Le manque de services en français ne permet pas aux personnes de mettre des mots sur leurs maux, surtout lorsqu’il s’agit de santé mentale.
«Il faut être capable de bien s’exprimer. Si on s’exprime en anglais, ce n’est pas tout qui va sortir», a souligné la psychiatre à l’hôpital Monfort à Ottawa, Valérie Giroux, lors du colloque portant sur la santé des populations noires francophones en situation minoritaire, à l’occasion du 91e Congrès de l’Acfas.
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Pouvoir s’exprimer en français
«Lorsque je suis en douleur, la langue des émotions c’est le français», a témoigné Bernadeth Betchi, doctorante en philosophie, Études féministes et de genre.
Pendant ses différentes grossesses, la chercheuse raconte que son premier réflexe était de demander aux sagefemmes si celles-ci parlaient et comprenaient le français «de façon confortable».
Ne pas pouvoir s’exprimer dans la langue de son choix ou ne pas obtenir un service de santé adéquat peut avoir des répercussions sur la santé du patient. On peut passer à côté d’un problème sous-jacent ou faire un mauvais diagnostic, informe la professeure adjointe à l’École des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa, Mwali Muray.
Lorsqu’une personne n’arrive pas à parler de son état mental ou émotionnel, si elle doit le camoufler, des symptômes physiques peuvent se manifester, a ajouté la spécialiste.
Sensibilité culturelle
Pour l’étudiante en épidémiologie à l’Université d’Ottawa, Saredo M Bouraleh, pouvoir échanger avec un professionnel de la santé francophone n’est pas suffisant; le personnel médical doit aussi avoir une «sensibilité culturelle».
Un avis que partage Bernadeth Betchi, qui a fait une présentation sur la dépression postpartum et les défis des femmes noires francophones durant cette période.
Dans le cas de la dépression postpartum, le manque de sensibilité culturelle pousse les femmes noires à ressentir «le poids du monde sur [leurs] épaules», explique-t-elle, puisqu’elles ne savent pas à qui en parler et si elles seront comprises.
Qu’est-ce que la dépression postpartum?
La dépression postpartum, ou dépression postnatale, survient après l’accouchement et peut être grave. Les femmes peuvent éprouver un trouble du sommeil, de la fatigue, de l’anxiété, de la culpabilité et bien d’autres symptômes.
La dépression postpartum peut aussi être invisible et diffère d’une femme à une autre.
Il ne faut pas la confondre avec le baby blues, qui reste une déprime passagère et qui ne dure que quelques jours à quelques semaines.
La doctorante rappelle ainsi qu’il existe des différences culturelles entre les populations noires africaines, caribéennes et antillaises. Selon elle, il faut intégrer des profils diversifiés au sein du personnel de santé.
Quelques maladies peuvent être perçues différemment et restent taboues au sein de certaines communautés noires, détaille Mwali Muray.
Il peut s’agir de maladies en lien avec la santé mentale ou de pathologies physiques, comme le cancer du sein, complète la cofondatrice du Réseau des femmes congolaises, Anifa Kalay.
Saredo M Bouraleh ajoute que les professionnels de la santé doivent comprendre et connaitre ces aspects pour savoir «comment traiter et donner les soins nécessaires [adaptés]».
Pour y arriver, Anifa Kalay encourage les services de santé à approcher des organismes communautaires ou une personne de la communauté «qui peut venir avec des explications plus claires sur la façon dont cette maladie est perçue».
Lors du colloque, de nombreuses intervenantes ont également rappelé l’importance qu’accordent les populations noires à l’esprit de communauté.
Pour essayer d’aider les femmes noires francophones qui souffrent de dépression postpartum, Valérie Giroux leur conseille de demander à leur médecin, si elles le désirent, d’inviter une personne de confiance pour se sentir plus à l’aise.
Intégration et inclusion
Il y a aussi peu de recherches ou d’études sur les Noires francophones en milieu minoritaire, ont souligné les intervenantes.
Pour les intégrer dans les recherches, il faut aussi trouver du personnel de recherche qui a une sensibilité culturelle afin d’assurer la représentation des communautés noires dans la recherche, appuie Anifa Kalay. «Parce qu’on a tendance à être plus rassuré quand on voit quelqu’un qui nous ressemble, on se dit que cette personne nous comprend.»
Pour elle, il faut aussi engager la conversation avec les organismes communautaires qui peuvent organiser des évènements pour sensibiliser.
«Nous avons commencé ce qu’on appelle des petites tables rondes avec les membres de la communauté. L’objectif principal n’est pas [de parler de la] recherche, mais nous essayons de greffer [le sujet] dans la discussion.»
Pendant ces rendez-vous, Anifa Kalay constate que les personnes veulent donner leurs avis. Il suffit d’être transparent sur les intentions de la recherche et ensuite de développer une stratégie pour savoir comment aborder les maladies considérées comme taboues.
Les organismes communautaires peuvent aussi approcher des personnes d’influence, comme un leadeur religieux, ajoute la cofondatrice du Réseau des femmes congolaises. «Souvent d’ailleurs, on descend dans les Églises pour pouvoir parler aux personnes avec l’appui du leadeur de cette église-là.»