À l’ère des réseaux sociaux et des plateformes numériques aux offres surabondantes venant d’ailleurs, les jeunes regardent de moins en moins la télévision traditionnelle au Canada.
Une majorité des 18 à 34 ans (62 %) regardent la télé par Internet, contre 42 % chez les 35 à 54 ans et seulement 18 % chez les 55 ans et plus, observe le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans un récent rapport.
Dans ce nouveau paysage audiovisuel, les chaines et les maisons de production tentent de s’adapter.
S’adapter pour ne pas être zappé
«On regarde beaucoup ce qui se fait ailleurs, sur le Web, et c’est toujours du montage très rapide, beaucoup de graphismes, une présentation très informelle», remarque la directrice des coproductions et des acquisitions chez TFO, Marianne Lambert.
«On s’inspire de ce que les jeunes connaissent déjà. On sait que les ados aiment bien se filmer pour partager des mouvements de danse ou partager une opinion sur quelque chose», observe la productrice de Slalom, Fabienne L’Abbé, comme les vidéos sur Snapchat ou TikTok.
La maison de production ottavienne alimente d’ailleurs ses propres réseaux sociaux pour rester connectée avec son public, en montrant par exemple les coulisses de ses tournages.
«La chose la plus importante, c’est de passer du temps avec les jeunes, être curieux, qu’est-ce qui les intéresse, qu’est-ce qui les interpelle», poursuit la productrice.
Néanmoins, bien que pédagogiques, les émissions doivent rester divertissantes et visuellement attrayantes pour capter l’intérêt des jeunes, indique-t-elle, surtout quand ils grandissent et que le facteur «cool» devient important.
Stéphane Villeneuve, professeur au Département de didactique à l’Université de Québec à Montréal (UQÀM), estime que la télévision a un gros travail de markéting à faire pour attirer les jeunes, étant donné que la vie sociale de la nouvelle génération se passe maintenant essentiellement en ligne.
«Les réseaux sociaux tentent de nous rendre accros au contenu par l’utilisation de leur plateforme tandis que la télé n’a pas été construite pour ça. Les gens ne peuvent pas interagir avec l’écran de télé», constate le spécialiste.
Pour être plus compétitif, le médium devra peut-être intégrer des éléments interactifs, imagine-t-il, évoquant au passage l’intelligence artificielle.
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Temps d’écran et santé publique
Dans un monde où tout est «très, très rapide, le contenu est consommé en moins de 15-20 secondes sur Instagram», commente Stéphane Villeneuve. «C’est pas facile d’assoir un jeune et de dire “OK, regarde ça pendant une heure”.»
«La télévision confinait l’usage de l’écran de l’enfant à un lieu, un moment, un contenu […] Alors que maintenant, avec notre cellulaire, on traine ça dans notre poche», illustre de son côté la professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, Andréanne Gagné.
«En termes de santé publique, la télévision représente encore cet avantage-là.»
Selon elle, restreindre l’usage des écrans favoriserait un développement plus équilibré chez les jeunes. Elle évoque, par exemple, l’interdiction des cellulaires dans les écoles de certaines provinces.
La télévision offre en outre un cadre plus structuré. La publicité destinée aux enfants est règlementée par le CRTC, rappelle-t-elle.
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Intelligence émotionnelle et écoanxiété
Les thèmes des émissions ont aussi changé, ou du moins évolué. «Cette année, on parle beaucoup d’intelligence émotionnelle […] apprendre à identifier les émotions, les écouter, les réguler», décrit Marianne Lambert. Même chez les tout-petits.
«On observe et on entend parler du niveau d’anxiété qu’ils ont déjà. Si je compare à mon enfance – je suis dans la mi-quarantaine – je ne savais même pas c’était quoi l’anxiété», confie la directrice du développement et productrice exécutive, enfance et jeunesse chez TFO, Renée Paradis.
Selon le réalisateur dans l’Ouest canadien Simon D’Amours, l’intelligence émotionnelle reste trop souvent négligée, tant dans les contenus pour les jeunes que dans la société en général, alors que «c’est la base», estime-t-il.
Certaines productions abordent également l’écoanxiété, tout en évitant d’ajouter à l’inquiétude ambiante. «On essaie d’avoir un angle positif, d’outiller les jeunes, de ne pas être défaitistes, de donner des solutions. On veut leur montrer que chaque petit geste compte», explique Marianne Lambert. Elle prend l’exemple de la série Effets dominos, qui met en lumière des initiatives pour protéger la planète.
Pour inspirer les jeunes, SLALOM propose des contenus qui évoquent la citoyenneté numérique, les métiers spécialisés ou encore l’entrepreneuriat. «On vient répondre à un besoin, mais on vient aussi piquer la curiosité», témoigne la productrice Geneviève Cousineau.
Sans oublier de mettre à l’écran «des jeunes qui leur ressemblent, qui parlent avec tous les accents de la francophonie canadienne», souligne-t-elle.
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Identités francophones
Les émissions jeunesse mettent également en lumière la diversité culturelle et linguistique, un sujet essentiel dans les communautés francophones en situation minoritaire, insiste Marianne Lambert.
«Il y a beaucoup de gens qui sont issus de l’immigration, donc c’est important de montrer ça dans tous nos contenus.»
La série Hôtel Beyrouth suit notamment la trajectoire d’une famille qui a fui la guerre au Liban à la fin des années 1980 pour s’installer à Ottawa. «L’histoire est racontée à travers les yeux de deux enfants de cette famille», précise la directrice.
«On célèbre la diversité des accents, on aime qu’il y ait différents accents, d’Afrique, d’Acadie, du Manitoba», ajoute-t-elle.
Les chaines en français jouent un rôle important dans la préservation et la promotion de la culture francophone, dans un contexte où l’accès au contenu anglophone est omniprésent, appuie Stéphane Villeneuve.
Pour Geneviève Cousineau, cela contribue à renforcer la fierté francophone des jeunes sur le long terme. «Si on ne produit plus de séries jeunesse en français, ça va être difficile de garder ces gens-là attachés à la culture et à vouloir consommer de la télévision francophone en tant qu’adulte.»