Tu t’accrochais à ma mémoire
Comme un poisson dans un filet
Quand Majorique, le vieux conteux d’histoires
Me racontait dans les mots qu’il fallait
Que tu étais aussi beau qu’un érable
Et jeune aussi à dix-neuf ans
Et que ce fut un crime abominable
D’avoir ainsi fait mourir un enfant
– Extrait de la pièce de théâtre Louis Mailloux de Calixte Duguay
Les prémices de ce qu’on appelle l’«affaire Louis Mailloux» remontent à 1871, alors que le Nouveau-Brunswick adopte la Common Schools Act, afin de réformer les écoles de la province. Avec cette loi, le gouvernement cherche à implanter un système scolaire public non confessionnel.
La loi – surnommée la loi King, du nom du ministre George Edwin King, son instigateur – prévoit que les écoles seront financées par la province, en partie par l’entremise d’une taxe directe prélevée par les gouvernements de comtés.
Appels à Ottawa et à Londres
Les chefs de file acadiens et catholiques tentent de convaincre le premier ministre canadien John A. Macdonald de demander à Londres de modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique afin de protéger les écoles confessionnelles du Nouveau-Brunswick.
Mais celui-ci refuse, invoquant que l’éducation est de compétence provinciale, un avis partagé par son lieutenant du Québec, George-Étienne Cartier, qui craint qu’une intervention d’Ottawa se retourne un jour contre sa province. Une préoccupation qui aura la vie dure au Québec…
La bataille se déplace devant les tribunaux. En 1873, la Cour suprême du Nouveau-Brunswick donne raison à la province. L’année suivante, le comité judiciaire du Conseil privé de Londres, la plus haute cour d’appel pour le Canada et les autres colonies britanniques, met fin à tous les espoirs des opposants à la loi de 1871.
Mais les Acadiens n’ont pas dit leur dernier mot.

L’échange de coups de feu dans la maison d’André Albert s’est soldé par la mort d’un milicien et du jeune Acadien Louis Mailloux.
Taxés deux fois pour une école
La population acadienne et les autres catholiques de la province ont toujours l’option de mettre sur pied leur propre école, mais à leurs frais. Ils continueraient cependant à payer la taxe scolaire pour financer le système public.
Or, plusieurs refusent de payer en double. C’est le cas des habitants et habitantes de Caraquet, qui décident collectivement de ne pas verser la taxe.
C’est à l’automne de 1874 qu’une suite d’évènements s’enclenche, menant au drame. Une élection a lieu à Caraquet pour choisir les «syndics», ou commissaires des écoles, un peu l’ancêtre de nos conseillers et conseillères scolaires d’aujourd’hui.
Mais les syndics élus ne reçoivent pas l’approbation des autorités provinciales, car ils n’ont pas payé la taxe scolaire.
Les anglophones protestants du village, très minoritaires, y voient l’occasion de prendre les choses en main. Ceux-ci se rencontrent discrètement au début janvier pour élire de nouveaux syndics, qui sont évidemment tous anglophones.
Les troubles commencent
Une réunion publique est convoquée le 14 janvier afin de fixer le taux de la taxe scolaire. Mais seules les personnes qui ont payé cette taxe ont le droit de vote. Plusieurs Acadiens se présentent tout de même à la réunion.

Le commerçant et politicien de Caraquet Robert Young a joué un rôle central dans l’affaire Louis Mailloux.
C’est à ce moment que tout dérape. On se bouscule, l’un des syndics est jeté dehors; c’est le brasse-camarade. Tout ce désordre empêche la réunion de se tenir.
Le lendemain, la situation s’envenime. Certains habitants se rendent chez l’un des syndics anglophones et sèment la pagaille. Le groupe se procure de l’alcool. On se déplace chez des Acadiens qui ont payé la taxe afin de les intimider.
Les «émeutiers» aboutissent finalement à la résidence de Robert Young, un commerçant très important, mais surtout un membre du Conseil législatif (le sénat provincial).
Or, Young est à Fredericton à ce moment-là. Les protestataires repartent sans faire d’autres dégâts, mais l’épouse de Young, prise de panique, envoie un télégramme à son mari lui disant que sa famille est en danger, et que les émeutiers menacent de le tuer.
Robert Young est déjà en route pour revenir à Caraquet quand il reçoit le message de sa femme. Il fait un arrêt à Chatham, situé à mi-chemin entre Fredericton et Caraquet, pour demander l’envoi de miliciens afin d’arrêter les fauteurs de trouble.
Chasse à l’homme à Caraquet
Quand Young arrive à Caraquet le 22 janvier, tout est revenu au calme. Il y a bien quelques agitations les jours suivants, mais rien de grave. Puis, au matin du 27 janvier, une vingtaine de miliciens armés partis de Miramichi arrivent au village et y rejoignent une poignée de constables arrivés la veille.

Joseph Chiasson, l’un des émeutiers, a été accusé du meurtre du milicien John Gifford, puis a été acquitté.
Les forces de l’ordre partent à la recherche des hommes contre lesquels ils ont des mandats d’arrestation. Ils en appréhendent quelques-uns. Puis, on apprend qu’un groupe d’Acadiens recherchés s’est regroupé dans la maison d’un certain André Albert.
Les hommes armés pénètrent dans la maison. Les Acadiens vont se cacher au grenier. Des coups de feu retentissent. Deux hommes perdent la vie : un milicien, John Gifford, et Louis Mailloux.
Vingt-quatre Acadiens sont arrêtés. Neuf seront accusés de meurtre pour la mort du milicien, les autres seront inculpés d’avoir participé à une émeute. Plusieurs seront déclarés coupables, mais après de longues procédures judiciaires, les condamnations pour meurtres seront annulées, alors que les émeutiers coupables n’écopent d’aucune peine.
Compromis
Pendant que ces procédures se déroulent, le gouvernement provincial accepte un compromis afin de ramener la paix sociale. L’enseignement religieux sera toléré à l’école, mais après les heures de classe. C’est une pratique qui s’est perpétuée jusqu’à ce que l’on mette fin aux cours de catéchèse, plus de cent ans plus tard.
Quant à Louis Mailloux, il deviendra chez les Acadiens et Acadiennes de Caraquet et d’ailleurs un symbole de la lutte pour les droits scolaires. La polyvalente de la municipalité porte d’ailleurs aujourd’hui son nom.
En 1975, une pièce de théâtre musicale est créée pour raconter cette histoire. Elle sera remontée et représentée à plusieurs reprise par la suite.
La Ville de Caraquet organise plusieurs activités en 2025 pour souligner le 150e anniversaire de l’affaire Louis Mailloux. Caraquet s’était mise en colère. Caraquet n’a pas oublié.
Lecture additionnelle :
Clarence LeBreton, Louis Mailloux, 15 janvier 1875, Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2010.