L’échec des institutions fédérales à respecter leurs obligations linguistiques se reflète dans le rapport annuel 2024-2025 du Commissariat aux langues officielles.
L’exemple le plus frappant est donné d’entrée de jeu. Des cinq recommandations du commissaire sur la mise en œuvre de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles (LLO) – qui précise les exigences linguistiques pour l’embauche de personnel au gouvernement fédéral – aucune n’a été entièrement mise en œuvre.
Sur les cinq, quatre l’ont été partiellement et l’une pas du tout, relève le commissaire, Raymond Théberge.
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«Présentement, on donne beaucoup de marges de manœuvre aux institutions fédérales pour la mise en œuvre de la loi, en particulier la partie VII [Promotion du français et de l’anglais, NDLR]», a affirmé le commissaire en conférence de presse, mardi.
Échecs du Secrétariat du Conseil du trésor
En outre, le commissaire met en évidence l’échec du Secrétariat du Conseil du trésor concernant sa reddition de compte. Celle-ci «vise à refléter les nouvelles obligations de la Loi», précise le rapport. Selon le Commissariat, il s’agit plutôt d’un «document de référence».
J’aimerais voir le Secrétariat assumer pleinement un rôle de coordination et donner un cadre plus précis aux institutions fédérales, tout particulièrement en ce qui concerne leurs obligations découlant de la partie VII.
L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans la fonction publique est un autre échec souligné dans le rapport. L’an dernier, le Commissariat avait lancé des consultations sur le rôle de l’IA au sein de la fonction publique, notamment sur l’élaboration des outils de traduction des deux langues officielles et sur l’importance d’avoir une «vérification humaine» dans l’avancement de ces outils.
Mais cette année, Raymond Théberge déplore ne pas avoir obtenu de réponse sur les réflexions et recommandations qu’il a émises au Secrétariat du Conseil du trésor, lorsque le ministère a lancé ses consultations sur la manière d’utiliser l’intelligence artificielle au sein de la fonction publique, en octobre 2024.
Rappels à la fonction publique
Le commissaire fait aussi plusieurs rappels dans son rapport, notamment à destination des «hauts dirigeants» et des «gestionnaires immédiats» au sein de la fonction publique, concernant le choix de la langue de travail de leurs employés.
Les personnes employées dans les régions désignées bilingues ont le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix, sans égard à la désignation linguistique de leur poste.
Le 20 juin 2025, ce droit sera reconnu aux yeux de la Loi modernisée.
Toujours au sein de la fonction publique, le niveau linguistique exigé est désormais plus élevé – il passe de BBB à CBC, selon le jargon gouvernemental.
De fait, la troisième recommandation de ce rapport laisse un an au Secrétariat du Conseil du trésor pour établir un «mécanisme de surveillance auprès des institutions fédérales» pour protéger les droits linguistiques des employés de la fonction publique dans les régions désignées bilingues.
Le Commissaire anticipe que la mise en œuvre du droit de travailler dans sa langue se fera en fonction du «leadeurship dans chaque institution fédérale». Les «exceptions prévues par le Secrétariat du Conseil du trésor vont en limiter l’application» de ce droit, écrit-il.
En conférence de presse, le commissaire appuie le fait qu’il y a «beaucoup trop de latitude» au sein des ministères canadiens, mais nuance que le leadeurship ne vient pas «d’une seule personne».
Il a souligné à plusieurs reprises le rôle «extrêmement important» du Conseil du trésor pour guider les institutions fédérales et les informer adéquatement sur les droits et obligations de leurs employés.
La toute dernière recommandation du rapport demande aux administrateurs du gouvernement de «prendre les mesures nécessaires» pour éviter que les réductions budgétaires qui affectent la fonction publique depuis plusieurs mois ne nuisent aux obligations en matière de langues officielles.
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Lueur à l’horizon
Le commissaire voit d’un œil positif les 700 bureaux désignés bilingues au sein de la fonction publique qui devraient être mis en place d’ici 2027 à travers le pays.
«Jumelée à une offre active, la présence de ces points de services bilingues entrainera des effets positifs sur la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Les institutions devront donc s’assurer de disposer du personnel adéquat pour dispenser des services de qualité égale dans les deux langues officielles», conclut le commissaire, dans le rapport.
Pouvoirs bloqués
Autre point négatif souligné par le commissaire : une partie de ses nouveaux pouvoirs sont bloqués par l’attente des règlements qui dicteront l’application de la Loi sur les langues officielles, adoptée en juin 2023.
Le plus attendu concerne le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires. Pour l’instant, aucune date n’a été fixée pour le dépôt des règlements. Dans son rapport, le commissaire précise que «le pouvoir d’imposer une sanction constitue un dernier recours».
Il attend aussi le règlement sur la capacité du commissaire à livrer des ordonnances concernant la partie de la loi qui porte sur la promotion de l’anglais et du français.
Actuellement, il peut toutefois prendre des ordonnances sur deux parties de la Loi : les communications avec le public et la prestation des services et la langue de travail, pour obliger les institutions fédérales à respecter leurs obligations.
Le commissaire attend également patiemment le règlement qui lui donnera les «outils adéquats» qui lui permettront de sévir contre les entreprises privées de compétence fédérale, comme Air Canada.
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Les ratés de la Commission sur l’état d’urgence
Le rapport met de l’avant le cas particulier de la Commission sur l’état d’urgence, qui avait le mandat d’évaluer le recours à l’état d’urgence à Ottawa en 2022.
Selon le commissaire, la Commission n’a pas respecté ses obligations envers les langues officielles en raison des retards dans la transcription en français de témoignages reçus en anglais. En outre, certaines preuves fournies en anglais par les institutions fédérales n’ont jamais été traduites en français.
Les anglophones ont été aussi mal desservis, puisqu’il n’y a pas eu de traduction en anglais de témoignages entendus en français.
Le commissaire conclut toutefois que les plaintes visant le Bureau du conseil privé – autrement dit le bureau du premier ministre – dans le cadre de la Commission sur l’état d’urgence ne sont pas fondées. Le Bureau a bel et bien un rôle de rappel des règles concernant les langues officielles, mais il n’a pas de rôle actif. Il «agissait à titre de conseiller de la Commission», peut-on lire dans le rapport annuel.
Il conclut qu’«il est impératif que le Bureau du Conseil privé soit considéré comme imputable de ces institutions temporaires et qu’il mette en œuvre des changements majeurs afin que cesse ce genre de situation déplorable».
Sa première recommandation vise donc le Bureau du conseil privé, pour que ce dernier assure un «soutien indépendant aux commissions d’enquête», concernant entre autres leurs obligations en matière de langues officielles. Il donne jusqu’au 30 juin 2026 au Bureau pour fournir un plan de mise en œuvre.
De son côté, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des Communes a jusqu’au 30 juin 2027 pour identifier les défis des commissions temporaires pour respecter la LLO.