«Je m’étais fait dire que je paierais les frais de scolarité québécois. Quand j’ai appris que ce n’était pas le cas, j’ai vraiment été frustré, c’est beaucoup plus couteux que prévu», regrette l’étudiant franco-ontarien, Jérôme Bilodeau.
Le jeune homme est inscrit en deuxième année du baccalauréat en administration des affaires à l’Université de Hearst, dans le nord de l’Ontario. Il est le premier à bénéficier de l’entente signée en début d’année entre son établissement et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
En vertu de cet accord, Jérôme Bilodeau peut suivre le programme de Certificat d’accès à la profession comptable offert par l’UQAT. Autrement dit, il suit chaque année un semestre à distance à l’UQAT, soit quatre cours.
«Ce sont des vidéos que j’écoute. J’ai choisi cette option, car ça me permet de rester à Hearst chez mes parents et de sauver de l’argent», détaille-t-il.
Mais, en aout dernier, revirement de situation, Jérôme Bilodeau apprend qu’il doit finalement payer les droits de scolarité exigés par l’UQAT aux personnes non-résidentes du Québec. Il est donc obligé de débourser 4 400 $ pour un semestre, contre les 1 900 $ qu’il avait planifiés à l’origine.
Changements à l’improviste
Selon les termes de l’entente entre les deux établissements universitaires, Jérôme Bilodeau aurait dû payer des droits de scolarité équivalents à ceux de la communauté étudiante québécoise, conformément à l’article 29.6 de la Charte de la langue française.
Cette disposition, en vigueur depuis l’automne 2023, permet aux personnes francophones des autres provinces canadiennes de payer les mêmes droits de scolarité que les Québécois si le programme qu’elles suivent en français est offert uniquement au Québec.
«Il était prévu au départ que les programmes de formation à distance soient éligibles aux frais de scolarité du Québec, mais, finalement, ce n’est pas le cas. Le statuquo est maintenu pour ce type de programme selon les documents du gouvernement du Québec», se défend l’UQAT dans sa réponse par courriel.
«Ce n’est pas facile de leur côté [du côté de l’UQAT], ça leur tombe aussi dessus. Ils ne sont pas maitres de ce qui se décide à Québec», considère la rectrice de l’Université de Hearst, Aurélie Lacassagne.
En juin dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur québécois a effectivement apporté une série de modifications au guide administratif sur les Droits de scolarité de la population étudiante canadienne poursuivant des études en français au Québec pour réserver les avantages à celles et ceux qui partent vivre au Québec pour y étudier.
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Une situation «ubuesque»
Depuis cet automne, les étudiants canadiens-français qui suivent des formations en ligne données par des établissements du Québec, mais qui ne résident pas dans cette province, ne peuvent plus profiter de droits de scolarité préférentiels, sauf en contexte d’échange.
«L’idée était d’offrir un milieu de vie en français, c’est peut-être pour cela qu’il y a eu ces changements», avance le président-directeur général de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), Martin Normand.
Aurélie Lacassagne dénonce, elle, une situation «ubuesque», presque grotesque : «Au départ, notre entente avec l’UQAT s’est fait grâce à un financement du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes. Le gouvernement québécois ne peut pas se dire à la fois défenseur des francophones en situation minoritaire et, par la bande, faire ça. Ça ne règlera pas leurs problèmes budgétaires.»
Elle souhaite envoyer une lettre aux ministres concernés pour «les mettre devant leurs responsabilités».
Ailleurs au Québec, l’Université de Sherbrooke précise par courriel à Francopresse que, parmi les 57 étudiants qui peuvent profiter du même tarif que les Québécois, plusieurs «sont encore en train de fournir des preuves de résidence au Québec».
De son côté, l’Université de Montréal indique, aussi par écrit, accueillir très peu d’étudiants canadiens provenant d’autres provinces.
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Besoin de «communiquer plus clairement»
Pour lever le flou sur ces questions, Martin Normand appelle le ministère québécois de l’Enseignement supérieur à «communiquer plus clairement sur les paramètres de la mesure, qui est éligible ou pas».
«Il y a beaucoup de mouvements autour des frais de scolarité, ce n’est pas bien compris par les étudiants et leur famille», souligne le président-directeur général.
Par exemple, les programmes d’études offerts à temps partiel sont admissibles, mais pas ceux de troisième cycle menant à un doctorat. Autant de subtilités que le grand public ne maitrise pas forcément.
Le ministère québécois de l’Enseignement supérieur n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Dans le nord de l’Ontario, Jérôme Bilodeau a pu bénéficier de bourses de l’UQAT et de l’Université de Hearst pour compenser les couts supplémentaires qu’il doit maintenant payer.
«Je suis satisfait, mais ils l’attribuent seulement à moi. Dans les années à venir, les prochains élèves n’y auront pas accès et devront payer des montants plus élevés», déplore-t-il.
Aurélie Lacassagne s’interroge sur la pérennité du programme conjoint avec l’UQAT : «S’ils ne reviennent pas sur leur décision, ça met beaucoup de pression financière sur les étudiants, la formation sera moins alléchante et risque d’être plombée.»