2ELGBTQQIA+ de l’APN. Il rappelle que le mois de juin est le Mois national de l’histoire autochtone, mais aussi celui de la Fierté.
«Des 32 appels à la justice pour les personnes bispirituelles, aucune n’a été mise en place», a-t-il déploré.
Il appelle à des réformes au sein de la police. «Peu de progrès ont été réalisés pour garantir la sécurité des personnes bispirituelles dans le contexte policier. Bien que certains services de police offrent des formations sur les questions bispirituelles, celles-ci ne sont pas universellement disponibles et ne sont pas obligatoires.»
Duane Aucoin ajoute qu’en raison de la méfiance envers les forces policières, de nombreuses personnes bispirituelles ne dénoncent pas les violences qu’elles subissent.
L’alerte robe rouge
Le 3 mai dernier, le Canada et le Manitoba ont annoncé qu’ils unissaient leurs forces pour développer un système d’alerte qui informerait la population lorsqu’une fille ou une femme autochtone est portée disparue.
«C’est un petit pas, mais un pas important, pour s’assurer que nos proches reviennent à la maison», avait indiqué la députée néodémocrate Leah Gazan, dans le communiqué de presse annonçant le partenariat.
Celle-ci est à l’origine d’une étude sur l’alerte robe rouge au sein du Comité de la condition féminine, entamée en mars dernier.
Elle a aussi fait adopter une motion au Parlement – adoptée à l’unanimité – visant à déclarer que la crise des femmes, filles et personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées est une situation d’urgence à l’échelle du Canada.
«Il est honteux de constater que seuls deux des 231 appels à la justice ont été mis en œuvre, ce qui est inacceptable», a déclaré la députée le 3 juin en mêlée de presse.
Le gouvernement de Justin Trudeau «ne parvient pas à lui accorder l’urgence qu’elle requiert», déplore-t-elle. «Les familles et les survivantes méritent justice, et ce gouvernement continue de les décevoir.»
N’importe quel Canadien en quête de productions audiovisuelles francophones sur une plateforme de diffusion en continu en a fait l’amère expérience. La recherche peut être longue et souvent infructueuse avant de dénicher un film. Les quelques pépites présentes sont enterrées dans les tréfonds des sites, cachées sous une masse de titres anglophones ou même en d’autres langues.
Catalina Briceno insiste sur le rôle des familles et de l’école dans la transmission de la culture cinématographique, littéraire, télévisuelle et musicale francophone.
Sur les Netflix, Crave et Amazon Prime de ce monde, «si je veux voir un film en français produit au Canada, je vais vite trouver que l’offre est plutôt limitée», confirme Catalina Briceno, directrice de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
«Le catalogue s’est un peu enrichi, mais les films ne sont pas visibles et mis en valeur. Ils ne sont pas suggérés et il est presque impossible de tomber dessus par hasard», renchérit Lucile Ouriou, auxiliaire de recherche à la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement.
Autrement dit, ils ne sont pas découvrables. Il en va de même pour la musique d’artistes franco-canadiens sur les services de lecture en continu comme YouTube, Spotify ou Deezer.
Cette année, près de 100 millions de pistes musicales et 6 millions de balados sont disponibles sur Spotify, mais les contenus francophones sont totalement noyés «dans une suroffre», regrette Catalina Briceno.
Selon la directrice générale de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), Clotilde Heibing, l’invisibilité de la francophonie, encore plus en situation minoritaire, reste une question d’algorithme : «Nous sommes défavorisés, car nous échappons à l’algorithme des plateformes, nourri en anglais depuis Toronto pour une consommation en anglais.»
Pour Clotilde Heibing, les francophones sont désavantagés, car les algorithmes des plateformes numériques sont nourris en anglais depuis Toronto pour une consommation en anglais.
Une fois défini, l’algorithme s’alimente tout seul et recommande aux utilisateurs ce qui fonctionne le mieux, explique Clotilde Heibing.
«C’est un modèle économique qui n’est pas là pour défendre la création musicale, mais pour monétiser du contenu», poursuit la responsable. En toile de fond se pose la question de la valorisation et de la représentation de la diversité culturelle.
Avant même l’algorithme, la directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC) pointe, elle, les rapports entre les plateformes et les maisons de production locales.
«Le premier problème reste que les plateformes n’achètent pas ou presque pas les droits de productions francophones et n’en produisent pas. Ça ne les intéresse pas», relève Carol Ann Pilon de l’APFC.
Pour tenter de changer la donne, le ministre de la Culture du Québec, Mathieu Lacombe, a fait part en début d’année de sa volonté d’adopter une loi afin d’augmenter la présence de contenus québécois sur le Web.
Aucun détail n’a encore été révélé, mais le 27 mai, lors d’une rencontre du Groupe de réflexion de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles dans l’environnement numérique, le ministre a invité citoyens et organisations de la société civile à déposer des mémoires sur le sujet d’ici le mois de juillet.
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La Convention de l’UNESCO, dite «Convention sur la diversité culturelle», signée par le Canada, autorise les États à taxer les plateformes étrangères pour réinvestir l’argent dans la production locale.
Ce traité international légitime également la volonté des États de protéger leur culture par des quotas ou tout autre dispositif.
En 2018, l’Union européenne a adopté sa propre directive sur les services de médias audiovisuels. Elle oblige chaque pays membre à légiférer pour imposer une double contrainte : les plateformes numériques étrangères doivent proposer un minimum de 30 % de contenu européen dans leur catalogue tout en le mettant en valeur.
La France a placé la barre encore plus haut avec 60 % de titres européens et 40 % de titres en français.
L’annonce du gouvernement québécois fait suite à la publication d’un rapport sur «la souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique».
«Le contenu francophone ne doit pas être seulement accessible, il faut se le faire proposer. C’est avec l’exposition qu’on finit par normaliser les contenus», souligne Carol Ann Pilon.
Dans ce document, quatre experts concluent que le Québec a le pouvoir d’encadrer le contenu francophone sur les plateformes. Ils considèrent en outre que «la mise en place de quotas de contenus d’expression originale de langue française pourrait éventuellement être envisagée».
«C’est un mal nécessaire. Jusqu’alors, il n’y avait rien pour favoriser la diversité des contenus et contraindre les géants numériques à financer le cinéma local», considère Lucile Ouriou.
Carol Ann Pilon salue également l’initiative, mais s’inquiète du sort des communautés francophones en situation minoritaire : «Il ne faut pas les laisser sur le bord du chemin. Pour s’assurer qu’elles ont accès à des contenus francophones de qualité, ça prend quelque chose du fédéral.»
L’an dernier, Ottawa a franchi un premier pas en adoptant la Loi sur la diffusion continue en ligne. Ce texte vise notamment à obliger les plateformes numériques à promouvoir le contenu canadien et à y contribuer.
Dans la foulée, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a lancé un processus de consultation, avec l’industrie culturelle notamment, afin d’assurer la mise en œuvre du texte.
«Nous travaillons très fort pour que la nouvelle règlementation sur la radiodiffusion s’impose aux plateformes étrangères, car ce sont les premières à bénéficier du marché canadien», souligne Carol Ann Pilon.
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L’APFC réclame, entre autres, la constitution d’un fonds de soutien à la création culturelle canadienne auquel les plateformes étrangères – celles qui empochent plus de 10 millions de dollars par an – seraient obligées de contribuer à hauteur de 5 % de leurs revenus canadiens.
Depuis l’an dernier, tout le contenu de la chaine TFO est en ligne, à la demande ou en direct. «En tant que seul média public éducatif francophone, présent en milieu minoritaire, nous voulions être encore plus accessibles», explique Sonia Boisvert.
De ce fonds, 40 % seraient investis dans la création francophone, dont 15 % spécifiquement à la production en milieu minoritaire. Le CRTC doit rendre sa décision cet été.
Du côté du secteur musical, l’ANIM sollicite aussi l’institution d’un fonds alimenté par les plateformes en fonction de leur chiffre d’affaires.
«Augmenter la découvrabilité ne sera jamais assez; on doit aussi augmenter la capacité financière des artistes», plaide Clotilde Heibing.
En septembre, l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM) ouvrira trois guichets uniques – en Acadie, en Ontario et dans l’Ouest – pour aider les artistes francophones à améliorer la découvrabilité de leurs œuvres sur internet.
Des professionnels les formeront à saisir les métadonnées de leurs compositions. Ils percevront ainsi des droits d’auteurs et leur musique sera mieux référencée.
«Beaucoup d’artistes ne font pas ce travail par manque de connaissances et de temps, regrette la directrice générale de l’ANIM, Clotilde Heibing. On veut démystifier les choses, leur montrer que ça n’est pas aussi compliqué que ça parait.»
Cependant, mettre Netflix, Amazon ou Disney à contribution pour produire et présenter du contenu en français au Canada demeurera insuffisant si le public n’est pas au rendez-vous. Lucile Ouriou constate à cet égard l’ambivalence des jeunes francophones : «Ils manifestent un intérêt très fort pour du contenu local alors que dans la pratique, ils en regardent très peu.»
Pour Sonia Boisvert de TFO, «il faut réussir à imaginer des contenus qui reflètent la réalité des enfants et des adolescents en situation minoritaire».
«C’est un gros défi, il faut réussir à imaginer des contenus qui reflètent la réalité des enfants et des adolescents en situation minoritaire», reconnait la vice-présidente contenus et productions de la chaine de télévision éducative TFO, Sonia Boisvert.
Pour modifier ces habitudes de consommation, les spécialistes interrogées invitent à remettre la culture francophone au cœur des écoles. Cela permettrait, selon Sonia Boisvert, de «forger leur identité, leurs gouts et leurs références culturelles dès le plus jeune âge».
Catalina Briceno abonde dans le même sens : les lois ne peuvent pas tout. «C’est le rôle des familles et de l’école d’offrir un accès à la culture et aux arts francophones», insiste l’universitaire. Organisez des tournées scolaires, invitez des artistes; les solutions existent. Il reste à les mettre en œuvre.
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