le Jeudi 16 octobre 2025
le Jeudi 16 octobre 2025 6:30 Politique

La qualité de l’interprétation au Parlement sera-t-elle sacrifiée au profit de l’économie?

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Les interprètes du Parlement sondés par l’AIIC répondent majoritairement préférer ne pas revenir au Parlement si les trois modifications majeures à leur contrant sont appliquées par Services et Approvisionnements Canada.  — Photo : Flipsnack – Unsplash
Les interprètes du Parlement sondés par l’AIIC répondent majoritairement préférer ne pas revenir au Parlement si les trois modifications majeures à leur contrant sont appliquées par Services et Approvisionnements Canada.
Photo : Flipsnack – Unsplash

FRANCOPRESSE – Services publics et Approvisionnements Canada fait des propositions qui entacheraient «sérieusement» la qualité du service des interprètes au Parlement, avance l’Association internationale des interprètes de conférence Canada. La disparition des règles de santé inquiète aussi. Le Bureau de la traduction qui les emploie réfute en bloc.

La qualité de l’interprétation au Parlement sera-t-elle sacrifiée au profit de l’économie?
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Dans un contexte de renouvèlement du contrat des interprètes du Parlement, le ministère de Joël Lightbound, Services publics et Approvisionnements Canada (SPAC), a proposé au Bureau de la traduction, qui emploie les interprètes, d’adopter une politique du «plus bas soumissionnaire» pour les embauches.

Cela implique une modification de la nature même du contrat actuel, qui expirera en janvier 2026.

Modification de la nature du contrat

Le ministère et le Bureau de la traduction veulent mettre de côté le contrat actuel, appelé «contrat ouvert», pour le remplacer par une «offre à commande», où les interprètes-pigistes seraient accrédité·e·s sur les missions parlementaires selon l’offre la plus basse.

Les plus chevronnés – qui enseignent la qualité et l’expérience aux nouveaux – sont les plus à risque de partir si les possibilités de rémunération baissent, ont affirmé les deux témoins membres de l’Association internationale des interprètes de conférence Canada (AIIC), au Comité permanent des langues officielles, le 7 octobre.

À lire : Le Bureau de la traduction compte supprimer près de 340 postes en cinq ans

Le Bureau de la traduction, qui emploie les interprètes du Parlement, a fait valoir également au Comité que c’est le processus de renouvèlement normal du contrat.  

Ses représentants ont toutefois omis de répondre aux questions du député conservateur Joël Godin à propos de l’offre du plus bas soumissionnaire.

Il s’agit bien d’une modification de la nature même du contrat, contredit l’AIIC. «Cela contraindra les interprètes pigistes à rogner sur les couts. […] Il y a un risque de perdre de la qualité d’interprétation et de perdre les pigistes les plus chevronnés», affirme Nicole Gagnon, membre de l’AIIC.

Sondées sur la question par l’AIIC, 50 % des 90 des interprètes qui ont répondu qu’il est «improbable» qu’ils et elles offrent leurs services au Parlement, contre 3 %, qui offriraient «probablement» leurs services quand même.

Attribution des missions uniquement selon l’offre la plus basse.
Probable Peu probable Neutre Plutôt improbable Improbable
Toutes les répondantes (90) 9 % 9 % 10 % 28 % 50 %
Répondantes acceptant des missions parlementaires, et celles acceptant des missions parlementaires et des missions ministérielles. 3 % 10 % 12 % 27 % 47 %

Omettre les temps de préparation et de pause

Une autre proposition du ministère SPAC consisterait, selon les interprètes, à augmenter leurs heures de travail au micro, soit faire 6 heures contre les 4 heures actuelles. Ce serait seulement possible si le parlement se remettait à fonctionner entièrement en personne, disent ces derniers, ce qui n’est pas dans les plans des élus.

Nicole Gagnon, porte-parole de l’AIIC, déplore les propositions du ministère de Services publics et Approvisionnements Canada, qui pourrait modifier les conditions de travail des interprètes et la qualité de leurs services au Parlement. 

Photo : Courtoisie Twitter AIIC Interpreters

SPAC propose de ne plus payer à la journée comme actuellement, mais à l’heure. Le sondage de l’AIIC révèle que 79 % de leurs membres qui ont répondu ne comptent pas revenir au Parlement si cette rémunération est appliquée. Selon les règles, les interprètes doivent être présents pour que le Parlement siège.

La rémunération à l’heure est une manière d’exclure de la paie les temps de préparation et de pauses, critique l’AIIC à Francopresse, après la rencontre du comité.

En comité, le Bureau de la traduction a affirmé de son côté que les interprètes étaient payés pour une heure de préparation. Il en faut généralement deux, dit l’AIIC, surtout dans les cas où les interprètes reçoivent de la documentation pour les aider à préparer leur tâche.

Dans une logique de réduction des couts promis par le gouvernement, notamment au sein de la fonction publique, les députés libéraux ont largement insisté sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et des technologies pour aider les interprètes dans leur travail de préparation. La plateforme libérale le mentionnait clairement, de même que le gouvernement Carney depuis sa victoire électorale.

L’IA n’est pas une tête pensante […], a rétorqué Nicole Gagnon. On n’empêche pas le progrès, on n’est pas contre. C’est un outil utile à la préparation, si les interprètes reçoivent les textes à l’avance […] Mais [l’IA] n’interprète pas les concepts comme l’humour, les émotions, la culture.»

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La santé des interprètes compromise?

Les deux interprètes de l’AIIC ont déploré mardi que les règles de santé et de sécurité auditives ne figurent plus dans le prochain contrat proposé.

Ces dernières années, des blessures sérieuses ont été rapportées par plusieurs interprètes du Parlement du fait du changement de leurs conditions de travail.

Annie Plouffe, vice-présidente des Services au Parlement et Interprétation du bureau de la traduction, a insisté en comité sur le fait que ces règles étaient acquises et intégrées et, qu’à cet égard, le Bureau ne sentait «pas le besoin de les écrire».

«Ça leur lie les mains» de les avoir écrites, observe un membre de l’AIIC.

Au moment de publier, SPAC n’avait pas encore répondu aux questions de Francopresse.

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Plaintes jugées «recevables» par le passé

Le Bureau de l’ombud de l’approvisionnement (BOA) a publié un rapport où il a jugé recevables 37 plaintes faites par des interprètes dirigés vers SPAC. Elles avaient été déposées entre juin et juillet 2024 et concernaient la gestion de contrats.

Une modification proposée par SPAC pour prolonger les contrats et redéfinir certaines heures comme du temps de non-interprétation était l’enjeu principal des plaintes.

Le rapport donne raison aux plaintes concernant les changements demandés, notant que «la modification proposée par SPAC aurait entrainé un changement substantiel aux modalités du contrat».

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Déclaration sur les sources et la méthode:

Déclaration IA : Le présent article a été rédigé par un/une journaliste. Un outil d’intelligence artificielle a servi à la transcription des entrevues. La journaliste a révisé l’exactitude des extraits utilisés.

Inès Lombardo

Correspondante parlementaire

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