«Pendant un accouchement, le niveau de stress est déjà super haut. Alors quand ça n’est pas dans sa langue, c’est super difficile. On ne peut pas nécessairement dire ce que l’on veut et ce que l’on ressent […] On espère se faire comprendre», confie la Franco-Canadienne, Adeline Dubreuil-Mahé, qui habite aujourd’hui dans la région d’Halifax.

Vanessa April-Gauthier est une doula postnatale bilingue dans la région d’Halifax.
La mère de famille, arrivée au Canada il y a 18 ans, a donné la vie à son premier enfant en Colombie-Britannique. Son accouchement a duré 36 heures, et les médecins ont dû pratiquer une césarienne en urgence.
Adeline Dubreuil-Mahé n’a pas oublié l’anxiété ressentie par rapport aux termes médicaux inconnus, son «air ahuri» devant le personnel médical purement anglophone, les questions continuelles qu’elle posait sur les produits qu’il lui injectait.
«On n’a pas toujours la force de penser vite dans une langue qui n’est pas la sienne. J’ai réussi tant bien que mal à comprendre, car je m’étais préparée. J’avais lu des livres en anglais pour m’éduquer», témoigne-t-elle.
«Quand on accouche, on n’est pas nécessairement en contrôle de son cœur et de son cerveau. Si en plus ce n’est pas dans sa langue, on se sent encore plus vulnérable et sous pression», abonde dans le même sens la doula postnatale à Halifax, Vanessa April-Gauthier.
«Plus capable d’exprimer mes besoins, mes émotions»
Le second bébé d’Adeline Dubreuil-Mahé est né à Halifax trois ans et demi plus tard, en pleine pandémie de COVID-19.
On ne nous a jamais proposé de services en français, car ils n’ont pas de staff bilingue. Ce n’est pas normal. Il y a un très grand manque.
Durant le premier trimestre de grossesse, des saignements l’obligent à se rendre aux urgences. Elle doit attendre sept heures à l’hôpital, «seule et complètement terrorisée», avant de voir un médecin : «Il a essayé de me rassurer avec quelques mots de français, mais c’était largement insuffisant.»
La sagefemme Elizabeth LeBlanc, originaire du Nouveau-Brunswick, a également «perdu» son anglais durant son deuxième accouchement en Ontario.

«La plupart des fournisseurs de soins sont surchargés et ont de moins en moins de temps à passer avec les patientes», regrette la sagefemme Elizabeth LeBlanc.
«Pour moi, c’est une langue apprise. Je n’étais plus capable d’exprimer mes besoins, mes émotions. Heureusement que mon mari était là pour me traduire», raconte l’Acadienne.
«Ça m’a vraiment marqué. J’ai réalisé l’importance d’avoir des soins dans sa langue maternelle. C’est tellement bénéfique pour la qualité des soins», poursuit-elle.
Des services de traduction sont disponibles dans la plupart des hôpitaux, mais les gens préfèrent souvent faire appel à des proches, rapporte la professeure au Département de médecine familiale de l’Université d’Ottawa et chercheuse à l’Institut du savoir Montfort à Ottawa, Marie-Hélène Chomienne.
Elle ne recommande cependant pas cette pratique : «La patiente ne voudra pas forcément tout dire à un ami. Si un résultat d’échographie est inquiétant, c’est très délicat de le dire d’abord à un tiers qui va ensuite le traduire. Il n’aura pas toujours les bons mots.»
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Des femmes «mal à l’aise et mises de côté»
Installée à l’Île-du-Prince-Édouard depuis juillet dernier après avoir exercé comme sagefemme plusieurs années en Ontario, Elizabeth LeBlanc est devenue pour sa part une «militante». Elle met un point d’honneur à proposer des services en français de façon proactive.
Quand il y a des complications pendant une naissance, on n’a souvent pas le temps d’expliquer et de traduire ce qui se passe. Chaque seconde compte. Ça peut être source de traumatisme.

«On en est rendu au point où les francophones doivent demander des soins en français. Ce n’est pas proposé, ce n’est pas normal», dénonce Adeline Dubreuil-Mahé en Nouvelle-Écosse.
«Il peut y avoir des bris de communication quand le professionnel de santé ne parle pas la même langue maternelle, même si la patiente est bilingue. Les conséquences peuvent être très graves», confirme Marie-Hélène Chomienne.
«Les femmes peuvent se sentir mal à l’aise et mises de côté. Les médecins ont tendance à ne pas tout leur expliquer en détail, car elles sont francophones», ajoute-t-elle.
À ses yeux, la «concordance de la langue» est d’autant plus importante pour détecter des problèmes de santé mentale, comme la dépression postpartum.
Elizabeth LeBlanc insiste à cet égard sur l’importance de partager en amont le plus d’informations possible sur les urgences et les ennuis pouvant survenir pendant et après une naissance.
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«Des listes d’attente partout» au pays
De nombreuses femmes enceintes n’ont néanmoins pas la chance d’être suivies par une sagefemme durant leur grossesse.
«Nous ne sommes pas assez nombreux et, en français, c’est pire. Il y a des listes d’attente partout, que ce soit ici à l’île[-du-Prince-Édouard] ou dans le reste du Canada», affirme Elizabeth LeBlanc.
La situation s’est fortement aggravée depuis la fermeture, en 2021, du programme de formation de sagefemmes de l’Université Laurentienne, en Ontario. Il s’agissait du seul et unique cursus en français à l’extérieur du Québec.

«L’accouchement est parfois le moment le plus douloureux de ta vie. Ce n’est pas un moment où tu as la force de parler dans une langue qui n’est pas la tienne», affirme la sagefemme Kim Cloutier Holtz.
Selon Kim Cloutier Holtz, sagefemme depuis quinze ans dans la région du Témiscamingue dans le Nord de l’Ontario, les universités d’Ottawa et de Lakehead montreraient de l’intérêt pour relancer le programme.
«Mais ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Ça prendra quatre à cinq ans avant d’avoir la première vague de gradués capables d’exercer», prévient Kim Cloutier Holtz.
En attendant, la Franco-Ontarienne est seule pour servir une population de quelque 16 000 personnes. Elle accompagne environ 40 futures mamans chaque année et doit refuser de nombreuses clientes. «Je pourrais embaucher deux autres sagefemmes pour répondre à la demande», relève-t-elle.
Forte de son expérience, Adeline Dubreuil-Mahé a, elle, décidé de se reconvertir comme doula postpartum. Avec l’envie de soutenir les jeunes mamans dans la période qui suit la naissance.
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