«Un défi» de faire de la recherche en français selon Selma Zaiane-Ghalia, présidente de la section Acfas-Acadie et professeure agrégée à l’Université Moncton.
«Est-ce que je fais de la recherche en français avec ma communauté minoritaire, parce que je veux aider ma communauté minoritaire? Ou est-ce que je laisse tomber ma communauté minoritaire et je m’en vais rejoindre un groupe anglophone parce que là je vais pouvoir publier, je vais pouvoir être visible et continuer une carrière?»
Stéphanie Chouinard, professeure adjointe en science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston et à l’Université Queen’s en Ontario, abonde dans le même sens. «Ça fait longtemps que la communauté des chercheurs francophones sonne l’alarme sur le fait qu’il y a de moins en moins de recherches scientifiques produites en français.»
Vers la démocratisation du savoir
Pour la 90e édition de son congrès annuel, l’Association francophone pour le savoir (Acfas), propose plus de 600 communications scientifiques gratuitement en ligne dans cinq disciplines.
«L’objectif, c’est de ramener du savoir, c’est de démocratiser la connaissance, partager le milieu de la recherche avec l’ensemble de la population», indique le président de l’Acfas, Jean-Pierre Perreault.
Publier en anglais pour être lu
«En ce moment au Canada, continuer de faire de la recherche en français et publier en français, c’est un geste politique parce que c’est un choix qu’on fait et qu’on fait parfois au détriment de notre carrière», indique Stéphanie Chouinard.
Les chercheurs Éric Forgues et Sylvain St-Onge, de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), ont mené une étude auprès des chercheurs scientifiques canadiens pour mieux comprendre les pratiques de recherche et de diffusion en français en milieu minoritaire.
«De façon générale, les participant-e-s de notre étude jugent qu’il est plus important de publier en anglais (62 %) qu’en français (49 %) ; c’est surtout l’opinion de la majorité (85 %) des répondant-e-s des sciences naturelles, dont seulement 20 % d’entre eux considèrent qu’il est important de publier en français», indique le document.
Le financement plus accessible en anglais
Selma Zaiane-Ghalia est en attente depuis plus de deux ans et demi pour faire publier un article dans une revue bilingue. La chercheuse en tourisme et récréologie ne considérait pas que la présentation de ses résultats en français retarderait leur publication.
«Il a fallu que je les relance et ils ont dit, après beaucoup de mois de silence, qu’ils avaient eu de la difficulté à trouver des évaluateurs, des pairs francophones», témoigne-t-elle.
Elle voit aussi un problème au niveau des sources mentionnées dans les articles francophones. «Quand vous prenez des articles en français, regardez les références qui sont placées. Ce sont souvent des auteurs qui ont publié en anglais. Donc, nous-mêmes, francophones, on fait référence à des publications en anglais. Comment voulez-vous qu’on se soutiennent les uns les autres si nos propres références sont en anglais», affirme-t-elle.
Une clé dans l’intelligence artificielle?
Le Canada compte trois conseils de recherche qui remettent des subventions aux chercheurs scientifiques : L’Institut de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles en génie du Canada (CRSNG) et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
«Lorsque les demandes de subventions déposées en français tombent dans les mains d’un unilingue anglophone, explique Stéphanie Chouinard, alors là ça doit être traduit et la traduction ne rend pas justice en fait à la qualité de la demande.»
La solution se trouve dans «la traduction des travaux de part et d’autre [ce qui] réduirait la pression de publier en anglais, affirme-t-elle. […] Ça ouvrirait l’accessibilité des recherches effectuées en français pour un public plus large sans que la pression soit mise sur les chercheurs eux-mêmes.»
Le président de l’Acfas, Jean-Pierre Perreault, voit potentiellement une solution dans les technologies.
Selma Zaiane-Ghalia apporte une nuance en réunissant l’intelligence artificielle et l’humain pour encourager la recherche francophone, mais «Si ce sont des textes compliqués, des humains sont là pour voir les émotions dans le texte. Dans la traduction il ne s’agit pas de traduire mot à mot y a aussi de l’émotion dans le texte», apporte-t-elle.
Elle continue toutefois à encourager les chercheuses et les chercheurs à utiliser des sources francophones dans leurs publications pour être plus solidaires.