«Sans justice, il ne peut y avoir de paix.» C’est par ces mots que le révérend Mitri Raheb, docteur en théologie et recteur de l’Université Dar Al-Kalima de Bethléem, concluait son message envoyé aux participants du congrès «Land, People and Culture» auquel j’ai participé il y a quelques semaines.
Ce message nous informait que tous les conférenciers étaient parvenus à rentrer à bon port et que Bethléem était coupé du monde par le blocage des sorties de la ville instauré par l’armée israélienne, comme toutes les autres villes de la Cisjordanie occupée.
Aucune justification
Rien ne justifie les atrocités commises par le Hamas.
Rien.
Même pas les souffrances, nombreuses, atroces et injustifiables, subies par le peuple palestinien depuis 75 ans.
Même pas le fait que la bande de Gaza, avec ses 2,2 millions d’habitants sur 365 km2 (à titre de comparaison, le Grand Sudbury, en Ontario, fait 3 228 km2!), ait été transformée en prison à ciel ouvert depuis le blocus imposé par Israël en 2007.
Même pas la résistance à l’oppression. Il ne faut pas salir l’esprit de la résistance, un acte notable qui n’a rien à voir avec des attaques sauvages et délibérées sur des civils.
Rien ne justifie le siège décrété par les autorités israéliennes de la bande de Gaza et les nombreuses violations du droit international humanitaire commises par les forces de l’État hébreu depuis une semaine.
Elle souligne cependant un premier point fondamental à comprendre : le fait que les actes abjects commis de part et d’autre relèvent d’une logique fondamentaliste religieuse. Ce que l’on voit à l’œuvre, c’est l’odieuse loi du Talion.
Il s’agit d’une très ancienne ineptie que l’on retrouve déjà à l’époque de Babylone, que les rédacteurs de la Torah, le Pentateuque pour les chrétiens, ont reprise à leur compte, et qui sera logiquement reprise dans le Coran. D’où une première porte de sortie : exclure tous discours et acteurs religieux des discussions.
Rentrer dans la modernité
On n’en serait pas là si, depuis deux décennies, les fondamentalistes religieux des deux côtés ne menaient pas le bal.
Le Hamas s’est évertué depuis plus de 30 ans à voiler les femmes palestiniennes et à défendre un projet politicoreligieux néomédiéval qui n’a aucun intérêt pour penser le politique ni la paix, au XXIe siècle.
Les fondamentalistes religieux juifs ont de leur côté durablement affaibli Israël, aujourd’hui une société profondément divisée. D’une part, il y a une majorité (encore) d’Israéliens qui travaillent, se comportent en citoyens modernes, débattent et souhaitent une solution politique.
D’autre part, il y a des communautés ultraorthodoxes qui passent leurs journées à étudier les textes religieux et qui ne contribuent que très peu à l’édification d’un pays, ni en travaillant, ni en payant des impôts, ni en faisant le service militaire.
Dire que les tensions en Israël entre ces groupes sont fortes serait un euphémisme.
Le problème c’est qu’au fil du temps, ces communautés ultraorthodoxes se sont installées dans le paysage politique israélien et que leurs partis servent de forces d’appoint aux gouvernements successifs dirigés par Nétanyahou.
Le signal était pourtant clair
Le monde aurait dû comprendre que la situation avait atteint un point de non-retour il y a près d’un an quand le gouvernement Nétanyahou VI a nommé le chef du Parti sioniste religieux, Bezamel Smotrich, comme ministre des Finances et le chef du parti Force juive, Itamar Ben Gvir – qui, précisons-le, n’a jamais fait son service militaire –, comme ministre de la Sécurité nationale.
Ces deux sinistres personnages d’extrême droite ne sont en fait que les deux faces d’une même pièce de monnaie avec le Hamas.
Smotrich est un suprémaciste juif défendant ouvertement la ségrégation (qui, de toute façon, est un fait accompli, comme j’ai pu le constater en Cisjordanie et en Israël pendant une semaine) et souhaitant l’annexion pure et simple des territoires palestiniens.
Quant à Ben Gvir, il s’agit d’un multirécidiviste dont on ne compte plus les condamnations notamment pour racisme, et dont le président israélien Isaac Herzog disait en novembre dernier que «le monde entier s’inquiétait de ce personnage».
Eh bien non, M. Herzog, le monde ne s’en est pas inquiété!
Parmi ces bavures, deux doivent être soulignées.
Premièrement, il y a les changements législatifs visant à diminuer le rôle de la Cour suprême israélienne. Primo, ces changements témoignent de l’effacement de la démocratie israélienne (déjà parcellaire) et secundo ils ont affiché au grand jour la coupure claire et nette du pays en deux.
Deuxièmement, la présence de ces extrémistes, de ces fondamentalistes messianiques, au gouvernement a poussé Nétanyahou à se concentrer uniquement sur la Cisjordanie, l’objet des convoitises de ces colons, et donc à ignorer tous les signes avant-coureurs de ce qui se tramait à Gaza, y compris les avertissements de l’Égypte.
Laisser la place aux gens de raison pour négocier la paix
Dès le premier jour, toutes les voix israéliennes de la raison ont souligné la responsabilité immense que Nétanyahou portait dans cette effroyable catastrophe.
Un sondage mené pour le compte du Jerusalem Post confirme qu’un nombre écrasant d’Israéliens (65 % des répondants) sont de cet avis. Et 56 % des répondants pensent que Nétanyahou doit démissionner.
Ce serait la moindre des choses.
Ce n’est pas tant pour le fait qu’il a ignoré les avertissements, déjà en soi un acte criminel, que pour ses politiques absolument calamiteuses des 20 dernières années qui ont conduit Israël au bord du gouffre, qui nous ont éloignés comme jamais de la paix.
Des personnes qui savent que la colonisation des terres palestiniennes au profit d’illuminés religieux ne peut pas continuer.
Des personnes qui savent que la solution vient du dialogue avec leurs voisins palestiniens et non de Washington.
Des personnes qui savent qu’ériger des murs ne garantit pas la paix.
Il se trouve en Palestine, encore, plein de personnes de bonne volonté et raisonnables, qui veulent la paix.
Des personnes qui savent que les Israéliens juifs sont là pour de bon et qu’il faudra coexister.
Des personnes qui savent que la coexistence est possible puisqu’elles la vivent au quotidien ; à Bethléem où Arabes musulmans, protestants et catholiques vivent ensemble et étudient ensemble ; à Majdal Shams où Druzes, chrétiens et musulmans survivent ensemble.
Des personnes qui savent qu’il faut commencer par nettoyer dans sa cour et se trouver un président digne de ce nom (il est plus que temps que le président palestinien Abbas prenne sa retraite).
Des personnes qui savent que ni l’Égypte, ni aucun autre État arabe, ni l’Iran ne se soucient réellement d’eux et que seul un processus local par des acteurs locaux non inféodés sera à même d’aboutir à une paix pérenne.
Ces personnes raisonnables savent aussi qu’il faut en finir avec les chimères des plans de partage. C’était inique en 1947 ; c’était ridicule à Oslo en 1995 ; cela ne sera pas plus censé demain.
La Palestine n’est pas un gruyère. Les ressources en eau sont trop rares pour envisager un partage territorial. Il faudra penser une solution à un État avec des mécanismes de partage du pouvoir. Les exemples sont nombreux. Ce n’est pas une solution idéale, mais c’est la moins pire.
Sans justice, sans égalité, sans liberté pour toutes et tous, entre toutes et tous, il ne peut y avoir de paix.
Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des Facultés de sciences humaines et de philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.