«Je suis l’elfe de maison! Je me retrouve chez moi avec un conjoint qui ne fait absolument rien en ce qui concerne notre fils encore bébé. Il s’occupe simplement de cuisiner», déplore Kristine Gallant, à Toronto.
Se lever la nuit, donner les biberons, changer les couches, faire les courses, le ménage, les machines, prendre les rendez-vous médicaux : la trentenaire fait tout, pense à tout. À la maison, les tâches domestiques et parentales sont le sujet numéro un de tensions.
«J’ai pourtant une belle carrière et je suis très à cheval sur les droits des femmes, l’égalité. Toutes les injustices m’énervent, poursuit l’ingénieure. Mais c’est comme si le modèle de vie familiale de mes parents est encore le même à mon époque.»
La francophone est loin d’être la seule Canadienne à souffrir de telles inégalités au sein de couples hétérosexuels. D’après de récentes données de Statistique Canada, en 2022, les mères ont consacré en moyenne 7,5 heures par jour aux soins de leurs enfants, contre 4,9 pour les pères.
Ce sont les activités de loisirs qui étaient les plus susceptibles d’être partagées à parts égales entre les deux parents.
À lire aussi : Plus de la moitié des Canadiennes touchées par le stress financier
Charge mentale sur les épaules des femmes
«La situation s’améliore, les hommes ont tendance à s’occuper plus des enfants, mais on n’est pas encore rendu à une égalité réelle, constate la professeure de psychologie sociale à l’Université de Moncton, Mylène Ross-Plourde. Les stéréotypes de genre sont très fortement ancrés dans la société et sont difficiles à défaire.»
Les données ne surprennent pas non plus la sociodémographe à l’Institut national de la recherche scientifique, Laurence Charton. Selon elle, les mères s’occupent plus des tâches qui demandent davantage de charge mentale, d’organisation et de gestion.
Elle prend notamment l’exemple des repas : «Les pères vont peut-être plus souvent faire la cuisine, mais ce sont toujours les mères qui vont planifier les menus, faire les courses.»
Perception biaisée
Les pères n’ont pas forcément conscience de ce partage inéquitable. Dans l’enquête de Statistique Canada, 64 % ont indiqué que les tâches étaient réparties également, contre 46 % des mères. «C’est un biais classique, les gens surestiment la part qu’ils accomplissent, on voit plus facilement ce qu’on fait», commente Mylène Ross-Plourde.
«C’est leur perception, j’imagine qu’ils ont l’impression d’en faire plus par comparaison avec leur propre père», ajoute Laurence Charton.
La Torontoise Kristine Gallant assure, elle, que l’injuste répartition des tâches est aggravée durant la période des Fêtes.
«La charge mentale est plus forte à cette période de l’année, les femmes prennent encore plus soin des autres et de leurs besoins», confirme Mylène Ross-Plourde.
À lire aussi : Grillades et clichés : quand le barbecue nourrit le patriarcat (Chronique)
Des inégalités forgées «avant même la naissance»
De son côté, Laurence Charton observe «une perpétuation des stéréotypes de genre» encore plus visible à Noël. Elle évoque notamment le choix des cadeaux genrés sous le sapin. La partition classique entre poupées, dinettes et cuisinières pour les filles; camions, jeux de construction et pistolets pour les garçons.
«Ça contribue à donner aux enfants une image stéréotypée de leur sexe dès le plus jeune âge», appuie Mylène Ross-Plourde.
Le choix des cadeaux n’est pas le seul facteur. Il existe bien des façons de reproduire ou de réduire les inégalités entre filles et garçons, et plus tard entre femmes et hommes.
«Ces inégalités se créent avant même la naissance. Rien que le choix du prénom est connoté, on veut quelque chose de fort et viril pour un garçon, de doux pour une fille, analyse Laurence Charton. La façon dont on parle aux enfants, dont on les habille, dont on réagit à leurs attitudes, ce sont des projections que l’on fait sur eux et tout ça joue.»
Selon une étude parue en 2022, c’est l’engagement temporelle importante et régulière des pères dans les tâches ménagères – à la fois en elle-même et dans une répartition équilibrée avec la mère – qui a le plus d’influence sur la perception des inégalités de genre chez les adolescents et les adolescentes.
Alors, comme le disent plusieurs sociologues dans un article paru en 2021 : «Allez, les pères!». À Toronto, Kristine Gallant ne se résigne pas, elle compte entamer une grève de «madame fait tout» en 2025.
À lire aussi : Le tabou de la stérilisation volontaire chez les femmes