Il y a 50 ans, un restaurant destiné à connaitre une grande renommée ouvrait ses portes dans l’hôtel Mayfair, sur Park Avenue à New York, au cœur de Manhattan : Le Cirque.
Il s’agit du projet de deux partenaires, l’Italien Sirio Maccioni et le Français Jean Vergnes. Les deux s’étaient rencontrés alors qu’ils travaillaient dans un autre hôtel de New York, le Colony, qui a fermé en 1971.
Sirio Maccioni allait passer à l’histoire du secteur de la restauration à New York et même au-delà.
Invitation en Nouvelle-Écosse
Né en Toscane, il avait appris les rudiments du métier au célèbre restaurant parisien Maxim’s, grâce à un certain Yves Montand, lui aussi d’origine italienne (né Ivo Livi), plus précisément d’une commune tout près de celle de Maccioni.
Quant à Jean Vergnes, il était originaire de Rives, une petite ville d’Isère, dans le sud-est de la France. Après des études en cuisine, lui aussi fait ses premières armes à Paris, dans son cas au restaurant de l’hôtel Raphaël. Capturé par les nazis, il avait réussi à s’échapper en se déguisant en officier allemand, puis il s’était joint à la Résistance.
Un an après l’ouverture du Cirque, les deux partenaires, accompagnés de la femme de Maccioni, Egidiana, ainsi que de deux autres personnes, sont invités en Nouvelle-Écosse par Carlo Amato, un ami de Maccioni.
Ils séjournent dans son immense villa sur l’ile Roberts, non loin de Yarmouth, dans la région acadienne du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse.
Les anciens Acadiens du coin appelaient cette ile «La Tour». Selon l’auteur de l’Histoire du Cap-Sable, Clarence-J. d’Entremont, elle tire son nom de Charles de Saint-Étienne de La Tour, un Français qui y avait établi un poste de traite lorsqu’il était commerçant, avant de devenir gouverneur de l’Acadie en 1632.
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Carlo Amato, homme hors du commun
Carlo Amato est tout un personnage. Italien lui aussi, il est fils d’un baron (Giuseppe Amato Chiaramonte Bordonaro) et d’une comtesse (Fernanda Gianni Paolini). Son grand-père est sicilien et sénateur.
Il émigre aux États-Unis en 1959 et fait fortune dans l’industrie de l’amiante. Il deviendra plus tard ambassadeur de l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte (connu sous l’Ordre de Malte), une organisation caritative internationale qui se consacre notamment aux personnes démunies.
En 1965, il achète un vaste terrain sur l’ile Roberts et y fait construire une immense villa, qu’il baptise Shangri-La (paradis), du nom d’un lieu de l’Himalaya tibétain imaginé par l’auteur britannique James Hilton dans son livre Les Horizons perdus.
Le vaste domaine de Carlo Amato comprend également un labyrinthe de lavande, et plusieurs pavillons pour invités. Sur son domaine, il introduit des sangliers provenant de la Forêt-Noire allemande pour s’adonner à la chasse récréative. Il en vend la viande à des restaurants de Montréal et de New York.
Amato accueille dans son domaine des personnalités internationales, dont les actrices italiennes Sophia Loren et Gina Lollobrigida. Il invite aussi des chefs de renom pour expérimenter des plats à base de viande de sanglier.
La naissance d’un classique
C’est dans ce contexte que les deux propriétaires du Cirque et les personnes qui les accompagnent arrivent en Nouvelle-Écosse.
Un après-midi, Egidiana décide de préparer un petit plat de pâtes avec ce qu’elle a sous la main : tomates, haricots verts, pois surgelés, brocoli et noix de pin. Elle y ajoute une crème épaisse afin de lier le tout. Ainsi naissent les pâtes primavera!
Sirio Maccioni aime le résultat. De retour à New York, il retravaille la recette quelque peu et décide de servir le plat à son restaurant. Les clients en redemandent!
Sauf que Jean Vergnes, qui est responsable de la cuisine, refuse d’inscrire les pâtes primavera – ou tout autre plat de pâtes – au menu du Cirque.
Pour satisfaire sa clientèle, Maccioni fait préparer les pâtes – en l’occurrence des spaghettis – dans un grand chaudron dans un couloir à côté de la cuisine. L’assemblage et le dressage des assiettes ont ensuite lieu en salle à manger.
Le plat connait une telle popularité qu’il devient la signature du restaurant, tout en ne figurant jamais sur le menu…
Or, voilà que Mimi Sheraton, une des plus grandes critiques gastronomiques des États-Unis, publie un article élogieux sur le restaurant Le Cirque et son plat «officieux». Une autre critique renommée, Gael Greene, fait de même et décrit le plat comme étant «aussi croustillant et de toute beauté que Matisse».
Jean Vergnes doit déposer les armes; il accepte finalement d’offrir officiellement au Cirque les pâtes primavera, dont la réputation se répandra comme une trainée de poudre… Primavera bien qui rira le dernier.
Elles font leur apparition dans les restaurants italo-américains de la ville, puis un peu partout aux États-Unis. Sirio Maccioni dira que le plat surpassera l’emblématique fettucine Alfredo dans la faveur des gourmets.
Paternité contestée
Comme c’est souvent le cas, la paternité – ou la maternité dans ce cas-ci – des pâtes primavera sera contestée.
Un chef amateur, Edward Giobbi, soutient qu’il avait montré un plat similaire à Maccioni et à Jean Vergnes et que Vergnes l’avait légèrement modifié. Cette version des origines des pâtes primavera est plus ou moins probable vu qu’on sait avec certitude que Vergnes ne voulait rien entendre des pâtes.
Un autre chef, Franco Brigandi, clame aussi les avoir inventées alors qu’il était maitre d’hôtel au Il Gatto Pardo Ristorante à New York.
Ces affirmations sont vouées à mal passer l’épreuve du temps. De façon générale, on admet que les pâtes primavera ont été conçues et préparées un certain été avec ce qu’il y avait dans le frigo sur une ile néoécossaise, dans un coin d’Acadie.